Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur la démocratie et la citoyenneté.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séance de questions-réponses.
(…)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Tout d'abord, je tiens à remercier chaque orateur…
M. Aurélien Pradié. Et les femmes ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. …et chaque oratrice de sa contribution au grand débat national. La contribution parlementaire est d'autant plus importante que notre pays connaît sans doute, ici et ailleurs, l'un de ces moments particuliers de son histoire où la collectivité nationale doit décider de son sort, se rassembler pour faire corps et répondre aux questions posées par le monde tel qu'il a évolué.
Chacun tombe d'accord sur le fait que la situation que nous vivons n'est pas l'expression d'un simple mouvement conjoncturel. Au contraire ! Des ressentis, bien plus profonds que la contestation de mesures limitées, s'expriment.
Ce mouvement dit quelque chose d'important de l'état de la France. Il met en lumière des questions trop longtemps laissées de côté. Sous ce rapport, il est certainement l'enfant de plusieurs décennies de non-dit, au cours desquelles notre pays a connu des transformations profondes, les subissant plus souvent qu'il ne les a initiées.
Les mutations politiques, économiques, sociales et culturelles ayant caractérisé le monde occidental ont peut-être atteint notre pays encore davantage, de plein fouet, portant atteinte à ce que l'on a appelé le « modèle français ». Face à ces transformations, qui sont autant d'enjeux, les politiques menées n'ont pas toujours été au rendez-vous.
Ce n'est faire injure à personne que de rappeler que, si nous en sommes là aujourd'hui, c'est aussi parce que, depuis plus de trente ans, nous n'avons pas su préparer notre pays à ces défis et nous ne lui avons pas permis d'y faire face de façon adaptée.
M. Pierre Cordier. Mais oui, bien sûr !
M. Sylvain Maillard. Tout à fait !
M. Sébastien Jumel. C'est assez juste !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. En la matière, il faut faire preuve d'une très profonde humilité, aujourd'hui comme hier. Il faut regagner la confiance de nos concitoyens, ce qui n'est sans doute pas un objectif facile à atteindre, tant ils ont le sentiment que, par le passé, on leur a promis de grands changements sans jamais les mettre réellement en oeuvre.
Mme Danielle Brulebois. Très bien !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. À situation inédite, donc, réponse inédite. Le grand débat national que le Président de la République a décidé d'initier est sans précédent. Pour la première fois, la parole a été donnée aux citoyens, sous des formes modernes que nous n'avions pas connues jusqu'à présent.
M. Pierre Cordier. Heureusement que vous êtes arrivés !
M. Sylvain Maillard. Oui !
M. Pierre Cordier. C'est la révolution !
M. Sylvain Maillard. Pas tout à fait !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. En dépit du scepticisme, voire de l'ironie de certains, les Français ont saisi l'opportunité de répondre aux questions qui leur étaient posées.
On a dénombré, messieurs les députés de l'opposition, près de 2 millions de contributions et plus de 10 000 réunions d'initiative locale, organisées par des élus – dont vous êtes, j'espère – auxquels il faut rendre hommage, ainsi que par des associations et, pour 30 % d'entre elles, par de simples citoyens.
M. Sébastien Jumel. Par des marcheurs, surtout !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Nous sommes bien loin du « gloubiboulga peu respectueux des Français » évoqué par Mme Obono,…
Mme Élodie Jacquier-Laforge. Elle est partie !
M. Pascal Lavergne. Elle ne daigne même pas écouter la réponse !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. …ou d'une opération de communication qualifiée – toujours par Mme Obono – tantôt de « petite », tantôt de « coûteuse », ce qui au demeurant me semble contradictoire.
Parmi les quatre thèmes ouverts au débat, celui de la démocratie et de la citoyenneté, qui nous intéresse aujourd'hui, arrive en tête des réunions locales. C'est le signe que les Français restent un peuple politique – M. Lachaud l'a rappelé –, un peuple passionné par les affaires de la cité. On voit bien que le mouvement de réappropriation de la parole publique – de la parole politique, pour reprendre l'expression de M. Dharréville – est là.
M. Pascal Lavergne. Comme M. Dharréville !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Comme vous l'avez dit, monsieur Dharréville, il est urgent de lui faire droit. En proposant d'organiser un grand débat national, le Président de la République s'est adressé directement aux Français, en soulignant la nécessité, face aux troubles des temps, …
M. Pierre Cordier. « Du temps » !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. …de clarifier notre projet national. Nous voici réunis pour participer à cette clarification. Il est non seulement naturel, mais plus encore indispensable, que le Parlement puisse conclure cette phase du grand débat national, car c'est bien au Parlement que s'exprime la souveraineté nationale. Il ne peut y avoir de démocratie sans Parlement. Non, monsieur Jumel, ce débat n'est pas inutile.
M. Sébastien Jumel. Nous verrons !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Les expressions de chaque groupe de l'Assemblée nationale sont essentielles pour formuler un diagnostic, dans le cadre du pluralisme qui caractérise notre démocratie. Viendra ensuite le temps de la décision. Le Parlement sera alors à nouveau saisi, au sujet des choix proposés. C'est dans l'ordre logique des choses.
Des milliers de débats tenus sur notre territoire et des centaines de milliers de contributions adressées au site internet du grand débat national, nous n'avons pas encore effectué la synthèse précise et exhaustive. Ce travail minutieux, mené sous le regard des garants, est toujours en cours tandis que je vous parle, mesdames, messieurs les députés.
Toutefois, quiconque ici a assisté à des débats – tel fut mon cas, comme celui de la plupart d'entre vous – a pu voir émerger des attentes, qui constituent autant de points de repère pour construire un projet d'avenir. Il faut donc que nous entendions ce que nous ont dit les Français.
De quoi ont-ils voulu nous parler ? Que nous ont-ils dit de leurs difficultés et de leurs espérances ? Il me semble, si l'on regarde les choses de haut, qu'ils ont voulu nous parler de la démocratie, de la République et, finalement, de la France.
De la démocratie, tout d'abord. Par son organisation même, le grand débat national a constitué, en quelque sorte, un témoignage de ce que veulent les Français à ce sujet.
Je ne pense pas qu'on puisse en conclure – et c'est important – qu'ils rejettent nos institutions telles qu'elles se sont constituées au fil du temps ni, plus substantiellement, qu'ils rejettent la représentation politique.
Ce qui m'a frappée, au cours des débats auxquels j'ai assisté, c'est un manque général de confiance, que beaucoup d'entre vous ont évoqué tout à l'heure, découlant d'un sentiment profond, inquiétant, que les élus ne sont plus connectés au réel et à nos concitoyens.
Il y a là – je tiens à le dire ici – une profonde injustice envers ceux et celles qui, élus nationaux et locaux, ont choisi le service des autres, exerçant leurs responsabilités dans des conditions souvent difficiles, comme le rappelait tout à l'heure M. Castellani. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM et sur les bancs du groupe GDR.)
M. Jean-Paul Lecoq. C'est bien de le reconnaître, madame la ministre ! On aurait aimé que notre président, Richard Ferrand, en fasse autant !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Pourtant, nous devons entendre ce sentiment si communément partagé et si fréquemment exprimé. Par-delà les fantasmes qui ont cours, notamment sur les réseaux sociaux, et qui sont abondamment alimentés, dans un climat souvent déplorable, il y a là une part de vérité que nous devons accepter.
Par-delà les critiques formulées, parfois avec une part intolérable de violence, et même si elles expriment souvent de tristes passions, des aspirations positives apparaissent, notamment la volonté d'une participation citoyenne réelle.
Voici plusieurs années que ce thème a émergé en France. Longtemps, dans notre pays – peut-être moins ouvert que d'autres à ces idées –, les demandes de démocratie participative, de démocratie continuée ou de démocratie augmentée ont été tenues pour anecdotiques. Il ne peut plus en aller ainsi. (Mme Cécile Untermaier applaudit.)
Nous débattrons plus tard des formes que peut prendre la participation citoyenne. Au demeurant, il existe d'ores et déjà des procédures. Dans le projet de loi constitutionnelle, déposé à l'Assemblée nationale au mois de mai dernier, des propositions visant à traduire cette idée ont été formulées.
M. Sébastien Jumel. Mais il est caduc !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Sans doute faut-il aller plus loin, en étant plus concret et bien moins frileux.
M. Sébastien Jumel. Oui !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ces propositions méritent donc d'être reprises dans le cadre de la révision constitutionnelle à venir, que M. Balanant appelait de ses voeux tout à l'heure.
Vous avez proposé, les uns et les autres, de nombreux outils permettant de développer la démocratie participative. Les uns ont évoqué un assouplissement du référendum d'initiative partagée. Tel est le cas de M. Becht, de Mme Le Grip et de Mme Lazaar.
D'autres ont souhaité l'instauration d'une « niche citoyenne » à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, comme vous l'avez dit, monsieur Favennec-Bécot.
D'autres encore – tel est le cas de Mme Untermaier – ont plaidé en faveur de la réhabilitation du droit de pétition ou de la création d'un forum citoyen – proposée par Mme Lazaar – issu d'une refondation du CESE et de la CNDP.
Certains ont même – tel est le cas de M. Carvounas – proposé d'abaisser l'âge du droit de vote à seize ans. D'autres encore – toujours M. Balanant – ont évoqué la nomination au CESE de citoyens tirés au sort.
M. Sébastien Jumel. François Bayrou pourrait ainsi espérer en faire partie ! (Sourires.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Bref, il y a là une multitude d'idées, qui doivent être travaillées afin de trouver leur concrétisation éventuelle.
D'autres – notamment MM. Lachaud, Dharréville et Lecoq – vont plus loin et plaident en faveur de la mise en place du référendum d'initiative citoyenne. Si toutefois nous nous lançons dans un référendum d'initiative citoyenne, quelles limites faudrait-il lui fixer ?
M. Sébastien Jumel. Celles de la Constitution !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Faudrait-il instaurer un contrôle, et si oui de quelle nature ? Voilà des questions auxquelles vous n'avez pas répondu, messieurs les députés.
M. Jean-Paul Lecoq. Nous n'avons pas votre temps de parole, madame la ministre !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. D'autres encore – tel est le cas de M. Dharréville – ont souhaité l'avènement d'une VIe République. Comme vous le savez, monsieur le député, tel n'est pas le projet pour lequel les Français ont voté aux mois de mai et juin 2017. (Mme Fiona Lazaar applaudit.)
M. Jean-Paul Lecoq. Pas sûr !
M. Sébastien Jumel. D'ailleurs, vous êtes très peu applaudie !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. En somme, les conclusions du grand débat national doivent nous inciter à réfléchir à l'inclusion, dans nos textes, de processus de démocratie participative. Nous pouvons donc d'ores et déjà nous accorder sur la nécessité d'organiser de tels processus, tant au plan national qu'au plan local.
De nombreux députés ont cité des exemples, ici de budgets participatifs – Mme Untermaier encore –, ailleurs d'assemblées de circonscription – expérience menée par M. Guy Bricout – ou d'organisation de référendums locaux – évoquée par Sacha Houlié.
Ces processus ne doivent pas être conçus comme des concurrents de la démocratie représentative, mais au contraire comme un moyen puissant de lui rendre toute la force qu'elle a perdue.
Toutes les formes de démocratie – représentative, participative et sociale – doivent concourir ensemble à donner à la démocratie représentative son plein effet. Il s'agit, pour elles, de s'équilibrer, de se compléter et de se renforcer, comme l'a rappelé M. Favennec-Bécot.
Cet objectif est à portée de main, à condition toutefois de respecter les principes essentiels, tels que l'absence de mandat impératif, l'indépendance des élus – laquelle s'oppose, me semble-t-il, à la possibilité de leur révocation demandée par certains, notamment MM. Lecoq et Ratenon (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM) –,…
Mme Cécile Untermaier. Bien sûr !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. …et le respect de la transparence ainsi que de la responsabilité. Alors, nous serons capables de construire des procédures claires afin de traduire tout cela en actes.
Il ne s'agit pas – je reprends vos propos, madame Le Grip – de se livrer à un « Meccano institutionnel hasardeux et politicien » ; il s'agit d'évoluer dans un sens positif. Toutes ces propositions doivent, bien sûr, être organisées pour assurer le respect de l'État de droit, c'est-à-dire la protection des minorités et des droits fondamentaux.
Nos concitoyens souhaitent aussi être mieux représentés. Pour cela, toutes les forces politiques doivent trouver leur juste place dans nos institutions démocratiques. La question des modes de scrutin se pose. Certains souhaitent que nous en venions à une représentation proportionnelle, soit totale, comme M. Carvounas, soit partielle, comme Mme Florennes ; d'autres la rejettent, comme Mme Genevard. Nous mesurerons le souhait des Français en la matière.
Une meilleure représentation implique aussi un renouvellement plus fréquent de la vie politique, et l'usage d'instruments tels que le non-cumul des mandats dans le temps. C'est une proposition du Président de la République et du Gouvernement ; elle permettrait d'organiser un brassage démocratique permanent, qui apporterait à nos institutions le souffle dont elles ont besoin. Cela impose sans doute de réfléchir, comme vous le souhaitiez, madame Untermaier, au nouveau rôle du député.
Être mieux représenté, c'est aussi pouvoir s'exprimer autrement, par le vote blanc, par exemple. C'est une demande qui se fait entendre, comme l'ont rapporté ici plusieurs orateurs. Il faudra y prêter attention, tout en mesurant les conséquences que pourrait avoir un tel mécanisme sur la légitimité des élus. Vous avez évoqué ce sujet, monsieur Favennec Becot, à propos de l'élection présidentielle ; mais avez-vous bien perçu, monsieur le député, qu'il faudrait modifier la Constitution ? Y sommes-nous prêts ?
M. Jean-Paul Lecoq. Oui !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Au fond, il faut aussi rappeler ici que l'exercice de la démocratie suppose de choisir plutôt que de rejeter.
Être mieux représenté, c'est encore, pour nos concitoyens, demander que les choix opérés par les élus soient présentés plus clairement, plus régulièrement, et que leurs conséquences soient mieux connues de chacun. Comme vous, j'ai évidemment été frappée par le fait que nos concitoyens estiment que nous, responsables publics, ne parlons pas le même langage qu'eux. C'est une observation que j'ai entendu formuler à de très nombreuses reprises.
M. Erwan Balanant. À Rédéné, par exemple !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. En effet, à Rédéné, à vos côtés, monsieur Balanant.
Plus encore, ils estiment bien souvent ne pas être assez informés des décisions que nous prenons et de leurs effets. Au-delà du problème de communication ici révélé, j'y vois un appel à un travail plus clair et plus approfondi, d'abord autour de l'exemplarité personnelle de ceux qui détiennent des mandats publics, ministres et élus, mais surtout autour de l'évaluation des réformes et de leurs conséquences concrètes.
Le Parlement a évidemment tout son rôle à jouer en la matière, ici et sur le terrain. L'évaluation des politiques publiques constituait par ailleurs, je le rappelle, l'un des axes forts de la réforme constitutionnelle proposée au printemps dernier. La question de la responsabilité et de l'efficacité de l'action publique pose aussi, et cela a été dit, celle de la diminution du nombre d'élus, afin que nos concitoyens puissent voir plus clair dans l'action de chacun.
M. Pierre Cordier. Ça ne marche pas comme ça !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ai-je besoin de redire qu'il s'agit là d'un engagement clairement pris devant les Français par le Président de la République ?
M. Gilles Lurton. Eh bien, il a fait une erreur !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Vous n'y êtes pas favorables, mesdames et messieurs les députés du groupe Les Républicains, comme l'a dit Mme Genevard. Mais cela semble être une demande forte, constante, récurrente de nos concitoyens. (Protestations sur les bancs du groupe LR.)
M. Raphaël Gauvain. Tout à fait !
M. Pierre Cordier. Avec des circonscriptions à 250 000 électeurs, ils changeront d'avis !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Nos compatriotes ont enfin exprimé un sentiment d'éloignement, de « déconnexion », avez-vous dit, madame Florennes ; ils ressentent une coupure entre le monde où ils vivent et celui où évoluent les élus et les responsables publics. Il faudra, là aussi, apporter des réponses, car c'est bien notre démocratie qui est ici mise en jeu.
Au-delà de ces questions de démocratie, nos concitoyens ont aussi voulu nous parler de la République. Celle-ci est avant tout une promesse, celle d'une société fondée sur la justice et sur l'égalité, mais aussi sur la dignité reconnue à chacun, quels que soient ses origines, sa religion, sa condition sociale, l'endroit où il vit sur notre territoire. Monsieur Houlié, vous l'avez dit, la République est fondée sur la reconnaissance.
M. Christian Jacob. La reconnaissance à M. Benalla, par exemple ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. En soi, le grand débat aura d'une certaine façon répondu à cette aspiration.
M. Nicolas Dupont-Aignan. C'est une plaisanterie !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il aura servi à reconnaître nos diversités.
Je ne peux pas ne pas évoquer devant vous les réunions auxquelles j'ai assisté dans les établissements pénitentiaires. J'ai, en effet, souhaité que ce mouvement démocratique puisse aussi toucher ceux de nos concitoyens qui, à un moment de leur vie, ont rompu le contrat qui les unissait avec la nation.
M. Nicolas Dupont-Aignan. Vous écoutez les voyous, plutôt que les honnêtes gens !
M. Sylvain Maillard. Cette réflexion est pathétique, monsieur Dupont-Aignan !
M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur. Laissez-le, il vient d'arriver… (Sourires.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Près de 200 débats ont ainsi été organisés en prison. Pour avoir assisté à plusieurs d'entre eux, je puis vous dire que s'y sont exprimées des personnes qui entendaient aussi répondre à cet appel à la dignité et à la République.
M. Jean-Paul Lecoq. Très bien !
M. Nicolas Dupont-Aignan. Quelle honte !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. La promesse républicaine doit être accomplie : c'est sans doute l'un des messages les plus forts que l'on pourra tirer de cet exercice démocratique. Le message est là – et il n'y a pas lieu, monsieur Alain David, de réintégrer cette réflexion dans d'improbables comptes de campagne.
Trop de nos concitoyens ont le sentiment que l'avenir réservé à leurs enfants sera moins favorable que celui auquel ils avaient pu aspirer.
M. Nicolas Dupont-Aignan. Eh oui !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cette inquiétude mine notre société, car elle renvoie à ce qu'il y a de plus profond en nous, individuellement comme collectivement. Cette promesse d'un avenir meilleur et d'une place réservée à chacun en fonction de ses vertus et de ses talents a constitué l'ADN de notre modèle français, sa raison d'être. Et c'est cette raison d'être que nous devons retrouver, en métropole comme dans les outre-mer, comme vous l'avez souligné à raison, monsieur Ratenon.
La République est aussi fondée sur l'engagement des citoyens. Celui-ci peut passer par la participation aux délibérations collectives, avec de nouveaux instruments à construire.
M. Christian Jacob. C'est bien, parce que ces propositions sont vraiment concrètes !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il suppose aussi une capacité à donner de son temps et de son énergie pour les autres. On voit que le grand débat aura précisément été un moment de réflexion sur ce que doit être l'engagement civique, qu'il passe par la vie associative, si importante dans notre pays, ou par d'autres voies, dont celle des corps intermédiaires. En ce domaine, la jeunesse, vers laquelle nous avons souhaité nous tourner lors de ce grand débat, a des leçons à nous donner : son imagination et son énergie ne sont jamais prises en défaut quand il s'agit de relever les défis qui sont devant nous – je pense en particulier à la transition écologique.
Si nos concitoyens ont parlé de la démocratie et de la République, c'est finalement pour parler plus simplement de la France, ce pays auquel ils croient, auquel nous croyons tous, même lorsque nous sommes collectivement confrontés au doute. La séance de cet après-midi le démontre amplement, s'il en était encore besoin.
Ce grand débat aura été l'occasion d'exprimer des valeurs communes. Les uns et les autres, vous en avez retenu plusieurs. « Être citoyen, c'est d'abord et avant tout partager des valeurs », avez-vous dit, madame Lazaar, scandant ainsi notre espérance de « refaire France ».
Ce qui nous est commun est bien plus important que ce qui nous divise. Dans les débats qui se sont déroulés pendant plusieurs semaines, les Français ont su confronter leurs idées, échanger des points de vue, sans toujours s'accorder, mais en respectant une forme de civilité démocratique. Cette mesure dans la manière de dialoguer, qui n'excluait pas parfois une certaine vivacité, contrastait avec la violence verbale et même physique dont nous avons été témoins ces derniers temps.
Parmi ces valeurs communes figure la laïcité. Les principes de la loi de 1905 constituent un socle auquel nous sommes très attachés. Il n'est pas question de toucher aux fondements de cette loi, mais, en l'adaptant aux défis d'aujourd'hui, nous pourrions peut-être en conforter les principes, pour assurer une meilleure transparence et un meilleur respect de l'ordre public.
Parmi nos valeurs figurent également la fraternité et l'intégration. La France s'est toujours agrégée autour d'un multiculturalisme séculaire ; le nier, c'est ne pas comprendre notre histoire. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et GDR.) Monsieur Masson, notre réponse est celle d'une politique d'immigration qui marche sur ses deux pieds : fermeté et humanité. (M. Raphaël Gauvain applaudit.) L'intégration doit nous conduire à responsabiliser, mais aussi à donner à chacun toutes les chances de trouver leur juste place au sein de la République.
Les Français ont sans doute exprimé des interrogations sur l'identité d'une France engagée dans un monde confus, difficile à décrypter. Face aux incertitudes, voire aux menaces, comment réagir, comment s'adapter tout en restant fidèles à ce que nous sommes fondamentalement ? C'est une question que nous nous posons depuis plus de deux cents ans : comment avoir une vocation universelle ; comment parler, souvent avec ambition, en Europe et dans le monde ; comment s'ouvrir au monde mais sans rien perdre de notre singularité ni de ce qui fait que nous constituons ensemble, avec nos différences et nos divergences, cette grande nation qu'est la France ?
Sur le déroulement du grand débat, sur le diagnostic qui peut être établi et sur les conclusions qui en seront tirées, chacun exprimera son point de vue, comme vous venez de le faire. Je ne doute pas que ces regards croisés seront riches, qu'ils traduiront une grande diversité, notamment quand il s'agira de prendre les décisions nécessaires. C'est le résultat d'un jeu démocratique pleinement respecté.
M. Christian Jacob. Quel courage !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mais au-delà de ces richesses et de ces différences, les Français attendent de nous avant tout un grand esprit de responsabilité, dont ils jugeront par les actes que nous accomplirons. Faute de quoi, nous les décevrions et ce n'est alors ni un camp ni un autre qui en sortirait vaincu, mais bien la France et les Français.
Cette responsabilité est entre nos mains. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous en venons aux questions.
Je rappelle que la durée des questions, comme celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Mme Agnès Firmin Le Bodo. Madame la ministre, messieurs les ministres, à qui faites-vous le plus confiance pour vous représenter dans la société ? Sans préjuger de la réponse à l'une des questions du grand débat, il est, en effet, permis de s'interroger sur le fonctionnement de notre démocratie représentative.
Selon le groupe UDI, Agir et indépendants, ce fonctionnement doit continuer à se fonder sur les élus, représentants du peuple. C'est notre histoire et notre ADN politique.
Notre histoire a d'ailleurs évolué entre l'individualisme dit moderne de la loi Le Chapelier et une loi du XXe siècle renforçant, par exemple, le rôle des syndicats, entre institution et interaction, comme disait Pierre Rosanvallon.
L'évolution perdure, tout comme les comportements de nos concitoyens. Le lien direct entre un chef et le peuple peut sembler séduisant, mais la démocratie moderne doit se prémunir du populisme. Les corps intermédiaires en sont aussi les contrepoints, voire les contre-feux.
Dès lors, faut-il laisser davantage de place aux associations et aux organisations syndicales ou professionnelles ? Comment mieux associer les citoyens aux décisions ? Et si l'on admet le principe de la nécessaire participation à la démocratie, quels sont les préalables qui nous ferons reconnaître ces derniers comme représentatifs, donc légitimes ?
Laisser davantage de place à ces organisations, c'est trouver des moyens pour que leur voix soit écoutée, c'est coconstruire les conditions d'un fonctionnement efficace. Par exemple, il faut réfléchir à une meilleure présence des représentants de parents au sein des conseils d'école, de collège et de lycée.
La réflexion doit aussi s'étendre vers une parole renforcée des syndicats au sein des entreprises, ou des représentants d'usagers dans les services publics. Cette délicate évolution doit s'appuyer sur une concertation large, pour ne pas casser les équilibres. Pas de décisions abruptes, mais des discussions, au plus près des citoyens, pour faire évoluer les modèles.
Dans notre pays, trop peu de salariés sont syndiqués, et peu de parents s'engagent dans les associations de parents d'élèves. Nombre d'adhérents d'associations se comportent plus en consommateurs qu'en acteurs. Trop peu acceptent de donner de leur temps pour animer celles-ci.
Un citoyen engagé doit être un citoyen écouté, mais pour être écouté, il doit aussi s'engager – équilibre précaire et nécessaire au fonctionnement apaisé de notre démocratie. Quelles sont les mesures qui pourraient favoriser l'émergence de telles pratiques ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la députée, en deux minutes, il me sera difficile de répondre à votre question, tant elle est vaste. La place des associations, des corps intermédiaires, des syndicats est souvent questionnée en ce moment. Elle l'a d'ailleurs été par le mouvement des gilets jaunes, qui a mis en cause, non seulement les élus et responsables publics, mais aussi les représentants des corps intermédiaires.
M. Pierre Cordier. C'est surtout Emmanuel Macron qui est remis en cause !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il me semble pourtant que, par son caractère spontané et par son apparente incapacité à s'organiser, ce mouvement montre qu'une société qui ne sait pas s'organiser peut être vouée à l'échec si elle n'arrive pas à structurer l'espace public, comme les corps intermédiaires ou les associations ont pu le faire.
M. Pierre Cordier. Mais vous les avez mis de côté !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cette place me semble tout à fait essentielle dans le fonctionnement de la société. C'est la raison pour laquelle, le projet de révision constitutionnelle, porté depuis le printemps dernier,…
M. Fabien Di Filippo. Et avec quel succès !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. …prévoyait de transformer le Conseil économique, social et environnemental – CESE – en Chambre de la société civile, pour redonner une place importante à celle-ci. Je n'évoque pas ici la nécessité d'organisations syndicales puissantes avec lesquelles nous soyons réellement capables de dialoguer, chacun dans nos sphères sectorielles.
La transformation du CESE en Chambre de la société civile visait précisément à renforcer la place des forces vives de la nation. Le 3 juillet 2017, dans un discours au Congrès, le Président de la République…
M. Fabien Di Filippo. Ce n'est pas une référence !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. …disait à propos du CESE que « sa mission était de créer entre la société civile et les instances politiques un trait d'union, fait de dialogue constructif et de propositions suivies d'effets. » Nous devons et nous pouvons aller plus loin dans cette voie. Telle est, du moins, l'ambition que nous portons. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Aurélien Pradié. Vous n'avez rien compris !
M. le président. La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.
M. Jean-Hugues Ratenon. La mobilisation des gilets jaunes et des citoyens de La Réunion a poussé le Gouvernement à intégrer cinquante citoyens tirés au sort dans l'Observatoire des prix, des marges et des revenus. Douze ans après sa création, cet organisme n'a pas réellement joué son rôle, puisque les gouvernements successifs ont toujours voulu l'empêcher de fonctionner dans l'int��rêt de la population.
Il peut cependant contribuer par ses travaux à un réel contrôle des prix en outre-mer, où notre économie est victime d'ententes, de situations de monopole ou d'oligopole, à la seule condition que ces cinquante citoyens tirés au sort puissent agir concrètement sur les mécanismes des prix et des revenus.
Le Gouvernement est-il prêt à modifier la loi pour donner de véritables pouvoirs aux citoyens ou laissera-t-il le pouvoir aux quelques fonctionnaires qui lui obéissent par devoir ?
Je pense aussi qu'il faut étendre la nomination de citoyens à l'ensemble des outre-mer. Êtes-vous prêts à le faire ? Après une période d'expérimentation en outre-mer, seriez-vous favorables à étendre ce dispositif à l'ensemble du territoire français ?
Concernant la démocratie, j'aimerais revenir sur la souveraineté du peuple. La population réunionnaise a élu des parlementaires qui, très majoritairement, ont demandé la suppression de l'alinéa 5 de l'article 73 de la Constitution, souvent appelé « amendement Virapoullé ». C'est une des revendications des gilets jaunes de La Réunion.
Pour sa suppression, le Gouvernement soutenu par le groupe La République en marche exige malicieusement l'unanimité des élus, alors que, nous le savons tous, la majorité l'emporte en démocratie. Êtes-vous prêts à respecter la démocratie, sachant que l'amendement Virapoullé constitue un frein au développement économique de La Réunion ? Supprimerez-vous cette disposition lors de la prochaine lecture du projet de réforme constitutionnelle.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le député, je vous le confesse humblement, je ne suis pas une spécialiste de l'Observatoire des prix, des marges et des revenus. Néanmoins, il semble que ce processus d'intégration des citoyens dans une telle institution mérite d'être développé.
Le CESE a rendu un avis sur les thématiques discutées dans le cadre du grand débat national, avis qu'il a élaboré à partir des contributions de ses commissions habituelles, fondées sur la société civile organisée, mais aussi d'une commission spécialement constituée, avec une trentaine de citoyens tirés au sort.
J'ai pu discuter avec ces citoyens, qui étaient intervenus au même titre que les conseillers du CESE et avaient fourni le même travail qu'eux,…
M. Jean-Hugues Ratenon. Nous ne parlons pas du même sujet.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. …et j'ai constaté que tout le monde avait gagné à cet exercice démocratique. Nous pourrons, je pense, développer ce processus dans différents lieux de notre démocratie.
Vous évoquez ensuite l'amendement Virapoullé, que nous avons déjà eu l'occasion d'aborder ensemble lors de l'élaboration du projet de loi constitutionnelle. Je le dis simplement ici, devant vous : ce texte mérite d'être retravaillé ensemble. Nous pourrons y revenir lors du débat constitutionnel, car il me semble que certains éléments du projet tel qu'il était proposé pouvaient sans doute encore évoluer.
M. Jean-Hugues Ratenon. Ce qu'il faut, c'est le supprimer !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. C'est un point que nous aurons l'occasion de reprendre lors du prochain débat constitutionnel.
M. le président. La parole est à M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. Je remercie tout d'abord Mme la ministre pour sa réponse, argumentée, sérieuse, et qui engage le débat, ce qui est important. Pour ce qui me concerne, dans cet exercice de questions-réponses, je ne suis pas certain de devoir interroger le Gouvernement. C'est plutôt à nous-mêmes, réunis en Assemblée nationale, que j'aurais envie de poser une question, pour rétablir la logique des choses, puisque le Gouvernement est mis en cause dans ses choix depuis plusieurs mois et que c'est de l'Assemblée nationale qu'il tient sa légitimité.
Je m'interroge d'ailleurs sur ce grand débat, madame la ministre : à quoi sert-il ? Qu'allez-vous en faire ? Pendant celui-ci, vous avez continué à déployer votre politique ici. Nous avons présenté nos propositions, qui ont été largement ignorées. Quant aux projets qui s'annoncent, sur les retraites, sur la fonction publique, ils sont tous du même tonneau.
Je me demande donc s'il ne s'agit pas, en fait, soit de légitimer des choix déjà faits à travers le prisme qui vous intéresse, soit de relégitimer une réforme constitutionnelle enlisée. Ce serait quand même un sacré contresens.
Alors, si une question devait absolument être posée, j'en avais préparé une sur la démocratie locale et la nécessité que prochainement, la métropolisation technocratique soit enfin mise en cause dans les Bouches-du-Rhône, afin de laisser place à des institutions plus démocratiques, plus coopératives, plus efficaces. Mais je vous interrogerai finalement sur la démocratie sociale, qui mériterait d'être revivifiée. J'avais souligné dans mon propos cet enjeu central.
Comme vous l'avez souligné à votre façon, madame la ministre, revivifier la démocratie est une alchimie complexe. Développer les pouvoirs citoyens partout, dans la gestion et le contrôle, nous semble être une nécessité. Or les dispositions que vous avez prises conduisent plutôt à une étatisation de la sécurité sociale ou à border les tribunaux de prud'hommes. Les grands textes sociaux, dont celui relatif à un prétendu renforcement du dialogue social, ont été votés contre l'avis des organisations de salariés.
Dans cet ordre libéral, où la voix des grands propriétaires domine, où les forces de l'argent exercent un pouvoir considérable, comment, demain, pourrons-nous parler d'une république sociale ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je vous remercie, monsieur le député, de cette excellente question. Vous évoquez deux points, le premier portant sur la méthode du grand débat.
Vous dites espérer qu'il ne s'agit pas de légitimer des choix déjà faits ou de relégitimer la révision constitutionnelle qui a été présentée. Comme je l'ai dit dans mon propos, il nous faudra enrichir la proposition qui a été faite, au moins sur les aspects liés à la démocratie participative.
Ce n'est pas l'heure ici de vous dire exactement selon quelles modalités. Mais, pour avoir entendu les propos de nos concitoyens, je suis convaincue qu'un enrichissement du texte est inévitable.
S'agissant de la démocratie sociale, je ne sais pas ce que sous-tendait exactement votre question, mais j'y répondrai en trois points.
D'abord, je crois beaucoup en l'importance des syndicats. Dans les négociations, si nous n'avons pas face à nous des syndicats puissants, nous sommes très handicapés. Je l'ai mesuré dans les négociations que j'ai eu à mener.
Ensuite, M. le ministre de l'éducation nationale vient de faire cette suggestion à l'instant devant moi : sur certains points, il importerait de développer des budgets participatifs. Peut-être le dira-t-il tout à l'heure mieux que moi, de telles initiatives pourraient intéresser l'éducation nationale au niveau départemental. C'est une autre manière d'instaurer de la démocratie sociale.
Enfin, dans le cadre de la révision constitutionnelle, nous avons prévu de développer ce que nous avions appelé le printemps de l'évaluation, c'est-à-dire un temps plus long consacré au débat sur les lois de finances et de financement de la sécurité sociale qui sont essentielles pour nos sociétés. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Sylvia Pinel.
Mme Sylvia Pinel. La dernière question de la lettre du Président de la République aux Français porte sur les moyens de renforcer la laïcité. Il importe, tout d'abord, de le rappeler, la laïcité est un principe de liberté – liberté de croire ou de ne pas croire – et de concorde. Et je veux condamner celles et ceux qui l'instrumentalisent afin de stigmatiser une religion ou un groupe.
Alors que la laïcité constitue la clé de voûte de notre édifice républicain, un flou persistant entoure la vision qu'en ont le Président et la majorité. Les associations religieuses sont ainsi reçues à l'Élysée pour évoquer les lois de bioéthique alors que les associations laïques ne le sont pas. J'ai encore en mémoire le discours prononcé par le Président de la République, devant la Conférence des évêques de France, appelant « à réparer le lien entre l'Église et l'État » qui serait « abîmé ».
Après avoir évoqué une refonte de la loi de 1905, le Président a semblé, le 18 mars, revenir sur ce funeste projet. Cependant, après avoir déclaré que la laïcité, c'est « la loi de 1905, rien que la loi de 1905 », il ajoutait que nous aurions « un sujet avec l'islam ».
S'il s'agit d'améliorer la transparence sur le financement de certains lieux de cultes, nous nous retrouvons. S'il s'agit de lutter contre les intégrismes religieux et de consolider la gouvernance des associations cultuelles, nous nous rejoignons également. S'il s'agit de faire de la laïcité une pensée de combat antireligieux, nous ne pouvons le cautionner, pas plus que nous ne saurions accepter une forme de concordat déguisé.
Pour revenir à la loi de 1905, je tiens à rappeler, s'agissant du financement des cultes, que des outils de gestion existent déjà. Il suffirait de les utiliser pour remédier aux dérives parfois observées.
Pouvez-vous m'indiquer les contours de la réforme que vous envisagez ? Comment entendez-vous appliquer pleinement et entièrement la loi de 1905 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LT.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur. Je tiens à vous rassurer, ce ne sont pas seulement certaines associations qui ont été associées à la réflexion. J'ai reçu les associations cultuelles, les représentants de la franc-maçonnerie ainsi que les associations laïques pour évoquer un même sujet : comment pouvons-nous, ensemble, réaffirmer, et non pas réformer, la loi de 1905, à la fois dans ses principes – la garantie de la liberté de croire ou de ne pas croire –, et dans la primauté des valeurs de la République sur toute pratique qu'une religion pourrait encourager ?
À cette occasion, j'ai également réaffirmé le principe de neutralité de l'État, la séparation des églises et de l'État et la garantie de la liberté de conscience. Nous devons nous mobiliser pour consolider ces fondements définis dans les articles 1er et 2.
Mais nous devons aussi constater que certains principes ne s'appliquent pas de manière satisfaisante. Vous avez cité le financement. Aujourd'hui, la loi ne garantit pas la transparence sur le financement des lieux de culte. Avec l'ensemble des acteurs, nous avons évoqué les moyens d'assurer cette transparence. De même, certaines sanctions pénales demeurent dans la loi de 1905 alors qu'elles ont été supprimées du code pénal depuis 1990.
Je veux vous rassurer, madame la députée, notre ambition n'est pas de changer ou de réformer la loi de 1905, mais au contraire de la réaffirmer en y inscrivant les moyens opérationnels de contrôler le financement des lieux de culte, le respect de l'ordre public ainsi que la gouvernance des associations cultuelles, qui doivent assumer leur responsabilité lorsque certains comportements menacent les valeurs de la République en ces lieux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Eliaou.
M. Jean-François Eliaou. N'ayons pas peur de le dire, le grand débat national auquel nous avons participé ou que nous avons organisé dans nos circonscriptions est un succès. (M. Sébastien Jumel s'esclaffe.)
M. Pierre Dharréville. Pourquoi avoir peur de le dire ?
M. Jean-François Eliaou. C'est un succès, car, au-delà du grand nombre de participants et de contributions, ce débat prouve que notre démocratie est vivante.
Des centaines de milliers de Français ont ainsi pu nous faire part de leurs doutes, de leurs incompréhensions, parfois de leurs colères, mais aussi de leurs espoirs. Et ces espoirs, mes chers collègues, ils sont grands ; les attentes de nos concitoyens sont fortes et leur participation massive est un signal : les Français veulent s'engager à faire vivre notre démocratie et pas simplement se défier d'elle ou remettre en cause nos institutions.
Ce mouvement populaire n'est-il pas la preuve de la volonté de nos concitoyens de s'impliquer dans les affaires de la cité, car ce sont évidemment eux les premiers concernés par les réformes que nous votons ?
Depuis le début de notre mandat, nous avons adopté plus de cent lois. Pourtant, nos concitoyens ont le sentiment d'être exclus du processus de prise de décision et de l'application de ces mesures.
Les Français ne perçoivent pas ou peu les effets de nos réformes. Il est aujourd'hui nécessaire de prendre en compte ce sentiment en expliquant mieux les objectifs poursuivis, mais aussi en les associant à notre travail législatif.
Nous devons saisir l'opportunité créée par le grand débat pour entrer dans une dynamique inclusive de démocratie et de citoyenneté encore jamais vue au cours la Ve République.
Nous devons adapter le processus législatif pour y associer nos concitoyens et les élus locaux, notamment dans le travail d'évaluation des politiques publiques que la Constitution consacre à l'article 24.
Madame la garde des sceaux, quels moyens de démocratie délibérative, coopérative et représentative pouvons-nous envisager pour associer durablement les Français à notre mission de contrôle de l'action du Gouvernement et d'évaluation des politiques publiques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le député, votre question est très intéressante.
Le grand débat nous a montré que nos concitoyens souhaitent s'impliquer dans la vie de la cité et c'est très positif. Ils étaient tous très intéressés par le processus d'élaboration de la loi lorsqu'on le leur expliquait. Il y a une forte demande de pédagogie.
Puisqu'on cite souvent Péguy dans cette assemblée, je n'en ferai pas l'économie ; celui-ci écrivait : « les parlementaires font des lois en langage parlementaire, le peuple les subit en langage français. »
M. Sébastien Jumel. C'est très juste, et plus encore depuis que vous êtes aux responsabilités !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Nous avons donc un travail pédagogique à mener, et ce travail-là vous appartient aussi parce que vous êtes les meilleurs ambassadeurs de la représentation parlementaire.
Pour aller plus loin, votre proposition est très intéressante. Lorsqu'il est question de participation des citoyens, on envisage souvent cette participation en amont. Vous suggérez de procéder différemment et d'intégrer la participation des citoyens dans le processus aval, donc dans l'évaluation des textes. Au fond, qui mieux que nos concitoyens pourrait contribuer à l'évaluation de la loi ?
Soyons clairs, l'évaluation vous appartient prioritairement – c'est l'article 24 de la Constitution qui le dit –,…
M. Sébastien Jumel. Pas seulement au groupe majoritaire !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je désignais l'ensemble des députés, allons, monsieur Jumel !
…mais il ne serait pas inutile de penser des mécanismes pour progresser dans le sens de la participation des citoyens, peut-être en installant des jurys citoyens à vos côtés ��� je ne sais pas. Cependant, je ne suis pas sûre qu'il faille profondément modifier nos textes constitutionnels pour cela. En tout cas, c'est une évolution intéressante à envisager. Je vous remercie de nous l'avoir proposée. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Naïma Moutchou.
Mme Naïma Moutchou. Ces trois derniers mois, la France s'est livrée à un exercice de démocratie totalement inédit.
M. Sébastien Jumel. N'ayons pas peur de le dire !
Mme Naïma Moutchou. Les chiffres, déjà rappelés, ne mentent pas et ils s'imposent aux contempteurs.
Le grand débat national était un pari risqué, c'est vrai, mais surtout, un pari courageux. Il fallait le tenter pour une raison simple : il devenait urgent de répondre au malaise qui ronge la vie publique depuis des décennies.
M. Sébastien Jumel. Ce n'est pas gagné !
Mme Naïma Moutchou. Nous partageons le même constat : les Français ont perdu confiance en nous. Cela ne veut pas dire qu'ils ne s'intéressent pas à la politique, et le grand débat en fait foi. Cela signifie qu'ils ne croient plus que la politique soit capable de changer leur vie. Je ne pense pas que nos institutions soient désuètes, mais il est certain que nous ne sommes plus en 1958. Le mouvement des gilets jaunes, soixante ans plus tard, a fini de nous en convaincre. Des années de gouvernement étanche,…
M. Sébastien Jumel. Dans votre cas, ce n'est plus étanche mais hermétique !
Mme Naïma Moutchou. …éloigné de la population, à droite comme à gauche, en ont clairement fait le lit.
Cette crise de la démocratie n'est pas une question d'idéologie ou de grands principes. C'est très concret pour les citoyens. Ceux qui ont participé à nos côtés aux réunions du grand débat l'ont vite compris. J'ai participé et j'ai entendu l'aspiration des Français à une démocratie plus moderne et plus directe.
Nous avons su montrer, avant même le grand débat, notre capacité et notre volonté de résorber ce profond malaise…
M. Sébastien Jumel. En fait, les gilets jaunes, c'est vous !
Mme Naïma Moutchou. …en créant un groupe majoritaire plus représentatif de la société civile, plus attentif à la parité entre femmes et hommes ainsi qu'à la diversité ; en adoptant une loi pour la confiance dans la vie politique votée dès le début de la législature ;…
M. Fabien Di Filippo. Qu'a-t-elle changé ?
Mme Naïma Moutchou. …en commençant l'examen de la réforme constitutionnelle qui plaidait précisément pour « une démocratie plus représentative, responsable et efficace »,…
M. Sébastien Jumel. En somme, vous aviez tout prévu !
Mme Naïma Moutchou. …car telle est bien notre vision de la société du XXIe siècle, une société qui donne sa vraie place aux citoyens.
M. Aurélien Pradié. Et Benalla est arrivé !
Mme Naïma Moutchou. Mais il nous appartient aujourd'hui d'aller plus loin. Je pense, entre autres, à la mise en place du vote blanc et à la réforme du référendum d'initiative partagée.
Le Gouvernement est-il prêt à donner corps à cette ambition commune du peuple et de la majorité d'une Constitution qui nous rassemble mieux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Oui, je suis très favorable à retravailler un texte constitutionnel susceptible de mieux nous rassembler. C'est un texte…
M. Aurélien Pradié. Le texte Benalla ! (Rires sur les bancs du groupe GDR.)
M. Sébastien Jumel. Bel intitulé !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. …qui s'inscrit dans le prolongement de la loi pour la confiance dans la vie politique. Ce texte visait à instaurer une démocratie plus représentative, plus efficace et plus responsable.
Je regrette, moi aussi, comme vous tous apparemment, que nous n'ayons pas pu, en juillet dernier, mener à bien le travail qui avait été commencé dans cet hémicycle.
M. Pierre Cordier. La faute à qui ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ce qui s'est passé alors – le blocage – n'a pas honoré notre République. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Aurélien Pradié. L'affaire Benalla n'a pas honoré notre République !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je ne suis pas sûre que cet épisode n'ait pas accru la défiance de nos concitoyens envers les institutions de la République.
Nous devons reprendre certaines thématiques qui étaient évoquées dans ce texte, qu'il s'agisse d'améliorer le travail des parlementaires, de mieux assurer la représentation de nos concitoyens, ou de modifier les modes de scrutin – notre projet reposait en effet sur un triptyque. Ces sujets doivent être retravaillés sans doute pour redonner les impulsions dont le débat a souligné la nécessité.
Nous ne pouvons pas laisser ce travail ainsi inachevé. Nous souhaitons rétablir le lien de confiance avec nos concitoyens, et cela passera aussi par une Constitution, revue, révisée, retravaillée avec vous. Ce sera un élément très fort de la réponse au grand débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Aurélien Pradié. Les Français n'aiment pas qu'on leur resserve les mêmes plats !
M. le président. La parole est à M. Éric Diard.
M. Éric Diard. Madame la garde des sceaux, avant toute chose, je voudrais remercier le Gouvernement d'ouvrir le grand débat national aux parlementaires. Quoi de plus normal que l'Assemblée nationale y participe, après les enfants et les collégiens ! (Sourires.)
Un élément de ce débat a attiré mon attention : le Conseil économique social et environnemental, dont le Gouvernement veut faire un « espace de la démocratie délibérative ». Or qu'y a-t-il de démocratique à donner des pouvoirs à une assemblée dont les membres sont nommés par les syndicats et par le pouvoir exécutif ?
Permettez-moi de vous rappeler les termes de l'article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »
Quelle est la légitimité des membres du CESE ? Ils ne se sont pas présentés devant le suffrage universel, mais sont simplement nommés. Tel a été le cas de M. Delevoye, l'ancien président du CESE, chantre du « nouveau monde » après avoir été, je le rappelle, candidat malheureux à la présidence du RPR en 1999.
En 2010, j'ai été le rapporteur du projet de loi organique relatif au CESE, qui faisait déjà l'objet de remises en cause. Force est de constater que cette loi organique n'est pas parvenue à mettre fin à un problème qui tient à l'existence même du CESE.
Vous voulez parler d'économies ? Rappelons que le CESE coûte 40 millions d'euros chaque année, soit 170 000 euros par conseiller ou 1,5 million d'euros par rapport produit !
Mme Cécile Untermaier. Eh oui !
M. Éric Diard. Or le défaut d'utilité des rapports du CESE est criant, car ils doivent être adoptés dans un consensus qui empêche des propositions pertinentes. Nos assemblées parlementaires produisent des rapports d'enquête et d'information qui peuvent être directement repris dans la loi, par voie de projet, de proposition ou d'amendement. Qui, dans cet hémicycle, peut me citer un rapport du CESE ayant été suivi d'un texte législatif ou réglementaire ?
Madame la ministre, il est temps de clarifier les rôles : affirmons les pouvoirs des assemblées parlementaires, laissons éventuellement s'exprimer les chambres régionales, mais supprimons le CESE, que le magazine Le Point avait qualifié, je vous le rappelle, de « meilleure planque de la République » ! (M. Nicolas Dupont-Aignan applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Vous proposez, monsieur Diard, de supprimer le CESE, comme vous l'aviez déjà fait par une proposition de loi constitutionnelle que vous aviez déposée avec plusieurs de vos collègues en décembre 2017.
Comme je l'ai indiqué tout à l'heure, le grand débat national n'est pas terminé. On a pu entendre ici ou là quelques propositions allant dans votre sens – je les ai moi-même entendues –, mais je ne suis pas sûre qu'elles soient majoritaires. Nous souhaitons donner plus de force à la démocratie participative et la conjuguer avec la démocratie représentative, mais faut-il absolument mêler dans un même lieu les deux formes de démocratie ? C'est l'un des points que nous aurons à trancher.
En outre, lorsque je me suis rendue, dernièrement, au CESE, j'ai pu constater qu'il avait su mettre en place une réelle participation citoyenne, en constituant des groupes de citoyens. C'est une manière de partager et de faire vivre notre institution démocratique, qui est, je le crois, très utile.
Par ailleurs, le président Bernasconi souhaite ouvrir le CESE sur la société – il l'a déclaré à de très nombreuses reprises. Il souhaite, d'ailleurs, aller au-delà de ce que nous avions prévu dans le projet de révision constitutionnelle du printemps dernier, à savoir la transformation du CESE en Chambre de la société civile. C'est un point sur lequel nous pourrons réfléchir à nouveau.
Nous verrons quelles seront les conclusions du grand débat en la matière. En tout cas, je ne suis pas sûre que la suppression du CESE pour des raisons d'économie soit la meilleure solution possible.
Mme Cécile Untermaier. Il ne sert à rien !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Il me semble, au contraire, que nous pouvons transformer profondément cette chambre pour en faire un outil puissant de démocratie participative. C'est un point sur lequel nous pourrons retravailler ensemble. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Perrut.
M. Bernard Perrut. Le 17 juin 1789, les députés élus par le peuple se proclamèrent Assemblée nationale pour assurer la représentation des Français. Aujourd'hui, je crains que la démocratie fondée sur cette représentativité ne soit affaiblie, car votre projet de réforme constitutionnelle conduirait à une diminution de 30 % du nombre des députés – soit 173 de moins –, mais aussi à la suppression de 42 % des circonscriptions, en raison de l'instauration d'une part de proportionnelle.
En 1792, on comptait un député pour 37 411 habitants. Ce rapport s'établit aujourd'hui à un pour 116 000 en moyenne et pourrait tomber, demain, à un pour 170 000 à 200 000. La France deviendrait alors le pays le plus sous-représenté des grandes démocraties européennes. Comment ne pas craindre une distension du lien entre les députés et les Français si la taille des circonscriptions augmentait de 50 % ? Comment un député pourrait-il, de manière efficace, rencontrer les citoyens de sa circonscription, les écouter et garder un ancrage territorial indispensable, sachant que nos concitoyens nous demandent chaque jour plus de proximité ?
Nous assisterions, d'ailleurs, à l'apparition de deux catégories de députés : ceux qui seraient rattachés à des territoires toujours plus grands et des députés hors sol qui ne devraient leur élection qu'à leur influence dans un parti politique. Vous prétendez accroître la représentativité des Français à l'Assemblée grâce à l'introduction d'une dose de proportionnelle, mais vous obtiendrez l'inverse : un lissage des résultats favorable aux formations les plus importantes, à commencer, vous le savez, par la formation majoritaire
La proximité est essentielle et fonde la confiance. Dès lors, monsieur le ministre de l'intérieur, envisagez-vous d'autoriser à l'avenir les parlementaires, auxquels il est interdit d'exercer la fonction de maire, de garder un lien indispensable avec la vie locale en tant qu'adjoint au maire ou vice-président d'une communauté de communes ? Cette évolution serait d'autant plus juste qu'un certain nombre de députés sont conseillers régionaux ou départementaux – puisque cela est autorisé – et tirent de cette assise territoriale une véritable proximité avec leurs concitoyens, grâce à leur implication dans de nombreux organismes, commissions, dossiers ou projets. Je vous serais reconnaissant de nous éclairer sur vos intentions en la matière.
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre. Je pense que ce débat mérite d'être ouvert, monsieur Perrut. S'il n'y avait pas aujourd'hui de rupture avec nos concitoyens, malgré le nombre de parlementaires – députés et sénateurs – dont nous disposons, nous pourrions nous dire qu'il ne faut rien changer. Vous avez suffisamment d'expérience pour le savoir – j'en ai moi-même quelqu'une comme député –, ce qui compte, au fond, ce n'est pas la taille de la circonscription, ni sa typologie. Vous êtes élu d'un département important, le Rhône, qui compte près de 2 millions d'habitants ; j'ai été élu d'un département qui en compte 150 000. En tout cas, la rupture est bien là, et il ne faut pas penser que ce schisme est dû seulement à la taille de la circonscription. Il faut aussi poser la question des moyens dont disposent les parlementaires, notamment des collaborateurs et des moyens en circonscription, précisément en vue de renforcer leur rôle. Il faut assumer d'ouvrir ce débat.
Je ne suis pas intimement convaincu qu'il faille, par exemple, dix-sept sénateurs et davantage de députés dans le département du Rhône pour garantir cette représentation. Ce débat a été ouvert pendant la campagne présidentielle – des positions divergentes ont alors été exprimées –, a été abordé lors de l'examen du projet de réforme constitutionnelle et pendant le grand débat national, et mérite d'être poursuivi. Je n'ai pas de doctrine en la matière, mais je suis intimement convaincu que la relation que nous avons avec nos concitoyens a changé. Lorsque vous avez été élu député, il y a vingt-deux ans, vous n'aviez pas les mêmes méthodes de travail qu'aujourd'hui. Le quotidien a lui aussi changé, notamment les attentes de nos concitoyens. C'est sur ce point que nous devons travailler.
Vous m'avez interrogé sur un éventuel retour du cumul. J'aurais du mal à vous expliquer que le cumul est une catastrophe : j'ai été député et maire pendant cinq ans. Vous-même, monsieur Perrut, vous avez été député pendant vingt-deux ans et maire pendant neuf ans. Or je ne suis pas convaincu que vous ayez été un mauvais député pendant treize ans !
M. Vincent Descoeur. C'est même un excellent député !
M. Christophe Castaner, ministre. Pourtant, vous ne cumuliez pas. Il n'est donc pas indispensable d'exercer une fonction exécutive ; on peut rester simplement conseiller municipal, départemental ou régional. En définitive, je pense que c'est la façon d'être des parlementaires qui est constitutive de leur rapport au territoire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Frédéric Petit.
M. Frédéric Petit. Dans ma circonscription, où j'invente la proximité,…
M. Aurélien Pradié. Quel génie ! Le Léonard de Vinci de la démocratie !
M. Frédéric Petit. …de Berlin à Bucarest en passant par Budapest, Belgrade, Francfort, Munich et Varsovie – chez moi –, nos concitoyens se sont largement mobilisés autour du grand débat : un millier de personnes y ont pris part ; une trentaine de rencontres ont été organisées.
J'ai moi-même participé à une vingtaine de réunions.
M. Aurélien Pradié. Oh là là !
M. Frédéric Petit. J'ai vu de simples citoyens, des responsables associatifs, des élus locaux – engagés –, autant de jeunes que de moins jeunes, de toute sensibilité politique, y compris des gilets jaunes et des foulards rouges.
M. Aurélien Pradié. Incroyable !
M. Pascal Lavergne. C'est bon, monsieur Pradié !
M. Frédéric Petit. J'ai pu également noter que nos concitoyens du « coeur de l'Europe », comme j'appelle parfois ma circonscription, sont venus dans leur grande majorité pour parler de la France, non de leurs problèmes spécifiques. C'est un signe supplémentaire que nous, Français établis hors de France, nous sentons membres à part entière de l'aventure nationale.
Malgré les critiques et les imperfections, il nous faut réinventer tous ces lieux de médiation sociale et politique, de débat et d'engagement citoyen quotidien qui existaient jusque dans les années 1970…
M. Aurélien Pradié. Dans le Larzac !
M. Frédéric Petit. …mais ont disparu au fil des années. Ce grand débat a permis de mettre le doigt sur une carence de nos démocraties, qui s'est installée lentement, pas uniquement en France – beaucoup de mes collègues l'ont rappelé.
Toutes les idées et propositions recueillies au cours du grand débat, parfois du fait même de leur divergence ou de leur opposition, ce que j'appelle la confrontation fraternelle – oui, monsieur Dupont-Aignan, la fraternité existe aussi dans les prisons ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM. – Mme Isabelle Florennes applaudit également) –, devraient nous apporter beaucoup, une fois que nous les aurons patiemment analysées.
Ma question est plus profonde : avec quelles mesures concrètes, quelles innovations – j'ai entendu parler de budget participatif –, allons-nous faire en sorte que nos concitoyens retrouvent durablement toute leur place dans le débat public et que le grand débat ne soit pas qu'un feu de paille ? (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Comme je l'ai dit lors de mon propos introductif, monsieur Petit, tout ce à quoi nous avons assisté les uns et les autres montre bien que les Français demeurent un peuple politique ; ils ont envie de parler, de s'exprimer. Vous avez raison de poser la question des lieux de médiation sociale et politique. Il en faut, partout. Je crois que c'est ce qui contribuera à apaiser les tensions que nous pouvons connaître.
J'ai assisté, comme vous tous, à de très nombreux débats, dans des milieux très différents. Je me suis rendu compte qu'il était possible d'échanger et de dialoguer sans s'insulter, se brocarder ou se menacer, ni se murer forcément dans ses propres certitudes.
M. Erwan Balanant. Sauf ici, parfois !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. J'ai notamment été très frappée par les dernières conférences régionales citoyennes, qui se sont déroulées avec des médiateurs qui savaient précisément assurer l'expression de chacun, sans insulte.
M. Aurélien Pradié. Il faut en effet que l'on recrute des médiateurs ! C'est pénible et lassant, cette démocratie tumultueuse !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ces grands débats ont effectivement été un lieu d'apprentissage de la démocratie et de la citoyenneté.
Il est important, monsieur Pradié, d'écouter et de respecter les autres, comme vous le faites parfois. (Exclamations sur divers bancs.)
M. Nicolas Dupont-Aignan. Respectez les Français, déjà !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ces éléments sont extrêmement fragiles ; ces temps de débat sont très fragiles. Il faut arriver à les institutionnaliser, pour rendre la démocratie plus efficace.
M. Aurélien Pradié. Vous n'êtes jamais responsables de rien !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. C'est ce à quoi nous allons devoir travailler. Il me semble que nous devons précisément trouver une voie entre l'apathie démocratique, que nous constatons trop fréquemment, et la virulence ou l'activisme violent, qui est une autre forme d'expression.
M. Aurélien Pradié. Et les mots creux !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Telle est la voie que nous devons tracer ensemble. Vu ce qui s'est passé pendant la durée du grand débat, je suis très optimiste sur nos capacités à réagir collectivement.
M. Aurélien Pradié. Nous aussi, follement optimistes !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Nous avons vu apparaître un certain nombre de propositions, notamment les assemblées de circonscription ou les budgets participatifs, qui ont été inventés au niveau local et auxquels M. le ministre de l'éducation nationale a proposé de recourir, non pas dans le cadre de l'éducation nationale – je m'empresse de corriger –, mais dans celui de la vie associative, qui est un autre de ses domaines de compétence. Il me semble que ces instruments méritent d'être déployés. Nous allons nous y atteler. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le président. La parole est à M. Joaquim Pueyo.
M. Joaquim Pueyo. Le grand débat national, qui s'est tenu pendant plusieurs semaines, est une conséquence directe de la mobilisation des gilets jaunes – cela a été dit à plusieurs reprises. Je pense que nous avons tous participé à des rencontres avec nos concitoyens. Pour la plupart, nous n'avions pas attendu ces tensions pour dialoguer avec les habitants des territoires et faire remonter les préoccupations.
M. Aurélien Pradié. Ce n'est pas sûr ! Certains ont découvert la vraie vie ! Ça leur a fait bizarre !
M. Joaquim Pueyo. Au-delà des sujets de fond – la justice fiscale, l'accès à la santé, les mobilités, c'est-à-dire, de manière plus générale, les services publics –, nous avons pu entendre les Français soulever la question de la représentativité et de leur rapport aux élus. Certains ont même remis en cause la notion de démocratie représentative, par désespoir, mais aussi parce que l'on n'a pas pu répondre rapidement à leurs difficultés. Si des efforts importants doivent être accomplis afin de mieux intégrer la volonté d'engagement et de participation de nos concitoyens, il me semble que la démocratie représentative doit être préservée dans son essence, tout en étant, probablement, amendée.
Si les demandes d'une prise en compte plus régulière des volontés des Français sont légitimes, cela doit passer par une revalorisation du lien entre les citoyens et leurs représentants, y compris au Parlement. Dans cette assemblée, bien que nous consacrions un temps important au travail parlementaire, nous ne sommes pas, nous le savons, experts de tous les sujets. Compte tenu de la complexité des thèmes traités, il faut comprendre l'ensemble des tenants et aboutissants pour se forger une opinion, la plus éclairée possible. Ce n'est donc pas en contournant les représentants que nous ferons avancer notre démocratie ; c'est en améliorant le dialogue, les moyens et la réactivité des élus.
Mais ce lien entre représentants et citoyens doit se faire à tous les échelons. Nous savons que les Français plébiscitent les élus locaux, notamment les maires, qui sont au plus près des préoccupations des citoyens et connaissent les spécificités des territoires.
Comment prendre en compte cette démocratie très locale ? Par exemple, faut-il généraliser dans les territoires la création de conseils citoyens, qui existent déjà dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ? Comment répondre aux Français de manière très rapide, peut-être en créant un nouveau type de lien entre les élus et les citoyens ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Dans votre question, dont je vous remercie, vous soulignez l'importance d'un lien très fort entre nos concitoyens et leurs représentants. Il y a plusieurs manières d'établir ce lien, vous l'avez rappelé à juste titre.
Beaucoup d'entre vous ont inventé au niveau local des processus de démocratie participative. Mme Untermaier l'a fait dans sa circonscription ; d'autres exemples ont été cités tout l'heure. Il existe donc des processus relevant de la démocratie participative dans de très nombreuses collectivités. Les conseils citoyens, que vous avez évoqués, sont également des lieux importants.
Il faut cependant que les choses soient claires. Autant il convient désormais d'adjoindre des mécanismes de démocratie participative aux mécanismes de démocratie représentative, autant il me semble important de ne pas confondre l'une et l'autre. L'article 27 de la Constitution refuse clairement le mandat impératif. Il faut donc conserver ce qui fonde notre démocratie représentative, sur laquelle notre République repose depuis deux siècles. S'il existe entre deux élections une apnée démocratique, qui n'est plus aujourd'hui supportable ni même possible, on ne doit pas introduire pour autant d'élément susceptible de créer de la confusion.
C'est pourquoi, parmi tous les mécanismes auxquels on pourra penser, outre ceux que vous avez cités, le référendum d'initiative partagée, qui, bien qu'il existe dans la Constitution, ne fonctionne pas parce que les seuils sont trop verrouillés, pourrait être un lieu de respiration démocratique à revitaliser. C'est un exemple parmi d'autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – M. Frédéric Petit applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan.
M. Nicolas Dupont-Aignan. Nous voilà au terme d'un grand débat conçu comme un moyen – pour parler élégamment – de faire patienter les Français qui n'en pouvaient déjà plus, un an après votre élection, de votre politique injuste et méprisante.
Nous aurions pu espérer que vous entendriez leurs attentes, au cours de ces semaines d'échange. Or, en vous écoutant, madame la ministre, on comprend que, sur le sujet qui nous intéresse aujourd'hui, la démocratie, il n'en sera rien.
Quand comprendrez-vous que les Français n'en peuvent plus de votre hypocrisie, qui consiste à faire semblant de les écouter tout en continuant, dans les faits, à mener, comme des automates, la politique dictée par vos maîtres ? Ces maîtres, on les connaît : Bruxelles, la caste financière qui vous a permis d'être élus et une minorité qui profite de la mondialisation aux dépens de la majorité des Français, tout juste bons à payer les impôts. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. Sylvain Maillard. Le fameux complot !
M. Nicolas Dupont-Aignan. Nos compatriotes veulent être acteurs de leur destin et vous le savez bien. Le général de Gaulle avait donné de grands pouvoirs au Président de la République en échange du référendum.
M. Pacôme Rupin. C'est vrai.
M. Nicolas Dupont-Aignan. Vous parlez tout le temps de « processus participatif », expression que vous avez utilisée quinze fois dans votre discours, mais vous n'avez jamais le courage de questionner les Français en organisant un référendum sur votre politique.
Vous confondez le débat et le vote. Le blabla permanent dans lequel vous voulez nous noyer n'a rien à voir avec la démocratie participative. Pour ma part, je reste convaincu que la seule solution pour réconcilier les Français – en état, vous l'avez dit, d'« apnée démocratique », dont vous êtes responsables –, c'est de les consulter par référendum sur votre projet de réforme des retraites, sur vos projets fiscaux, sur la taxe carbone… Allez-y ! Osez ! Posez-leur la question !
J'ai déposé deux propositions de loi en 2013 et 2018 sur le référendum d'initiative citoyenne, seule solution pour que les Français se réapproprient notre démocratie.
Je ne vous poserai qu'une seule question : pourquoi avez-vous si peur du peuple français ? Craignez-vous que celui-ci ne vous renverse un jour, comme une certaine monarchie qui avait votre arrogance et votre mépris ? (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. En termes d'arrogance et d'hypocrisie, je crois que j'ai trouvé mon maître ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Nicolas Dupont-Aignan. Vous me surpassez !
M. Christophe Castaner, ministre. Ne soyez pas modeste !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Votre intervention témoigne de ce que vous êtes un orfèvre en la matière. J'en suis certaine, les députés ici présents ne ressentent aucun mépris ni aucune arrogance à l'égard de nos concitoyens, que nous écoutons.
Vous prétendez que nous avons des maîtres à Bruxelles. Ce ne sont pas des maîtres, mais des Européens avec lesquels nous essayons de travailler pour que, dans le monde qui a bougé, nous puissions répondre aux grandes puissances économiques que sont la Chine, l'Inde et les États-Unis. C'est seulement en construisant ensemble, avec les autres Européens, que nous pourrons apporter des réponses efficaces. Tel est l'enjeu des élections européennes. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Nicolas Dupont-Aignan. Consultez les Français !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Toute autre position est un véritable mensonge fait aux Français. C'est ce qu'ont tenté nos amis britanniques. Vous voyez le résultat ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Je vous conseille de méditer cette phrase de Jaurès : « La République est un grand acte de confiance et un grand acte d'audace. » (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
M. Erwan Balanant. Bravo !
M. le président. Le débat sur la démocratie et la citoyenneté est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 4 avril 2019