Déclaration de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé et Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, sur l'organisation et la transformation du système de santé, Paris le 18 mars 2019.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Agnès Buzyn - Ministre des solidarités et de la santé ;
  • Frédérique Vidal - Ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Texte intégral

Organisation et transformation du système de santé

Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d'un projet de loi

Assemblée nationale – 18 mars 2019

Interventions de Mme Agnès Buzyn, 
ministre des solidarités et de la santé

et de Mme Frédérique Vidal, 
ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation


Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé (nos 1681, 1767, 1762).
Présentation

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Alors que nous entamons l'examen, en première lecture, du projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé, je sais que nous sommes tous animés d'un profond sentiment de responsabilité face aux attentes des Français, et que nous avons tous une exigence commune. Cette exigence, c'est de permettre à notre système de santé de tenir demain les promesses qu'il a toujours tenues. C'est l'enjeu de ce projet de loi, et c'est ce que les Français attendent de nous.

S'il demeure, par bien des aspects, synonyme d'excellence, notre système de santé est confronté, comme dans d'autres pays, à des défis structurels qui nécessitent une évolution profonde de ses organisations, des prises en charge qu'il propose, et des modes d'exercice des professionnels. Ces tendances lourdes, vous les connaissez : le vieillissement de la population, l'augmentation de la prévalence des maladies chroniques, la persistance des inégalités territoriales en santé.

Les travaux préparatoires au lancement de la stratégie, à la suite du discours du Président de la République du 18 septembre dernier, ont confirmé l'inadaptation de nos organisations. Les patients, tout d'abord, sont confrontés à des difficultés toujours plus grandes pour accéder à un médecin traitant ou même aux soins dans certains territoires, notamment en cas de soins non programmés. Les professionnels de santé, ensuite, font état de la lourdeur des tâches administratives, de la multiplication, parfois, de certains actes non pertinents, du manque de temps dédié à la personne malade ou encore de la faiblesse des évolutions et d'un manque de reconnaissance. Enfin, notre organisation et nos modes de financement ne valorisent pas la qualité et la pertinence des soins ni ne favorisent la coopération entre acteurs de santé.

Ce diagnostic avait été établi dès mon arrivée avec les acteurs de la santé, qu'ils soient usagers, professionnels ou élus. Personne, je crois, ne le remet en cause aujourd'hui. Les citoyens confirment également ce diagnostic. Chacun sur ces bancs, et avant même que le grand débat national ne le confirme, a partagé leurs attentes d'un meilleur accès à des soins de proximité. Nous sommes confrontés à un système trop cloisonné entre ville, hôpital, médico-social ou entre public et privé, entre professionnels de santé eux-mêmes ; un système qui ne permet pas la fluidité des parcours, la coordination entre professionnels, la qualité et la prévention.

Ces lacunes, il faut les regarder en face et prendre conscience qu'un changement de modèle est nécessaire. C'est tout le sens de la politique défendue par le Gouvernement, à travers le plan « ma santé 2022 ». Notre stratégie repose sur trois axes : la qualité des prises en charge, pour placer l'usager au centre du dispositif ; une offre mieux structurée, pour renforcer l'accès aux soins par un maillage territorial de proximité ; des métiers, des modes d'exercice et des pratiques professionnelles repensés, pour être en phase avec les besoins d'aujourd'hui et de demain, qui ne sont pas ceux d'hier.

Néanmoins, j'ai eu l'occasion de le rappeler, mais je le répète, notre action ne se réduit pas au projet de loi. Nous entendons activer l'ensemble des leviers et jouer sur toutes les composantes du système de santé pour proposer une nouvelle donne aux usagers et aux professionnels. Et j'entends être très claire : ma priorité est de tout faire pour répondre à l'angoisse de la désertification médicale et au besoin de reconnaissance et de valorisation de nos professionnels de santé.

Ma réponse à ces inquiétudes ne s'accommode d'aucune ambiguïté. Tout ce qui peut être fait pour libérer du temps médical et faciliter l'accès à la bonne compétence et au bon moment doit être fait. C'est d'ailleurs tout le sens de la négociation conventionnelle en cours sur les assistants médicaux et la structuration des soins de proximité au sein des communautés professionnelles territoriales de santé – CPTS. C'est aussi tout l'esprit des mesures en matière de télémédecine et de délégation de tâches, dont certaines sont inscrites dans le projet de loi. Notre méthode, vous la connaissez : tout doit être fait pour que les initiatives viennent des territoires, pour libérer les projets, pour donner confiance aux professionnels de santé.

Cette réforme sera aussi complétée par une réforme profonde du mode de financement, en s'appuyant sur le rapport que vient de me remettre Jean-Marc Aubert, le directeur de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques – DREES. Des premières réalisations ont d'ores et déjà été apportées par la loi de financement de la sécurité sociale de 2019. Je pense, en particulier, à la mise en place de financements forfaitaires pour la prise en charge hospitalière du diabète et de l'insuffisance rénale chronique, ou le développement de la dotation valorisant la qualité dans les établissements de santé. Les travaux se poursuivent et de nouvelles avancées seront proposées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

Tout l'enjeu est maintenant de passer d'un système favorisant la course à l'activité à un système incitant à plus de prévention, c'est-à-dire qui soutienne la coopération entre professionnels et qui fasse de la qualité le premier objectif de la prise en charge.

D'autres leviers, réglementaires, conventionnels, financiers mais aussi d'animation territoriale et d'appui aux acteurs, prolongeront la loi. C'est notamment le cas pour plusieurs mesures emblématiques comme le déploiement de 400 postes de médecins généralistes dans les territoires les plus en difficulté du point de vue de la démographie médicale, comme la définition et le déploiement des fonctions d'assistant médical qui rapidement devront permettre de libérer du temps médical pour soigner un plus grand nombre de patients et mieux les accompagner, ou encore comme le développement, en matière d'organisation, des communautés professionnelles territoriales de santé, qui amèneront une meilleure coordination des professionnels de santé pour améliorer l'accès aux soins de la population dans les territoires.

Le présent projet de loi est volontairement « resserré » autour d'un nombre limité de dispositions pour enclencher des dynamiques. Il vise donc l'essentiel. Il a été produit en concertation avec les principales parties prenantes dans des délais brefs qui se justifient par les engagements relatifs à la réforme des études en santé. Du fait de ce calendrier, plusieurs modifications législatives prennent la forme d'habilitations à légiférer par voie d'ordonnances. J'ai entendu les critiques sur le recours à l'article 38 de la Constitution mais, comme j'ai déjà eu l'occasion de le rappeler lors de l'examen en commission, ces ordonnances doivent permettre de construire avec l'ensemble des acteurs un modèle robuste et durable. C'est un choix assumé par le Gouvernement afin d'engager dès aujourd'hui les réformes dont notre système a besoin.

Comme je m'y étais engagée, le Gouvernement a soumis à l'examen de la commission des affaires sociales un amendement transcrivant dans le projet de loi les missions des hôpitaux de proximité, qui devaient être initialement définies par ordonnances. Vous avez pu également voter un amendement transcrivant dans la loi les mesures relatives à l'Agence régionale de santé de Mayotte. Je me suis, par ailleurs, engagée à pleinement associer les parlementaires, et cet engagement sera tenu. Nous réaliserons une étude d'impact afin que les députés et les sénateurs soient éclairés sur les conséquences des mesures envisagées et retenues dans les ordonnances. J'ai également exprimé le souhait de venir devant les commissions des affaires sociales de l'Assemblée et du Sénat pour présenter chacune des ordonnances avant la discussion du projet de loi de ratification.

La place qui est faite aujourd'hui aux élus en amont des décisions en matière de santé doit être renforcée. Je suis convaincue que les mesures que nous prenons en matière de santé commandent d'être exemplaires dans la préparation des décisions, l'organisation de la concertation et l'accompagnement sur le terrain. L'examen en commission a déjà permis plusieurs avancées qu'il faudra certainement consolider lors de l'examen en séance.

J'ai également entendu les remarques sur l'absence de mesures concernant la prévention dans ce projet de loi. Je pense que mon engagement sur ce sujet n'est plus à prouver et chacun sait que j'en ai fait la première de mes préoccupations depuis mon premier jour au ministère. J'aurai l'occasion de présenter de nouveaux objectifs lors du conseil interministériel de la santé, le 25 mars prochain, et de nouveaux jalons seront posés lors du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale – PLFSS. La prévention tient à coeur à de nombreux députés et je sais pouvoir compter sur eux pour accompagner chacune des mesures que nous prenons. Il nous faudra d'ailleurs aller plus loin et compléter les initiatives déjà prises dans le cadre de la petite enfance, du suivi des enfants admis à l'aide sociale à l'enfance, de la prévention du handicap psychique ou encore pour prévenir la dépendance de la personne âgée.

Pour ce qui est désormais du projet de loi proprement dit, laissez-moi en résumer les principales dispositions.

Conformément aux engagements pris, la première année commune aux études de santé – PACES – et le numerus clausus, qui existent depuis 1971, seront supprimés dès septembre 2020. La PACES cédera la place à un système qui demeurera sélectif et exigeant, mais en faisant une meilleure place aux compétences, au projet professionnel, à la qualité de vie des étudiants, et en diminuant le coût social associé. En développant les passerelles et une entrée via Parcoursup, la diversité des profils sera également privilégiée.

Le deuxième cycle des études médicales sera également rénové, avec la suppression des épreuves classantes nationales. Il s'agira de créer une procédure d'orientation prenant en compte les connaissances mais aussi les compétences cliniques et relationnelles, et qui soit respectueuse des projets professionnels des futurs médecins. Frédérique Vidal reviendra plus en détail sur ces deux dispositions.

Nous étendons le dispositif de médecin adjoint, c'est-à-dire la possibilité, pour un interne en médecine en fin de formation, de venir soutenir un médecin installé. Ce dispositif, actuellement réservé aux zones touristiques, sera étendu aux zones sous-denses ou en cas de carence ponctuelle constatée par le conseil départemental de l'ordre des médecins.

Une autre ambition du projet de loi, objet du titre II, est de structurer des collectifs de soins de proximité dans les territoires. Pour cela, au-delà du soutien déjà évoqué au développement des CPTS, la création de projets territoriaux de santé doit aider à mettre en cohérence les initiatives de tous les acteurs des territoires, quel que soit leur statut – libéral, en exercice regroupé ou coordonné, hospitalier, du secteur social ou médico-social, privé ou public –, en associant évidemment les élus et les usagers. Ces projets territoriaux formalisent le décloisonnement, qui est la pierre angulaire du projet « Ma santé 2022 ». Le statut des hôpitaux de proximité sera, par ailleurs, revisité pour être mieux adapté aux soins du quotidien et ouvert sur la ville et le médico-social. Les missions socles ont été inscrites dans le texte tandis que les modalités de financement seront définies par les prochaines lois de financement de la sécurité sociale.

Le projet de loi et la stratégie dans son ensemble visent à soutenir une offre hospitalière de proximité qui constitue un pilier de l'offre de soins de premier recours dans les territoires. Les hôpitaux de proximité doivent faire l'objet d'un accompagnement particulier et disposer d'une gouvernance et de modalités de financement adaptés à leurs activités. C'est d'ailleurs en cohérence avec ces enjeux que sera conduite la réforme des autorisations des activités, afin d'accompagner la gradation des soins dans une recherche de qualité, de sécurité et de pertinence des prises en charge.

Un chapitre sera consacré à l'acte II des groupements hospitaliers de territoire. Le projet médical doit être désormais le centre de gravité de ces groupements. La gestion des ressources humaines médicales sera mutualisée, et la gouvernance médicale sera adaptée et renforcée en conséquence dans les établissements de santé.

Dernier pivot du projet de loi : l'innovation et le numérique. On connaît le dynamisme et le gisement de progrès pour la santé, pour la clinique et pour la science médicale que représentent les usages numériques, la dématérialisation des pratiques et l'exploitation adéquate des données de santé. L'ambition est ici de donner à la France les moyens d'être en pointe sur ces sujets. Les débats en commission autour du « Health Data Hub » et de l'espace numérique en santé ont été particulièrement riches et je ne doute pas qu'il en sera de même cette semaine.

La dématérialisation des pratiques passera, quant à elle, par le renforcement de la télésanté. Le télésoin sera ainsi créé : pendant de la télémédecine pour les paramédicaux et les pharmaciens, il permettra la réalisation de certains actes à distance, par voie dématérialisée, en orthophonie par exemple.

Enfin, et il s'agit d'un objectif transversal à toutes les politiques publiques, des mesures diverses de simplification, d'harmonisation et de sécurisation juridiques sont regroupées dans les titres IV et V.

Mesdames, messieurs les députés, je mesure combien l'attente est grande dans cette assemblée et dans notre pays. J'espère que nous arriverons à trouver l'adhésion la plus large pour garantir un meilleur accès aux soins sur le territoire à tous nos concitoyens.

Dans la détresse qui a éclaté avec fracas ces derniers mois, nous avons tous senti une société dominée par la peur de l'avenir. Notre système de santé est l'un des plus beaux outils pour rassurer, apaiser, et pour redonner à chacun la fierté d'appartenir à une grande et belle nation. Un pays qui sait soigner est un pays qui peut guérir. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Promouvoir la réussite des étudiants, diversifier leurs profils et adapter les études de santé à la demande de soins dans tous les territoires : voilà nos ambitions au coeur du projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui. Depuis trop longtemps, nous nous désolons de voir, chaque année, plus de sept étudiants sur dix inscrits en PACES échouer sur le mur du numerus clausus. Depuis trop longtemps, chacun dans cet hémicycle a pu en faire l'expérience, nous regrettons le caractère univoque des études de médecine.

Transformer notre système de santé – et c'est bien ce dont il s'agit avec ce projet de loi –, suppose une évolution radicale de la manière dont nous envisageons la formation des soignants, en particulier des médecins.

Transformer la structure d'une formation ou, en l'espèce, d'un ensemble de formations, c'est toujours se poser deux questions. Chacun mesure l'importance de la première, s'agissant de la formation des futurs médecins : quelles sont nos exigences et pour quel niveau de compétences ? Seconde question : quelle ouverture, quelle bienveillance afin de donner aux étudiants les moyens de réussir, de s'épanouir et de trouver dans leur formation et dans leurs stages les ressources nécessaires à leur développement en tant que futurs professionnels, mais également en tant que jeunes adultes ?

Les articles 1er et 2 traduisent notre ambition de faire des études médicales, au sens le plus large du terme, incluant l'odontologie, la pharmacie et la maïeutique, des cursus exigeants, mais aussi plus ouverts et plus accueillants. Cela n'a rien de contradictoire, bien au contraire, car notre ambition n'est pas seulement de former, demain, plus de médecins, mais également de les préparer à divers modes d'exercices, dans différents territoires, y compris dans les zones sous-denses ou les territoires ruraux. Nous voulons les préparer à des pratiques médicales qui seront bien différentes de ce qu'elles sont aujourd'hui, c'est-à-dire leur permettre d'apprendre par eux-mêmes, tout au long de leur vie, afin qu'ils puissent s'adapter et évoluer.

Un point sur lequel je veux insister est que, aujourd'hui, certains étudiants en santé sont en difficulté. Ils nous le disent, et les enquêtes le montrent. Nous avons mis en place des mesures pour y remédier. Pour eux aussi, il nous faut passer du soin à la prévention, et faire en sorte que les étudiants en santé soient à leur aise dans leurs études. Nous le leur devons, et nous le devons à leurs futurs patients, qu'ils ne soigneront bien que si eux-mêmes vont bien.

Toutes ces questions ne pourront pas être exclusivement traitées par la loi. Une large concertation, dans laquelle nous nous sommes pleinement engagées avec Mme la ministre des solidarités et de la santé, se poursuit autour du nouveau parcours des études en santé. Cette concertation trouvera sa traduction dans les textes réglementaires qui permettront d'appliquer la loi.

Notre ambition collective est donc de dessiner le cadre qui permettra aux acteurs universitaires, aux étudiants et à tous les acteurs du système de santé qui concourent à la formation, de faire vivre des cursus plus ouverts et diversifiés. Je pense, par exemple, à la formation de tous les étudiants en santé à la prévention, grâce au développement du service sanitaire.

Le premier article du projet de loi vous propose de mettre fin au gâchis de la PACES et du numerus clausus. Aujourd'hui, ce dispositif réussit le tour de force de conduire à l'échec d'excellents lycéens, prétendant inscrire des étudiants dans les études de santé, pour les en exclure massivement après une, souvent deux années de travail intensif. Nous voulons le transformer en un système qui ne se contente pas d'inscrire les lycéens à l'université, mais qui les y fera réussir, tout en permettant à ceux qui le souhaitent de candidater pour entrer dans les études de santé. Si certains seulement seront sélectionnés, tous pourront désormais poursuivre un cursus, obtenir un diplôme et réussir dans l'enseignement supérieur.

Les étudiants, inscrits dans une diversité de parcours, y compris dans des universités sans faculté de médecine dans des villes de taille moyenne, pourront candidater en filière médicale. Ils seront sélectionnés sur l'excellence de leur parcours académique et sur des épreuves complémentaires qui évalueront aussi des compétences que nos concitoyens jugent importantes, comme les compétences relationnelles, l'empathie ou la communication.

Bien évidemment, tout n'est pas dans le projet de loi, et le succès de cette transformation reposera en grande partie sur la mobilisation de tous les acteurs, et d'abord des universités. Notre ambition collective dans les prochains jours doit être de dessiner le cadre qui leur permettra de mettre en oeuvre cette transformation inédite des études médicales.

Ce qui est dans le projet de loi, en revanche, c'est la traduction concrète de la volonté de transformer en profondeur la formation des futurs médecins. Cela fait des années que l'on évoquait à demi-mot la suppression du numerus clausus. Il n'y aura pas de demi-mesure cette semaine : nous proposons bien de supprimer le numerus clausus.

Beaucoup de discussions ont eu lieu, pendant la concertation mais également en commission, sur ce qui est décrit dans le texte comme le « parcours de formation antérieur » aux études de santé. Cette formulation a été choisie pour suggérer la diversité que nous souhaitons introduire dans le recrutement des professionnels.

La demande de soins évoluera fortement dans les prochaines années. Certains patients auront besoin de professionnels maniant des compétences techniques nouvelles liées au big data ou à l'intelligence artificielle. Beaucoup de professionnels devront se coordonner dans une approche globale bio-psycho-sociale autour du patient ayant des difficultés multiples, souhaitant vivre dans son environnement et être pleinement acteur de sa santé. Les biotechnologies continueront de se développer. Les études de pharmacie, de médecine, d'odontologie, de maïeutique, et plus généralement les études de santé doivent intégrer ces demandes à venir, et la diversité des voies de recrutement y participe.

Préciser davantage ces parcours, comme certains le souhaiteraient, ou identifier plus précisément une voie parmi d'autres nous ferait prendre le risque de voir, à terme, se reconstituer une PACES, autrement dit une voie d'accès unique qui passerait à côté du talent de nombreux étudiants venus d'horizons divers. Je tiens particulièrement à saluer les rapporteurs de la commission des affaires sociales comme de la commission des affaires culturelles, grâce auxquels, à l'issue de votre travail en commission, le Gouvernement pourra ouvrir une fenêtre d'expérimentation qui décloisonnera l'organisation des formations médicales et paramédicales. Ces expérimentations viendront accélérer le mouvement d'inclusion de toutes les formations en santé dans l'université, que nous avons impulsé conjointement avec Agnès Buzyn dès l'année dernière. Elles permettront aux étudiants d'apprendre à travailler ensemble, de prendre le temps de leur orientation, mais aussi d'accéder à la formation par la recherche.

Des interrogations ont été formulées sur la place de la formation menant à la profession de masseur-kinésithérapeute. Nous y reviendrons pendant les débats, mais je veux ici vous rassurer : les textes réglementaires qui la définissent seront adaptés pour ce qui est du mode d'admission, qui sera ouvert, comme il l'est aujourd'hui, à une diversité de filières universitaires.

Le deuxième article du projet de loi nous amène plus loin dans les études médicales, toujours avec l'ambition de concilier exigence, bienveillance et ouverture. Aujourd'hui les études de médecine s'apparentent à un concours de saut d'obstacles ne convenant qu'à un type d'intelligence. L'étudiant, sélectionné à partir de questionnaires à choix multiples en PACES, les retrouve tout au long de son cursus, et il accède à telle ou telle spécialité en fonction de sa capacité à mémoriser une grande quantité d'informations et à cocher les bonnes cases. Les capacités de synthèse, de prise de décision en situation d'incertitude ou, plus simplement, de conduite d'un entretien ou d'un examen clinique sont peu évaluées, et comptent finalement assez peu dans l'orientation, ni non plus le fait de s'être impliqué dans un travail de recherche.

Est-ce bien cela que nous voulons pour nos futurs médecins ? Eux, en tout cas, nous disent clairement le contraire. Ils ne veulent plus de ce modèle dans lequel le bachotage intensif leur fait perdre le sens même de ce qui les avait conduits à s'engager dans la voie des études médicales.

M. Jean-Paul Lecoq. Il faut de l'humain !

Mme Frédérique Vidal, ministre. Nous vous proposons donc de mettre fin à cette situation, de diversifier les critères d'évaluation des étudiants, de construire des parcours multiples, de leur permettre de réfléchir et de respirer. Je suis convaincue qu'ainsi mieux formés, ces étudiants nous soignerons mieux.

Pour conclure, je voudrais évoquer la principale question présente dans les esprits de tous les élus que vous êtes, et qui vous est constamment posée en circonscription : qu'est-ce que tout cela changera aux problèmes des zones où manquent des professionnels de santé ?

C'est un problème que nous devons aborder sous l'angle de la formation. Il faut neuf à quinze ans pour former un médecin. Les difficultés actuelles sont le résultat de décisions prises dans les années 1990 et 2000. Il faudra du temps pour corriger ce passif. Chacun peut le comprendre, nous ne pouvons pas augmenter dès demain le nombre de médecins diplômés. Nous pouvons, en revanche, améliorer, dès demain ou après-demain, l'accès aux soins par un ensemble de mesures qu'Agnès Buzyn vous a présentées. Des formations nouvelles, comme la création des diplômes d'infirmier de pratique avancée, initiée dès le mois de septembre dernier, permettront également des organisations différentes, libérant du temps médical en assurant différemment et mieux la prise en charge des maladies chroniques, par exemple.

Faire de la formation un levier à long terme pour changer la manière dont nous répondons à la demande sociale et territoriale de soignants, c'est tout l'objet du chapitre 1er du projet de loi. Nous sommes confiants dans l'idée qu'un processus de décision à l'écoute du terrain tiendra bien mieux compte des réalités. Il est important que toutes les parties prenantes y concourent. C'est le sens de l'association de la commission régionale de la santé et de l'autonomie que votre commission des affaires sociales a souhaité inscrire dans la loi, à l'initiative de la rapporteure Stéphanie Rist.

Si l'examen en commission nous a déjà permis de franchir des étapes importantes, je ne doute pas que nous aurons un débat riche et vivant sur ce que nous attendons collectivement des études de médecine dans leur généralité. Beaucoup d'autres propositions nous permettront d'évoquer le contenu des études, l'organisation des stages, la place des patients. Nous vous proposerons de modifier la définition même des études médicales dans le code de l'éducation pour l'adapter à ce que nos concitoyens attendent aujourd'hui de la formation d'un médecin. D'autres propositions portent sur des contenus de formation. Elles ne sont pas du domaine de la loi mais pourront inspirer la rédaction des textes réglementaires.

Vous l'avez compris, mesdames, messieurs les députés, l'intention du Gouvernement est claire. La transformation de l'organisation de notre système de santé est un mouvement structurel d'évolution à long terme au profit de nos concitoyens. La réforme des études médicales, c'est la construction dans nos universités, avec les professeurs, les étudiants, les patients et tous les professionnels qui concourent à la formation, particulièrement en stage, du socle de cette transformation. Nous le devons à nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)


source http://www.assemblee-nationale.fr, le 21 mars 2019