Texte intégral
FRÉDÉRIC RIVIERE
Bonjour Sibeth NDIAYE.
SIBETH NDIAYE
Bonjour.
FREDERIC RIVIERE
A la Une de Libération ce matin, le quotidien Libération, le secrétaire général de la CFDT et cette citation : « j'ai les nerfs. » Laurent BERGER ne décolère pas contre la réforme de l'assurance chômage présentée mardi par le Premier ministre, pour lui l'essentiel des 3,5 milliards d'euros d'économies va se faire sur le dos des chômeurs, « cette réforme », dit-il, « repose sur l'idée fausse que s'ils le voulaient vraiment, les chômeurs retrouveraient du travail. » Comment pouvez-vous apaiser la colère de Laurent BERGER ?
SIBETH NDIAYE
Je veux rappeler d'abord que cette réforme n'est pas une réforme budgétaire, c'est avant tout une réforme que nous avons souhaitée pour lutter contre la précarité au travail. Je vais vous donner trois chiffres très simples qui résument, en quelque sorte, ce qu'est aujourd'hui la situation du marché du travail en France. 87 % des contrats, qui sont signés aujourd'hui, des contrats de travail qui sont signés, sont des contrats courts, en CDD ou en intérim, 70 % de ces contrats sont des contrats de moins de 1 mois, et 85 % de ces contrats de moins de 1 mois sont des réembauches. Autrement dit, nous avons aujourd'hui un marché du travail où tous les nouveaux entrants, tous ceux qui sont aux marges, sont dans des situations de précarité extrêmement grandes. Quand vous avez un contrat de 1 jour, de 2 jours, de 1 mois, vous ne pouvez pas trouver un appartement, vous ne pouvez pas vous projeter dans la vie et votre progression professionnelle est totalement entravée. L'objectif du gouvernement c'est de faire en sorte que le système, qui est une forme de trappe à pauvreté et à inactivité, change en profondeur.
FREDERIC RIVIERE
Il emploie l'expression, d'ailleurs, Laurent BERGER, en disant que la réforme va être une trappe à pauvreté. Alors, votre réponse à ces problèmes des contrats courts, c'est le bonus-malus, mais…
SIBETH NDIAYE
Bien sûr, pas que, mais entre autres le bonus-malus.
FREDERIC RIVIERE
Les entreprises, et le MEDEF, le syndicat du patronat, disent que ça va leur rendre la vie plus difficile, que ça va les pénaliser, et les syndicats de salariés déplorent que le dispositif ne concerne que beaucoup trop peu d'entreprises et qu'il ne soit d'ailleurs que trop peu pénalisant pour celles qui abusent des contrats courts.
SIBETH NDIAYE
Alors là, évidemment je ne suis pas d'accord, d'abord parce qu'on a un système qui sera véritablement pénalisant pour les entreprises qui seront les plus irresponsables. De quoi je veux parler ? aujourd'hui les cotisations salariales, des entreprises sur l'assurance chômage, sont de l'ordre de 4,05 %, ce bonus-malus fera qu'on augmentera de 1 point les cotisations pour ceux qui sont les plus irresponsables, et donc on a là véritablement, 1 % dans une masse salariale c'est quelque chose d'assez énorme pour une entreprise, donc on aura là un dispositif qui sera réellement dissuasif pour les entreprises qui recourent trop souvent aux contrats courts, ça c'est une chose qui est importante. Ce que je veux dire aussi aux employeurs, c'est que, au début du quinquennat, nous avons pris un certain nombre de dispositions, et en particulier des ordonnances sur le travail qui avaient vocation à apporter plus de flexibilité sur le marché du travail. Plus de flexibilité ça veut dire quoi ? Qu'on pouvait se séparer, qu'on peut désormais, se séparer plus facilement d'un salarié, notamment pour s'adapter à des revers économiques.
FREDERIC RIVIERE
Et c'était censé favoriser, en effet, les embauches plus pérennes.
SIBETH NDIAYE
Ça permet de favoriser des embauches plus pérennes, mais tout se tient dans le dispositif que nous avons voulu mettre en place. On flexibilise le marché du travail, on accompagne mieux les gens pour le rebond, en matière notamment de formation professionnelle, et on modifie le système de l'assurance chômage, pour qu'à aucun moment l'inactivité ne paie plus que le travail.
FREDERIC RIVIERE
Alors, l'une des principales mesures concerne les conditions d'accès à l'indemnisation, c'est-à-dire le temps de travail nécessaire, il faudra à l'avenir avoir travaillé 6 mois au cours des 24 derniers, au lieu, en l'état actuel des choses, de 4 mois sur les 28 derniers mois. Selon Laurent BERGER, donc le patron de la CFDT, ça signifie que 240.000 personnes n'auront plus droit à l'indemnisation. Il se trompe ?
SIBETH NDIAYE
Non, il ne se trompe pas, mais ce que je veux rappeler c'est que les règles, que nous connaissons actuellement, ont été mises en place dans un moment très particulier. Quel était ce moment ? C'était celui de la crise des subprimes, les Français s'en souviennent sans doute, en 2008. Nous étions dans une situation où le pays enregistrait des dizaines de milliers d'inscriptions au chômage chaque mois, compte tenu de l'ampleur de cette crise, et donc les partenaires sociaux ont, à ce moment-là, mis en place des règles qui permettaient plus facilement d'être indemnisé au chômage, c'était normal, nous étions dans une période de crise économique aigüe. Aujourd'hui la situation n'est plus la même. Nous retrouvons, aujourd'hui, à la fois les niveaux de chômage, mais aussi les niveaux de croissance, d'avant crise, et donc il est normal que nous modifions à nouveau ce système, et finalement ces fameux 6 mois sur 24 mois, ce n'est qu'un retour à avant crise.
FREDERIC RIVIERE
Oui, mais ça c'est demander, finalement, aux travailleurs, aux chômeurs qui ont trouvé un emploi, de se débrouiller pour travailler suffisamment pour avoir droit au chômage.
SIBETH NDIAYE
Non, pas du tout. Je vous le disais, la situation économique du pays est différente, si vous allez aujourd'hui…
FREDERIC RIVIERE
Oui, mais vous avez vous-même dit que les contrats très courts se multiplient tout de même aujourd'hui.
SIBETH NDIAYE
On est dans un moment où le marché du travail est beaucoup plus dynamique, on a énormément de créations d'emplois, on a, et c'est ce que nous disent les entreprises, des emplois qui aujourd'hui ne sont pas pourvus, faute de trouver, en quelque sorte, chaussure à leur pied, donc ça veut dire que nous devons mener des actions de formation, ça veut dire aussi que nous devons faire en sorte que les Français soient incités à travailler et que le système… Moi je ne jette pas la pierre sur les individus, évidemment, les chômeurs ne refusent pas de travailler, mais ils sont pris en tenaille dans un système qui ne les incite pas à travailler.
FREDERIC RIVIERE
Quand vous entendez, ou quand vous lisez, puisqu'en l'occurrence c'est dans Libération, Laurent BERGER qui dit, en conclusion de son interview : « ça fait 5 ou 6 ans que je n'avais pas eu autant les nerfs. » Bon, avoir les nerfs c'est être très énervé, chacun le sait, ça ne vous inquiète pas sur l'état du dialogue social ?
SIBETH NDIAYE
Moi je crois, au contraire, que le dialogue social a été un dialogue social de qualité dans notre pays, quand on regarde en particulier…
FREDERIC RIVIERE
Il l'a été, mais est-ce qu'il l'est encore ?
SIBETH NDIAYE
Je crois que quand on regarde, en particulier sur la réforme de l'assurance chômage, nous avons eu une négociation entre les partenaires sociaux, nous leur avons donné la possibilité, et le temps nécessaire, pour s'entendre entre eux…
FREDERIC RIVIERE
Avec, disent-ils, une lettre de cadrage qui n'était pas acceptable.
SIBETH NDIAYE
Une lettre de cadrage à laquelle ils ont souscrit dans un premier temps, puisque cette lettre de cadrage donnait des bornes d'économies à réaliser, et cette lettre de cadrage, ils ont accepté sur cette base-là de négocier, ils ont négocié de longs mois. Quand ils ont demandé un délai supplémentaire, on le leur a accordé. A partir du moment où ils nous ont dit « nous ne savons pas faire entre nous », nous avons repris la main, et c'est la responsabilité de l'Etat. Je vais vous dire une dernière chose. Le déficit de l'assurance chômage aujourd'hui c'est plus de 35 milliards d'euros, quand on est dans une période de crise, c'est normal que ce déficit se creuse, parce qu'on a là un matelas, un filet de sécurité pour les Français. On est dans une période économique où ça va mieux, peut-être que tout le monde ne le ressent pas, mais petit à petit on a des signaux qui sont positifs, on ne peut pas laisser le système continuer à s'enfoncer dans le rouge, parce que, à la prochaine difficulté économique, comment fera-t-on ?
FREDERIC RIVIERE
Je voudrais qu'on dise un mot, Sibeth NDIAYE, du plan de lutte contre l'excision, pratique de mutilations sexuelles féminines, illégale en France, rappelons-le, que va présenter aujourd'hui Marlène SCHIAPPA, la secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, et de la lutte contre les discriminations. Quel va être l'objectif de ce plan, ce n'est pas la première fois que des autorités essayent de s'attaquer à ce phénomène, quel va être l'objectif ?
SIBETH NDIAYE
C'est d'abord pour moi, et je veux le dire avec beaucoup de force, une grande fierté. Je viens d'un pays où il y a encore des zones où, malheureusement, l'excision se pratique. Ce que ça représente, pour le corps d'une femme, pour sa capacité à avoir du plaisir sexuel, pour la représentation qu'elle a d'elle-même, et pour sa position dans la société, est éminemment important, et donc je suis très heureuse que Marlène SCHIAPPA ait aujourd'hui la présentation de ce plan. Nous allons agir sur plusieurs aspects, à la fois faire en sorte, d'un point de vue diplomatique, que dans les relations que nous entretenons avec d'autres pays, nous puissions faire la promotion de la lutte contre l'excision, et Marlène SCHIAPPA a eu l'occasion de se déplacer au Burkina Faso de manière récente, y compris dans des villages, où avec des chefs de village ils ont eu des actions très concrètes qui consistent à enterrer profondément dans le sol les instruments de l'excision féminine, et de planter un arbre par-dessus pour être certain qu'on ne les déterre pas, et donc là il y a une chose symbolique qui est très très forte. Mais c'est aussi une action en France, à la fois pour la réparation des corps, lorsqu'ils ont été mutilés, mais aussi pour l'éducation, pour la prévention vis-à-vis des familles d'origine immigrée, et qui restent encore dans l'idée que c'est une pratique traditionnelle qui est importante pour les femmes.
FREDERIC RIVIERE
Merci Sibeth NDIAYE, bonne journée.
SIBETH NDIAYE
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 juin 2019