Déclaration de M. Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement, sur la politique du logement, à l'Assemblée nationale le 6 mars 2019.

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Circonstance : Débat sur les effets des aides fiscales dans le secteur du logement sur l'évolution des prix du foncier et sur la redistributivité du système fiscal, à l'Assemblée nationale le 6 mars 2019

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur les effets des aides fiscales dans le secteur du logement sur l'évolution des prix du foncier et sur la redistributivité du système fiscal.

La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses. Je vous rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre chargé de la ville et du logement.

M. Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement. Je commencerai par remercier la représentation nationale pour l'organisation de ce débat consacré aux effets des aides fiscales dans le secteur du logement sur l'évolution des prix du foncier et sur la redistributivité du système fiscal. Ce pourrait être un sujet très technique ; c'est au contraire, à mon sens, une vraie question politique, au sens le plus noble du terme : c'est la question de l'action de l'État en faveur du logement de l'ensemble des Français, élément aujourd'hui ô combien important. La crise des « gilets jaunes » le montre.

Pourquoi les contributions au grand débat ne portent-elles pas plus souvent sur le logement ? On me le demande à longueur de journée. Mon expérience – j'ai participé à un grand nombre de débats –, c'est que cela dépend des territoires : la question du logement est parfois mise en avant de manière très forte, par exemple dans les quartiers prioritaires de la ville. Plus profondément, ma conviction, c'est que le logement est en réalité au centre du grand débat, mais sous d'autres formes, notamment celle de la mobilité. C'est souvent par ce dernier truchement que nos concitoyens abordent la question du logement qui, comme l'a dit M. Peu, peut aujourd'hui représenter plus de la moitié de leur budget mensuel. C'est sous cet angle que beaucoup expriment leur sentiment d'être empêchés – empêchés, par exemple d'accéder à un travail parce qu'il n'y a pas de logement accessible à proximité.

Cette question est donc au coeur de la vie des Français ; mais elle représente aussi – c'est le programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat », dont nous débattons cet après-midi – l'un des postes budgétaires et fiscaux les plus importants de l'État. Il faudrait, au demeurant, élargir la question, au-delà de la fiscalité et du budget de l'État, à l'ensemble du financement du logement – par les collectivités locales, principales contributrices notamment au financement du logement social, que ce soit en apportant leur garantie ou en apportant des financements directs, mais aussi par les bailleurs sociaux, par Action logement ou encore par la Caisse des dépôts et consignations.

Je voudrais vous faire part de plusieurs convictions.

La première, c'est que la question qui nous réunit et à laquelle nous devons répondre, c'est celle d'un logement trop cher et parfois de trop mauvaise qualité. Comment fournir à tous un logement abordable, de bonne qualité, et qui n'empêche pas nos concitoyens ?

Les différentes interventions montrent à quel point la réponse n'est pas simple à trouver. M. Carvounas est parti, mais il nous appelait à ne pas supprimer les aides fiscales tout en soulignant que ces dernières étaient bien trop nombreuses. Monsieur Peu, vous estimez que les aides fiscales vont trop souvent aux personnes aisées ; monsieur Bazin, vous soulignez à juste titre que les niches fiscales concernent d'abord les propriétaires modestes et les locataires.

M. Stéphane Peu. Non, M. Bazin se trompe !

M. Julien Denormandie, ministre. Je ne cesse pas pour ma part de le dire : les propriétaires appartiennent en majorité à la classe moyenne ou à la classe moyenne inférieure. Ce ne sont pas tous des nantis, il faut absolument le dire, comme il faut dire que les locataires ne cherchent pas tous à dégrader leur logement ! La réconciliation des propriétaires et des locataires est, vous le savez, un sujet qui m'est cher.

Ma deuxième conviction, c'est que l'ensemble de ces dispositifs doivent avoir un effet positif tant sur l'économie de notre pays que sur les revenus des ménages ; ils doivent permettre de produire du logement abordable, et donc provoquer une redistribution. Mais ils doivent aussi soutenir les objectifs du Gouvernement en matière d'accession, de production de logement social, d'accompagnement de différentes populations précises – propriétaires bailleurs ou propriétaires occupants par exemple.

Plusieurs intervenants – je pense en particulier à M. Mattei – ont insisté sur la nécessité de lisibilité et de visibilité de ces dispositifs pour les opérateurs. C'est un point auquel je suis profondément attaché. Lorsque nous avions discuté, au cours de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, des dispositifs PTZ et Pinel, mais je m'étais engagé devant vous à ne plus y toucher par la suite, si ce n'est pour les prolonger. Nous n'y sommes d'ailleurs pas revenus cette année.

J'en viens au foncier. Cette majorité, souvenez-vous-en, a voté dans la loi de finances pour 2018 une modification profonde de la fiscalité du foncier. Jusqu'à présent, plus vous attendiez pour céder un terrain, moins la fiscalité sur la plus-value immobilière était importante ; si vous attendiez vingt-deux ans, vous ne payiez plus rien. Il s'agissait de lutter contre la spéculation, mais en réalité on figeait ainsi la vente de terrain. C'est là un bon exemple des effets, favorables et néfastes, de la fiscalité, qui parfois se fixe un objectif et choisit ses moyens en oubliant les conséquences pernicieuses qui peuvent en résulter. Afin de libérer le foncier, nous avons inversé ce mécanisme : vous avez adopté une disposition qui prévoit un abattement pouvant atteindre 80 % à condition de céder les terrains d'ici à la fin de l'année 2020. J'appelle tous les propriétaires de terrains à se saisir de cette occasion !

Je regrette que, comme trop souvent, les députés du groupe France insoumise aient pris la parole mais ne soient plus là pour écouter la réponse du Gouvernement. Pour une fois, pourtant, j'étais d'accord avec Mme Mathilde Panot, en tout cas lorsqu'elle a évoqué les offices fonciers solidaires – OFS. C'est d'ailleurs un sujet avec lequel nous travaillons beaucoup notamment avec vous, monsieur Lagleize : ce sont, j'en suis viscéralement convaincu, des outils tout à fait adaptés pour figer les prix du foncier et mettre fin à la dérive des prix, qui est l'un des principaux fléaux contre lesquels nous devons lutter aujourd'hui.

Je voudrais enfin souligner que, pour évaluer correctement les politiques publiques, il faut disposer de données fiables. C'est l'un de vos grands combats, monsieur Jolivet ; nous en avions discuté lors du « printemps de l'évaluation ». Les données fiscales doivent nous permettre de mieux piloter la politique du logement. Nous avons beaucoup avancé ; depuis mon arrivée au ministère, nous avons travaillé avec Bercy, et nous venons de récupérer un ensemble important de données, que nous mettrons à votre disposition.

Plusieurs d'entre vous ont cité les différents rapports écrits sur le logement : celui de la Cour des comptes, mais aussi d'autres, l'un, terminé, sur le PTZ et le Pinel, ou d'autres en cours – deux seront remis à l'automne prochain.

Ma troisième conviction, c'est que le Gouvernement et la majorité doivent continuer leur effort pour améliorer les dispositifs d'accompagnement. M. Nogal l'a bien dit. Nous devons d'abord nous soucier de stabilité. J'entends les critiques adressées à ce Gouvernement sur les dispositifs PTZ et Pinel. Mais souvenons-nous d'une chose : lorsque je suis nommé au Gouvernement, les dispositifs PTZ et Pinel s'arrêtent à la fin de l'année 2017. (Murmures sur les bancs du groupe LT.) Ils n'avaient pas été reconduits, madame Pinel, vous le savez.

M. Stéphane Peu. Justement, il ne fallait pas les reconduire !

M. Julien Denormandie, ministre. Pendant l'année 2017, les promoteurs et les opérateurs ne savaient que faire : ces mesures seraient-elles prolongées ? La stabilité et la visibilité constituent un enjeu majeur. Voilà pourquoi nous avons fait le choix dans la loi de finances pour 2018 d'un prolongement, pour l'essentiel, sur quatre ans.

Il faut aussi accompagner les publics, mais aussi les territoires, en fonction de leurs spécificités.

J'aimerais aussi profiter de ma présence à cette tribune pour répondre à quelques-unes des questions qui ont été posées.

Monsieur Peu, vous avez entièrement raison : notre objectif, ce doit être de rendre le logement abordable. Nous pourrons revenir sur les chiffres de production de logements sociaux : nous en sommes à environ 109 000 agréments en 2018, contre 113 000 en 2017. Pour les logements PLAI – financés par un prêt locatif aidé d'intégration –, nous atteignons presque 33 000 agréments – un record, même si, j'en conviens, ce n'est pas suffisant, puisque notre objectif est de 40 000 logements PLAI par an. C'est bien supérieur à ce qui s'est fait les années précédentes. Je dis cela pour témoigner de notre volonté de produire des logements abordables.

Nous avons également considérablement accru les « PLAI adaptés », que vous connaissez bien, et qui offrent de surcroît un accompagnement.

Madame Pinel, je voudrais également insister sur le nouveau dispositif fiscal dit « Denormandie dans l'ancien ». Afin d'éviter tout effet d'aubaine, afin surtout d'éviter que les investisseurs ne trouvent pas de locataires par la suite – ce qui peut arriver, vous le savez –, nous avons fait le choix de partir des territoires : sont éligibles les 222 villes intégrées au dispositif « Coeur de ville », mais aussi notamment toutes les villes éligibles à l'opération de revitalisation du territoire.

Monsieur Bazin, la circulaire relative à l'ORT a été publiée le 4 février dernier. Je ferai en sorte que tous les députés la reçoivent – je vous prie de bien vouloir m'excuser si vous ne l'avez pas encore. Elle décrit très simplement comment un élu local peut mettre en place une opération de revitalisation du territoire. Le dispositif fiscal s'applique alors de manière automatique.

Cela répond à l'excellent discours de M. Thierry Benoit, qui insistait sur la nécessité de territorialiser les aides fiscales.

M. Mickaël Nogal. Excellent !

M. Julien Denormandie, ministre. C'est là un débat très important, j'en suis convaincu. C'est aussi l'un des principaux cauchemars des ministres successifs du logement – je suis sûr que Mme Pinel en sera d'accord : quand vous arrivez, vous trouvez sur votre bureau la carte d'une France divisée en cinq zones, A, A bis, B1, B2 et C. Or les politiques du logement sont les mêmes partout, alors que la place des centres-villes, le développement territorial, le dynamisme d'éventuels pôles économiques… peuvent différer du tout au tout. Je me félicite donc que, pour établir le « Denormandie dans l'ancien », nous soyons partis des projets territoriaux plutôt que du zonage.

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. Julien Denormandie, ministre. Bien sûr, au départ, c'est un peu plus compliqué : les élus locaux doivent se saisir de ces outils, en mettant en place des opérations de revitalisation du territoire. Mais, à la fin, les dispositifs s'adaptent au territoire, plutôt que l'inverse. C'est bien mieux ainsi, comme l'a bien dit M. Benoit.

Plusieurs intervenants ont enfin évoqué la question des transitions. Le logement, l'aménagement du territoire, l'urbanisme définissent, j'en suis persuadé, notre société. Souhaitons-nous, aujourd'hui et demain, une société inclusive ? Voulons-nous de la mixité sociale ? Voulons-nous que notre société soit à même de faire face aux transitions ?

Monsieur Benoit, vous évoquiez les jeunes. Il faut appeler un chat un chat : ils sont discriminés dans l'accès au logement. Ce constat nous a conduits à revoir entièrement la garantie Visale, qui figure hors des dispositifs fiscaux ou budgétaires, puisqu'elle est financée par Action Logement. En moins de quarante-huit heures, toute personne de moins de trente ans peut disposer de cette garantie, qui couvre les risques d'impayés de loyer et de dégradation des biens. Autrement dit, dès lors que celle-ci a été souscrite, un propriétaire qui loue son logement à une personne de moins de trente ans ne court aucun risque. En outre, cette garantie est gratuite.

Par ailleurs, nous voulons construire davantage de résidences pour les jeunes. Dans le droit-fil de ce que le précédent gouvernement, avec beaucoup d'énergie, avait fait pour déployer 40 000 logements étudiants au cours du quinquennat, nous avons pris l'engagement d'en construire 60 000.

Le troisième élément, très important, concerne les nouveaux usages, notamment la colocation dont il a été beaucoup question lors des débats sur la loi ELAN. Vous aviez alors adopté des amendements pour favoriser les colocations – sans les imposer, naturellement, car elles relèvent d'un choix personnel.

Nous avons également évoqué la transition énergétique. À ce sujet, je veux vous rapporter une anecdote, qui pourrait être drôle si elle n'était alarmante. Ayant demandé à mes collaborateurs de résumer en une page l'ensemble des dispositifs d'aide dont nos concitoyens peuvent bénéficier pour mener à bien la transformation énergétique de leur appartement, ceux-ci m'ont indiqué au bout de quarante-huit heures que pas moins de quatre pages seraient nécessaires pour résumer la dizaine de dispositifs disponibles,…

M. Pierre Cordier. Ils écrivent gros !

M. Julien Denormandie, ministre. …d'ailleurs tous aussi importants les uns que les autres, qu'il s'agisse de taux de TVA réduit, de crédit d'impôt ou d'autres formes d'aide fiscale.

M. Thierry Benoit. Il faut les rassembler !

M. Julien Denormandie, ministre. Le drame, c'est que l'État a toujours estimé qu'il revenait au citoyen de s'adapter à cette complexité. Les guichets sont multiples – l'ANAH, l'ADEME, sans compter les services proposés par les collectivités locales.

M. Thierry Benoit. Tout à fait !

M. Julien Denormandie, ministre. C'est d'ailleurs une des causes de la crise des « gilets jaunes » : l'État oblige nos concitoyens à s'adapter et à rechercher les aides partout où elles se trouvent. En y passant quinze mois, ils parviendront peut-être à obtenir un reste à charge égal à zéro !

En réalité, c'est à l'État d'intégrer les dispositifs. Il n'est même pas besoin d'un guichet unique : il suffit d'être certain que, quel que soit le service auquel on s'adresse, celui-ci pourra collecter l'ensemble des aides disponibles. C'est ce que nous avons fait, avec François de Rugy, en lançant l'expérimentation des chaudières à 1 euro, à laquelle je crois beaucoup. Qu'il frappe à la porte d'une entreprise ou de l'ANAH, le citoyen est assuré que ces structures s'occuperont de collecter la prime liée aux certificats d'économies d'énergie – CEE –, de faire bénéficier du CITE ou des aides destinées à l'amélioration de l'habitat, prenant ainsi à leur charge la complexité du système que nous avons créé. Pour nos concitoyens, la démarche est donc entièrement transparente.

J'ai été marqué par la visite que j'ai faite de l'appartement d'un ménage très modeste, situé dans le nord de la France, et dont la transformation énergétique avait nécessité pas moins de onze opérateurs pour assurer un reste à charge égal à zéro. Une telle situation ne peut perdurer. C'est pourquoi, avec François de Rugy, nous voulons engager une transformation dans ce domaine. Nous avons notamment créé le réseau FAIRE – faciliter, accompagner et informer pour la rénovation énergétique –, dont les conseillers peuvent être joints au 0808 800 700, afin d'offrir un accompagnement en matière de rénovation énergétique.

Enfin, monsieur Peu, si la TVA a été augmentée dans le logement social, ce n'est pas parce que nous ne considérons pas le logement comme un bien de première nécessité. La décision a été prise à la suite des discussions financières menées avec les bailleurs sociaux, et le sujet sera de nouveau abordé dans le cadre de la clause de revoyure.

En conclusion, si vous le permettez, je voudrais insister sur deux points.

Tout d'abord, je m'inscris en faux contre les propos de M. Bazin – c'est pourtant rare ! (Exclamations sur les bancs du groupe LR) –, car je ne peux pas laisser dire que ce gouvernement est contre les propriétaires.

La loi ELAN n'est ni favorable aux propriétaires, ni pro-locataires : elle est à la fois l'une et l'autre.

M. Laurent Furst. Elle est « en même temps » l'une et l'autre !

M. Julien Denormandie, ministre. Exactement !

Opposer les propriétaires aux locataires – et vous savez à quel point le sujet me touche –, c'est nourrir un des fléaux dont l'éradication permettrait de résoudre une bonne partie de la crise du logement : le phénomène des logements vacants, qui concernent des centaines de milliers de logements. Or dire que le Gouvernement est contre les propriétaires revient justement à entretenir une telle opposition. Je voudrais vraiment réconcilier les deux.

M. Pierre Cordier. Ce n'est pas ce que dit France Stratégie !

M. Julien Denormandie, ministre. Par ailleurs, voici ce qu'ont dit en substance tous les orateurs : « Ce que fait le Gouvernement n'est pas bon ; voilà ce qu'il faudrait faire, même si, en définitive, il ne faut pas trop toucher aux dispositifs existants… » Certes, je grossis un peu le trait. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)

Quoi qu'il en soit, j'insiste sur le fait que l'enjeu principal, s'agissant de la fiscalité dans le secteur du logement, est de garantir la stabilité et la lisibilité.

M. Stéphane Peu. Même si cela revient à stabiliser un système pervers ?

M. Julien Denormandie, ministre. C'est l'instabilité, en effet, qui nuit à l'activité. Il faut rassurer les promoteurs et les opérateurs du logement et leur donner une meilleure visibilité sur leur secteur. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)


Mme la présidente. Nous en venons aux questions.

La parole est à M. Jean-Luc Lagleize.

M. Jean-Luc Lagleize. Le débat qui nous rassemble aujourd'hui est plus qu'opportun, quelques mois à peine après la promulgation de la loi ELAN.

Notre pays compte un nombre important d'aides fiscales dans le secteur du logement. Elles se sont accumulées au fil des années au point de devenir difficilement lisibles pour les investisseurs. Vous avez d'ailleurs rappelé, monsieur le ministre, que quatre pages étaient nécessaires pour dresser la liste des mesures d'aide à la rénovation énergétique des logements. 

En plus de leur coût non négligeable pour nos finances publiques, ces dispositifs fiscaux tendent à fausser le marché, à créer des effets d'aubaine et à participer à l'inflation des prix du foncier.

En apparence, ces aides à la pierre permettent de réduire les coûts d'acquisition des logements. Mais en réalité, les économies réalisées dans la construction ne se répercutent pas sur le prix final des logements puisqu'elles sont captées non par les promoteurs immobiliers, comme on le prétend souvent, mais par les propriétaires du foncier. En conséquence, la hausse du prix du foncier dépasse largement celle des prix de la construction. Au cours des dix dernières années, le premier a ainsi augmenté de 71 %, contre 24 % seulement pour le second.

Pour retrouver un prix réel et vertueux des logements, nous devons réduire notre dépendance aux multiples dispositifs fiscaux existants. Dès 2018, plusieurs d'entre eux, tels la réduction d'impôt pour investissement locatif ou le prêt à taux zéro, ont été réorientés, recentrés et prorogés jusqu'en 2021. Toutefois, le secteur du logement et de l'immobilier a besoin de prévisibilité à long terme. Il est donc capital de prévoir la suite dès aujourd'hui, en évaluant finement ces aides et les zones géographiques dans lesquelles elles s'appliquent et en préparant un plan de sortie. Monsieur le ministre, pouvez-vous dresser le bilan de ces dispositifs et détailler la stratégie du Gouvernement en la matière ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Monsieur le député, vous vous interrogez de manière générale sur la pertinence des dispositifs fiscaux. Avant toute chose, il est nécessaire de disposer de données permettant de procéder à une meilleure évaluation. Le traitement des données brutes est une opération très complexe, mais grâce à un travail constructif mené avec nos collègues de Bercy, nous disposons désormais de données fiscales susceptibles de mieux éclairer la représentation nationale sur l'efficacité de certains dispositifs.

Certains sujets sont particulièrement importants. Je veux parler tout d'abord du zonage, sujet sur lequel nous vous avons transmis un rapport il y a quelques semaines. S'agissant du dispositif Pinel et du PTZ, nous vous remettrons deux autres rapports à l'automne, une fois que les données que je viens d'évoquer les auront étayés.

Enfin, j'insisterai sur un troisième sujet, le foncier, car je connais votre engagement en la matière. C'est d'ailleurs un combat que nous menons en commun.

Dans certaines zones, le foncier est pour ainsi dire le nerf de la guerre, car il peut représenter jusqu'à 50 % du coût d'une opération. Et ce qui rend la question encore plus complexe, c'est que les aménagements publics ont souvent pour effet d'en augmenter encore la valeur. Les collectivités assistent ainsi, impuissantes, à l'augmentation du prix de la pierre, sans pouvoir bénéficier de cette valeur qu'elles ont elles-mêmes contribué à créer par leurs propres investissements.

C'est pourquoi il faut inventer de nouveaux dispositifs, qu'il s'agisse de démembrements ou des OFS que j'évoquais. Les travaux que vous êtes en train de mener pourront nous aider à agir plus rapidement et plus efficacement dans ce domaine.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Bricout.

M. Jean-Louis Bricout. Le groupe MODEM pose la question des conséquences de la politique fiscale du gouvernement et de sa majorité sur le logement et les prix du foncier. L'évolution de celui-ci entre 2017 et 2018 est particulièrement alarmante. On constate une baisse de 7 % des permis de construire délivrés et des mises en chantier après trois années de nette embellie ; une diminution de 11,1 % des mises en vente alors qu'elles avaient augmenté de 45,7 % entre 2014 et 2017 ; et, enfin, une baisse de 10,5 % des réservations de logements, qui atteint 22,4 % pour la vente en bloc.

M. Pierre Cordier. C'est vrai !

M. Jean-Louis Bricout. L'Union sociale pour l'habitat – USH – s'inquiète d'ailleurs de la baisse de la production des logements sociaux. On nous avait promis un choc d'offre ; nous sommes servis !

Je suis élu d'un département rural, l'Aisne, dont toutes les communes sont en zone C. La situation y est catastrophique. La concentration des incitations fiscales vers les zones tendues et le désengagement de l'État dans les zones détendues ont des effets accablants.

Vous avez siphonné le chiffre d'affaires des bailleurs publics. Les programmes neufs en zones rurales se font donc de plus en plus rares. Même l'entretien du bâti existant est affecté. Quant aux investisseurs privés, ils s'intéressent aux zones tendues pour soulager le poids de leur impôt. Pour nos territoires, en souffrance, il ne reste que le prêt à taux zéro dans l'ancien.

Vous avez également fait le choix de supprimer l'APL accession. Cet excellent dispositif, peu coûteux pour l'État – son coût budgétaire était inférieur à celui de l'APL visant les locations – permettait pourtant à des ménages modestes de réaliser un projet de vie en accédant à la propriété.

Toutes ces mesures ont un effet cumulatif sur les territoires classés en zones B2 et C. Les prix de l'immobilier s'y effondrent et certains logements deviennent la proie de bailleurs indélicats. La ghettoïsation n'est plus seulement réservée aux banlieues : vous en avez malheureusement créé les conditions dans nos petites villes rurales.

Il est urgent de mettre fin à cette spirale que nous avions anticipée et dénoncée lors des débats budgétaires.

Ma question est simple : monsieur le ministre, au regard de ces chiffres catastrophiques, que comptez-vous faire pour redonner du souffle à la production de logements, en particulier dans les territoires détendus, aujourd'hui abandonnés ? Quand allez-vous territorialiser vos incitations fiscales ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Pierre Cordier. Le ministre va nous parler du prêt de la Caisse des dépôts !

M. Julien Denormandie, ministre. Votre question peut se résumer ainsi : que faut-il faire face à la situation présente ?

En 2018, un peu moins de 400 000 logements neufs ont été livrés, un chiffre en diminution par rapport à 2017 mais qui dépasse de 25 000 la moyenne des cinq dernières années.

M. Thibault Bazin. La période d'application du dispositif Duflot avait été catastrophique !

M. Julien Denormandie, ministre. Cela étant, vous me connaissez suffisamment, monsieur le député, pour savoir que je ne me cache pas derrière les chiffres.

La première chose à faire est d'appliquer très rapidement la loi que vous venez d'adopter voici deux mois.

Il faut aussi rassurer certains acteurs. Je le répète, il est essentiel de garantir aux opérateurs privés une stabilité du cadre législatif, afin qu'ils disposent d'une meilleure visibilité. En effet, le seul fait de lancer des réformes – et elles ont été nombreuses, ces derniers mois –, peut les inciter à faire preuve d'un certain attentisme.

Troisième élément, l'inquiétude des bailleurs sociaux est au coeur de la discussion que nous avons noué avec eux depuis maintenant deux mois dans le cadre de la clause de revoyure, conformément à l'engagement que j'avais pris. Nous travaillons de concert avec les bailleurs sociaux.

Enfin, je connais votre combat sur ce sujet, je suis persuadé que la politique du logement doit être encore plus territorialisée.

M. Thierry Benoit. Tout à fait !

M. Julien Denormandie, ministre. Nous y reviendrons lors des prochaines questions, mais, j'en conviens, les décisions en matière de zonage doivent être plus territorialisées. Le programme Action coeur de ville est un bon exemple puisqu'il a été élaboré à partir des initiatives locales. Je connais votre souhait de voir ce programme transformé en un plan d'action pour les centres bourgs. Je serais heureux d'échanger avec vous à ce sujet.

Mme la présidente. La parole est à M. Guy Bricout.

M. Guy Bricout. Je me fais ici le relais des interrogations des bailleurs sociaux.

Jusqu'en 2017, la TVA applicable à la construction du logement social était fixée à 5,5 %. Elle est passée en 2018 à 10 %. Or, pour les biens de première nécessité, le taux est de 5,5 %. Est-ce à dire que le logement n'en est pas un ? (MM. Stéphane Peu et Jean-Louis Bricout applaudissent.)

Cette augmentation de la TVA représente pour les HLM un surcoût de 700 millions d'euros en 2018 et de 850 millions en 2019. Pour toutes les opérations de construction depuis le 1er janvier 2018, il faut financer 4,5 points de TVA supplémentaires alors que les autres coûts augmentent également – l'inflation est de 1,8 %, par exemple. Il en résulte une baisse de la construction de logements de sociaux de 2,8 %, bien loin du choc d'offre que vous aviez annoncé.

En outre, vos services refusent parfois des opérations – à Gagny, à Rouen. Vous ne pouvez pas avoir pour seule ambition de produire 40 000 PLAI.

À la hausse de la TVA est venue s'ajouter la baisse de 4 % des loyers par le biais de la RLS – réduction de loyer de solidarité – qui a été imposée aux bailleurs sociaux.

Ainsi, dès 2019, les engagements pris dans l'accord que vous avez signé personnellement le 13 décembre 2017 avec la profession ne sont pas respectés : tandis que le cumul des prélèvements ne devait pas dépasser 1,5 milliard d'euros et la RLS 800 millions d'euros, vous avez porté cette dernière à 900 millions d'euros et l'État a prélevé 1,7 milliard d'euros depuis 2018 – ce montant pourrait atteindre 2 milliards en 2020 du fait de la hausse de la RLS.

Alors que 2,1 millions de demandeurs attendent un logement social et 600 000 une mobilité, ce sont les territoires qui trinquent. Ils seront les premiers touchés par les suppressions d'emplois dont le nombre est estimé à 35 000 en 2020.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Le taux de la TVA a été porté de 5,5 à 10 % à la suite des discussions avec les bailleurs sociaux. Ce sujet est au coeur des débats dans le cadre de la clause de revoyure que j'évoquais à l'instant.

Vous soulevez une autre question essentielle : l'action des bailleurs sociaux dans les territoires, ruraux notamment. La construction de logement social est une activité de proximité. Nous en avons débattu dans le cadre de la loi ELAN. M. Peu évoquait précédemment la VEFA. Si celle-ci avait continué à se développer, les territoires les plus détendus en auraient pâti. C'est la raison pour laquelle, dans la loi ELAN, à l'issue de longs débats, les bailleurs sociaux ont été autorisés à se dispenser du fameux titre II de la loi MOP – loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique – afin de limiter l'intérêt de recourir à la VEFA. Cette mesure a été prise au bénéfice des territoires. 

La loi ELAN, en instaurant un seuil de patrimoine de 12 000 logements, incite au regroupement des bailleurs sociaux. À l'heure où je vous parle, cette dynamique s'enclenche très bien. Sur les 340 bailleurs sociaux concernés, plus de 230 ont rejoint un groupement. À l'endroit des bailleurs sociaux, mon action consiste d'abord à finaliser la clause de revoyure afin de lever les incertitudes – je ne dis pas que c'est simple mais les discussions sont en cours –, ensuite à appliquer la loi ELAN en m'assurant que l'action des bailleurs sociaux reste territorialisée. Je m'engage à y veiller. 

Mme la présidente. La parole est à M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. Le 1er février, la Fondation Abbé Pierre a présenté son vingt-quatrième rapport sur l'état du mal-logement. Le tableau dressé est terrible.

Notre pays compte désormais 4 millions de personnes mal logées parmi lesquelles 200 000 dorment chaque jour dans la rue. Bien sûr, cette situation n'est pas née de l'élection d'Emmanuel Macron. Cela étant, tous les indicateurs montrent que les lois votées depuis le début du quinquennat l'aggravent.

Vous avez commencé par vous en prendre aux APL en fragilisant nos concitoyens les plus en difficulté. Ensuite, vous avez exigé des bailleurs sociaux qu'ils baissent leurs loyers sans contrepartie financière de l'État – vous amputez ainsi des deux tiers leur capacité d'autofinancement qui leur permettait jusqu'alors de construire de nouveaux logements. Il en résulte que la production de logements très sociaux est en net recul.

Pourtant, parallèlement, le marché privé s'emballe. À Montreuil, en un an seulement, le prix moyen au mètre carré a augmenté de plus de 13 %. Les effets sont dévastateurs ; progressivement, les classes populaires sont reléguées vers la périphérie plus lointaine et remplacées par des habitants plus fortunés.

Pour enrayer ce phénomène, il suffirait d'encadrer le marché. Certains maires, comme à Montreuil, ont élaboré des chartes avec les promoteurs immobiliers pour limiter le prix des logements neufs. Mais, avouons-le, cela n'a aucun effet sur le prix des logements anciens ou sur le montant des loyers s'agissant du parc locatif.

L'État doit donc intervenir. Il est urgent de légiférer pour mettre fin à la spéculation qui fait d'un bien vital – un toit – une source de profit.

L'encadrement des loyers, mis en place à Paris entre 2015 et 2017, a démontré son utilité : en deux ans, le pourcentage de logements ne respectant pas les plafonds fixés est passé de 26 à 21 %.

Le temps me manque pour aborder la rénovation énergétique des logements. Monsieur le ministre, je souhaite une réponse précise de votre part, comme vous savez le faire, à la question suivante : comptez-vous généraliser l'encadrement des loyers et le plafonnement du prix de vente au mètre carré là où le marché s'emballe ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. La loi ELAN a permis de trancher votre question. Je m'étonne que vous évoquiez le dispositif parisien. Sachez que Jacques Mézard et moi-même avions déposé des recours contre les décisions des tribunaux administratifs d'annuler l'encadrement des loyers à Paris et Lille.

Dans la loi ELAN, l'encadrement des loyers a été réintroduit. Tous les élus locaux qui le souhaitent peuvent désormais instaurer un tel dispositif sur une base juridique plus solide que la précédente qui avait abouti aux annulations à Paris et à Lille.

Je ne veux pas polémiquer sur un sujet aussi important mais je regrette que votre question ne tienne pas compte de ce que la majorité a voté il y a moins de deux mois : désormais, tout élu local, dans le cadre défini par cette assemblée, peut recourir à l'encadrement des loyers pour limiter l'augmentation des prix. Cette mesure se veut une nouvelle fois pragmatique et opérationnelle : la décision appartient aux territoires, ce n'est pas à moi d'imposer une manière de faire aux collectivités locales. La politique du logement reste dans les mains des collectivités. Mon travail consiste à leur donner les outils nécessaires pour qu'elles mènent leur politique. C'est chose faite avec la loi ELAN.

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. Dans ce débat, il s'agit non pas de juger les propriétaires ou les locataires – tout le monde mérite le respect –, mais de discuter du bon usage de l'argent public.

Monsieur le ministre, je veux vous donner l'exemple d'une rue de ma chère ville de Saint-Denis – elle existe, elle n'est pas virtuelle – et de quatre immeubles : un immeuble de logements PLAI dans lequel le loyer est de 5,5 euros le mètre carré, hors APL ; un immeuble de logements PLS avec un loyer de 10 euros ; un immeuble en accession sociale à la propriété réservé aux primo-accédants qui bénéficient d'une TVA réduite à 5,5 % et d'un prêt à taux zéro le cas échéant ; un immeuble ouvrant droit à la défiscalisation, destiné à des propriétaires bailleurs qui possèdent d'autres biens.

Figurez-vous que sur ces quatre immeubles, celui qui reçoit le plus d'argent public est l'immeuble destiné aux investisseurs déjà multipropriétaires. Ce type d'immeuble bénéficiera de deux fois plus de subsides publics – la Cour des comptes le confirme – que les immeubles en PLAI. Il y a là un effet totalement pervers. Sans compter qu'un immeuble habité par des propriétaires occupants est toujours mieux entretenu, mieux respecté qu'un immeuble appartenant à des propriétaires bailleurs qui regardent cela de très loin et qui louent très cher.

Le loyer sera de 20 euros dans l'immeuble le plus aidé par la puissance publique. Monsieur le ministre, vous plaidiez il y a quelques instants pour la stabilité. Mais il ne faut pas stabiliser un tel système dans lequel ceux qui ont beaucoup reçoivent plus que ceux qui n'ont rien. Afin de construire mieux et plus, il faut remettre à plat la fiscalité du logement et cibler les aides publiques sur ceux qui en ont le plus besoin.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Je comprends le message que vous souhaitez adresser. Je l'ai dit, nous manquons de logements abordables.

Effectivement, il ne faut pas opposer les uns aux autres. Dans les comparaisons, il faut veiller à prendre en compte l'ensemble des aides, en particulier pour ce qui concerne les PLAI et les PLS – le taux réduit de TVA, l'aide à la pierre, les ressources de la Caisse des dépôts et consignations. En outre, l'investissement locatif, qui permet la construction de logement intermédiaire, fait appel à la fiscalité tandis que le logement social, qui est financé par la Caisse des dépôts et consignations, d'une part, et par les APL, d'autre part, relève de la dépense budgétaire : ce ne sont pas les mêmes outils financiers. L'investissement locatif doit permettre de construire du logement intermédiaire qui est nécessaire dans le parcours résidentiel.

Je comprends le message que vous voulez porter mais j'appelle votre attention sur trois points : la visibilité ; la nécessité de renforcer le logement intermédiaire ; quant à la politique des loyers, le débat n'était pas allé à son terme lors de la discussion de la loi ELAN mais une habilitation à légiférer par ordonnance est prévue. Dans ce cadre, nous pourrons débattre de l'opportunité de fixer des loyers d'entrée plus faibles pour accueillir des publics plus fragiles et des loyers plus élevés pour d'autres. 

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. Nous allons aborder le sujet de la Corse, sujet passionnant s'il en est. Dans l'île, les questions liées aux résidences secondaires sont à la fois prégnantes, anciennes et cruciales.

Il faut savoir que l'île compte 90 000 résidences secondaires. Le taux de résidences secondaires y atteint 37,5 %, soit quatre fois plus que la moyenne nationale, qui s'établit à 9,6 %. Comme vous la savez, la situation ne s'améliore pas, puisque, selon les données de l'Institut national de la statistique et des études économiques, le nombre de résidences secondaires y a augmenté deux fois plus vite que celui des logements entre 2010 et 2015.

La forte attractivité de la Corse en la matière est liée, bien sûr, au tourisme saisonnier. Tout cela est à l'origine de difficultés très importantes en matière d'accès au logement pour la population locale. Il se produit même un véritable reclassement par la richesse, ce qui est difficile à admettre.

Les leviers existent, vous les connaissez. Une partie de la Corse est classée en zone tendue, les collectivités concernées pouvant instaurer une surtaxe d'habitation sur les résidences secondaires, dont le taux peut varier de 5 à 60 %. En outre, la loi de finances pour 2019 a exclu l'immobilier de tourisme du crédit d'impôt pour les investissements réalisés en Corse. Cette mesure a permis de freiner la dérive spéculative et la flambée des prix de l'immobilier, qui gênent la population locale dans l'accès au logement.

Toutefois, ces mesures ne permettent d'agir que de manière partielle. Dès lors, monsieur le ministre, quels outils – dispositifs fiscaux, renforcement du pouvoir de préemption ou autre – envisagez-vous d'utiliser afin d'éviter la spéculation et le déséquilibre entre les résidences secondaires et principales en Corse ? Il s'agit, bien sûr, de doter les collectivités corses d'instruments de nature à assainir le marché de l'immobilier, mais aussi, au-delà, d'agir sur l'évolution même de la société corse dans son ensemble, ce qui est le plus important. (Applaudissements sur les bancs du groupe LT.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. C'est en effet un réel sujet de préoccupation, monsieur le député, qui concerne non seulement le territoire que vous défendez si bien, mais aussi d'autres territoires, notamment littoraux ou de montagne. S'agissant de la Corse, vous l'avez rappelé, nous avons corrigé, dans le cadre de la dernière loi de finances, certains dispositifs qui avaient un effet contre-productif, voire incitaient à investir dans les résidences secondaires plutôt que dans les résidences principales.

Il est effectivement possible de moduler certaines taxes, notamment locales. Nous nous heurtons toutefois à une grande difficulté : il est très facile de transformer une résidence secondaire en résidence principale, en y domiciliant son conjoint, un de ses enfants ou qui sais-je encore. Telle est la limite des dispositifs. La fiscalité s'applique à des entités « juridiquement pérennes », si je puis dire. Or, du point de vue juridique, on peut convertir rapidement une résidence secondaire en résidence principale, puis revenir, tout aussi rapidement, à une résidence secondaire.

Il en va de même, peu ou prou, pour les logements vacants. La taxe sur les logements vacants est à peu près au même niveau que la taxe d'habitation. Certains estiment qu'il faudrait l'augmenter pour enrayer le phénomène des logements vacants. Cependant, si vous le faites, que va-t-il se passer ? Les propriétaires de logements vacants vont tous y domicilier leur conjoint ou un de leurs enfants pour payer la taxe d'habitation plutôt que la taxe sur les logements vacants.

Autrement dit, nous avons corrigé certains défauts, mais nous n'avons pas trouvé de solution totalement adéquate au problème. Nous devons encore mener un travail à ce sujet.

Comme vous le savez, Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, est particulièrement active au sujet de la Corse et en matière de fiscalité locale. Un texte relatif à ce dernier sujet devrait vous être soumis dans les prochains mois. Je vais tâcher de voir avec elle comment nous pourrions intégrer la question dans le cadre de ces discussions. Néanmoins, comme vous le savez, le sujet est très compliqué.

M. Mickaël Nogal. Les solutions arrivent !

Mme la présidente. La parole est à M. François Jolivet.

M. François Jolivet. Je me réjouis, monsieur le ministre, que le ministère de l'action et des comptes publics vous ait enfin transmis certains documents permettant d'observer ce qui se passe dans le domaine du logement. Je suis heureux que le ministère « métier » que vous représentez puisse enfin travailler en se fondant sur ces données.

M. Pierre Cordier. Nous le dirons à M. Darmanin !

M. François Jolivet. Nous citons de nombreux chiffres, mais peu de gens savent où les logements se construisent et qui les occupe, à l'exception des logements sociaux.

M. Ian Boucard. Et encore !

M. François Jolivet. Je vous remercie pour le combat que vous menez en la matière. Sachant que les régimes de défiscalisation en question existent depuis quarante ans, on peut s'étonner qu'il ait fallu attendre si longtemps pour obtenir ces informations. On peut d'ailleurs s'interroger sur la réalité de l'animation interministérielle, voire sur le fonctionnement de notre Ve République…

M. Thibault Bazin. Au fait, le groupe Les Républicains est majoritaire dans l'hémicycle !

M. François Jolivet. En matière de logement, les dispositifs de défiscalisation Duflot et Pinel ont quelque peu bouleversé les choses, car, pour la première fois, la contrepartie du renoncement à l'impôt – qui constitue une dépense fiscale – a concerné des personnes sous plafond de ressources et sous plafond de loyer.

Je vous pose deux questions très précises, monsieur le ministre. Premièrement, dans la mesure où vous ignorez où les logements concernés sont construits, je voudrais savoir qui contrôle l'application des deux dispositifs. Avez-vous connaissance des contrôles réalisés ? On peut d'ailleurs regretter l'absence du ministre de l'action et des comptes publics dans l'hémicycle.

Deuxièmement, notre assemblée attend que vous lui remettiez un rapport d'évaluation sur les différents zonages, y compris fiscaux, en matière de logement. Nous souhaiterions savoir à quel stade en est l'élaboration de ce document, très important à nos yeux. Puisque vous disposez désormais des informations nécessaires, vous pouvez sans doute travailler enfin sur le sujet. Néanmoins, je m'étonne que le ministère « métier » ne puisse pas conduire lui-même sa politique, qu'il n'ait pas accès à des données aussi élémentaires et qu'il faille parfois supplier pour les obtenir.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Monsieur le député, l'action que vous avez menée à ce sujet depuis dix-huit mois montre, si besoin en était, à quel point le Parlement exerce son rôle. Dès la discussion des premiers projets de loi de finance, vous avez pris la question à bras-le-corps en insistant sur la transmission des données et en soulignant le caractère aberrant des contrôles en leur absence. Vous avez mené deux combats, l'un à propos de la localisation des biens, l'autre – pour faire simple, mais vous voyez ce dont je parle – au sujet de l'accompagnement de la délégation des aides à la pierre.

Nous y sommes arrivés : nous avons beaucoup progressé dans la gestion des données, et je salue votre action en la matière. Je partage votre constat : il était très compliqué de savoir exactement où le dispositif était utilisé – Mme Pinel, ancienne ministre du logement, le sait très bien elle aussi. Or, effectivement, quand il est difficile d'identifier, il est plus difficile encore de contrôler.

Vous avez abordé une deuxième question, celle du zonage. Le Gouvernement a remis au Parlement un premier rapport à ce sujet, qui propose plusieurs pistes et soulève plusieurs interrogations. Mon sentiment est qu'il est de plus en plus nécessaire de sortir de ces zonages pour territorialiser la politique que nous menons. Toutefois, c'est très compliqué, a fortiori quand il s'agit de dépenses fiscales – il est plus simple de le faire quand il s'agit de dépenses budgétaires. L'une des pistes consisterait à zoner de manière plus précise afin de prendre en compte les spécificités territoriales. Une autre serait de territorialiser comme nous l'avons fait avec le dispositif « Denormandie dans l'ancien », plutôt que de zoner, comme il était courant de le faire auparavant.

En tout état de cause, je pense que la révision du zonage, qui a lieu en principe tous les trois ans, devra plutôt être réalisée après les élections municipales – nous aurons l'occasion d'en discuter à nouveau dans cet hémicycle. En effet, cette révision suscite généralement de nombreuses incertitudes et interrogations, voire de l'anxiété. Dans la période actuelle, notamment à l'approche des municipales, il vaut mieux garder de la visibilité et de la lisibilité, en profiter pour travailler sur les options proposées dans le rapport et déterminer la manière la plus pertinente d'agir. Néanmoins, nous avons déjà apporté des correctifs avec certaines mesures nouvelles telles que le dispositif « Denormandie dans l'ancien ».

Mme la présidente. La parole est à M. Richard Lioger.

M. Richard Lioger. Je vous fais de nouveau part, monsieur le ministre, du plaisir que j'ai eu à travailler avec vous et vos équipes en qualité de rapporteur du projet de loi ELAN. Ayant entendu beaucoup de choses à son sujet, je souhaite rappeler un certain nombre d'éléments. D'abord, le texte promulgué comporte plus de 200 articles, alors que le projet initial en comptait soixante-six. En outre, la loi adoptée est issue d'une commission mixte paritaire. C'est dire qu'elle n'a pas été si partisane que cela et, surtout, que la majorité comme les minorités y ont intensément travaillé.

J'ai d'ailleurs constaté, à l'occasion des visites organisées en région, notamment dans le Grand Est, à la suite des nombreuses invitations lancées,…

M. Pierre Cordier. En particulier par M. Bazin !

M. Richard Lioger. …la satisfaction des acteurs du monde du logement. J'ai même eu la surprise, dernièrement, de voir que certains acteurs du monde HLM travaillaient à la constitution d'une société anonyme de coordination – SAC – nationale. Enfin, je rappelle que vous souhaitez créer un comité de suivi de l'application de la loi ELAN, et je vous remercie de cette idée.

Ma question porte sur la nouvelle aide fiscale destinée à inciter les investisseurs bailleurs à rénover les logements anciens et dégradés dans le centre des villes moyennes. Celle-ci consiste à proposer à ceux qui achètent un bien dégradé de déduire de leur impôt sur le revenu 12 à 21 % de leur investissement, lorsque le montant des travaux représente un quart du total.

L'article 226 de la loi de finances pour 2019, qui a créé ce dispositif à compter du 1er janvier de cette année, prévoit qu'un décret et un arrêté seront pris pour en préciser les modalités d'application. Toutefois, ces textes réglementaires, nécessaires pour rendre la mesure opérationnelle, n'ont pas encore été publiés à ce jour. Pourriez-vous nous préciser le calendrier de parution de ces textes ? Êtes-vous en mesure de nous préciser les modalités d'application ?

La liste des communes éligibles doit être fixée par arrêté. Devraient notamment être concernées les 222 villes relevant du plan action coeur de ville. Le confirmez-vous ? Qu'en est-il des territoires qui engageront une opération de revitalisation du territoire telle que définie dans la loi ELAN ? Cette méthode s'éloigne de celle du zonage utilisé pour le dispositif Pinel, comme nous l'avons évoqué tout à l'heure. Quels sont les bénéfices escomptés de cette nouvelle formule ? 

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Inutile de vous dire, monsieur le député, que le plaisir a été tout à fait partagé. Je vous remercie d'avoir mentionné la création du comité de suivi de l'application de la loi ELAN, dont j'informe la représentation nationale.

M. Mickaël Nogal. Très bonne initiative !

M. Julien Denormandie, ministre. Vous avez accepté d'y participer, aux côtés des autres rapporteurs du projet de loi, de l'Assemblée nationale et du Sénat, et d'autres parlementaires, dont M. Nogal.

Nous pourrons vous indiquer dans ce cadre, de manière très transparente, l'évolution de tous les textes d'application, afin que vous puissiez contrôler vous-mêmes la bonne application de la loi. Je m'engage, comme nous l'avions évoqué avec M. Bazin à l'époque,… (« Ah ! » sur les bancs du groupe LR)

M. Pierre Cordier. C'est grâce à lui !

M. Julien Denormandie, ministre. …à répondre à toutes les demandes des députés relatives aux travaux de ce comité de suivi. Nous transmettrons les informations. Notre souci est d'agir et de faire en sorte que le suivi de la loi soit transparent. Je vous remercie sincèrement, monsieur Lioger, de votre implication avant, pendant et après l'examen de la loi.

Votre question porte sur le mécanisme « Denormandie dans l'ancien ». Nous avons voulu que ce dispositif fiscal soit très simple d'utilisation : pour en bénéficier, il suffit de consacrer 25 % de l'investissement à des travaux de réhabilitation, soit en permettant un gain énergétique – de 20 % dans un immeuble collectif ou de 30 % dans un logement individuel –, soit en retenant deux actes de rénovation parmi cinq.

Je vous confirme – c'est inscrit dans la loi – qu'il concernera bien les 222 villes relevant du plan action coeur de ville, mais aussi toutes les villes qui engageront une opération de revitalisation du territoire. Tous les décrets et arrêtés sont prêts et seront publiés très prochainement. Comme vous le savez, il y a toujours une certaine lenteur institutionnelle, si je puis dire, en matière de parution des textes…

Je profite de l'occasion pour inciter tous les investisseurs à se saisir de ce dispositif, qui part des besoins des territoires et permettra la rénovation des logements.

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Furst.

M. Laurent Furst. Les modes de vie évoluent. Les familles se composent, accueillent des enfants, grandissent, mais près d'un couple sur deux divorce, beaucoup se remarient, et le nombre de familles recomposées ne cesse d'augmenter. Par ailleurs, la vie professionnelle, fondée autrefois sur un ancrage local, suppose désormais, pour de très nombreux Français, de changer plusieurs fois d'emploi, mais aussi de localité, voire de région. Cet élément est d'ailleurs souligné par toutes les études relatives à la rigidité du marché de l'emploi en France.

Par ailleurs, nous le savons tous, l'arrivée à la retraite entraîne une importante perte de revenus pour les ménages, qui s'accentuera probablement dans les années à venir. Une solution de bon sens serait de faire en sorte que les Français n'aient plus à payer de loyer à ce moment particulier de la vie. En effet, la combinaison du paiement d'un loyer et de la perte de revenus n'est pas sans créer de fortes frustrations chez nombre de nouveaux retraités.

Le croisement de ces éléments amène à une conclusion évidente : il faudrait que les Français puissent tous acheter et revendre leur résidence principale de manière extrêmement souple. Or, si l'on examine la fiscalité française, on s'aperçoit que les droits de mutation, perçus tant par les collectivités territoriales que par l'État, captent plus de 8 % de la valeur du bien immobilier et constituent un frein considérable à cette dynamique.

En ce temps de grand débat national, monsieur le ministre, je souhaiterais vous interroger sur la philosophie qui doit être celle de la politique du logement.

Notre objectif commun ne devrait-il pas être de faire plus et mieux pour aider les familles à devenir propriétaires de leur logement, en facilitant soit une progression qualitative vers des logements plus grands, soit une souplesse géographique lorsque c'est nécessaire ? Ne pensez-vous pas qu'à coût constant pour les finances publiques, il serait utile pour la communauté nationale de réorienter la politique du logement en créant les conditions d'un parcours résidentiel du propriétaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Monsieur le député, en matière de politique du logement, ma philosophie – pour reprendre le terme que vous employez – consiste à faire que le logement ne soit pas un frein, c'est-à-dire qu'il n'empêche ni d'accéder à un emploi ni de bénéficier de la mobilité que l'on souhaite. Nul ne doit se voir imposer, du fait de son logement, un mode de vie qu'il n'a pas réellement voulu.

Telle est la philosophie de notre action. Ce but est objectivement difficile à atteindre. Bien des études montrent que beaucoup de nos compatriotes sont amenés à refuser un travail parce qu'ils ne peuvent accéder à un logement dans une zone d'emploi ou parce que ce travail exigerait une mobilité trop importante.

Face à cette situation, vous me demandez s'il faut inciter au parcours résidentiel. Je suis persuadé, comme je l'ai indiqué à M. Peu, que nous devons aider à passer du logement social au logement intermédiaire puis au logement privé, et favoriser à la fois le fait d'être locataire et celui d'être propriétaire. La loi ELAN a bien montré que nous oeuvrions dans ce sens, notamment en favorisant l'accession sociale à la propriété.

Votre question est plus précise encore : faut-il ou non bâtir une France des propriétaires ? C'est la philosophie que votre famille politique a mise en oeuvre quand elle était au pouvoir. À mon sens, la véritable position à adopter consiste à permettre à tous ceux qui souhaitent de devenir propriétaires, sans pour autant ériger l'accession à la propriété en dogme.

On en revient toujours au même constat : tout dépend des territoires. Pendant des années, j'ai accompagné les entreprises dans tous les territoires en défaillance dans le cadre du CIRI, le comité interministériel de restructuration industrielle. Nous avons souvent rencontré la même situation : lorsqu'une entreprise fermait, le logement – qui constituait le patrimoine des salariés – se dévaluait de moitié. De ce fait, ceux-ci perdaient en même temps leur emploi et une patrie de leur patrimoine, ce qui réduisait leur possibilité de mobilité.

Notre action consiste à accompagner toutes celles et ceux qui le souhaitent vers l'accession à la propriété, sans pour autant faire de celle-ci un dogme. Tout dépend des territoires. On ne peut appliquer toujours et partout la même philosophie.

Mme la présidente. La parole est à M. Ian Boucard.

M. Ian Boucard. Monsieur le ministre, nous avons un réel désaccord sur l'accession à la propriété dans notre pays. J'en prends acte. Nous ne l'avions pas nécessairement perçu lors de l'examen de la loi ELAN. Peut-être, à cette occasion, vous étiez-vous exprimé moins clairement.

En 2018, nous avons vu diminuer de 7 % les mises en chantier de logements et de 7,2 % les dépôts de permis de construire. Plus grave, 28 % des permis de construire accordés n'ont pas abouti à une construction. Pourtant, le prix du foncier n'a pas explosé entre 2017 et 2018.

Quelles sont donc les causes de ces résultats très médiocres ? La réduction de moitié des prêts à taux zéro hors des métropoles, la forte réduction des aides à l'accession à la propriété dans les territoires et la suppression du dispositif Pinel dans les zones B2. Ce sont les classes moyennes qui ont été directement pénalisées par ces mesures, car elles ne peuvent plus accéder à la propriété ni bénéficier de logements de qualité à loyer modéré. Je le constate chaque jour dans le Territoire de Belfort.

De même, ce sont les classes moyennes et les plus précaires qui seront à terme pénalisés par la diète sèche imposée par le Gouvernement aux offices HLM. Ceux-ci n'ayant plus les moyens d'investir, ils réhabiliteront moins, ne construiront plus et réduiront d'autant le personnel de proximité.

Vos mesures ont donc un impact très négatif sur le secteur du logement. La loi pour une évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, ou plutôt les coups de rabot du PLF ont cassé l'élan de la construction dans notre pays.

Les acteurs du BTP vous ont d'ailleurs alerté sur les conséquences économiques de vos choix sur le secteur du logement. Le seul point positif que je puis retenir, depuis juin 2017, est le dispositif Denormandie. Dans les villes qui y sont éligibles, il pourra favoriser la réhabilitation des logements anciens.

Plus que le prix du foncier, ce sont les décisions du Gouvernement qui, depuis juin 2017, ont un impact négatif sur le secteur du logement. Dans ce domaine, je regrette que le Gouvernement n'ait pas écouté davantage les acteurs du logement et les parlementaires.

Comment comptez-vous relancer la construction de logement en jouant sur le coût du foncier ou sur la fiscalité incitative ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Monsieur le député, vous avez évoqué plusieurs points.

Sur le foncier, je suis pleinement d'accord avec vous : c'est un des axes sur lequel nous devons aller très loin. Il peut en effet représenter jusqu'à 50 % du coût d'une opération. Nous avons déjà beaucoup travaillé sur le sujet. Au moment où je vous parle, je suis convaincu que les organismes fonciers solidaires sont le meilleur instrument pour agir.

Une petite dizaine d'OFS s'est mise en place. Nous collaborons beaucoup avec ces acteurs. Une autre dizaine est en cours de constitution. C'est réellement un sujet important.

Un deuxième levier est le démembrement, en lien avec les organismes fonciers solidaires. Ce nouveau type d'acquisition est très important. C'est d'ailleurs un des sujets dont nous avons débattu lors de l'examen de la loi ELAN.

Le troisième volet est à la mise en place de cette loi.

Le quatrième consiste à lever les incertitudes ou les inquiétudes, comme je l'ai dit tout à l'heure.

Permettez-moi à présent de revenir sur ce que vous avez présenté comme un point de désaccord entre nous. J'insiste sur le fait que je suis extrêmement favorable à l'accession à la propriété. Mais, si je souhaite de tout coeur soutenir les propriétaires, je ne souhaite pas moins soutenir les locataires.

Quand votre famille politique était au pouvoir, l'accès à la propriété était le seul axe de sa politique du logement. À mon sens, le Gouvernement doit accompagner chacun dans son projet, qu'il s'agisse de la location ou d'accession à la propriété. Il ne m'appartient pas de dicter aux Français ce qu'ils souhaitent faire. Tout dépend du projet de chacun, de son territoire et de sa réalité.

À la différence de vous, si je veux soutenir tous ceux qui veulent devenir propriétaires, notamment en réduisant, par des mécanismes comme le démembrement ou la création d'un OFS, le coût de l'accès à la propriété, je veux aussi accompagner tous ceux qui souhaitent être locataires par les dispositifs favorisant l'investissement locatif ou le déploiement du logement intermédiaire.

En définitive, on permettra les parcours résidentiels, sans considérer toutefois qu'il n'existe qu'un parcours type, qui doit être le même pour tous. Je le répète : tout dépend de la réalité de chacun, de l'histoire de sa vie et de son territoire. Voilà ce qui nous différencie. Je tiens à ce que ce soit très clair.

Mme la présidente. La parole est à M. Ludovic Pajot.

M. Ludovic Pajot. Quelques mois après l'adoption de la loi ELAN, dont vous nous vantez les mérites, vous voilà confronté à une fronde généralisée des acteurs du logement.

Qu'il s'agisse de l'Union sociale pour l'habitat regroupant les organismes HLM, de la Fédération française du bâtiment, de l'Association des maires de France ou encore de la Fondation Abbé-Pierre, tous font part de leur inquiétude sur la situation du logement en France et les difficultés toujours plus importantes rencontrées par les ménages français.

La France est confrontée à une crise du logement sans précédent. On ne construit pas suffisamment de logements dans notre pays. Chiffre significatif : en 2018, près de 30 % de programmes immobiliers ayant obtenu un permis de construire n'ont pas abouti.

Mais il y a une autre réalité que vous ne souhaitez pas voir et qui est pourtant une évidence : on ne résoudra jamais la crise du logement si l'on n'encadre pas davantage la demande. Je pense ici à l'impératif d'instaurer la priorité nationale…

M. Stéphane Peu. C'est une maladie ! Une obsession !

M. Ludovic Pajot. dans l'attribution des logements sociaux, sans quoi la demande ne sera jamais satisfaite et nos compatriotes se verront systématiquement relégués au second plan.

Les causes de la crise du logement résident également dans la politique gouvernementale de suppression des aides. Je pense à la réduction pour moitié du montant des prêts à taux zéro dans les zones rurales et les villes moyennes, qui a un impact direct sur les habitants de ma circonscription, mais aussi à la suppression de l'aide personnalisée au logement relatif à l'accession à la propriété sur laquelle je vous ai interrogé fin décembre 2018, en vous demandant de la rétablir.

Le projet de loi de finances pour 2018 a fait peser sur les bailleurs sociaux le coût de la baisse de l'APL, d'un montant de 800 millions d'euros, ce qui a eu un effet direct sur les fonds propres des organismes HLM et les programmes de rénovation des logements.

Quand allez-vous revoir le niveau des aides fiscales nécessaires aux Français les plus modestes et rétablir l'APL accession à la propriété ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. Nous n'avons vraiment pas la même conception de la société !

M. Richard Lioger. C'est certain !

M. Julien Denormandie, ministre. Invoquer la préférence nationale dans un débat sur le logement est caractéristique de la famille politique à laquelle vous appartenez ou dont vous êtes proche. Vous êtes incapable d'aborder un sujet aussi important pour le quotidien de tous ceux qui vivent dans notre pays sans le ramener à la question de l'immigration.

J'y vois la preuve non seulement d'une obsession, mais encore d'une conception de la vie en société qui ne serait pas à l'honneur de notre pays, qui n'est pas celle à laquelle j'aspire pour moi et mes enfants, et qui n'est d'ailleurs pas réaliste.

Pour parler comme vous le faites, il faut bien mal connaître le fonctionnement du logement social, ainsi que des aides et des parcours résidentiels. Il faut aussi bien mal connaître le rôle d'intégration que doit jouer notre pays. Si l'on veut que des personnes s'intègrent à nos sociétés, on doit évidemment leur permettre d'accéder à un logement.

J'ajoute que vous méconnaissez des valeurs auxquelles je crois et qui justifient mon combat politique – un combat que j'entends bien continuer à mener pour combattre pareils propos. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et LT.)

Mme la présidente. Le débat est clos.


Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 15 mars 2019