Déclaration de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, sur la Justice face aux défis du numérique en Europe, à Strasbourg le 14 octobre 2019.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence des Ministres de la Justice du Conseil de l'Europe "La justice en Europe face aux défis du numérique"

Texte intégral

Madame la secrétaire générale,
Monsieur le président de la Cour européenne des droits de l'homme,
Mesdames et messieurs les ministres de la justice, mes chères collègues,
Mesdames, Messieurs les ambassadrices et ambassadeurs
Mesdames, Messieurs,


Permettez-moi de vous remercier pour votre présence, en nombre, à Strasbourg, à l'heure d'ouvrir la conférence des ministres de la justice des Etats membres du Conseil de l'Europe. C'est pour moi un grand honneur d'être ici parmi vous, en ce moment particulier de la présidence française d'une institution qui a contribué de façon décisive à écrire l'histoire européenne.

Ainsi, comme l'a fait le Président de la République il y a quelques jours devant l'Assemblée parlementaire, je souhaite tout d'abord rendre hommage au Conseil de l'Europe qui nous accueille aujourd'hui. Je forme aussi dès à présent, en notre nom à tous, des voeux chaleureux à l'adresse de sa nouvelle secrétaire générale, Madame Buric qui succède à M. gland dont nous avons tous pu apprécier le plein engagement dans sa mission.

Alors que nous célébrons le 70ème anniversaire du Conseil de l'Europe, nous pouvons légitimement nous réjouir que nous, ministres de la justice des Etats membres, venions ici rappeler votre attachement à cette maison commune qu'est l'Europe, et à son identité démocratique.

La justice, dans cet édifice, a un rôle particulier à jouer, celui de régulateur de l'ensemble de la société. Mais ce rôle ne peut être pleinement investi et incarné que dans le strict respect du principe de séparation des pouvoirs théorisé par Montesquieu dans « l'Esprit des Lois ». Or, force est de constater que l'indépendance de la justice se trouve parfois menacée au sein même de l'espace européen. Il nous appartient donc de la protéger pleinement. La Cour européenne des droits de l'homme, qui oeuvre avec constance à la garantie de la Convention, rappelle inlassablement l'importance du droit à un procès équitable. J'estime qu'il est de notre devoir, à nous responsables politiques, de savoir donner à nos institutions judiciaires les moyens de leur pleine indépendance. Il nous appartient d'accompagner leurs évolutions internes face aux défis du monde contemporain et de faire également en sorte qu'elles sachent répondre aux nouvelles attentes de régulation qu'expriment nos citoyens.

Ces défis sont nombreux, dans un monde dont les équilibres sont profondément modifiés voire perturbés. Les changements qui sont à l'oeuvre, écologiques, technologiques, géopolitiques, semblent atteindre nos civilisations dans leurs fondements mêmes. Leur ampleur impose plus que jamais un dialogue international et multilatéral que nous espérons fécond. L'action des Etats doit être claire et coordonnée pour encore et toujours porter la voix et préserver l'intérêt collectif de leurs citoyens, en un mot, pour faire vivre la démocratie.

C'est tout l'enjeu de la conférence qui nous réunit aujourd'hui.

Le sujet des défis du numérique pour la justice, est, en soi, immense. Un constat d'évidence s'impose à nous : l'espace numérique occupe aujourd'hui une place centrale dans nos sociétés démocratiques. Un processus de « disruption généralisée », rendu possible par la révolution informatique opérée au cours de la seconde moitié du siècle précédent, nous a fait entrer dans l'ère du numérique. Il est analysé par certains comme une véritable rupture anthropologique, à l'égal de l'invention de l'imprimerie, une rupture copernicienne dont nous commençons à peine à saisir les contours. Pour en appréhender les conséquences en termes d'Etat de droit, de souveraineté politique et économique, cette situation nouvelle exigera que nous développions « l'intelligence de demain », pour reprendre les mots du Président de la République française.

Connectivité des réseaux, essor de l'informatique en nuage (« Cloud ») et demain quantique, émergence des intelligences artificielles et techniques d'apprentissage automatisé, libéralisation du chiffrement, développement des blockchains, ne sont là que quelques exemples des nombreuses percées technologiques récentes qu'il nous faut appréhender. Elles révolutionnent en premier lieu l'industrie mais leur impact sur les activités judiciaires se pose ou se posera rapidement, en termes d'opportunités comme de risques.

Cette question a fait l'objet d'utiles et déjà nombreux travaux du Conseil de l'Europe, alimentant une réflexion riche, à la fois prospective et concrète sur ces sujets. Je citerai à cet égard la Charte éthique de l'intelligence artificielle adoptée le 3 décembre 2018 par l'assemblée plénière des 47 États membres de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice. La conférence de haut niveau organisée en février dernier par la présidence finlandaise sur le thème de la maîtrise des règles du jeu de l'intelligence artificielle, avait permis des échanges multidisciplinaires particulièrement stimulants. La création toute récente au sein du Conseil de l'Europe, d'un Comité ad hoc pour l'intelligence artificielle, chargé d'expertiser la faisabilité d'un texte contraignant en la matière, manifeste une volonté claire d'avancer ensemble, au plus vite, sur ces thématiques complexes.

Nos échanges durant ces deux jours porteront en particulier sur les bouleversements induits par le numérique dans l'accès au droit et à la justice sujet traité aujourd'hui et la justice pénale qui sera évoquée demain. Nous partagerons nos expériences et questionnements face à cette « révolution numérique » qui, je le crois, nous invite, voire nous impose, de redéfinir notre projet et de nos valeurs :

- En effet, comment utiliser au profit de la justice des instruments novateurs en préservant les droits fondamentaux qui structurent et font l'identité de l'espace européen ?
- Quelle réponse respectueuse de ces droits la justice peut-elle apporter aux nouvelles menaces que représente le numérique en termes de délinquance et de déstabilisation du débat public ?
- Comment articuler le rôle des opérateurs privés et celui de l'Etat dans le développement des outils numériques, alors que leur maîtrise constitue un enjeu économique et un vecteur essentiel de souveraineté ?

Vos contributions seront essentielles. En ce domaine où vérité scientifique et innovations législatives sont le fruit de tentatives encore hésitantes, chacun d'entre nous a une pierre à apporter à un édifice encore à bâtir.

J'aborderai plus particulièrement ici le sujet qui nous réunit aujourd'hui, à savoir les bouleversements induits par le numérique dans les rapports entre la justice et le citoyen, puis, devant ces défis spécifiques, la nécessité, d'inventer de nouveaux modes de régulation, pour que vivent les valeurs qui nous unissent.


I Le numérique comme bouleversement majeur dans les relations entre la justice et le citoyen

L'accès au droit et à la justice sont profondément modifiés par les enjeux liés à la numérisation, redessinant les équilibres existants entre différents droits et libertés.

A. L'accès au droit face à la révolution de la donnée

La connaissance du droit, que nous nous efforçons de bâtir dans ces enceintes est, pour le citoyen dont il régit la vie, un enjeu fondamental. Si l'adage latin postule que « nemo censetur ignorare legem », la complexité des règles applicables à chaque situation en même temps que l'empilement des normes, constitue aujourd'hui une réelle difficulté pour les citoyens, et sans doute même, pour les professionnels du droit ! Force est de constater que l'oracle de Goethe dans son Faust, suivant lequel « les lois et les droits se succèdent comme une éternelle maladie »,se réalise chaque jour davantage…

Il nous revient, à nous responsables politiques, de traiter ce mal en rendant l'accès au droit plus clair, plus aisé, pour les citoyens.

C'est une véritable question démocratique à laquelle la numérisation des données juridiques permet aujourd'hui des réponses nouvelles, encore appelées à connaître de grands développements.

En France, le portail « legifrance », créé en 1999, permet un accès à l'ensemble de la législation. Nous savons tous cependant le rôle fondamental joué par la jurisprudence en matière d'interprétation et d'évolution des normes. La numérisation des décisions de justice rendues par nos juridictions nationales constitue ainsi un chantier essentiel, en permettant par suite la diffusion en open data au profit du citoyen.

Si une telle diffusion est, en France, une obligation depuis une loi d'octobre 2016, les 4 millions de décisions de justice rendues annuellement ne pourront être accessibles en open data qu'aux prix d'efforts importants.

Cette dématérialisation est déjà une réalité pour nos cours suprêmes, Cour de cassation et Conseil d'Etat. Mais des investissements importants doivent encore être consentis par mon gouvernement pour assurer la diffusion de l'ensemble du droit aux citoyens. L'année prochaine, nous rendrons ainsi disponibles l'ensemble des décisions en matière de justice commerciale ce qui constituera une avancée considérable.

Cette mise à disposition du public des décisions de justice par voie numérique n'est pas sans enjeu quant au respect du droit à la vie privée du justiciable. L'anonymisation, ou plus modestement, la pseudonymisation des décisions, qui consiste à rendre non identifiables les personnes citées, est en effet un préalable indispensable. Cela demande cependant un travail considérable, pour lequel les ressources offertes par les algorithmes sont précieuses. Des projets innovants, associant ingénieurs spécialisés et juristes ont été élaborés afin de développer des méthodes informatiques d'anonymisation et de permettre ainsi une diffusion large des décisions de justice, respectueuse des droits de chacun.

La question de l'utilisation qui pourra être faite de ces données n'est pas non plus sans importance. Nous savons que les mécanismes d'intelligence artificielle, notamment d'apprentissage automatique par la machine, apporteront un éclairage nouveau sur le raisonnement juridique. Les contours d'une justice prédictive, grâce à une approche statistique des décisions, s'esquissent sous nos yeux et appellent déjà de notre part des réponses.

L'accès au droit semble devoir bénéficier considérablement de ces innovations pour le citoyen, tout comme les professionnels de la justice, aidés dans leur appréhension de la règle de droit. Cependant, les analyses statistiques individualisées des décisions de justice sont aussi porteuses d'un risque sur la personne du magistrat, d'une forme de pression lui faisant perdre son statut de « bouche de la loi » évoqué par Montesquieu. Dans cette perspective j'ai fait adopter le 23 mars dernier, une loi qui sanctionne pénalement le fait que des données d'identité des magistrats et de membres du greffe soient réutilisées afin d'évaluer, analyser, comparer ou prédire leurs pratiques professionnelles réelles ou supposées. Cette approche, qu'il pourrait être opportun de discuter lors de nos débats, recherche un équilibre entre le haut degré de protection que nécessitent les fonctions de juger et l'accès de tous au droit.

Car l'acte même de juger est remis en cause par les mécanismes à l'oeuvre dans la justice prédictive. Les rapports entre le raisonnement humain et celui de la machine sont profondément réinterrogés, au risque de voir la décision automatisée l'emporter sur la décision humaine. Une question nous est ainsi posée : les impératifs liés à accès au droit mèneront-ils à sacrifier le recours même à un juge humain, avec ses faiblesses et ses biais de raisonnement ?

Mes chers collègues, nous oeuvrons au coeur d'une institution vouée au respect des droits de l'homme. Et il me semble que c'est bien l'humain qui, dans l'esprit des valeurs qui nous animent, doit être placé au coeur de nos réflexions sur le numérique.

B. Placer l'humain au coeur des réflexions sur le numérique : l'accès à la justice

Des limites doivent donc être tracées entre le rôle du juge et celui de la machine. Le législateur français, dès la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, a posé un principe fondateur, selon lequel « aucune décision de justice impliquant une appréciation sur le comportement d'une personne ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé de données à caractère personnel ». La loi du 7 octobre 2016 impose la transparence des algorithmes utilisés par la puissance publique pour prendre des décisions individuelles. Sans doute ces principes devront-ils encore être affinés et appliqués aux multiples déclinaisons pratiques qui se présenteront. Vos expériences en la matière nous éclaireront.

L'accès à la personne d'un juge est considéré comme un moment essentiel du procès. Néanmoins, la rapidité et la fluidité des procédures sont aussi des enjeux décisifs pour nos systèmes judiciaires, souvent en difficulté pour rendre des décisions dans des délais raisonnables. Dans cette perspective, la loi française de mars 2019, à laquelle j'ai précédemment fait allusion, conçoit le recours au numérique comme une nouvelle offre de justice, permettant à l'usager de saisir la juridiction de manière dématérialisée et de communiquer tout au long de la procédure par voie électronique. Avec l'accord des parties, la procédure en matière civile pourra être traitée sans audience. Toutefois, les parties pourront solliciter une audience, cette demande ne pouvant être rejetée par le juge, le cas échéant, que par une décision motivée. Le juge lui-même pourra décider d'une audience s'il estime celle-ci nécessaire à la solution du litige.

Les avantages sont multiples. Le recours à la justice est facilité pour les personnes parfois éloignées des lieux de justice, ou pour lesquelles les contraintes d'un procès sont supérieures aux enjeux financiers. Cependant, pour les citoyens les plus défavorisés, l'accès et l'usage des interfaces numériques est parfois un défi en soi. La réalité de la fracture numérique ne doit pas être éludée. L'accès au droit et à la justice via le numérique doit aussi compléter l'accès physique sans s'y substituer. Enfin, des dispositions spécifiques sont prévues concernant l'accès à la justice pénale, qui présente des problématiques propres que nous examinerons demain.

Cette révolution de l'accès au droit et à la justice, ouvre ainsi d'immenses champs pour la réforme de la justice, tout en appelant à une légitime prudence. Mais, au-delà des institutions judiciaires, le numérique crée aussi, pour l'ensemble de la société, un nouveau paradigme, qui constitue un appel à inventer de nouveaux modes de régulation.


II. Le numérique comme appel à inventer de nouveaux modes de régulation

Cette exigence découle des risques induits par le numérique et des évolutions structurelles qui concerneront les métiers du droit. De nouveaux instruments de régulation apparaissent indispensables.

A. Des risques pour nos démocratie induits par le numérique

Le numérique ouvre la voie, dans l'ensemble de la société, à des possibilités immenses, cependant porteuses de risques. Le numérique a en effet facilité l'émergence de nouvelles formes de criminalité : les communications entre réseaux délinquants se trouvent facilitées, et paradoxalement, parfois même extrêmement bien protégées ! Nous évoquerons plus longuement ces enjeux demain.

Il est un phénomène qui atteint nos démocraties dans leurs fondements que je voudrais évoquer ici : celui des campagnes massives de diffusion de fausses informations destinées à modifier le cours normal du processus électoral. Cette diffusion est rendue possible par l'usage de moyens numériques, et souvent automatisés que tous nos Etats ne sont pas aujourd'hui réellement armés pour combattre technologiquement. Nous devons conserver une vigilance extrême à l'égard de ces menaces à liberté d'opinion, qui est au coeur même de la vie démocratique.

A cet égard, France s'est dotée le 22 décembre 2018, d'une loi « relative à la lutte contre la manipulation de l'information », imposant aux plateformes en ligne, ayant plus de 5 millions de visiteurs par mois, des obligations de transparence relatives aux informations sponsorisées ainsi que la désignation d'un représentant légal sur le territoire français. Une procédure judiciaire d'urgence, dite « référé anti-infox » est instaurée pour lutter contre la diffusion informations ou d'allégations inexactes ou trompeuses, de nature à altérer manifestement la sincérité du scrutin, et qui sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive sur internet. Le juge des référés, comme la cour d'appel, disposent chacun d'un délai de quarante-huit heures pour se prononcer et adopter toutes mesures utiles, allant jusqu'au retrait du contenu ou du blocage de l'accès au site.

Cette législation nationale, sans doute encore perfectible face à un défi d'une telle ampleur, confie ainsi à la justice la lourde tâche de préserver les conditions mêmes d'une élection démocratique. Elle dépend de l'encadrement donné aux nouveaux acteurs du droit mais ne trouvera réellement d'effet que si une régulation à l'échelle européenne et internationale lui est associée.

B. Les nouveaux acteurs du droit

Les outils numériques font émerger un monde nouveau à travers de nouveaux usages pour partie développés par des legaltechs en quête de création de valeur (Sur ces points voir Bruno Deffains, « Le monde du droit face à la transformation numérique », Pouvoirs, n°170, Seuil, Septembre 2019) Cette nouvelle approche d la valeur aura pour effet de modifier le modèle d'affaires des professionnels du droit avec un développement nécessaire de l'interprofessionnalité et des fonctions para légales et technologiques ainsi que l'essor de la tarification fixe à l'acte ou à l'abonnement.

Les legaltechs se développent aussi sur le registre de l'accès au droit en offrant soit des services d'assistance au choix d'un avocat, soit des conseils sur la manière d'engager une action, soit encore une assistance à la formalisation des demandes. Ces services en ligne prospèrent rapidement grâce à une concurrence par les prix nettement à leur avantage par rapport çà ceux induits par les voies de recours classiques.

La formation en droit est évidemment essentielle. Il n'est pas question de transformer les juristes en codeurs ou en développeurs mais il faut absolument leur donner cette possibilité de se former à l'utilisation des algorithmes, d'une blockchain ou de smart contacts. En somme, à défaut d'être la première legal tech de leurs pays, les Etats doivent pleinement s'impliquer dans le développement de ces nouveaux outils et dans toutes les conséquences que cela implique sur l'ensemble des professions du droit.

Bien entendu, s'agissant d'un champ régalien, il nous appartient de nous assurer que les enjeux de ces legaltechs sont bien guidés par l'intérêt général plutôt que dictés par un marché dont les défaillances peuvent apparaître assez rapidement.

Notre rôle et notre vigilance doivent être entiers pour instaurer de nouveaux instruments de régulation.

C. La recherche nécessaire de nouveaux instruments de régulation

Je souhaiterais que cette conférence soit le lieu d'une réflexion sur les instruments de régulation adaptés à ce nouveau paradigme. Ils devront redéfinir les limites entre acteurs privés et publics, acteurs nationaux et internationaux.

Les acteurs étatiques, dans un tel domaine, ne pourront se substituer au développement du secteur privé. La question de la labellisation d'acteurs privés du numérique, et le jour venu, de l'intelligence artificielle, me semble devoir être posée. Le législateur français a expérimenté, par la loi de mars 2019 déjà citée, la piste de la certification d'acteurs privés de la justice amiable. Elle a fixé comme critères de certification la présence d'une personne physique au sein de ces plateformes qui ne pourront être totalement automatisées, le respect de la protection des données à caractère personnel ainsi que les garanties d'indépendance et d'impartialité.

Au-delà de cet exemple précis, les réflexions en cours au sein de l'Union européenne pour parvenir à créer un label “IA de confiance” me semblent particulièrement prometteuses pour le citoyen qui, dès à présent, confie à des acteurs privés des données particulièrement sensibles. La confiance dans ces acteurs ne sera justifiée que si le traitement des données est assuré de façon technologiquement fiable, et dans le plein respect des droits de l'homme dont il nous appartient encore de penser les déclinaisons.

Le Conseil de l'Europe a su, je le disais en introduction, innover en matière de régulation du numérique. Il a posé dès 1985 un premier cadre réglementaire : la convention 108 sur le traitement automatisé et la protection des données personnelles prévoit ainsi une approche technologiquement neutre et basée sur des principes fondamentaux. Malgré sa force indéniable, sa modernisation par la Convention 108 modernisée, dite 108 + a semblé nécessaire. Elle permet de répondre aux défis nés de l'usage des nouvelles technologies de l'information et de la communication et de renforcer l'effectivité du texte initial, ce qui implique nécessairement qu'il soit ratifié par le plus grand nombre possible d'Etats.

L'approche éthique privilégiée par la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) dans sa charte de décembre 2018 manifeste déjà une réflexion très avancée sur les enjeux liés à l'intelligence artificielle. Respect des droits fondamentaux, mais aussi non-discrimination, neutralité, transparence, maîtrise de l'utilisateur, sécurité de l'hébergement, usage contrôlé de la justice prédictive, il nous appartient d'approfondir et de décliner encore ces principes. Leur respect, dont nous sommes les garants, nous, responsables politiques, , pose en pratique d'immenses défis.

Il reviendra au Comité ad hoc sur l'intelligence artificielle, tout récemment mis en place par le Comité des ministres, d'évaluer la faisabilité d'un cadre juridique spécifique. C'est ici à Strasbourg qu'il se réunira pour la première fois en novembre prochain. Je me réjouis qu'une telle instance puisse prolonger nos travaux et leur assurer pérennité et mise en perspective.

Ainsi que l'exprime Cédric Villani, médaille Fields, « l'IA n'est pas juste un sujet technique : c'est avant tout un sujet politique et humain, dans lequel les verrous les plus importants sont d'ordre émotif, psychologique et culturel. ». Et précisément, nous, Etats du Conseil de l'Europe, partageons un intérêt commun à élaborer les contours d'un usage raisonné du numérique, respectueux des droits de l'homme qui sont notre lien indissoluble. Nul Etat, devant un tel défi, ne saurait trouver seul les réponses adaptées. Nos échanges au cours de ces deux jours traduiront la richesse d'une réflexion commune, et permettront de poursuivre les actions déjà exemplaires conduites par le Conseil de l'Europe en la matière.


Merci, par votre présence et vos propos, de les faire vivre.


Source https://rm.coe.int, le 28 octobre 2019