Interview de M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à Europe 1 le 16 mai 2019, sur les dangers pour la santé du glyphosate et la mise en œuvre d'une agriculture respectueuse de l'environnement.

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Média : Europe 1

Texte intégral

AUDREY CRESPO-MARA
Bonjour Didier GUILLAUME.

DIDIER GUILLAUME
Bonjour.

AUDREY CRESPO-MARA
Etes-vous réellement convaincu que le glyphosate utilisé dans les pesticides est un produit dangereux ?

DIDIER GUILLAUME
Oui. Oui, c'est un produit dangereux, c'est pour ça que le gouvernement souhaite en sortir, et c'est pour ça que le président de la République a annoncé qu'il fallait quitter le glyphosate, sortir de la dépendance au glyphosate, en 2021.

AUDREY CRESPO-MARA
Pourtant, un rapport parlementaire sur le glyphosate a été présenté aujourd'hui, et l'un de ses auteurs affirme qu'il n'existe aucune preuve que le glyphosate soit vraiment cancérigène.

DIDIER GUILLAUME
Après, c'est le débat scientifique et c'est le débat du principe de précaution. Les agences indépendantes de santé ne sont pas toutes en ligne sur la dangerosité pour l'homme, elles sont en ligne sur la dangerosité, pour l'environnement. Dangereux pour l'environnement. Pour l'homme on voit bien que ce qui se passe, on voit bien ce qui s'est passé avec monsieur FRANÇOIS qui a gagné son procès…

AUDREY CRESPO-MARA
L'agriculteur.

DIDIER GUILLAUME
L'agriculteur qui a... Bon, on voit bien que c'est dangereux pour l'homme. Est-ce que c'est cancérigène, sûr, les agences n'en sont pas certaines apparemment, mais en tout cas il faut sortir du glyphosate.

AUDREY CRESPO-MARA
Alors, prenons l'OMS. L'OMS, l'Organisation Mondiale de la Santé, a classé le glyphosate parmi les produits probablement cancérigènes. Est-ce que ça suffit pour décider d'en interdire l'usage ?

DIDIER GUILLAUME
Oui. Ça suffit, c'est le principe de précaution. A partir du moment où c'est probablement cancérigène, le gouvernement et moi-même sommes là pour défendre, pour protéger la sécurité et la santé de nos concitoyens.

AUDREY CRESPO-MARA
L'OMS a classé la viande rouge dans la même catégorie que le glyphosate, le groupe 2A, celui des produits probablement cancérogènes. Faut-il prendre des mesures pour limiter la consommation de viande rouge ?

DIDIER GUILLAUME
Mais aujourd'hui, les gens limitent la consommation de viande rouge. Moi…

AUDREY CRESPO-MARA
Est-ce qu'on les alerte suffisamment sur la dangerosité ?

DIDIER GUILLAUME
Oui, je le pense. Je le pense. Le Salon de l'agriculture, c'était uniquement là-dessus, les stands de la viande c'était flexitarien, on mange de la viande moins, mais comme on en veut. Enfin voilà. Moi je ne veux pas comparer la viande rouge et le glyphosate.

AUDREY CRESPO-MARA
Eh bien c'est dans la même catégorie, pourtant.

DIDIER GUILLAUME
Oui oui d'accord, mais il y a plein de choses qui sont dans la même catégorie. Les cigarettes sont totalement cancérogènes, on ne les interdit pas. Bon. Donc la prohibition ce n'est pas ça le sujet, moi je pense qu'il faut dire aux gens, simplement, que le principe de précaution doit s'appliquer et que le gouvernement décide d'arrêter, d'interdire le glyphosate, et que, en ce qui concerne la viande, il faut manger de la viande, on mange de la viande comme on veut, peut-être moins qu'on en mangeait à l'époque, mais bien sûr.

AUDREY CRESPO-MARA
Toujours selon l'OMS, il y a pire que le glyphosate et la viande rouge, c'est la charcuterie, là on passe dans les catégories des produits dont le caractère cancérogène ne fait pas de doute. Alors faut-il surtaxer le saucisson, comme on surtaxe les cigarettes ?

DIDIER GUILLAUME
Non mais adressez-vous à un professeur de médecine, pas à un politique. Si vous me parlez à moi…

AUDREY CRESPO-MARA
Ah ben si. Ah ben ça fait partie de vos responsabilités.

DIDIER GUILLAUME
Non, ah ben non, je vous dis non. Si vous me parlez à moi…

AUDREY CRESPO-MARA
D'alerter sur la dangerosité de la charcuterie notamment.

DIDIER GUILLAUME
Bien sûr, mais tout le monde sait qu'il ne faut pas, n'importe quel médecin, surtout quand on a mon âge, quand on fait des prises de sang, on dit : « Si vous mangez trop de charcuterie, le cholestérol etc. », enfin je ne veux pas rentrer dans cette aventure. Je crois que le sujet qui nous importe aujourd'hui, c'est de se dire que la France va être le premier pays au monde, le premier pays au monde à sortir du glyphosate, et le premier pays au monde à faire baisser sa dépendance aux produits phytosanitaires en 2025 de 50 %. Premier pays au monde.

AUDREY CRESPO-MARA
Didier GUILLAUME, la France a attendu 1997 pour interdire l'amiante, alors que le Parlement européen dénonçait son caractère cancérigène depuis 1978. Est-ce qu'on ne risque pas le même genre de scandale sanitaire avec le glyphosate ?

DIDIER GUILLAUME
Mais là nous faisons l'inverse, c'est totalement l'inverse, c'est-à-dire que le Parlement européen…

AUDREY CRESPO-MARA
On ne l'arrête pas immédiatement.

DIDIER GUILLAUME
Le Parlement européen a remis 5 ans pour le glyphosate, et nous, nous disons non, 3 ans. Donc nous allons plus vite.

AUDREY CRESPO-MARA
Et pas tout de suite.

DIDIER GUILLAUME
Mais tout de suite c'est impossible, parce que si on disait : demain le glyphosate est interdit, on met dans l'impasse toute une partie de l'agriculture française…

AUDREY CRESPO-MARA
Qui n'a pas encore d'alternative.

DIDIER GUILLAUME
Qui n'a pas encore d'alternative, et surtout, nous perdrions notre indépendance alimentaire. Donc il faut faire cette transition, certes il faut la faire rapidement, mais il faut permettre à l'agriculture de muter, la culture est en train de muter.

AUDREY CRESPO-MARA
En 2005, le Sénat a publié un rapport accablant contre les lobbies industriels qui ont retardé par exemple l'interdiction de l'amiante. Dans le cas du glyphosate, est-ce que le lobbying de MONSANTO contribue à retarder son interdiction ? Mondialement, j'entends.

DIDIER GUILLAUME
Mondialement, je ne sais pas répondre à votre question. En tout cas en ce qui concerne la France…

AUDREY CRESPO-MARA
Il n'y a pas de pression en France, de MONSANTO ?

DIDIER GUILLAUME
Il n'y a pas de pression. Je ne vois pas à qui il mettrait des pressions. Nous, nous décidons d'interdire le glyphosate, nous l'interdisons, nous ne demandons pas l'avis à monsieur MONSANTO, à monsieur BAYER ou à monsieur je ne sais pas trop qui.

AUDREY CRESPO-MARA
Didier GUILLAUME, on a découvert que MONSANTO fichait les opposants au glyphosate…

DIDIER GUILLAUME
C'est scandaleux !

AUDREY CRESPO-MARA
Vous avez été classé dans la catégorie des détracteurs de ce produit.

DIDIER GUILLAUME
Oui, eh bien c'est une médaille, c'est une médaille que j'affiche à la veste, je suis assez content d'être détracteur de ce produit, moi qui ai fait de mon département le premier département bio de France, je suis très content d'être détracteur de tous ces produits. Moi, ce qui m'importe, c'est la transition agro-écologique. Ce n'est pas des mots, c'est que l'agriculture se fasse le mieux possible, pas comme on l'a fait ces 40 dernières années. Et en même temps je ne jette pas la pierre à ceux à qui on a demandé après la Seconde Guerre mondiale de nourrir la France et de nourrir l'Europe. Je veux…

AUDREY CRESPO-MARA
L'agriculture intensive.

DIDIER GUILLAUME
Oui, l'agriculture intensive, et je veux quand même rappeler que notre alimentation elle est saine, elle est sûre, elle est durable, et elle n'empoisonne pas les gens.

AUDREY CRESPO-MARA
Vous parliez, vous disiez : c'est un scandale ce fichage de MONSANTO.

DIDIER GUILLAUME
Oui, c'est un scandale, oui.

AUDREY CRESPO-MARA
Vous le vivez comme ça.

DIDIER GUILLAUME
Eh bien écoutez, qu'est-ce que c'est ? On vit en démocratie, on est fiché, qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Donc il y a des organismes dépendant du ministère de l'Agriculture qui portent plainte, comme l'INRA, d'autres le font, la justice fera son oeuvre, on verra ce qui se passera.

AUDREY CRESPO-MARA
Alors, en tant que détracteur de MONSANTO, est-ce que ça vous a également réjoui d'apprendre que cette multinationale a été condamnée par la justice américaine, et qu'elle va devoir verser 2 milliards de dollars à un couple atteint d'un cancer lié au glyphosate ?

DIDIER GUILLAUME
Mais ça ne m'a pas réjoui, 2 milliards de dollars, je ne sais même pas ce que ça veut dire. Non, ce qui m'importe moi c'est qu'aujourd'hui la justice, lorsqu'il y a des maladies avérées d'agriculteurs, eh bien fasse son oeuvre et condamne. J'ai rencontré dernièrement monsieur Paul FRANÇOIS, céréalier en France, qui a mis une dizaine d'années de combat contre MONSANTO, qui a gagné son procès, qui va être indemnisé. Je crois que c'est très important, si des agriculteurs ont réellement la maladie professionnelle liée à ces produits-là, alors c'est normal que la justice fasse son oeuvre et que MONSANTO soit condamné.

AUDREY CRESPO-MARA
Est-ce que vous souhaitez que le cas de cet agriculteur fasse jurisprudence en France ?

DIDIER GUILLAUME
Il fera de fait jurisprudence. Il faut d'abord voir…

AUDREY CRESPO-MARA
Mais vous le souhaitez, vous.

DIDIER GUILLAUME
Mais on ne peut pas souhaiter cela, moi je ne souhaite pas que nos agriculteurs... qu'il y ait des cancers ou qu'ils soient malades, bien évidemment.

AUDREY CRESPO-MARA
Non, bien sûr, mais que ce soit davantage reconnu.

DIDIER GUILLAUME
Mais évidemment ça sera reconnu.

AUDREY CRESPO-MARA
Voilà.

DIDIER GUILLAUME
D'ailleurs la France va mettre en place un fonds phyto, pour indemniser les agriculteurs victimes des maladies professionnelles. C'est très important. Là encore ça sera unique, unique. Les avancées que nous avons, qu'a ce gouvernement pour interdire le glyphosate, pour arrêter la dépendance aux produits phytopharmaceutiques, pour faire en sorte de reconnaître les maladies professionnelles, c'est d'énormes avancées.

AUDREY CRESPO-MARA
Didier GUILLAUME, il y a 15 jours dans la Drôme, vous avez dit que l'avenir, qu'à l'avenir il faudrait revenir à l'agriculture telle que la pratiquaient nos grands-parents. Ça veut dire... est-ce que ça veut dire qu'il va falloir produire moins pour protéger la nature ?

DIDIER GUILLAUME
Mais non, mais ce n'est pas du tout, enfin, j'ai prononcé cette phrase, mais c'est dans un contexte j'allais dire même un peu bucolique. Ce que je veux dire, c'est que moi quand je roulais dans ma voiture étant jeune, il y avait des, excusez-moi d'être concret, mais des mouchillons, des moustiques sur le pare-brise.

AUDREY CRESPO-MARA
Il n'y en a plus.

DIDIER GUILLAUME
Aujourd'hui il n'y a plus rien. Aujourd'hui il n'y a plus de haies, aujourd'hui il n'y a plus d'oiseaux qui nichent, il n'y a plus de biodiversité, il n'y a plus de vers de terre dans les champs. Je me rappelle, quand on allait à la pêche, on allait chercher nos vers de terre. Mais qu'est-ce qu'il faut faire ? C'est revenir à cela. Pour revenir à cela, c'est la transition agro-écologique, c'est moins de pesticides, c'est refaire de la biodiversité et c'est de faire tout simplement de la rotation des sols. Moi je ne veux plus voir l'hiver des grands champs labourés, enfin je ne veux pas rentrer dans la technique, mais il faut faire de l'assolement, de la rotation des semis, des prairies permanentes, c'est ça l'agriculture à laquelle je veux revenir, mais en même temps il faut une agriculture qui soit innovante, compétitive, il faut de la recherche. Je ne veux pas revenir à l'agriculture avec mon cheval et tout cela. Non, il faut arrêter les caricatures, ce n'est pas vous, mais je sais qu'elle a été faite, cette caricature.

AUDREY CRESPO-MARA
Elle a été faite par Laurent ALEXANDRE notamment, puisque vous pensez à lui j'imagine. Merci beaucoup.

DIDIER GUILLAUME
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 mai 2019