Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2020 (nos 2272, 2301).
Nous abordons l'examen des crédits relatifs à la justice (no 2301, annexe 29 ; no 2306, tomes IV et V).
(...)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je tâcherai de répondre à vos très nombreuses questions, dont certaines trouveront également réponse lors du débat sur les amendements correspondants.
Monsieur le rapporteur spécial, vous avez fait état de plusieurs éléments positifs attestant de l'augmentation du budget de la justice mais constaté un « décrochage ». Je n'emploierai pas ce terme et parlerai plutôt d'adaptation à la réalité d'une situation car, comme vous le savez, les crédits supprimés reflètent pour l'essentiel les retards d'un certain nombre de projets immobiliers pénitentiaires.
J'ai moins bien compris votre affirmation selon laquelle l'évolution de la masse salariale est quasi nulle. Vous craignez de ce fait que nous ne puissions pas financer les emplois prévus dans ce budget. Je ne partage pas cette certitude : je constate une augmentation de 100 millions d'euros en 2020 par rapport à 2019, soit 2,6% supplémentaires, ce qui suffit évidemment pour créer les 1 520 emplois concernés et financer les mesures salariales prévues. De même, les 17,9 millions d'euros prévus pour les juridictions correspondent aux besoins de financement de leurs 384 emplois supplémentaires. Je n'ai donc pas compris votre observation mais peut-être aurons-nous la possibilité d'en discuter plus avant.
Au fond, vous craignez que ce budget soit fait d'effets d'annonce et de communication. Ce n'est pas du tout l'objet : nous faisons ce que nous disons et y consacrons les moyens. Cette réponse s'adresse également aux députés craignant que certaines mesures, notamment en matière de lutte contre les violences familiales, ne fassent pas l'objet d'un financement adapté.
M. Questel, je vous remercie d'avoir estimé que ce budget permet une action efficace et humaine car c'est précisément ce que nous recherchons. Je me déplace souvent sur le terrain : la réforme de l'organisation judiciaire suscite parfois des inquiétudes mais surtout beaucoup d'enthousiasme parce qu'elle est une réforme de proximité conçue pour être humaine, objective et adaptée à la situation des justiciables.
Comme en commission, vous avez longuement abordé la question de la santé en détention. Je vous ferai la même réponse : nous travaillons à la deuxième vague des UHSA et, avec Mme Buzyn et Mme Dubos, j'ai présenté en juillet un plan sur la prise en charge de la santé en détention qui nous permettra d'avancer. Il va de soi qu'il s'agit d'un sujet très délicat auquel je suis prête à continuer de réfléchir avec vous.
Je vous remercie, monsieur Houbron, de vos propositions sur la médiation. J'étais ce matin même à la chambre de médiation de Dax, animée par des avocats avec le soutien d'associations. J'ai pu y mesurer à quel point ce lieu qu'ils ont créé pour la médiation – y compris familiale, mais pas seulement – est vivant et porteur d'espoir face aux conflits qui traversent la société, et qui ne trouvent pas forcément tous une résolution contentieuse. À l'évidence, il faut développer ce système de médiation ; je vous remercie d'avoir formulé des propositions en ce sens, sur lesquelles nous reviendrons tout à l'heure.
M. Molac – je le cherche des yeux en vain – a abordé plusieurs opérations immobilières pénitentiaires. Nous suivons ce dossier : s'il y a des retards, l'ensemble de l'opération – à savoir la création de 15 000 places de prison – se fera d'ici à la fin du quinquennat de 2027. Les crédits seront programmés mais seront consommés plus tardivement.
Monsieur Bernalicis, vous avez évoqué une forte distorsion entre les crédits de la justice judiciaire et ceux de l'administration pénitentiaire. Là encore, je n'ai pas bien compris : les chiffres dont je dispose et qui ressortent du budget tel que nous vous le présentons sont très différents. La part des services judiciaires dans le budget de la justice est de 37%, celle de l'administration pénitentiaire de 40%, et, dans l'un et l'autre cas, le budget augmente.
M. Ugo Bernalicis. J'ai parlé de leur augmentation respective : 0,32% dans un cas et 5% dans l'autre ! Les courbes ne sont pas parallèles ! Ne faites pas semblant de ne pas comprendre !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Quant aux échanges de courriels, j'ai répondu lors des questions au Gouvernement et je le répète clairement : il n'y a aucune prise de décision partisane – aucune. Ce serait tout à fait contraire à mon éthique de la décision publique et à la procédure inscrite en toutes lettres dans la loi de programmation que vous avez adoptée le 23 mars.
M. Ugo Bernalicis. C'est donc le Premier ministre qui est en faute ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur Peu, vous avez évoqué une faiblesse des moyens et affirmé que la réforme de l'organisation du système judiciaire était très contestée par les professions du droit. Ce n'est pas mon sentiment ; au contraire, j'ai l'impression que cette réforme juridictionnelle offre de nouveaux possibles aux juridictions et j'y accorde beaucoup d'importance. En outre, je le répète, il sera proposé aux tribunaux de proximité des accroissements de compétences qui permettront également de rendre la justice plus proche des justiciables.
Nous aurons, madame Louis, l'occasion de revenir sur la justice des mineurs, qui fait l'objet d'une hausse de moyens budgétaires avec une augmentation de soixante-dix postes de magistrats, de cent postes de greffiers et de quatre-vingt-quatorze postes pour la protection judiciaire de la jeunesse. Nous déployons les moyens nécessaires à la réforme que nous conduisons.
Il en va de même des violences conjugales : nous ferons une annonce et les crédits correspondants seront prévus.
Enfin, vous avez évoqué la transformation numérique de la justice, dossier que vous suivez de près. Là encore, des moyens importants y sont affectés, avec des moyens supplémentaires et des emplois créés. C'est ainsi que nous pouvons transformer la vie du justiciable, par un accès plus immédiat grâce au numérique.
J'ai apprécié l'ambivalence de votre propos, monsieur Savignat, entre relativiser la hausse de crédits, s'en féliciter ou la refuser au motif qu'elle est insuffisante.
Je désapprouve néanmoins votre affirmation selon laquelle le budget de la justice serait sourd aux différentes évolutions que je défends par ailleurs, sourd à la nouvelle politique pénale et sourd à l'amélioration de la situation dans les prisons. Bien au contraire, les crédits sont affectés pour que cette politique pénale soit conduite afin d'améliorer la vie en détention – je ne reviens pas sur les constructions pénitentiaires et sur les mesures législatives que nous avons prises et auxquelles vous avez largement participé.
Autre sujet que vous avez évoqué : je suis très attaché à la sincérité budgétaire. C'est pourquoi je n'ai pas caché en commission les effets de la rebudgétisation des taxes affectées à l'aide juridictionnelle. Je n'afficherai pas non plus des crédits importants pour des opérations immobilières qui, comme je vous l'ai dit, sont décalées ; les crédits viendront lorsque ces opérations pourront effectivement être conduites. Je n'ai pas honte de faire des économies. Je vous ai également dit en commission que, grâce à la PNIJ, la plateforme nationale des interceptions judiciaires, nous avons pu réaliser des économies qui se traduisent dans le budget et qui sont réaffectées ailleurs ; c'est un point important.
Je vous remercie, monsieur Balanant, d'avoir souligné les efforts financiers consentis en lien avec nos priorités. En effet, il est très important que nous soyons cohérents avec nos annonces et leur suivi budgétaire.
Vous avez rappelé, monsieur David, le SOS de détresse lancé par mon « antéprédecesseur » en 2016. Comme je vous l'ai déjà dit, Jean-Jacques Urvoas souhaitait la programmation d'1 milliard d'euros, et nous avons déjà atteint 780 millions. Autrement dit, nous dépasserons avant la fin du quinquennat le milliard d'euros que M. Urvoas avait très légitimement souhaité affecter à la justice.
Vous vous appuyez sur les rapports de la Cour des comptes pour cibler les difficultés que nous pourrions connaître, mais sachez que nous y remédions : M. le directeur des services judiciaires s'emploie à finaliser un outil visant à mieux connaître la réalité du travail des magistrats et, avec Mme la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse, nous mettons en place des outils de pilotage visant à mesurer l'impact des réformes que nous déployons.
Enfin, monsieur Dunoyer, vous avez noté que les travaux de Koné avancent dans les temps et que les crédits y seront affectés, puisque nous entrons dans la phase importante des travaux. Autre point important, l'ouverture de cet établissement permettra de soulager l'autre établissement, celui de Camp Est. Nous avons évidemment lancé une programmation de travaux selon le schéma directeur pour Camp Est.
Conformément à l'une de vos demandes, nous avons veillé à ce qu'il y ait des TIG en milieu coutumier ; le décret vient d'être transmis au Conseil d'État.
En somme, nous avons le souci de la sincérité des réformes annoncées et de leur financement, et celui, je le répète encore devant vous, d'une justice de proximité. C'est ce que traduit ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. Nous en venons aux questions – en l'occurrence, il n'y en a qu'une. Je vous rappelle que la durée des questions et des réponses est fixée à deux minutes.
La parole est à Mme Naïma Moutchou.
Mme Naïma Moutchou. Plus que jamais, les femmes victimes de violences conjugales ont besoin de justice. Elles ont besoin que la justice les accompagne. Elles sont souvent seules et isolées : 81 % de celles qui demandent une ordonnance de protection sont en situation de grande précarité économique. Dans la moitié des cas, cette précarité est liée à l'absence d'emploi, à quoi s'ajoute un quart de travailleuses pauvres.
Ces chiffres doivent nous faire réagir. Ils signifient que ces femmes sont dans une situation de dépendance financière qui rend plus difficile le paiement des frais de justice. En tant que victimes, elles ont le courage d'être à l'initiative d'une procédure et devraient être prises en charge par un avocat capable, dans ces moments de fragilité, de les orienter et de les conseiller. En pratique, néanmoins, elles n'ont droit à cet avocat par le biais de l'aide juridictionnelle que lorsque le parquet a statué sur les suites de la procédure, c'est-à-dire des mois après le début de l'enquête, alors même qu'un individu gardé à vue, quel que soit le motif – pour violences conjugales, par exemple – bénéficie en droit d'une prise en charge dès la première minute de garde à vue.
Dans le cadre de la mission que j'ai conduite avec Philippe Gosselin sur la réforme de l'aide juridictionnelle, et dans le prolongement des travaux de Dimitri Houbron, nous proposons une mesure forte : l'aide juridictionnelle pour les femmes victimes de violences, sans condition de ressources et dès le dépôt de la plainte. Nous connaissons les obstacles constitutionnels : l'aide juridictionnelle est l'égal accès de tous à la justice et cette exception pourrait certes poser problème. En réalité, cependant, il existe déjà des catégories de publics pour lesquels la condition de ressources n'est pas exigée – je pense aux victimes d'actes de torture ou d'actes de barbarie, aux victimes d'actes de terrorisme, etc. Pour contourner l'obstacle juridique, il pourrait être proposé une aide juridictionnelle provisoire comme le font certains barreaux, avec un contrôle des ressources pendant la procédure.
Tel est l'état de nos propositions, madame la garde des sceaux. Y êtes-vous favorable ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je vous remercie infiniment, madame Moutchou, pour cette proposition, que vous m'avez présentée voici quelques jours au terme des travaux que vous avez conduits avec Philippe Gosselin. Vous avez raison : nous avons déjà évoqué ce sujet lors de l'examen du projet de loi sur la justice. Vous connaissez également mon engagement total pour protéger les femmes victimes de violences conjugales. Je pense comme vous que les avocats ont un rôle essentiel à jouer dans cet accompagnement. Et, à mon sens, l'important est de trouver l'accompagnement le plus efficace qui soit.
Vous proposez dans votre rapport d'accorder l'aide juridictionnelle de plein droit, dès le dépôt de la plainte. Cette proposition doit être approfondie afin d'en mesurer la faisabilité et les conséquences. L'aide juridictionnelle, comme vous l'avez rappelé, repose sur le principe de la condition de ressources. Autrement dit, l'aide juridictionnelle de plein droit est exceptionnelle dans les cas que vous avez cités.
Si le bénéfice de l'AJ était ouvert de plein droit aux victimes de violences conjugales, la question suivante se poserait : ne pourrait-on pas l'élargir à toutes les victimes d'infractions entraînant le même niveau de peine ? Voilà pourquoi nous devons vraiment réfléchir devons réfléchir à la meilleure manière de traiter ce sujet.
L'enjeu est de répondre à la question opérationnelle de la lutte contre les violences conjugales. J'ignore si la simple désignation d'un avocat commis d'office offrirait la réponse la plus adaptée à tous les cas. Elle serait utile dans certaines situations, c'est certain, mais le serait-elle dans toutes ?
Dans mon ministère, j'ai installé un groupe de travail, lié au Grenelle des violences conjugales, qui étudie le sujet ; dans ce cadre, je souhaite examiner avec les avocats la possibilité d'instaurer des permanences d'avocats spécialisés, qui pourraient conseiller les victimes de violences conjugales sur les démarches à entreprendre et, le cas échéant, les assister dans leur demande d'une ordonnance de protection. Je souhaite que les résultats de ce groupe de travail vous soient présentés et que nous trouvions la solution la plus adaptée avant la fin du Grenelle, c'est-à-dire avant le 25 novembre prochain. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 30 octobre 2019