Déclaration de Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé à Public Sénat le 31 octobre 2019, sur les déserts médicaux, l'accès aux soins des étrangers, l'usine Lubrizol et le budget de la sécurité sociale.

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Texte intégral

ORIANE MANCINI
Et notre invitée politique ce matin c'est Agnès BUZYN, bonjour.

AGNES BUZYN
Bonjour.

ORIANE MANCINI
Vous êtes ministre des Solidarités et de la Santé, merci d'être avec nous ce matin, vous êtes avec nous pendant 20 minutes, pour une interview en partenariat avec la presse quotidienne régionale représentée par Julien LECUYER, bonjour.

JULIEN LECUYER
Bonjour Oriane.

ORIANE MANCINI
Julien, de La Voix du Nord. On va commencer en parlant de la Seine-Saint-Denis, vous serez ce matin aux côtés d'Edouard PHILIPPE à Bobigny, le Premier ministre qui va annoncer des mesures en faveur de ce département, l'un des plus pauvres de France. Quelles seront les mesures en matière de santé, Madame la ministre ?

AGNES BUZYN
Alors, en matière de santé, c'est un département qui a énormément de besoins, d'abord il a une population souvent précaire, avec des problématiques de santé particulières, et il a une désertification médicale avérée, sur laquelle nous souhaitons agir, donc il y aura des mesures pour aider les jeunes médecins à l'installation. Nous avons aussi besoin de renforcer et de rénover les établissements de santé, les hôpitaux, et donc il y a des mesures évidemment en faveur de la modernisation du système de santé localement…

ORIANE MANCINI
C'est-à-dire des crédits supplémentaires pour ces établissements de santé ?

AGNES BUZYN
Des crédits, et donc les annonces seront faites évidemment sur place.

JULIEN LECUYER
Pour la désertification, est-ce qu'on pense à des aides financières concrètement pour les médecins ?

AGNES BUZYN
Oui, il y a des aides à l'installation qui existent déjà dans les territoires désertifiés, mais nous avons besoin, spécifiquement en Seine-Saint-Denis, de favoriser l'émergence de centres de santé, de maisons de Santé pluri-professionnelles, qui permet un exercice à plusieurs, avec différentes professions de santé représentées, il y a besoin d'infirmiers, de kinésithérapeutes, de sages-femmes, de médecins bien entendu, et tout cela revitalise, en fait, un réseau de santé dans un territoire.

ORIANE MANCINI
Donc il y aura des mesures de santé vraiment spécifiques à ce département.

AGNES BUZYN
Absolument.

ORIANE MANCINI
On suivra tout ça tout à l'heure. Emmanuel MACRON qui s'affiche cette semaine en Une de « Valeurs Actuelles », un long entretien, sur l'immigration, sur le voile, sur la lutte contre le communautarisme. Est-ce que dans le contexte actuel vous trouvez ça opportun de donner un entretien à « Valeurs Actuelles » ?

AGNES BUZYN
Ecoutez, le président de la République a choisi de parler à tous les Français, et donc à tous les lectorats, il n'en reste pas moins fidèle à ses valeurs, et fidèle à la ligne qu'il tient, la ligne du « en même temps », c'est-à-dire notamment, sur l'immigration, bien accueillir ceux qui ont vocation à rester, à être réfugiés sur notre territoire, et mieux gérer évidemment les flux migratoires. Le « en même temps » c'est aussi vrai pour la laïcité, c'est-à-dire une laïcité réaffirmée, sur la base de la loi de 1905, avec une lutte, par contre, contre le communautarisme qui s'installe dans certains quartiers, et un islamisme politique, voire radical, sur lequel nous souhaitons agir.

JULIEN LECUYER
On a parlé, durant les déclarations sur l'immigration d'Edouard PHILIPPE à l'Assemblée nationale, de l'AME, comment vous allez traiter le problème, on entend parler d'un délai de carence qui serait mis en place, est-ce que vous validez cette réforme ?

AGNES BUZYN
Alors, le délai de carence ce n'est pas pour l'AME, c'est pour un autre dispositif, c'est pour, en fait, les demandeurs d'asile qui, lorsqu'ils déposent un dossier de demande d'asile dans notre pays, obtiennent systématiquement ce qu'on appelle la PUMa, c'est-à-dire l'Assurance maladie, la même que celle qui bénéficie à tous les Français. C'est du droit international, qui fait que quand on est réfugié dans un territoire, on a les mêmes droits que les personnes qui habitent dans le territoire. Simplement, nous nous avons l'impression, et c'est la question qui est travaillée, que ce système est dévoyé, et qu'il y a certaines filières qui viennent, de personnes, qui demandent l'asile, uniquement pour se faire soigner, via l'accessibilité à l'Assurance maladie, ce sont notamment des personnes qui demandent l'asile, alors qu'ils habitent dans des pays sûrs. Et donc, le délai de carence serait, pour ce dispositif-là, c'est-à-dire qu'on reculerait de 3 mois le moment où on peut accéder à la même Assurance maladie que l'ensemble des Français, ce qui permettrait d'éviter que des gens, dès qu'ils demandent l'asile, puissent accéder aux soins normalement. Ça ne touche pas l'AME, l'AME est un autre dispositif pour les personnes en situation irrégulière, et là, de toute façon, il faut déjà être depuis 3 mois sur le territoire français pour en bénéficier.

JULIEN LECUYER
Mais cela dit, vous pouvez confirmer que les demandeurs d'asile auront droit aux soins d'urgence dès qu'ils arrivent, la prise en charge sera similaire ?

AGNES BUZYN
Alors, de toute façon, tout le monde a le droit aux soins urgents, évidemment, quand il n'y a pas l'Assurance maladie générale, il y a accès aux soins urgents, c'est-à-dire que si on est malade et qu'on a besoin d'être soigné, on peut être pris en charge dans un hôpital français, on ne laisse personne mourir dans la rue dans notre pays, et, encore moins pour des raisons financières que pour des raisons d'appartenance à tel ou tel pays. Donc, tout le monde a le droit d'être soigné en urgence, et ça, ça s'adresse à l'ensemble des migrants dès qu'ils arrivent sur le sol français.

ORIANE MANCINI
C'est ce que dit Emmanuel MACRON dans cet entretien à « Valeurs Actuelles. » Juste, sur ce délai de carence, il sera mis en place quand du coup ?

AGNES BUZYN
Pour l'instant les choix du gouvernement ne sont pas arrêtés, ce sont des pistes sur lesquelles nous travaillons, un certain nombre de pistes ont été explorées par l'Inspection générale des affaires sociales et des finances, l'IGAS, et l'IGF, qui doivent me remettre un rapport, et donc on leur a demandé d'explorer toutes les pistes, pour lutter essentiellement contre la fraude et le dévoiement de notre système, et donc j'attends ce rapport pour proposer des pistes.

ORIANE MANCINI
Mais ce sont des pistes plus qu'avancées, puisqu'Emmanuel MACRON en parle très clairement dans « Valeurs Actuelles » de ce délai de carence.

AGNES BUZYN
Cela me semble une piste très intéressante sur laquelle nous avons d'ores et déjà travaillé, mais le Premier ministre annoncera l'ensemble des mesures, autour de l'immigration, la semaine prochaine, et donc un certain nombre de pistes sont encore en cours d'instruction.

JULIEN LECUYER
Et sur le tourisme médical, ce sera pareil ?

AGNES BUZYN
Alors, le tourisme médical, en fait c'est un dévoiement de l'Aide Médicale d'Etat, et en fait c'est quelque chose que les médecins hospitaliers connaissent bien, ce sont des personnes qui rentrent sur notre territoire avec un visa de tourisme, en venant pour se faire soigner, car ils savent que la médecine française est de bonne qualité, et puis sur le territoire, alors qu'ils sont en situation régulière, ils affirment ne plus avoir de papiers et d'être en situation irrégulière, ils obtiennent donc l'AME, l'Aide Médicale d'Etat, et se font soigner, sous couvert de l'Aide Médicale d'Etat, pour une maladie, connue, et pour laquelle ils sont venus en France pour des soins. Et ça, ce tourisme médical, nous le connaissons, et nous souhaitons lutter contre ce tourisme médical en croisant les demandes d'Aide Médicale d'Etat avec les visas touristiques accordés à certains ressortissants.

ORIANE MANCINI
Vous dites clairement qu'aujourd'hui l'Aide Médicale d'Etat elle crée un appel d'air en France ?

AGNES BUZYN
Non, pas en tant que tel, c'est-à-dire que je ne pense pas que les migrants, qui sont à la porte de la Chapelle aujourd'hui dans la rue, viennent pour l'Aide Médicale d'Etat, d'ailleurs seulement 12 % des personnes qui y ont droit, demandent l'Aide Médicale d'Etat la première année sur notre territoire, ce qui prouve bien que le dispositif est peu connu des migrants, ils l'utilisent peu, et je ne pense pas qu'ils viennent pour ça. Par contre, le système est dévoyé par certains qu'ils le connaissent, mais ce ne sont pas du tout des migrants, ce ne sont pas des gens qui souhaitent rester sur notre territoire, ils viennent pour se faire soigner et repartent.

ORIANE MANCINI
On va parler d'un autre sujet. Visite surprise hier d'Emmanuel MACRON à Rouen, un mois après l'incendie de l'usine LUBRIZOL il est allé rencontrer le maire et les habitants, des habitants toujours inquiets, vous allez l'entendre, notamment sur la question du suivi épidémiologique. On va écouter l'un d'entre eux.

(…) Extrait propos de François REYNAUD, habitant de Rouen.

ORIANE MANCINI
Vous entendez cet habitant, quand est-ce que démarre ce suivi et est-ce que ce n'est pas trop tard ?

AGNES BUZYN
Alors, un suivi épidémiologique ce n'est pas forcément un suivi individuel, la personne qui est interrogée pense probablement qu'elle va être suivie par un médecin. en réalité, ce que nous avons fait c'est que, d'abord nous poursuivons une campagne de prélèvements, notamment dans les sols profonds, dans les plantes, et donc cette campagne de prélèvements se poursuit parce que nous n'avons pas trouvé de polluants toxiques, dans les suies notamment, et dans l'eau ou dans l'air, mais nous voulons être absolument certains que des constituants n'ont pas pu se produire ensuite, donc nous faisons des prélèvements de sols, et l'ensemble des prélèvements est analysée par nos agences de santé publique, que ce soit l'ANSES, l'INERIS et Santé publique France, trois grosses agences qui travaillent sur les résultats et qui, en fonction de ce qui aura été trouvé dans les prélèvements, proposera un suivi de la population générale, c'est-à-dire un suivi, mais pas individuel, sauf exception si on trouve un toxique quelque part. Donc, aujourd'hui ils ne nous ont pas encore rendu cet avis, sur faut-il mettre en place une surveillance spécifique pour la population rouennaise, ça dépendra des résultats de tous les prélèvements faits, y compris ceux qui sont faits maintenant, sur les sols, dans les sols, et puis il y aura un suivi sur plusieurs années, mais qui n'est pas un suivi de chaque habitant, parce qu'en réalité, pour l'instant, nous n'avons pas trouvé de toxiques auxquels aurait été confrontée la population rouennaise.

JULIEN LECUYER
Est-ce que vous êtes en mesure, à l'heure actuelle, de rassurer les habitants ?

AGNES BUZYN
Alors, sur tout ce que je connais, oui, c'est-à-dire les prélèvements de suies, tout ce qui était noir sur le sol a été analysé, et il n'y a pas d'hydrocarbures, il n'y a pas d'amiante, il n'y a pas de dioxine, sur ces prélèvements, en tous les cas pas au-delà des seuils autorisés dans l'environnement, et dans les prélèvements d'air nous avons les mêmes résultats très rassurants. Donc, sur tout ce que nous connaissons, nous sommes tranquilles, nous avons des niveaux d'alerte qui sont redescendus, et donc nous poursuivons une campagne de prélèvements dans les sols profonds, pour être certains que rien ne s'est passé, et puis en fonction des résultats, les agences nous diront s'il faut suivre ou pas la population rouennaise et comment.

ORIANE MANCINI
Donc vous dites encore, aujourd'hui on ne sait pas tout, il peut y avoir des résultats qui seront négatifs… ?

AGNES BUZYN
Oui, on commence à avoir énormément de voyants au vert, donc on peut déjà, d'ores et déjà, énormément rassurer la population rouennaise, qui n'a pas été exposée de façon importante à des toxiques, même si elle a été exposée, évidemment, à la fumée, mais la fumée en elle-même ne contenait pas de choses inquiétantes pour la santé. Donc, nous pouvons, à ce stade, bien rassurer la population, mais nous poursuivons pour terminer, pour être totalement tranquilles, des prélèvements dans les sols d'ici la fin de l'année.

ORIANE MANCINI
Vous avez prévu, vous, de retourner à Rouen, ou ce n'est pas encore prévu ?

AGNES BUZYN
Oui. Il y a un comité de suivi, vous savez, avec tous les élus, tous les représentants, les organisations non-gouvernementales, les associations, les maires, et donc qui se tient tous les 15 jours ou toutes les 3 semaines, et il y aura à chaque fois un ministre présent, ou ses représentants, en ce qui me concerne ce sont les directeurs des agences sanitaires, qui font le travail sur le terrain, qui peuvent me représenter.

JULIEN LECUYER
Comme le président vous dites « aucune défaillance de l'Etat », ou peut-être, tout simplement, peut-être des maladresses dans la communication ?

AGNES BUZYN
Alors certainement des difficultés dans la communication, je pense qu'il n'y a pas eu de défaillance dans la gestion immédiate de la crise, je pense que l'incendie aurait pu être bien pire, il aurait pu y avoir des explosions par exemple, et donc ça a été bien maîtrisé, la population a été confinée, elle a été mis sous abri, on lui a demandé de ne pas sortir, ce qui a permis d'éviter qu'elle soit éventuellement confrontée à des produits toxiques, à la fin nous savons qu'il n'y a pas eu de produits toxiques dans les fumées, mais les précautions ont été prises, c'était des bonnes précautions, nous avons proposé de nettoyer les suies avec des gants, donc tout ça a permis de très bien protéger la population, et à la fin on se rend compte, de toute façon, que les prélèvements sont rassurants, même dans les suies, mais nous avons pris un maximum de précautions. Après, la population a eu ces informations trop tardivement, parce que, quand on est l'Etat, on parle aux maires, on parle parfois à nos intermédiaires, qui peuvent être les représentants des professions de santé, mais on s'aperçoit que les intermédiaires que nous avons, parfois diffusent tardivement les informations, ou ne les diffusent pas forcément avec les bons mots, ou qu'ils n'ont pas les documents qu'il faut pour bien diffuser l'information à la population générale, et ça c'est vraiment un retour d'expérience que nous devons faire, c'est comment toucher chaque rouennais, chaque individu, dans sa maison, et ça l'Etat ne sait pas le faire, en fait.

ORIANE MANCINI
Vous dites il aurait fallu s'adresser directement à la population, il y a eu des erreurs de communication finalement, même en croyant bien faire, en s'adressant aux élus…

AGNES BUZYN
Oui… non, on le fait via les médias, c'est-à-dire qu'on a l'impression, quand on parle à la presse, quelque part, c'est un moyen de toucher toute la population, mais en réalité on voit bien que, quand il y a une inquiétude pour sa santé, même quand on met en place un numéro vert, d'appel, qui a été pas mal utilisé, eh bien les personnes ont l'impression de ne pas savoir, et qu'on ne s'adresse pas à elles, elles-mêmes.

JULIEN LECUYER
Madame BUZYN, est-ce que ça ne va pas au-delà de ça, c'est-à-dire que le problème n'est pas que la parole de l'Etat elle-même est décrédibilisée ?

AGNES BUZYN
Aussi, bien sûr, la parole des pouvoirs publics est, par définition, questionnée, remise en cause par une grande partie de la population, pour autant, au-delà de la parole politique, qui est souvent mal perçue par la population, il y a derrière la parole des responsables d'agences sanitaires, ce sont des personnes qui sont des experts du domaine, qui font travailler des énormes équipes, avec des médecins, avec des vétérinaires, avec des scientifiques, et on ne peut pas imaginer que l'ensemble de la parole de centaines d'experts qui travaillent sur ces sujets, puisse être mise en doute. Donc, nous avons à nous interroger sur qui doit parler dans ces moments-là, est-ce que c'est la parole politique, qui par définition, est mal perçue, ou est-ce qu'on doit laisser les experts s'exprimer parce qu'ils sont « plus crédibles » que, malheureusement, les ministres, voire le Premier ministre ou le président de la République.

ORIANE MANCINI
Allez, autre sujet, l'Assemblée nationale qui a adopté cette semaine le budget de financement de la Sécurité sociale, un budget qui n'est pas à la hauteur de la crise des hôpitaux, c'est ce que dit l'opposition. Qu'est-ce que vous leur répondez ?

AGNES BUZYN
L'hôpital c'est mon inquiétude depuis mon arrivée dans ce ministère, je sais que l'hôpital a vécu 20 ans de paupérisation. J'ai, l'année dernière, réussi à avoir, pour la première fois depuis 10 ans, des budgets en hausse pour l'hôpital. d'abord un dégel des budgets mis en réserve en début d'année, une campagne tarifaire en hausse, la première depuis 10 ans, et je me suis engagée à ce que la campagne tarifaire de cette année soit au moins aussi bonne, mais il y a clairement une crise de l'investissement, de l'investissement dans le quotidien des soignants, il y a aussi des problématiques de rémunération, notamment pour les professionnels paramédicaux, mais aussi pour les professionnels médicaux en début de carrière, donc il y a un problème d'attractivité. Et puis il y a un problème de vision, qu'est-ce qu'on veut pour l'hôpital public. Et là je veux rassurer les hospitaliers. Si j'ai accepté ce poste au ministère, c'est parce que je viens de l'hôpital public, et que j'ai vu la dégradation des conditions de travail depuis des années, et que je me suis attelée, dès le premier jour, dès le premier jour, à repenser notre système de santé pour que l'hôpital ne soit pas le réceptacle des dysfonctionnements. Donc je m'engage, avec eux, pour une évolution très favorable de leurs conditions de travail, je suis en train évidemment d'y travailler aujourd'hui, nous avons d'ores et déjà identifié ce qui ne marchait pas autour des urgences et qui expliquait la crise des urgences, nous avons débloqué 750 millions d'euros cet été, pour la crise des urgences, pour recruter du personnel, pour réouvrir des lits, pour organiser différemment les soins urgents, mais nous allons continuer pour rendre plus attractif l'hôpital public. Mon objectif c'est un hôpital public qui occupe la place qu'il doit occuper dans notre système de santé, il est aimé des Français, les Français comptent sur l'hôpital public, et l'hôpital public peut compter sur moi.

JULIEN LECUYER
Madame la ministre, pour prendre un exemple, parmi d'autres, de cet état des hôpitaux, on a un exemple qui nous tient à coeur à La Voix du Nord, qui est la fermeture de la maternité de Tourcoing, un exemple flagrant, deux médecins gynécologues sont partis parce que, à bout de nerfs si je puis dire. Est-ce qu'on peut promettre, de la même manière que pour ces mamans de Tourcoing, qu'elles vont retrouver leur maternité, et est-ce que les hôpitaux vont retrouver des effectifs supplémentaires ?

AGNES BUZYN
Alors oui, aujourd'hui le problème n'est pas de financer ces postes, ces postes sont financés, ils sont ouverts, le problème que nous avons partout en France, mais c'est particulièrement prégnant dans le Nord, mais c'est partout en France, c'est que nous avons une démographie médicale qui n'a pas été pensée, c'est-à-dire que nous avons un nombre de médecins, aujourd'hui, qui ne correspond plus aux besoins de santé de la population. Ce sont, en fait, des besoins qui n'ont pas été anticipés il y a 20 ou 30 ans, au moment où on devait former tous ces médecins, et aujourd'hui, partout en France, il y a des services qui ferment, non pas parce que l'Etat décide de les fermer, la preuve Tourcoing nous avons besoin de cette maternité, c'est un bassin de vie de 300.000 personnes…

JULIEN LECUYER
1500 naissances par an.

AGNES BUZYN
1500 naissances par an, c'est un bassin de vie extrêmement dynamique, et donc évidemment il faut que cette maternité ouvre, maintenant nous devons trouver les professionnels pour la faire tourner, et c'est souvent cela le problème, ce n'est pas la volonté de l'Etat de fermer un service, c'est comment rendre attractif un service pour que des professionnels acceptent d'y venir, alors qu'il y a tellement d'offres partout en France. Et donc, nous avons aussi à repenser notre maillage territorial pour les services qui ont besoin de beaucoup de main-d'oeuvre, notamment les maternités, les services d'urgences, il faut beaucoup de monde, pour rester ouvert 24/24H, et donc nous avons aussi à repenser nos organisations pour faire monter en compétences, et donc en utilité, un certain nombre de professions très très utiles, comme les infirmiers et les sages-femmes, qui peuvent faire bien plus, qui ont les compétences pour faire plus, et qui peuvent décharger les médecins d'un certain nombre d'actes. Tout ça, est en train d'être organisé grâce à la loi Santé, mais évidemment ça prend du temps, et il y a des moments de très grande tension, comme à Tourcoing, nous travaillons à la réouverture de cette maternité, bien entendu.

ORIANE MANCINI
Puisque vous parlez des urgences, Emmanuel MACRON, en début de semaine a dit « oui il faut remettre des moyens sur les urgences. » Est-ce que vous avez des pistes, quels seront ses moyens ?

AGNES BUZYN
En réalité je pense que le président veut dire qu'il faut remettre des moyens sur l'hôpital en général, les urgences ont déjà bénéficié d'un crédit que j'ai affiché, de 250 millions par an, pendant 3 ans, le problème n'est pas tant l'argent aujourd'hui que de recruter les personnes au bon endroit, pour faire tourner les services, et d'organiser ce qu'on a appelé « le SAS », le service d'accès aux soins, qui va permettre à chaque Français, avant d'aller aux urgences, de téléphoner, d'abord pour savoir s'il a besoin d'aller aux urgences, et s'il ne peut pas trouver un médecin qui a un rendez-vous disponible pour le prendre en charge sans forcément passer par les urgences. Nous savons aujourd'hui que beaucoup de passages aux urgences pourraient être évités si les Français trouvaient une médecine de ville qui leur offre à peu près la même qualité de service, c'est-à-dire des examens biologiques, la gratuité des soins, donc c'est ça que nous organisons, en amont des urgences. D'autres pays l'ont fait, le Danemark, ils ont créé un service d'appel, plus personne, au Danemark, n'a le droit d'aller aux urgences sans avoir téléphoné. Alors, nous n'irons probablement pas jusque-là, mais le fait que les personnes puissent s'orienter quand ils ont un problème aigu, de la fièvre, mal au ventre, avant de débarquer aux urgences, pourrait soulager nos services d'urgences, parce qu'en réalité de l'offre de soins existe parfois sur le territoire.

JULIEN LECUYER
Madame BUZYN, de nouveaux services vont apparaître au 1er novembre, à partir de demain la Complémentaire Santé Solidaire, est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi ça consiste ?

AGNES BUZYN
Oui, la Complémentaire Santé Solidaire c'est une très belle réforme, je suis très très fière de la mettre en oeuvre. Pour les personnes qui ont des très faibles revenus, nous savons que, accéder à une complémentaire santé, à une mutuelle, est souvent trop cher, et que ces personnes renoncent à une mutuelle, et à cela aboutit souvent à des frais de santé trop importants, et ils renoncent aux soins. Donc, pour que les gens ne renoncent pas à se soigner pour des raisons financières, nous créons cette Complémentaire Santé Solidaire, qui va s'adresser aux 10 millions de Français les plus pauvres, ceux qui aujourd'hui bénéficient de la CMU-C, ou de l'Aide à la complémentaire santé, qui est une aide financière pour accéder à une complémentaire, c'était un service offert par l'Assurance Maladie, très mal connu des Français, et donc nous fusionnons ces aides, c'est-à-dire la CMU-C, l'Aide à la complémentaire santé, dans une Complémentaire Santé Solidaire, qui couvrira plus de monde, jusqu'à présent la CMU-C et l'Aide à la complémentaire santé couvraient 7 millions de personnes, nous allons maintenant pouvoir couvrir les 10 millions de personnes les plus pauvres, et pour toutes celles qui ont un revenu individuel inférieur à 746 euros par mois, ce sera gratuit, et jusqu'à 1000 euros par mois, 1007 euros par mois pour une personne seule, eh bien ce sera au plus cher, pour les personnes les plus âgées, jusqu'à 1 euro par jour, c'est-à-dire 30 euros par mois. Ce sera une complémentaire santé de qualité, très peu chère, très accessible, voire gratuite, pour 10 millions de Français, avec un panier de soins qui est le panier de soins de la CMU-C, et donc un très beau panier de soins.

JULIEN LECUYER
Alors, cela dit, ça me permet de rebondir sur la CMU, puisqu'une étude du Défenseur des droits a montré que beaucoup de médecins, 1/10e, par exemple des chirurgiens-dentistes, des gynécologues, refusaient de prendre en rendez-vous ces bénéficiaires. Est-ce qu'il faut taper du poing sur la table pour leur rappeler leurs obligations ?

AGNES BUZYN
Oui. J'ai déjà plusieurs fois tapé du poing sur la table, je trouve ça absolument invraisemblable. J'ai demandé à l'Ordre des médecins de me proposer un plan d'action pour lutter contre cette discrimination, on discrimine les personnes les plus pauvres dans notre société, pour accéder à la médecine. La ministre que je suis ne peut pas le tolérer. J'espère que le fait de créer une Complémentaire Santé Solidaire qui couvre 10 millions de Français, c'est-à-dire 1 Français sur 6, va permettre justement de lutter contre cette discrimination de la CMU-C…

ORIANE MANCINI
Si ça ne marche pas, vous allez sévir encore ?

AGNES BUZYN
Oui, mais c'est vraiment de la déontologie, donc c'est vraiment à l'Ordre des médecins, aujourd'hui, d'être extrêmement sévère contre des médecins qui refusent de soigner des gens pour des raisons d'argent, et ça c'est contre…

ORIANE MANCINI
Mais vous, vous ne pouvez rien faire ?

AGNES BUZYN
C'est contre la déontologie médicale, et là c'est vraiment un problème de déontologie, il faut que ces médecins soient connus…

ORIANE MANCINI
Donc vous dites éventuellement radier ces médecins qui ne… ?

AGNES BUZYN
Je crois qu'il faut que l'Ordre prenne ses responsabilités face à des médecins qui refusent de soigner des gens pour des raisons financières, ce n'est pas notre système de soins solidaire, ce n'est pas comme ça que la France a construit son système de santé, nous ne sommes pas un pays anglo-saxon, où l'argent permet d'accéder aux soins, dans notre pays tout le monde doit pouvoir accéder à la même qualité de soins et de services, et donc c'est vrai que je suis extrêmement en colère contre, mes collègues en fait, des confrères qui osent discriminer sur des raisons financières.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup.

AGNES BUZYN
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 novembre 2019