Déclaration de M. Franck Riester, ministre de la culture, sur le projet de loi de finances pour 2020 à propos de la mission "Médias, livre et industries culturelles", à l'Assemblée nationale le 31 octobre 2019.

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Circonstance : Débat sur le projet de loi de finances pour 2020, à l'Assemblée nationale le 31 octobre 2019

Texte intégral


M. le président. Nous abordons l'examen des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et du compte spécial « Avances à l'audiovisuel public » (no 2301, annexe 30 ; no 2302, tome III ; no 2303, tome VIII).

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Voilà soixante ans que le ministère de la culture existe. Soixante ans qu'il agit. Soixante ans que ses ministres viennent en présenter le budget dans cette assemblée, comme je le fais ce soir. Soixante ans qui nous offrent l'occasion de réaffirmer la nécessité d'une politique culturelle ambitieuse. C'est la volonté du Président de la République, du Premier ministre et de tout le Gouvernement.

Le ministère de la culture doit parler à tous, dans tous les territoires, parce que la culture émancipe et rapproche. Elle est ce qui procure à chacun le sentiment d'appartenir à quelque chose de plus grand que soi ; elle est ce qui nous fait, d'une certaine façon, accéder à l'universel. Elle est un levier essentiel d'emplois, d'activité, d'attractivité et de rayonnement pour notre pays. Elle est un facteur de cohésion sociale, de cohésion nationale. Elle est ce qui nous rassemble, ce qui nous tient ensemble. Elle est le ciment de notre société.

Seulement, notre société est confrontée aujourd'hui à une mutation majeure, celle de la révolution numérique, qui bouleverse notre rapport à l'information, à la presse, aux médias d'une part, aux pratiques culturelles d'autre part. En même temps qu'elle fait émerger des opportunités nouvelles, la révolution numérique remet en cause des pans entiers de l'économie de la culture et des médias. La responsabilité de mon ministère est d'accompagner et même d'anticiper ces bouleversements.

Le budget de la culture pour l'année 2020 s'inscrit dans cette ambition. Au total, plus de 15 milliards d'euros seront consacrés aux politiques culturelles dans le budget de l'État.

Cela inclut les dépenses fiscales et le budget dédié à la culture dans les autres ministères, et évidemment les moyens qui relèvent du ministère de la culture, à hauteur de 8,2 milliards d'euros, dont ceux de l'audiovisuel public, qui représentent 3,8 milliards d'euros.

Mon ministère bénéficiera, en 2020, de crédits budgétaires en hausse de 70 millions d'euros par rapport à 2019. La mission « Médias, livres et industries culturelles » verra pour sa part ses crédits augmenter de 11 millions d'euros. Dans le contexte budgétaire que nous connaissons, c'est un effort, un effort qui nous oblige à la cohérence, à la transformation et aux résultats – et pour obtenir des résultats, il faut définir des priorités.

Le budget que je vous présente est donc un budget de priorités, au service de l'émancipation citoyenne, de la cohésion et de l'attractivité des territoires, des artistes et des créateurs et de notre souveraineté culturelle.

L'émancipation des citoyennes et des citoyens passe par la culture, en premier lieu par l'accès de tous à une information indépendante, pluraliste et de qualité, et ce dès le plus jeune âge. Cela passe bien sûr par la poursuite de notre action en faveur du développement de la lecture, qui ne doit pas se limiter au cadre scolaire, et plus largement de l'accès à la culture et aux oeuvres de l'esprit.

Mais à l'heure de la diversification des sources d'information et de la prolifération des « infox », il nous faut aussi éduquer à l'image, aux médias, à l'information. C'est l'objectif du plan d'éducation aux médias et à l'information.

Cette année, nous avons eu recours à des appels à projets locaux, pilotés par les DRAC, les directions régionales des affaires culturelles, pour répondre aux besoins des territoires. L'an prochain, ce plan sera doté de 3 millions d'euros. II vise en priorité les jeunes publics et se traduira concrètement par des actions dans les bibliothèques, dans les écoles, par un soutien aux associations engagées sur ce sujet. Je n'oublie pas, en plus de ce plan, l'engagement de l'audiovisuel public dans la lutte contre les infox, avec, entre autres, la plateforme de décryptage « vrai ou fake ».

Cette information fiable, plurielle, de qualité que j'évoquais, l'Agence France Presse en est la garante. Soutenir l'AFP, c'est soutenir, indirectement, toute la presse. L'État soutiendra donc son plan de transformation, à hauteur de 4,5 millions d'euros supplémentaires en 2020. C'est un effort considérable. L'État accompagnera également les missions d'intérêt général de l'AFP en revalorisant leur financement à hauteur de 1,5 million d'euros.

Cette information fiable, pluraliste, de qualité, nous n'aurons de cesse de la soutenir.

Nous n'aurons de cesse de défendre la presse, son indépendance, sa liberté. C'est pourquoi les aides à la presse, essentielles à notre démocratie, seront confortées en 2020 et c'est pourquoi je mènerai le combat, avec mes homologues européens, pour faire respecter le droit voisin, comme l'a fait le Président de la République à l'issue du dernier conseil des ministres européens.

Nous avons été les premiers à transposer la création de ce droit voisin, grâce aux rapports de David Assouline et de Patrick Mignola. Je sais que l'ensemble des groupes politiques de cet hémicycle y ont participé et je veux les en remercier.

Derrière le droit voisin, c'est l'avenir du journalisme qui se joue. C'est la préservation des moyens des éditeurs et agences de presse. C'est la protection de leur indépendance, de leur capacité d'informer tout simplement. Aujourd'hui, la valeur qu'ils créent est accaparée par les géants du numérique. C'est inacceptable.

La deuxième priorité de ce budget, c'est de renforcer, par la culture, la cohésion et l'attractivité de nos territoires. C'était l'enjeu de la révision de la loi Bichet. Vous en connaissez toute la nécessité. Je remercie Laurent Garcia et tous les parlementaires qui se sont mobilisés pour la réforme de la loi Bichet.

Moderniser nos services publics culturels de proximité, c'est aussi l'ambition du plan bibliothèques, qui se verra conforté sur le plan budgétaire.

Ma troisième priorité, c'est de placer les artistes et les créateurs au coeur de nos politiques culturelles. Pour ce faire, il nous faut non seulement intensifier les financements publics, mais aussi accompagner la structuration des industries créatives et culturelles. C'est l'objectif de la création d'un fonds d'investissement de 225 millions d'euros géré par Bpifrance, annoncée  par le Président de la République, et du renforcement des prêts participatifs gérés par l'IFCIC, l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles. Ces deux outils sont d'ores et déjà à la disposition des entreprises.

Plus spécifiquement, nous accompagnerons le secteur musical, avec la création du Centre national de la musique. Je vous remercie d'avoir adopté la proposition de loi de Pascal Bois, qui faisait suite au rapport rédigé par le même Pascal Bois avec Émilie Cariou – merci à vous deux –, contribuant ainsi à la création de ce Centre national de la musique, qui verra le jour en 2020. L'État soutiendra son lancement en augmentant de 7,5 millions d'euros les crédits qu'il alloue au projet de CNM dès l'année 2020. Ce budget a vocation à monter en charge sur les prochaines années, pour atteindre 20 millions d'euros par an en régime de croisière, objectif fixé par le rapport Bois-Cariou. Grâce à votre détermination, à celle du Président de la République, du Premier ministre et de moi-même, cette maison pour tous de la musique, attendue par la profession, va enfin voir le jour.

Enfin, la quatrième priorité de ce budget est de réaffirmer notre souveraineté culturelle. Nous réaffirmerons notre souveraineté culturelle en matière de fiscalité affectée au financement du cinéma, en l'harmonisant pour que les nouveaux acteurs contribuent davantage au financement de la création.

Cela passe aussi par le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique, que j'aurai l'occasion de présenter en Conseil des ministres dans quelques semaines et dont nous débattrons au début de l'année prochaine. Une partie sera consacrée au financement de la création, une autre à l'audiovisuel public. Nous demandons cette année, dans le cadre de la trajectoire financière de l'audiovisuel public, un effort que nous considérons comme soutenable qui s'inscrit dans une trajectoire pluriannuelle 2018-2022. Cette trajectoire financière permettra de transformer l'audiovisuel public, dont nous aurons l'occasion de réaffirmer les missions de service public dans le cadre du projet de loi précité. Le projet de création de France Médias ne vise en aucun cas à remettre en cause cette trajectoire budgétaire.

Mesdames et messieurs les députés, en ce soixantième anniversaire de ce ministère, il nous incombe, plus que jamais, de faire preuve d'ambition en matière culturelle au service des Français, de tous les Français, et surtout de ceux qui se sentent exclus de notre politique culturelle.

L'ambition que je porte, c'est de réaffirmer notre souveraineté culturelle face aux nouveaux acteurs du numérique. C'est un combat difficile et nous avons besoin d'être mobilisés et déterminés, notamment vis-à-vis de ces plateformes qui apportent un service nouveau, mais nous imposent d'assurer l'équité entre les différents acteurs.

Telles sont les priorités de ce budget pour 2020. Je suis à votre disposition pour échanger. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

M. le président. Nous en venons aux questions. Je rappelle que la durée des questions, comme celle des réponses, est fixée à deux minutes. La parole est à M. Pascal Bois.

M. Pascal Bois. Je me réjouis de l'adoption définitive par le Parlement de la loi créant le Centre national de la musique, dont la promulgation a été publiée hier au Journal officiel. Elle a pour ambition de fédérer les filières musicales et du spectacle vivant pour mieux répondre aux enjeux auxquels elles sont confrontées. Il s'agit de diversité culturelle, de soutien économique, de soutien à la création et aux artistes, de développement international et d'actions locales – je pense ici à l'EAC, l'éducation artistique et culturelle.

Nous avons pu approfondir tous ces sujets lors des précédents débats parlementaires, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, et je n'y reviendrai pas : les fondations sont désormais établies. Reste néanmoins, monsieur le ministre, la question de son financement global et, à tout le moins, de sa clarification à court et à moyen terme. C'est d'ailleurs l'objet d'un amendement que je défendrai tout à l'heure.

Bien évidemment, vous avez oeuvré pour que la création du CNM au 1er janvier soit accompagnée de 7,5 millions d'euros de fonds nouveaux, auxquels s'ajoutent les 500 000 euros de ressources précédemment allouées au CNV, le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz, et les recettes de la taxe sur les spectacles de variétés. Tout cela figure bien dans ce PLF. Cependant, il reste une inconnue : comment financer, au-delà de 2022, la montée en puissance de cette nouvelle structure et plus particulièrement ses nouvelles missions ? Elles ne pourront reposer exclusivement sur les recettes d'une taxe fluctuante  ni se baser sur l'unique concours financier d'organismes de gestion collective, même s'ils ont fait part de leur volontarisme. Le rapport que ma collègue Émilie Cariou et moi-même avons consacré à sa préfiguration évoquait les pistes de la TOCE, la taxe sur les opérateurs de communications électroniques, ou de la taxe YouTube, qui assureraient un complément dynamique au financement du CNM.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer les solutions envisagées et la trajectoire pluriannuelle afin d'assurer sa montée en puissance ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre. Je vous remercie encore une fois de votre contribution, puisque c'est votre proposition de loi qui a permis la création du CNM au 1er janvier 2020, à partir de la fusion du CNV, du BUREX, le bureau export de la musique française, de l'IRMA, le centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles, du FCM, le fonds pour la création musicale, et du CALIF, le club action de labels et des disquaires indépendants français. Cette maison commune de la musique pourra s'appuyer sur les ressources actuelles des différentes institutions et associations qui vont la composer. Je pense à la taxe sur la billetterie du spectacle vivant, aux contributions des organismes de gestion collective et au budget de l'État. Dès 2020, en plus des ressources existantes, 7,5 millions d'euros viendront conforter la création du CNM et nous monterons progressivement en puissance, en deux ou trois ans, pour atteindre 20 millions d'euros supplémentaires.

Nous aurons l'occasion de réfléchir à la mise en place éventuelle d'une fiscalité dédiée à ce CNM, mais ce qui compte avant tout, ce sont ces moyens, qui traduisent l'engagement très fort de l'État, de ce gouvernement, à la demande du Président de la République et du Premier ministre, et de toute la majorité pour faire en sorte que ce secteur de la musique se dote de cet établissement public au service de toutes les musiques, de l'accompagnement de l'émergence musicale, de l'exportation et de l'observation de ce secteur. Vous pouvez compter sur le Gouvernement et sur mon engagement pour continuer à assurer les financements du CNM. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à Mme Géraldine Bannier.

Mme Géraldine Bannier. Ayant été, comme présidente du groupe d'études sur le livre et l'économie du livre et du papier, particulièrement alertée sur la situation des auteurs de bande dessinée, je souhaiterais vous interroger sur les dispositifs fiscaux de soutien à la diversité et à la créativité.

Un jeune auteur m'a rappelé récemment que les états généraux de la bande dessinée de 2016 avaient mis en évidence la précarité galopante de ce milieu : 50 % des auteurs touchent moins du SMIC et 36 % sont sous le seuil de pauvreté, ces difficultés étant encore accrues pour les femmes. Je citerai parmi les nombreux obstacles évoqués par ce jeune auteur la difficulté d'obtenir le RSA et de prouver la viabilité du métier avec des revenus aléatoires et difficiles à estimer ; l'impossibilité d'accéder aux droits de presque tout un chacun que sont les vacances, la reconnaissance de l'accident du travail, une pension de retraite ; un système d'avances sur droits qui ne permet pas une véritable rémunération au premier exemplaire vendu ; une prise de risque qui repose essentiellement sur l'auteur ; des participations sympathiques mais très souvent bénévoles aux festivals et aux salons, activités incontournables mais chronophages.

Il m'a légitimement rappelé que si l'auteur de bande dessinée ne travaille pas pour s'enrichir, mais par nécessité d'écrire et de coucher ses tripes, ses angoisses sur le papier, il s'interroge sur sa capacité à vivre avec des revenus de 300 à 350 euros par mois pour 250 heures de travail.

Ma question, monsieur le ministre, concerne donc les dispositifs mis en place pour maintenir la diversité et la créativité et soutenir ces créateurs. (M. Raphaël Gérard applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Franck Riester, ministre. Vous avez parfaitement raison : les artistes-auteurs, notamment de bande dessinée, sont bien souvent en situation de grande précarité. J'en ai totalement conscience, les équipes du ministère également. Nous procédons de deux manières pour y remédier. D'une part, nous travaillons de façon très opérationnelle, à court terme, pour améliorer les dispositifs existants qui vont dans le sens de l'intérêt des auteurs, et assurer ainsi leur pérennité. Je pense par exemple à la compensation de la hausse de la CSG – contribution sociale généralisée – et à plusieurs dispositifs liés à la protection sociale que vous avez évoqués.

D'autre part, j'ai confié à Bruno Racine une mission prospective sur l'avenir des artistes-auteurs dans notre pays, car ils doivent être au coeur des priorités de ce ministère, et plus largement de la société. À travers cette mission, il s'agit de mener une réflexion sur toutes les dimensions de la vie professionnelle des artistes – leur formation, leur rémunération, leur protection sociale, leur éventuelle reconversion ou encore leur retraite –, pour que la France reste, en matière de bande dessinée mais plus largement de création, une terre d'artistes.


Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 15 novembre 2019