Texte intégral
GERARD LECLERC
Bonjour Sophie CLUZEL.
SOPHIE CLUZEL
Bonjour Gérard.
GERARD LECLERC
Soyez la bienvenue. C'est aujourd'hui la journée internationale des personnes handicapées à l'initiative de l'ONU. Le Premier ministre présidera cet après-midi un comité interministériel du handicap. On va en parler. Mais déjà, tout de suite, cette question, une journée internationale des personnes handicapées, pourquoi, quel est l'objectif ?
SOPHIE CLUZEL
Vous savez, le handicap est une des premières causes de discrimination, à l'école, à l'emploi encore. Donc tant qu'il y aura justement des discriminations, une journée internationale, portée justement par l'ONU, est importante pour faire le focus justement sur ces personnes qui nous disent encore qu'elles sont très discriminées, qu'elles n'ont pas encore toutes leur place au sein de notre société. C'est bien l'enjeu de la politique que je porte, avec l'ensemble des ministres justement, parce que ce n'est pas que l'affaire de Sophie CLUZEL, c'est l'ensemble du gouvernement qui est concerné, parce que nous voulons changer la donne justement pour leur place.
GERARD LECLERC
Alors pour fixer les idées, les personnes atteintes d'un handicap en France, qu'est-ce que ça recouvre, combien sont-elles ? Quels types de handicap ?
SOPHIE CLUZEL
Alors, c'est à peu près 12 millions de personnes…
GERARD LECLERC
12 millions de personnes !
SOPHIE CLUZEL
C'est presque 1 Français sur 5 qui est concerné, avec une situation extrêmement variée, puisque ça recouvre les handicaps sensoriels, surdité, cécité, les handicaps psychiques, mentaux, les déficiences mentales, les handicaps physiques, bien sûr, et puis, toute une variété – qui peut être – sur l'autisme, qui est aussi très, très vaste, donc des situations extrêmement variées, extrêmement diverses, pour autant, qui ont un impact sur la vie quotidienne des personnes, c'est donc presque 12 millions, ce sont des personnes qui sont de tous âges, bien sûr, parce que 80 % du handicap surviennent au cours de la vie, et puis, 80 % des handicaps sont invisibles, c'est toute la difficulté de pouvoir se rendre compte que notre voisin de quartier peut avoir un handicap, par exemple une surdité, c'est invisible, une sclérose en plaques impactante, ça peut être invisible au début, voilà, et des déficiences intellectuelles légères sont invisibles, le handicap psychique est invisible, et pourtant, ça impacte énormément la situation de la personne et l'environnement de vie dans laquelle elle peut évoluer.
GERARD LECLERC
Alors le handicap dans la vie, eh bien, c'est, déjà, d'abord, si je puis dire, à l'école, vous avez créé un service public de l'école inclusive, pour rendre les élèves autonomes et citoyens. Concrètement, comment ça fonctionne ?
SOPHIE CLUZEL
Eh bien, avec Jean-Michel BLANQUER, nous avons porté ce grand service public de l'école inclusive dès la rentrée de cette année 2019. En fait, cela organise l'accompagnement des enfants handicapés qui ont besoin d'accompagnement, la moitié d'entre eux n'en ont pas besoin. Il y a un grand mouvement vers l'école, cette année, nous avons accueilli plus de 20.000 élèves en situation de handicap. Aujourd'hui, ils représentent à peu près 2,5 % de l'ensemble des élèves de la maternelle au BTS, le ministère de l'Education nationale, donc c'est un vrai mouvement vers l'école. Certains ont besoin d'être accompagnés, la moitié d'entre eux, d'autres ont besoin d'adaptations pédagogiques, d'adaptations de matériels, pour ceux qui ont besoin d'être accompagnés, nous avons organisé cet accompagnement avec ce service public de l'école inclusive, mais ce n'est pas la seule mesure que nous avons prise, nous accompagnons les enseignants qui ont besoin aussi d'avoir de la formation spécifique sur ces adaptations avec un outil numérique très important : Cap vers l'école inclusive, où ils peuvent trouver toutes les adaptations à faire, mais nous faisons aussi rencontrer les professionnels du handicap dans les murs de l'école, les orthophonistes, les psychomotriciens, parce qu'un enfant handicapé, eh bien, il a besoin vraiment d'avoir des regards croisés autour de lui, enseignants, mais aussi rééducateurs, et bien sûr, les parents, qui sont les premiers experts du mode de fonctionnement de leur enfant. Donc c'est l'affaire de tous, c'est une grande nouveauté, c'est-à-dire que tout le monde est concerné, tout le monde est mobilisé au sein de l'école pour réussir ces parcours.
GERARD LECLERC
Alors ensuite, il y a bien sûr la question difficile de l'emploi des personnes handicapées, je dis « question difficile », parce que le taux de chômage pour les handicapés est de 18 %, c'est le double de la moyenne nationale. Alors là aussi, quels sont les freins à l'emploi des handicapés, et puis, quelle est la stratégie pour lever ces freins ?
SOPHIE CLUZEL
Eh bien, le premier frein, c'est la qualification, parce que, justement, il y a eu des parcours de formation et de qualification qui ont été très erratiques, et donc, il y a un problème majeur de qualification, parce qu'au sein de ces 515.000 personnes qui sont au chômage…
GERARD LECLERC
515.000 au chômage…
SOPHIE CLUZEL
Oui, eh bien, presque 80 % d'entre elles ont un niveau de qualification très faible, niveau bac, et on le sait bien que dans notre pays, qu'on soit handicapé ou pas, le problème de la qualification est majeur, il est encore plus prégnant. Donc ce que l'on fait, c'est que l'on donne justement des possibilités d'acquérir par l'apprentissage, parce que c'est un vrai levier, une meilleure formation, et là, c'est toujours la même optique, nous bonifions en fait à chaque fois qu'il y a une personne handicapée, nous donnons et des moyens financiers complémentaires, mais du temps, parce qu'on peut faire par exemple un contrat d'apprentissage en 2 ans, en 3 ans, donc on lève, en fait, tous les freins périphériques qui permettent d'accéder à une meilleure qualification. Et puis, on a des entreprises qui s'engagent, là, récemment, plus de 110 grandes entreprises ont signé un manifeste pour l'inclusion avec des engagements très précis, dix engagements extrêmement concrets, sur les stages, sur l'apprentissage, sur l'emploi, afin d'atteindre ce 6 %, puisque c'est le taux d'emploi que tout le monde doit avoir. Donc les entreprises s'engagent, les syndicats se sont engagés aussi, puisque, récemment FO m'a remis…
GERARD LECLERC
C'est une mobilisation générale…
SOPHIE CLUZEL
C'est une mobilisation générale. Et puis, les services publics de l'emploi, nous avons un levier aussi très important de la même façon qu'on a fait l'école accompagnée, il nous faut faire l'emploi accompagné aussi pour les personnes qui ont encore besoin d'être accompagnées, et pour accompagner le collectif de travail, parce que ce n'est pas facile parfois d'avoir un collègue qui a un handicap psychique ou un handicap mental, donc il faut aussi accompagner les collègues de travail, c'est tout l'engagement de ces entreprises pour ce manifeste pour l'inclusion.
GERARD LECLERC
Alors, on le disait tout à l'heure, cet après-midi, il y a un comité interministériel, ce sera au Musée de l'Homme, qui est un peu symbolique, quels sujets vont être abordés, quelles mesures concrètes en attendre ?
SOPHIE CLUZEL
Alors, cet exercice gouvernemental, nous faisons un bilan justement des mesures qui ont été prises, qui s'étaient engagées, elles sont presque toutes prises et tenues…
GERARD LECLERC
Les engagements ont été tenus ?
SOPHIE CLUZEL
Les engagements ont été tenus, et puis, nous nous engageons justement pour le reste à faire, pour pouvoir accélérer ce cheminement vers la pleine participation des personnes handicapées.
GERARD LECLERC
Alors, par exemple ?
SOPHIE CLUZEL
Alors, sur les engagements tenus, d'abord, je voudrais quand même rappeler le droit de vote des personnes qui sont majeures sous tutelle, 3.000 personnes ont pu s'inscrire justement et voter en plus pour les élections européennes, et je le redis, il va y avoir les municipales, donc il faut absolument qu'elles se réinscrivent sur les listes, 300.000 personnes sont concernées. Maintenant, il n'y a plus d'empêchement pour aller voter, le handicap n'est plus une excuse pour priver les personnes de ce droit de vote, c'est très important pour la dignité des personnes, les droits à vivre aussi, imaginez-vous que quand vous étiez par exemple trisomique, que vous étiez aveugle, que vous étiez doublement amputé, tous les deux ans, il fallait aller revoir le toubib pour un certificat médical pour avoir certains droits, comme l'allocation adulte handicapé ou…
GERARD LECLERC
Maintenant, ce sera reconduit automatique ?
SOPHIE CLUZEL
C'est à vie. C'est à vie ! C'est un pas énorme sur la simplification…
GERARD LECLERC
Et il va y avoir des mesures nouvelles ?
SOPHIE CLUZEL
Alors, si je puis juste finir, il y avait l'engagement du pouvoir d'achat avec la revalorisation de l'allocation adulte handicapé à plus de 90 euros par mois, c'est un engagement de près de deux milliards pour le gouvernement et qui concerne plus de 1,1 million de personnes. Donc ces trois engagements majeurs ont été tenus, plus d'autres, l'école inclusive, l'emploi sur les chantiers. Aujourd'hui, il nous faut absolument travailler encore sur la simplification, on a beaucoup trop complexifié la vie des personnes, il faut sans arrêt qu'elles repassent devant un guichet spécifique qui s'appelle la Maison départementale des personnes handicapées, parce que je co-porte ma politique avec les départements, qui sont chefs de file des politiques de solidarité, là aussi, on veut simplifier, arrêter de passer tout le temps sur ce guichet pour avoir droit comme vous et moi à l'école, à l'emploi, etc. Donc on simplifie massivement. Il faut aussi qu'on travaille sur le logement, sur l'habitat inclusif avec des colocations possibles sur les personnes en coeur de ville, les personnes nous disent : on veut vivre ensemble, c'est cette société du choix vraiment des personnes handicapées que je porte, et puis, c'est une société aussi où c'est un choix pour tous de vivre ensemble. Donc c'est très important de pouvoir accélérer, parce que l'habitat est quelque chose de majeur dans notre société. Et puis, de la même façon que je vous ai dit que les entreprises s'engageaient, nous allons engager les médias, les médias vont changer la donne…
GERARD LECLERC
Alors, effectivement, puisque vous allez signer une charte avec le CSA et avec 16 patrons de chaînes de télévision et de radios, dont Canal+. Donc une charte, c'est ça, pour améliorer la représentation des personnes handicapées dans les médias ?
SOPHIE CLUZEL
Alors, c'est le Conseil, voilà, c'est le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, avec le ministre de la Culture et moi-même, nous allons accueillir les patrons de chaînes qui vont s'engager…
GERARD LECLERC
Alors, concrètement, s'engager sur quoi, justement ?
SOPHIE CLUZEL
Alors, déjà, à donner la parole aux personnes en situation de handicap autrement que sur le handicap, l'important, c'est de reconnaître la personne dans sa qualité, il y a des personnes handicapées qui sont journalistes, qui sont chefs d'entreprise, qui sont philosophes, qui sont artistes, donc pouvoir porter cette parole en dehors du champ de leur handicap, travailler sur les fictions avec la représentation des personnes handicapées. Le baromètre du CSA nous dit aujourd'hui 0,6 % de représentation dans les médias, or, tout à l'heure, je vous ai dit : 1 Français sur 5, près de 10 millions de personnes. Donc la représentation des personnes dans les médias n'est pas à la hauteur…
GERARD LECLERC
On continue un peu à cacher, du moins, à ne pas donner aux personnes handicapées la place qu'elles devraient avoir dans la société…
SOPHIE CLUZEL
Oui. Et puis, travailler aussi sur la sémantique avec un outil très pratique pour éviter justement… parfois, on entend encore des injures, les gens se traitent d'autistes, etc., donc il faut qu'on travaille aussi sur la sémantique dans les médias, parce que ces mots peuvent blesser, ils sont discriminants, et ils font du mal. Donc il faut qu'on accompagne aussi tous les médias à travailler sur les bonnes sémantiques. Et puis aussi, tout simplement, porter un regard différent en donnant la parole aux personnes, donc c'est un engagement très concret, mais au sein de ce comité interministériel, le Premier ministre aussi va porter l'engagement de l'Etat, il y a eu le manifeste de l'inclusion pour les entreprises, l'engagement des médias, et maintenant nous allons avoir un Etat que nous voulons beaucoup plus engagé sur aussi l'emploi des personnes handicapées, nous ne sommes pas à 6 % dans tous les ministères, nous ne sommes pas 6 % de taux d'apprentissage non plus, donc c'est un engagement. Et c'est un engagement…
GERARD LECLERC
L'Etat doit montrer l'exemple, ce qu'il ne fait pas…
SOPHIE CLUZEL
Oui, et puis dans la communication gouvernementale aussi, il faut qu'on soit 100 % accessible pour les personnes, si on veut qu'elles participent, il faut qu'elles soient dans cette accessibilité, les sites numériques, voilà, un bel engagement de l'Etat aussi pour qu'il soit un peu plus exemplaire.
GERARD LECLERC
Très brièvement, parce qu'il ne nous reste plus beaucoup de temps, la question des proches aidants, c'est les familles, c'est les voisins qui accompagnent, qui aident les personnes handicapées, un plan a été annoncé en octobre, très rapidement, qu'est-ce qu'on y trouve ?
SOPHIE CLUZEL
Près de huit millions d'aidants, que ça soit aidant familial, aidant professionnel, personnes âgées, personnes handicapées, oui, nous les accompagnons, une grande mesure qui a été annoncée par exemple, c'est le congé rémunéré pour les aidants qui sont en situation professionnelle, pour les accompagner justement sur : comment je peux organiser ma vie professionnelle et ma vie d'aidant pour une personne âgée, pour une personne handicapée, donc des mesures très, très concrètes, une stratégie qui a été faite, les jeunes aidants, près de 500.000 jeunes aidants qui au lieu d'être collégiens et d'aller s'amuser le soir, eh bien, travaillent auprès de leurs parents. Donc une belle stratégie parce que c'est un pilier de notre société, les aidants.
GERARD LECLERC
Alors, on l'évoquait tout à l'heure, il reste, si je puis dire, la question du regard de la société sur les personnes handicapées, alors c'est un sujet que vous connaissez particulièrement, puisque vous-même, vous avez une fille handicapée, est-ce que vous avez le sentiment que les choses changent, et comment faire pour sensibiliser encore davantage l'opinion sur cette idée que les handicapés, c'est des citoyens comme les autres ?
SOPHIE CLUZEL
Pour changer le regard, il faut voir les personnes, il faut leur permettre de circuler librement, il faut les voir dans les médias, donc c'est tout cet enjeu, et c'est l'enjeu aussi de cette journée internationale, leur donner la parole, le regard change, il n'est plus compassionnel, et il ne faut plus qu'il soit compassionnel, c'est aussi l'engagement dans la charte CSA, de porter un regard beaucoup plus naturel sur les compétences, les talents, sur les difficultés qu'elles peuvent avoir aussi, mais d'abord leur permettre de s'exprimer. Quoi de mieux qu'une personne handicapée pour parler de son expertise et de son talent. Je porte une société de la bienveillance, de la fraternité, mais surtout de l'expertise des personnes, leur permettre de s'exprimer et de participer pleinement ; c'est comme ça qu'on change le regard sur le handicap, tout simplement en vivant ensemble et en permettant à ces personnes, et aussi, par exemple, de les impliquer dans la vie politique ; nous allons avoir les élections municipales, les personnes handicapées sont électeurs, mais elles sont éligibles aussi. Et je leur lance un appel : inscrivez-vous sur les listes, portez votre parole, portez un projet de société d'une diversité et d'une richesse…
GERARD LECLERC
… Et on peut conseiller aux gens d'aller voir un film comme « Hors Normes », qui est formidable…
SOPHIE CLUZEL
Tout à fait, un film qui parle justement de l'autisme sévère et qui rend visibles les personnes qui sont souvent invisibles.
GERARD LECLERC
Merci Sophie CLUZEL. Bonne journée.
SOPHIE CLUZEL
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 décembre 2019