Texte intégral
GUILLAUME DURAND
Nous saluons Marlène SCHIAPPA, merci d'être venue.
MARLENE SCHIAPPA
Bonjour.
GUILLAUME DURAND
Car je sais, je vous ai regardée hier soir, que vous avez passé une nuit, enfin une nuit raisonnable, mais tout à fait agitée chez nos confrères de BFM TV face à tous les syndicats qui hurlaient face à vous donc et votre collègue DJEBBARI mais la situation est toujours aussi tendue ce matin car c'est le refus total de ce qui a été présenté par le Premier ministre, nous en parlerons avec vous. Donc bienvenue sur l'antenne de RADIO CLASSIQUE.
MARLENE SCHIAPPA
Merci.
GUILLAUME DURAND
Nous sommes en direct avec Marlène SCHIAPPA. Marlène SCHIAPPA, est-ce que vous considérez que cette petite musique de Bruno LE MAIRE qui, semble-t-il, a plaidé auprès du président de la République le fait qu'on sépare totalement le fond de la réforme de ce fameux âge pivot 62, 64, est-ce que c'est encore négociable d'après vous ce matin ?
MARLENE SCHIAPPA
Ecoutez, moi, je crois que Bruno LE MAIRE a raison de rappeler au fond ce qu'a dit le ministre Edouard PHILIPPE, c'est-à-dire que la porte est ouverte et nous pouvons discuter, négocier et si les partenaires sociaux ont une contre-proposition à formuler, y compris incluant un mouvement sur la question de l'âge pivot, le Premier ministre est disposé à les écouter. Il a dit lui-même …
GUILLAUME DURAND
Mais visiblement, Bruno LE MAIRE et le Premier ministre ne sont pas exactement sur la même ligne.
MARLENE SCHIAPPA
Ecoutez, moi, j'ai compris qu'ils disaient la même chose avec de termes différents, je ne sais pas s'il y a des subtilités qui nous échappent mais en tout cas, me semble-t-il, Bruno LE MAIRE, comme Edouard PHILIPPE, propose de poursuivre le dialogue, de poursuivre la discussion et les deux, me semble-t-il, sont assez ouverts sur un certain nombre de paramètres.
GUILLAUME DURAND
Est-ce que vous avez l'impression comme je le disais depuis le début de la matinée qu'on est parti ce matin – vous êtes une jeune ministre mais maintenant, l'expérience est importante – qu'on est parti vous et l'équipe autour du président de la République pour une sorte d'aventure qui ressemble à celle de 95 ou à d'autres aventures de l'histoire sociale française, c'est-à-dire quelque chose dont on ne sait absolument pas à quoi ça va aboutir ?
MARLENE SCHIAPPA
Ecoutez, ce n'est pas mon souhait pour plusieurs raisons, d'abord la première chose que j'observe, c'est que en 95, on était sur un autre sujet.
GUILLAUME DURAND
Oui tout à fait mais …
MARLENE SCHIAPPA
Sur la Sécurité sociale, vous avez raison de le rappeler en termes de conflit mais là, la transformation que nous proposons du système des retraites, c'est une transformation positive et ça a été rappelé par un certain nombre d'interlocuteurs précédemment avec un plancher à 1 000 euros. On va vers davantage de droits sociaux, même Guillaume TABARD l'analysait à l'instant.
GUILLAUME DURAND
Pourquoi « même » ?! Guillaume TABARD …
MARLENE SCHIAPPA
Guillaume TABARD est réputé, avec tout le respect, j'ai beaucoup de respect et d'admiration pour Guillaume TABARD en tant que journaliste, il est journaliste au Figaro, il n'est pas réputé pour être un gauchiste éhonté et il souligne les avancées et les droits sociaux supplémentaires que cette transformation …
GUILLAUME DURAND
Et vous avez un front du refus, laissons TABARD de côté un instant …
MARLENE SCHIAPPA
Bien sûr !
GUILLAUME DURAND
…avec le talent qui le caractérise, vous avez un front du refus, c'est-à-dire VEYRIER, BERGER, MARTINEZ, SUD …
MARLENE SCHIAPPA
Oui, vous avez raison …
GUILLAUME DURAND
Plus la CGC pour les cadres, plus d'une certaine manière le MEDEF qui considère qu'on aurait pu s'y prendre autrement, plus sur le plan politique, vous avez tous les partis politiques qui sont contre. Donc c'est quand même une situation très compliquée à gérer !
MARLENE SCHIAPPA
Dans l'image large, vous avez raison mais si on regarde dans le détail, en fait, toutes ces personnes ont chacune une opposition particulière sur la question des retraites. Même Laurent BERGER l'a dit lui-même, il ne rejoint pas une intersyndicale, c'est-à-dire qu'il a des mots d'ordre qui sont différents de ceux de la CGT de SUD qui veulent le retrait pur et simple, ne veulent pas entendre parler d'une réforme des retraites. Hier, Philippe MARTINEZ et son projet, c'est tout le monde part à 60 ans, on ne sait pas comment on finance, on ne sait pas dans quelles conditions, on ne sait pas, peu importe. En revanche, il me semble que la CFDT est plus raisonnable si je peux le dire comme ça, plus réaliste …
GUILLAUME DURAND
Donc ce matin, vous croyez – pardonnez-moi de revenir là-dessus –vous croyez à la possibilité que Laurent BERGER revienne dans les conversations avec vous !
MARLENE SCHIAPPA
Je le souhaite parce que je crois que sinon, nous allons rester bloqués et moi, je crois vraiment au dialogue et je pense que chacune et chacun doit retrouver le chemin du dialogue, surtout quand vous avez en face un gouvernement qui n'est pas arc-bouté, qui est très ouvert au dialogue, l'ensemble des ministres, en tout cas ceux qui se sont exprimés l'ont rappelé : la porte du Premier ministre est ouverte, il souhaite dialoguer, il n'est pas du tout droit dans ses bottes comme on a pu le dire, au contraire. Il nous dit : mais écoutez-moi, je veux bien poursuivre la discussion. Je rappelle peut-être un élément de calendrier, le projet de loi, ce sera fin janvier. Ça veut dire qu'il nous reste un mois et demi à peu près de discussions, de négociations pour avancer et trouver des compromis. Il y a plein de sujets sur lesquels on peut avancer, je pense à la pénibilité par exemple, Edouard PHILIPPE l'a dit lui-même, la pénibilité, les droits familiaux. On peut encore avancer. Donc moi, j'invite Laurent BERGER à échanger avec Edouard PHILIPPE, à formuler des propositions concrètes et à faire en sorte que nous puissions trouver une voie de compromis.
GUILLAUME DURAND
Vous vous souvenez que sur la pénibilité, lors de la conversation sur les lois Travail, il avait été question donc de 10 points. Le gouvernement en avait refusé 6 et en avait gardé 4, donc ça veut dire qu'il reviendrait dans les conversations sur ce qu'il avait décidé donc au début du quinquennat mais oublions ça parce qu'il y a d'autres perspectives qui sont très importantes. Il y a cette affaire du simulateur parce que c'est vrai que tous les gens qui nous écoutent sont concernés par la retraite, il y a aussi beaucoup de gens, plus jeunes, qui pensent que la vie est quand même, n'est pas simplement une retraite qui va venir …
MARLENE SCHIAPPA
C'est vrai.
GUILLAUME DURAND
Donc on pense à eux aussi ce matin mais pour ceux qui s'en approchent, cette affaire de simulateur est très importante. Est-ce qu'on a le temps en moins d'une semaine de régler un problème où chacun pourra aller voir sur une application ce qui va lui arriver ?
MARLENE SCHIAPPA
Plusieurs choses, d'abord sur la pénibilité, j'y reviens brièvement ce qui me semble que c'est important, nous avons décidé d'étendre la définition même de la pénibilité. Maintenant, elle sera étendue pour ce qui concerne la retraite notamment aux aides-soignantes, aux infirmières qui mènent des métiers physiquement difficiles qui ont souvent d'ailleurs une espérance de vie moindre, ça a été rappelé précédemment sur votre antenne et donc ça c'est très important, ne serait-ce que pour les aides-soignantes, les infirmières sur la question de la pénibilité. Sur le simulateur, c'est très difficile parce que si on est un peu honnête et qu'on se parle franchement, là, dans le système actuel personne ne sait ce que nous aurons en termes de retraite. Moi qui ai été un peu pigiste, un peu entrepreneuse, un peu en congé parental, maintenant un peu au gouvernement …
GUILLAUME DURAND
C'est ça, l'utilité du simulateur !
MARLENE SCHIAPPA
Exactement !
GUILLAUME DURAND
C'est de taper sur un ordinateur et essayer de comprendre ce qui vous arrive !
MARLENE SCHIAPPA
Absolument mais à l'heure actuelle, vous n'avez pas de simulateur sur le système actuel. Donc nous nous allons mettre en place un simulateur avec des cas type où chacun pourra pas peut-être individuellement rentrer le moindre détail qui le concerne mais on peut déjà réfléchir à un certain nombre de choses …
GUILLAUME DURAND
Et ça sera prêt le 18 décembre parce que c'est ce qu'a demandé le président de la République et visiblement du côté de DELEVOYE, on en doute ?
MARLENE SCHIAPPA
Ecoutez, moi, je n'ai pas d'informations là-dessus mais ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a un certain nombre d'informations qui me semblent très importantes notamment pour les mères de famille. Ce qui est important c'est que maintenant dès le premier enfant, vous aurez vos 5% de majoration. Deuxième enfant, 10% de majoration. Quand vous êtes à la tête d'une famille nombreuse, vous aurez une sur-majoration de 2% parce qu'on considère que les familles nombreuses font partie de la richesse humaine de ce pays et autre élément qui, à mon sens, est important, c'est ce minimum de 1 000 euros. Vous savez, il y a 40% des femmes retraitées à l'heure actuelle, certaines nous écoutent, qui touchent moins de 1 000 euros par mois quel que soit le niveau de vie qu'elles avaient quand elles étaient en activité. Donc c'est très important d'avoir ce nouveau plancher.
GUILLAUME DURAND
Dernière question politique et après, on aborde deux autres sujets UBER et POLANSKI, pardonnez-moi parce que le temps presse, c'est la règle des matinales, vous les connaissez par coeur, ces règles. Est-ce que vous considérez que ce que représente Emmanuel MACRON, c'est-à-dire ce système qui est né d'une présidentielle un peu particulière en 2017 est en danger aujourd'hui, c'est-à-dire un homme seul avec une majorité complètement isolée par rapport à une sorte d'arc électrique d'opposants qui veulent au fond, pardonnez-moi l'expression, « sa peau » ?
MARLENE SCHIAPPA
Je n'en ai pas le sentiment parce que moi, je crois vraiment à la démocratie et dont je crois à la représentativité et à la légitimité de l'élection et je vois qu'il y a une majorité de députés, de parlementaires qui ont été élus pour porter le projet du président de la République et j'observe aussi les sondages et plus que les chiffres des sondages, je le dis toujours, j'observe la trajectoire …
GUILLAUME DURAND
Vous connaissez l'expression, donc vous considérez qu'il est droit dans ses bottes, qu'il ne bougera pas ?
MARLENE SCHIAPPA
Non pas du tout, non, non mais je pense qu'il est …Ce que je conteste, c'est le fait de dire que le président serait isolé, au contraire, j'ai le sentiment qu'il échange énormément avec les partenaires, avec la majorité mais au-delà, avec nos partenaires du MoDem, d'Agir, d'autres mouvements mais qu'il a aussi beaucoup d'écoute et beaucoup de dialogue vis-à-vis des autres partenaires. Mais j'observe surtout que les Français sont majoritairement en soutien de cette transformation et surtout soutiennent la nécessité de transformer notre système de retraite actuel qui n'est plus tenable, pas lisible pour aller vers un système équitable, simple, juste et lisible !
GUILLAUME DURAND
Voilà, donc ça, c'est ce que vous pensez. Les sondages, on l'a vu avec ELABE, une majorité de ceux qui travaillent n'ont pas confiance dans le système mais une majorité voudrait effectivement une réforme aussi de ce système.
UBER, vous avez rendez-vous avec eux, un certain nombre d'incidents qui se multipliaient entre des chauffeurs et des jeunes femmes qui sont dans les voitures ont eu lieu ces derniers temps. Vous réclamez quoi ?
MARLENE SCHIAPPA
Plusieurs choses, d'abord le constat, UBER, la promesse de UBER, c'est une promesse de confiance, la promesse, c'est de dire : vous pouvez envoyer votre petite soeur, votre fille adolescente etc.
GUILLAUME DURAND
Elle est rompue ?
MARLENE SCHIAPPA
…dans un UBER parce que on voit la photo, le nom du chauffeur, l'évaluation. Ce pacte de confiance, il est rompu parce que vous avez de très nombreux témoignages de femmes qui font état de harcèlement sexuel, d'agressions sexuelles et certaines même de viol et pour moi, ce qui est très problématique, c'est que UBER n'a pas tenu sa parole 1) de suspendre le compte dès lors qu'il y a un témoignage d'agression de ce conducteur, si vous avez des conducteurs qui se rendent coupables de harcèlement sexuel ou d'agression, ils restent comme ça, vous pouvez encore avec l'appli tomber sur ces conducteurs par malchance, première chose. Deuxième chose, UBER manifestement d'après ce que disent ces femmes, ne leur aurait pas répondu et ça, pour moi, c'est un problème.
GUILLAUME DURAND
Est-ce que ça veut dire que c'est un cas d'interdiction ? Est-ce que vous allez porter le … parce qu'il y a des grandes villes dans le monde et les pays d'ailleurs où UBER est interdit pour des tas de raisons différentes d'ailleurs ? Est-ce que la question de l'interdiction d'UBER sur le sol français est posée ce matin ?
MARLENE SCHIAPPA
Non, moi encore une fois, je crois vraiment au dialogue et donc je vais recevoir, j'ai convié avec insistance mais ils ont accepté de venir et de jouer le jeu, je les en remercie, la direction de UBER France et moi, je voudrais écouter ce que UBER France va mettre en place pour que les jeunes femmes et les femmes de tous les âges, au demeurant, puissent se déplacer avec cette application UBER, avec ces chauffeurs UBER en toute sécurité, en étant certaines qu'elles ne seront pas harcelées, agressées ou violées.
GUILLAUME DURAND
Donc c'est une demande que vous faites ce matin à la direction ?
MARLENE SCHIAPPA
Absolument, c'est une demande. Je voudrais 1) qu'on étudie les dysfonctionnements du passé, voir pourquoi ces comptes n'ont pas été désactivés, pourquoi ces femmes n'ont pas eu de réponse quand elles ont fait des signalements et 2), qu'est-ce qui sera mis en place à l'avenir pour renforcer la sécurité et qu'on puisse en toute confiance se servir d'UBER pour se déplacer. Ce sont les demandes que je vais formuler à la direction tout à l'heure.
GUILLAUME DURAND
Voilà, en tant que ministre chargée de l'Egalité entre les hommes et les femmes et en tant que féministe, l'affaire POLANSKI a joué un rôle évidemment considérable dans la réflexion ces derniers temps mais vous le savez très bien, ce qui est extrêmement compliqué dans cette affaire, c'est d'établir, j'allais dire, presque une morale publique à partir de témoignages qui sont totalement contradictoires et qui sont prescrits, la justice ne peut pas intervenir. Et Roman POLANSKI dans un grand entretien à Paris Match d'abord réfute une grande partie des accusations qui sont portées contre lui et deuxièmement, il dit « on est en train de me transformer en monstre », en gros, dit-il, sans la moindre preuve, ce qui ne met pas en cause d'ailleurs, de mon point de vue ou du point de vue des gens qui lisent Paris Match, le témoignage des autres mais parole contre parole, comment établir une morale publique si une morale publique est nécessaire, dit-il ?
MARLENE SCHIAPPA
Alors c'est là que j'allais en venir. Moi, je ne me suis jamais, très rarement, j'essaie de ne pas utiliser le terme de « morale », je ne fais pas la morale comme disait NIETZSCHE dans Par-delà le bien et le mal, il n'y a pas de phénomènes moraux, il n'y a qu'une interprétation morale des phénomènes ; votre morale n'est peut-être pas la mienne et peut-être pas celle de POLANSKI, n'est peut-être pas celle des gens qui vous écoutent.
GUILLAUME DURAND
Y compris celle des époques !
MARLENE SCHIAPPA
Absolument.
GUILLAUME DURAND
Dans ma génération, on ne pratiquait pas la même morale que …
MARLENE SCHIAPPA
Tout à fait, donc moi, je ne fais pas de morale, je fais du droit et mon rôle en tant que représentante du gouvernement, c'est de faire du droit et de croire la parole des victimes. Donc quand j'ai plusieurs femmes qui font état de viol, de violence sexuelle, d'agression sexuelle, 1), je les crois ; 2), je ne me substitue pas à la justice ; 3) je ne fais pas de morale. Moi, je crois ces femmes.
GUILLAUME DURAND
Mais si vous les croyez, c'est qu'une partie d'entre elles, je n'ai pas dit « toutes », qu'une partie d'entre elles parce qu'évidemment, on n'a pas eu le temps forcément de tout lire dans le détail, une partie d'entre elles disent des choses qui sont en partie fausses. Donc c'est quand même compliqué d'établir une ligne politique sur les déclarations qui sont peut-être fausses !
MARLENE SCHIAPPA
Bien sûr, bien sûr !
GUILLAUME DURAND
Quand je dis « fausses », les jeunes femmes de l'époque comme lui parce qu'il faut être équitable !
MARLENE SCHIAPPA
Oui, oui mais moi, j'en fais un principe, si vous voulez, si la personne qui est en charge de la lutte contre les violences sexuelles au gouvernement dit : avant d'apporter un soutien à des femmes qui disent qu'elles ont été violées, j'ai besoin de me prendre pour un magistrat, d'étudier le dossier etc., par principe, je pense qu'il faut croire toutes les femmes qui parlent de ce sujet. Ça ne veut pas dire qu'il n'y en a pas qui mentent ou qui inventent, il y en a probablement comme dans tous les autres sujets mais l'immense majorité d'entre elles ont déjà des difficultés à parler et ont besoin d'être crues, je crois.
GUILLAUME DURAND
Merci Marlène SCHIAPPA donc …
MARLENE SCHIAPPA
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 décembre 2019