Texte intégral
MATTHIEU BELLIARD
Votre invité, Sonia MABROUK, c'est Jean-Michel BLANQUER, le ministre de l'Education nationale.
SONIA MABROUK
En ce jour de manifestations, avec une mobilisation qui s'annonce importante des enseignants, vous vous attendez Jean-Michel BLANQUER à un taux de grévistes conséquent ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ça doit être 25 % dans le premier degré, puisqu'on le sait par le dépôt de préavis de grève qui est fait auparavant. Ce sera plus fort à Paris où ce sera 58 %, dans le premier degré.
SONIA MABROUK
On ne va pas rentrer dans la bataille des chiffres, mais déjà les syndicats parlent d'une mobilisation plus importante que les chiffres que vous donnez à l'instant.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, là le chiffre que je vous dis c'est vraiment des remontées parfaitement fiables ce n'est pas dans une fourchette, c'est vraiment ce chiffre-là. Pour le second degré, c'est-à-dire le collège et de lycée, on n'a pas des chiffres aussi fiables, mais ça devrait être à peu près du même ordre. Je vous rappelle que les établissements du second degré restent tous ouverts. S'agissant des écoles primaires, c'est finalement surtout l'Ile-de-France qui est touchée par d'éventuelles fermetures, mais dans ces cas-là si la mairie a pu organiser un service minimum, dans certains cas, et puis de toutes les façons vous avez les sites internet des académies de Versailles, de Paris et de Créteil qui disent quelles sont les écoles fermées ou ouvertes.
SONIA MABROUK
Des manifestants, enseignants ou autres, qui seront ragaillardis très probablement par la démission du Haut-commissaire en charge des retraites. « DELEVOYE parti, la réforme aussi », vont vous opposer les grévistes. Que répondez-vous ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oh, ça n'a rien à voir, et puis d'ailleurs il n'y a jamais eu lieu de…
SONIA MABROUK
Vraiment ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, enfin, on sait très bien que cette réforme n'est pas une question d'hommes, même si Jean-Paul DELEVOYE y a beaucoup travaillé, évidemment, mais c'est un travail collectif, c'est d'ailleurs le travail de la Nation pour elle-même, si je puis dire, puisqu'on entend beaucoup de choses mais il faut quand même toujours rappeler que l'objectif c'est de voir comment nous faisons quelque chose de plus juste, de plus égalitaire, pour tous les Français, et le plus pérenne aussi, c'est-à-dire un système qui vaille pour les décennies à venir, pas seulement les années à venir.
SONIA MABROUK
Il y a encore quelques heures, Jean-Michel BLANQUER, Jean-Paul DELEVOYE était l'homme indispensable de cette réforme, l'artisan, l'architecte en chef. Il est aujourd'hui oublié.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oh, sur tous ces sujets, c'est quand même un... Bien sûr que ce n'est pas de gaieté de cœur qu'on le voit partir, parce qu'il a accompli un très grand travail. Maintenant, il a reconnu lui-même qu'il a fait une erreur, il en a tiré les conséquences, c'est d'ailleurs à son honneur, mais maintenant c'est évidemment un travail d'équipe qui a été accompli et qui va continuer ainsi.
SONIA MABROUK
Une erreur, dites-vous, et aucune suspicion ne pèse sur le travail qu'a effectué Jean-Paul DELEVOYE sur la réforme elle-même ? Pas d'intérêts privés qui ont pu interférer dans la construction du projet ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non. Non non, ce travail c'est surtout un travail de concertation, en réalité, et le rapport tel qu'on l'a lu au mois de septembre c'est un rapport qui résulte de beaucoup de discussions avec les organisations syndicales, donc ça s'est passé à ciel ouvert.
SONIA MABROUK
Alors, parmi ces manifestants, on l'a dit, des enseignants, et au cœur de vos promesses, Jean-Michel BLANQUER, une enveloppe importante : 10 milliards d'euros d'ici à 2037. Est-ce que vous comprenez que les enseignants, qu'on a entendus dans notre journal de 08h00 notamment, ont du mal à croire à une annonce qui s'étale sur trois quinquennats. Trois quinquennats.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, mais ils en verront les premiers effets dès le 1er janvier 2021. C'est l'engagement du Premier ministre, c'est à signaler que le Premier ministre a dans son discours du 5 décembre, a consacré un temps spécifique à l'Education nationale, précisément parce que nous avions identifié depuis plusieurs mois et depuis au moins le discours du président d'avril dernier, que nous devions faire ce travail sur les rémunérations, si nous voulions que les professeurs, et notamment ceux qui, par exemple, de la génération 75, qui partiront à la retraite en 2037, puissent avoir eu la carrière leur permettant de maintenir le niveau de pension, tel qu'il est aujourd'hui, qui est aujourd'hui en moyenne de 2 600 €.
SONIA MABROUK
Ce sont des primes ou des indemnités, d'ailleurs, qui seront versées ou les deux ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, c'est synonyme en fait, indemnités et primes, régime indemnitaire…
SONIA MABROUK
Ah bon ? Parce que, quand on dit « indemnités », on ne pense pas contrepartie, quand on dit « primes », c'est différent.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bon, alors, dans ce cas-là, pensez indemnités…
SONIA MABROUK
Le choix des mots est important.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Enfin, je ne veux pas rentrer dans la technique, mais en gros vous avez le salaire et les éléments indemnitaires, qu'on peut appeler primes aussi, et parmi ces primes il y a des choses qui sont les mêmes pour tout le monde, et puis d'autres qui sont conditionnées. Donc c'est plutôt…
SONIA MABROUK
Donc il y en a qui seront sans distinction, tout le monde est revalorisé sans critère.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, c'est une revalorisation générale, de façon à ce que tout le monde, enfin, à ce que personne n'ait une baisse de pension du fait du nouveau régime.
SONIA MABROUK
Pas sur les salaires.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Comment, pardon ?
SONIA MABROUK
Ce sera avec les primes.
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est une augmentation de salaire. Non mais ça, ça se discute, c'est justement au cours des six prochains mois, et ça c'est ce à quoi j'ai invité les organisations syndicales, c'est justement à discuter de la manière dont nous allons augmenter les professeurs, et donc c'est pourquoi nous avons entamé une série de discussions. J'entendais qu'il y avait du scepticisme dans votre reportage, c'est vrai de la part…
SONIA MABROUK
Un peu plus, certains parlent de défiance.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, mais ça dépend des syndicats. J'en ai reçu trois hier, j'en ai reçu trois autres vendredi dernier, tous n'ont pas la même tonalité, donc là il y a quelque chose d'hétérogène en la matière, mais de toutes les façons, ce que je dis se verra très vite, puisque dans le projet de loi il y aura la garantie donnée aux professeurs que les pensions ne baisseront pas, et notamment l'alignement avec les fonctionnaires de catégorie A, sera gravé dans le marbre, ce qui est quand même un point très important. Et puis ensuite, de manière assez logique, on va travailler sur la structure de rémunération des professeurs pour avoir une courbe qui favorise plus, notamment les entrées dans la carrière, et les milieux de carrière…
SONIA MABROUK
Une courbe, c'est ça ce qu'on vous reproche, ce qu'ils vous reprochent Jean-Michel BLANQUER, c'est d'avoir fixé l'objectif mais pas le chemin. Est-ce que vraiment c'est tabou de dire aujourd'hui aux enseignants que toute revalorisation s'accompagne d'un effort en termes de productivité ? C'est un gros mot aujourd'hui de dire : productivité, efficacité, aux enseignants ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, ce ne sont pas des gros mots, mais ce n'est pas le…
SONIA MABROUK
Ah, vous ne le dites pas naturellement.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, ce que je dis c'est que nous avons une occasion, mais qui est vraiment historique, d'abord parce que les augmentations seront très substantielles, et chacun va s'en rendre compte assez vite.
SONIA MABROUK
Augmentation ou compensation finalement ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Les augmentations, il n'y a pas besoin de parler de compensation, ce sont des augmentations pures et simples, ces augmentations qui vont avoir lieu vont être importantes…
SONIA MABROUK
Ça dépend, si ça compense des baisses, ce n'est plus une revalorisation.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non non... eh bien si, parce que tout simplement ils vont gagner plus, ils vont gagner plus, c'est un…
SONIA MABROUK
Ou alors ça compense juste des futures pertes.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, mais parfois certains utilisent du vocabulaire pour créer du flou. Là c'est très simple, il y aura des augmentations dès 2021, c'est aussi simple que cela. Maintenant ça se discute, et d'ailleurs si je disais tout de suite ce que ça doit être, on dirait que je fais ça sur un coin de table, alors que ça se travaille évidemment dans le cadre du dialogue social.
SONIA MABROUK
Mais si vous ne le faites pas, on dit que vous entretenez une stratégie de flou.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr. Mais de toute façon il y a toujours des gens pour critiquer, et donc il faut quand même avancer, et donc on avance avec quelque chose de très concret, donc mon message aux professeurs est très simple, c'est : oui, il y aura des augmentations en janvier 2021. Je suis très cohérent avec tout ce que je dis depuis le début, je sais bien qu'il y a de l'impatience, je suis le premier à reconnaître que les salaires sont trop bas, notamment en début et en milieu de carrière, c'est justement ce que l'on compenser, et sur ce point, comme sur d'autres, on verra a posteriori que ce qui a été annoncé se vérifie tout simplement.
SONIA MABROUK
Mais, Jean-Michel BLANQUER, c'est vrai pour la cohérence, moi j'ai retrouvé certaines de vos phrases, il y a un an, même 2 ans, dans le JDD, sur votre conception du métier pour le XXIème siècle où vous disiez qu'il faut aller vers une plus grande autonomie et un principe de reconnaissance individuelle et de mérite des enseignants. Le mérite, pas tabou là encore.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Mais le mérite, ça n'est pas un mot tabou, puisque tous les professeurs qui sont là, le sont, au mérite…
SONIA MABROUK
Chez vous peut-être.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, parce qu'ils ont passé un concours qui est un concours de méritocratie républicaine, donc il y a le mérite…
SONIA MABROUK
Vous comprenez ce que je veux dire, plutôt, oui…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Le mérite n'est absolument pas un problème. Par ailleurs, aujourd'hui, par exemple quand vous travaillez en réseau d'éducation prioritaire, on reconnaît le mérite que vous avez eu de vous engager dans des conditions qui sont un peu plus difficiles que pour les autres. Donc c'est tous ces points-là qui peuvent être regardés, de façon à ce que, au cours des temps qui viennent on puisse améliorer plein de choses qui peuvent s'améliorer à l'Education nationale. C'est l'occasion vraiment de quelque chose de très constructif. On se plaint souvent du caractère trop bureaucratique, trop anonyme de la gestion des ressources humaines à l'Education nationale, puisqu'il a un million de personnes, eh bien ce que je mets sur la table, c'est notre capacité à personnaliser mieux les parcours, à faire que les mutations se passent sur un mode qui tienne beaucoup plus compte des réalités des uns et des autres, qu'on ait une gestion des ressources humaines de proximité qui permette à un professeur ou à un personnel d'avoir un interlocuteur pour comprendre ces enjeux.
SONIA MABROUK
Vous leur promettez le grand soir, ils ne voient rien les enseignants ? A croire qu'ils ont du mal à comprendre, Jean-Michel BLANQUER. Ce n'est pas cela, évidemment.
JEAN-MICHEL BLANQUER
C'est pour ça que je parle dans les médias comme je le fais ce matin, c'est-à-dire que par-delà tous les commentaires qui peuvent être faits, et je sais bien qu'on est dans une atmosphère où il y a beaucoup de voix pour essayer de douter de la parole publique, mais mon message il est très clair, il est en direction des professeurs, mais en réalité derrière les professeurs de l'ensemble de la société française, parce que nous avons tous intérêt à avoir le professeur au centre de notre société, avec un prestige renouvelé, avec un salaire meilleur, une bonne reconnaissance, une attractivité du métier, une bonne formation…
SONIA MABROUK
Mais un professeur présent aussi, avec pas de taux d'absentéisme aussi.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Exactement…
SONIA MABROUK
On peut rappeler ce qui ne va pas.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Toutes ces choses qui sont synonymes, qui s'amélioreront si on a du bien-être au travail, si on s'organise mieux. Bref, tout ce qui permet d'investir plus dans l'Education nationale pour que tout simplement les élèves réussissent davantage. Donc c'est tout ça qui est en jeu, donc dans une démocratie calme et sereine, on doit parfaitement, en quelques mois, avec une échéance qui est fixée, on aura une loi de programmation, un début d'application dès 2021, donc c'est très concret, on pourra être jugé sur pièces très vite, et on va pouvoir enclencher un mouvement très conséquent d'amélioration de la rémunération des professeurs.
SONIA MABROUK
Aurez-vous le temps ? Le calme et la sérénité ce n'est pas ce qui marque la journée d'aujourd'hui, si c'est une démonstration de force dans les rues, Jean-Michel BLANQUER, est-ce que l'âge pivot sera clairement la variable d'ajustement ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
D'abord, moi je suis parfaitement calme et serein justement et c'est ça... et d'ailleurs certains de mes interlocuteurs syndicaux le sont tout autant, et on va, je suis très confiant dans le fait qu'on va arriver à des choses très positives. Donc là, quels que soient les, je dirais les éléments de crise du moment, je sais que nous allons y arriver, et ce sera au bénéfice des professeurs.
SONIA MABROUK
Alors, est-ce qu'avec votre calme et votre sérénité, vous dites que l'âge pivot sera la variable d'ajustement ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce qui est certain, c'est que notre but c'est d'obtenir un équilibre des retraites.
SONIA MABROUK
Mais quand ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Et quand on dit un équilibre de retraite, ce n'est pas parce que c'est un fétiche en soi, c'est parce qu'on ne veut pas léguer à nos enfants des déficits qui s'accumulent, c'est aussi simple que ça. Et ce que dit le Premier ministre…
SONIA MABROUK
Ce matin, Jean-Michel BLANQUER, Laurent BERGER vous dit : donnez-moi un an. Vous lui donnez ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Eh bien ça c'est au Premier ministre évidemment de discuter avec les organisations syndicales.
SONIA MABROUK
Oui, mais vous, qu'est-ce que vous en pensez ? Vous avez votre avis.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je l'ai dit, et dans nos séminaires gouvernementaux et publiquement, c'est-à-dire, et d'ailleurs c'est ce qu'a dit aussi le Premier ministre, c'est-à-dire encore une fois c'est la finalité qui est importante, c'est-à-dire arriver à un équilibre qui était fixé pour 2027, et après, le chemin il a été donné jusqu'au 1er janvier 2022 aux organisations syndicales pour proposer…
SONIA MABROUK
Mais il faut donner une année, un délai pour la paix sociale, une année aux syndicats pour trouver justement ce chemin, ces alternatives ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Il leur a été donné jusqu'au 1er janvier 2022 pour proposer quelque chose de mieux que l'âge pivot.
SONIA MABROUK
Et maintenant, qui va remplacer Jean-Paul DELEVOYE ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Alors, de nouveau ce n'est pas à moi de le dire, mais comme vous avez cité plusieurs personnes à votre antenne tout à l'heure, on voit bien qu'il y a évidemment des talents…
SONIA MABROUK
Est-ce qu'il faut le remplacer, d'ailleurs ? C'est le Premier ministre, Edouard PHILIPPE, qui est à la manoeuvre.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, bien sûr, mais c'est vrai que c'est un sujet qui réclame vraiment beaucoup de temps et beaucoup de technique aussi, donc ça ne nuirait pas d'avoir une personne dédiée, bien sûr.
SONIA MABROUK
Qui est déjà au sein du gouvernement ?
JEAN-MICHEL BLANQUER
Je n'en sais rien, enfin, en tout cas ce n'est pas à moi de le dire.
SONIA MABROUK
Mais vous êtes quand même, entre vous et les ministres, les meilleurs connaisseurs de ce projet de réforme, enfin, on voit mal quelqu'un arriver de l'extérieur qui débarque dans les négociations.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, vous avez aussi par exemple, vous avez quelques ministres qui connaissent très bien le sujet…
SONIA MABROUK
Dont vous, Agnès BUZYN…
JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, forcément, parce qu'on est très concerné, et puis vous avez des parlementaires qui ont beaucoup travaillé sur ces questions, et donc non, fort heureusement les talents ne manquent pas.
SONIA MABROUK
Merci Jean-Michel BLANQUER d'avoir été notre invité ce matin sur Europe 1.
JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 décembre 2019