Texte intégral
Madame la Secrétaire générale,
Mesdames et Messieurs,
Nous sommes réunis aujourd'hui pour « préparer l'Europe de demain » en « renforçant les droits de l'enfant ».
Répondre de l'avenir de l'Europe par les droits de l'enfant, ce n'est pas simplement décliner l'adage selon lequel « les enfants sont l'avenir ». C'est s'inscrire dans l'histoire du Conseil de l'Europe. Et en écrire la suite.
Dès sa fondation, en 1949, le Conseil de l'Europe ouvre un chantier qu'il ne refermera plus : la sauvegarde des droits de l'Homme.
Dans une allocution prononcée à Rome en février 1950, le premier secrétaire général du Conseil de l'Europe, Jacques-Camille Paris, annonçait déjà la création d'une « Cour européenne compétente pour juger toutes les violations des droits fondamentaux », définis dans une convention en cours d'élaboration. Quelques mois plus tard, la Convention des droits de l'Homme était signée à Rome. La Cour européenne des droits de l'Homme sera créée neuf ans plus tard.
« Ce n'est pas une machine que nous fabriquons, mais une plante vivante que nous faisons croître », déclarait Churchill en 1950 devant l'Assemblée du Conseil de l'Europe.
Et, en effet, cette « plante » a cru. Si elle a pu le faire, c'est parce qu'elle ne s'est pas contentée de s'agrandir, elle s'est aussi consolidée. En renforçant la démocratie et en reconnaissant toujours davantage les droits de l'Homme.
En matière de droits de l'enfant, le Conseil de l'Europe a également contribué à de nombreuses reprises à leur conférer une existence juridique.
Ainsi, en 1967, la convention européenne des enfants adoptés est le premier traité à encadrer l'adoption, afin de la rendre plus juste et plus humaine.
D'autres conventions sont venues par la suite renforcer la reconnaissance des droits de l'enfant : la convention européenne sur l'exercice des droits des enfants, relative aux procédures juridiques ; la convention de Lanzarote, sur la protection des enfants et contre l'exploitation et les abus sexuels.
Ces traités ont contribué à créer un espace juridique inédit, couvrant l'ensemble des Etats membres du Conseil de l'Europe à mesure qu'ils les ratifiaient et s'appuyant sur un organe pionnier, la Cour européenne des droits de l'Homme.
Je tiens à saluer dans cet effort le rôle essentiel des comités indépendants, notamment les comités de Lanzarote, GRETA (sur la traite des êtres humains) et GREVIO (sur la violence à l'égard des femmes et la violence domestique). Leur travail pour s'assurer de la bonne application de ces textes dans les pays les ayant ratifiés permet qu'ils soient mieux connus et davantage pris en compte.
Malgré les avancées réalisées dans la défense et la reconnaissance des droits de l'enfant, beaucoup de ces droits sont encore bafoués. En Europe, un enfant sur cinq est victime d'agression sexuelle. Un enfant sur six est en situation de pauvreté ou d'exclusion. Cinq cent mille enfants sont enfermés dans des institutions maltraitantes. Plus de deux mille enfants seraient apatrides. Pour tous ces enfants, les droits reconnus dans les traités et conventions sont inexistants.
Ces chiffres restent terrifiants. C'est pour ces enfants que nous devons nous engager à progresser.
Nous allons pendant ces deux jours faire le point sur la mise en oeuvre de la Stratégie pour les droits de l'enfant, adoptée en avril 2016 par les Etats membres du Conseil de l'Europe. Ce bilan d'étape doit mobiliser notre vigilance dans une double direction : évaluer l'effectivité des droits existants ; définir des règles aptes à répondre aux nouvelles menaces.
Les droits des enfants à être protégés contre toute forme de violence, à bénéficier d'une justice adaptée, à voir leur opinion prise en compte et à participer, reconnus depuis trente ans, doivent être connus et vécus par les cent cinquante millions d'enfants qui vivent en Europe.
En ce sens, la Stratégie représente aussi une opportunité de dialoguer entre Etats membres afin de partager nos bonnes pratiques, de faire part de nos difficultés, et enfin de progresser ensemble. Et construire finalement un espace européen sans violence, où l'intégrité et le développement de l'enfant sont garantis et effectivement protégés.
D'autre part, des défis nouveaux, liés aux transformations de nos sociétés, nous obligent à réfléchir aux mesures à prendre pour que l'intérêt de l'enfant soit effectivement respecté. C'est le cas du monde numérique, qui offre à la fois aux enfants des possibilités de participation inédites, et les expose à de nouveaux dangers : contenus inappropriés, violents ou pornographiques, internautes malveillants, divulgation d'informations personnelles, harcèlement en ligne.
Le Conseil de l'Europe s'est saisi de cette question. La « recommandation sur les lignes directrices relatives au respect, à la protection et à la réalisation des droits de l'enfant dans l'environnement numérique », adoptée le 4 juillet 2018 par le Comité des ministres, rappelle qu'il est impératif de protéger nos enfants de ces dangers du numérique, tout en reconnaissant le formidable potentiel de ces outils nouveaux pour leur éducation et leur développement.
Comment assurer la protection des enfants face à ces dangers variés, présents dans contenus aux formes multiples, librement et facilement accessibles, sur des supports multiples ? Comment protéger les droits, ceux de l'enfant de trois ans comme celui de seize ans, tout en garantissant le respect de la liberté de communication, du droit à l'information et à la participation ?
Autant de questions auxquelles nous devons apporter des réponses, collectivement, si nous voulons garantir aux enfants d'être protégés y compris dans le monde numérique.
Les défis pour les droits de l'enfant ne se limitent pas à ceux posés par l'essor du numérique, et les chantiers à mettre en oeuvre pour faire progresser ces droits sont nombreux, qu'il s'agisse de la prostitution infantile, des enfants migrants ou dépourvus de nationalité. Mais les rencontres comme celles-ci sont des opportunités pour avancer ensemble dans cette voie.
Je terminerai en évoquant la situation de mon pays. Non pas pour l'élever sur un piédestal, mais parce que je pense qu'un exemple peut être éclairant. J'en profite pour saluer la présence de Geneviève Avenard, la Défenseure des enfants, qui est présente dans la salle.
En janvier dernier, était créé un secrétariat d'Etat en charge de la protection de l'enfance.
La protection de l'enfance, préoccupation portée par le Président de la République, devenait ainsi une mission à part entière du gouvernement. Le signal était fort, et les attentes nombreuses.
Ce nouveau secrétariat constitue, du point de vue des droits de l'enfant, un écho à la création d'un suivi en continu, par le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge [saluer la présence de sa présidente à la Conférence], des recommandations du Comité des droits de l'enfant. En tant que secrétaire d'Etat responsable de la politique de protection de l'enfance, je réponds de l'action du gouvernement, notamment concernant les recommandations.
Or, nous avons au cours de cette année engagé des mesures fortes pour remédier à des atteintes aux droits de l'enfant, qu'il s'agisse de la loi contre les châtiments corporels, de la réforme de la protection de l'enfance, de la réforme en cours relative à la justice des mineurs, de l'école inclusive, du plan en faveur des enfants atteints de troubles du développement. Bien sûr, nous devons encore progresser. Mais en coordonnant et en rendant visible la stratégie du gouvernement, ce secrétariat d'Etat constitue une avancée dans la reconnaissance de la nécessité d'agir et j'en suis fier.
La stratégie du Conseil de l'Europe pour les droits de l'enfant nous invite à porter cette action collectivement.
Je vous remercie de votre attention et vous souhaite des échanges fructueux.
Source https://conseil-europe.delegfrance.org, le 29 janvier 2020