Texte intégral
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est l'homme que vous allez voir quasiment tous les jours maintenant puisqu'il va défendre au Parlement la réforme des retraites. Après la phase politique, c'est le moment de Laurent PIETRASZEWSKI, le Secrétaire d'Etat chargé des Retraites. Bonjour Monsieur le Ministre.
LAURENT PIETRASZEWSKI
Bonjour.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci d'être avec nous ce matin parce qu'on a plein de questions à vous poser encore sur le projet de réforme des retraites. D'abord parce que le Conseil d'Etat nous dit : « le projet n'est pas ficelé. » Est-ce qu'il n'est pas ficelé ce projet ?
LAURENT PIETRASZEWSKI
C'est un beau projet, il est bien ficelé. On a fait une étude d'impact, juste pour vous donner une petite idée, une étude d'impact de plus de mille pages. Et quand on regarde les réformes précédentes qui ont pu être faites, notamment celle de 2014, on était sur une grosse centaine de pages. Donc on voit bien que ce qu'on a fourni au Conseil d'Etat, c'est beaucoup d'information, beaucoup d'analyse et en plus nous avons fait une analyse détaillée par article. Ce qu'a dit le Conseil d'Etat, c'est qu'il aurait voulu avoir plus de temps.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et vous savez aussi que le diable est dans les détails. Vous allez faire 29 ordonnances pour compléter le projet de loi. Alors évidemment, ça nous interroge. C'est-à-dire qu'effectivement, qu'est-ce qu'il y aura dans ces ordonnances, dans les détails ? Par exemple, on va prendre un point particulier qui émeut Laurent BERGER depuis vingt-quatre heures. Dans l'étude d'impact, vous parlez d'un âge – voilà, il ne faut pas dire le mot – pas pivot mais d'un âge d'équilibre à 65 ans à partir de 2037. Si on part avant, on a une décote ; si on part après, on a une surcote. Pourquoi vous avez mis l'âge de 65 ans dans l'étude d'impact avant même que les partenaires sociaux ne se soient prononcés ?
LAURENT PIETRASZEWSKI
Un premier bon signe d'abord, c'est que vous avez lu l'étude d'impact…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui, oui.
LAURENT PIETRASZEWSKI
Et que vous avez bien pointé qu'il y avait des éléments chiffrés dans l'étude d'impact. Ça répond à votre première question : il y a des éléments chiffrés, on peut en débattre. La preuve, on le fait ce matin. De quoi parle-t-on ? De la réalité tout simplement. Parce que quand on fait des projections, il faut le faire sur des hypothèses solides. D'ailleurs c'est la responsabilité du gouvernement de faire des choses solides, sérieuses. Qu'est-ce qu'on peut constater aujourd'hui ? On a un âge d'entrée dans la vie active autour de 22 ans qu'on ait fait ou pas d'ailleurs d'études longues. Autour de 22 ans. La réforme Touraine votée en 2014, donc c'est la loi, la loi de tous les Français, c'est 43 ans de durée d'activité. Eh bien si on fait 22 ans, âge d'entrée dans la vie active + 43 ans, durée prévue pour l'activité, ça fait 65. Donc toutes nos hypothèses sont sur cela et nous rappelons, parce qu'au final je crois que c'est peut-être votre question sous-jacente, nous rappelons qu'en fait ce sont les partenaires sociaux qui proposeront l'âge d'équilibre et que le gouvernement prendra ensuite par décret.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc 65 ans, ce n'est qu'une hypothèse.
LAURENT PIETRASZEWSKI
Absolument. C'est une hypothèse de travail qui s'appuie sur la réalité constatée.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Combien ça va coûter cette réforme ? Vous savez que dans nos équipes, on a Emmanuel LECHYPRE qui, il y a une quinzaine de jours, a chiffré tous les renoncements et les dérogations que vous avez acceptés. Il l'a chiffré entre 80 et 100 milliards d'euros. Alors vous connaissez Emmanuel LECHYPRE, est-ce qu'il raconte n'importe quoi ?
LAURENT PIETRASZEWSKI
Non, Emmanuel LECHYPRE d'abord il a envie de savoir et c'est plutôt une qualité quand on est journaliste, je crois. Peut-être que ce qu'on peut pointer là, c'est que volontairement de son côté, je crois, il l'assume, il a souhaité additionner ce qui tient du domaine de l'investissement. L'investissement très légitime que le gouvernement et l'ensemble d'ailleurs de la Nation doit faire.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Par exemple, le salaire des enseignants.
LAURENT PIETRASZEWSKI
Bien sûr. Donc ce débat sur…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui, mais c'est quand même une contrepartie au changement des règles pour leur retraite. Donc c'est un investissement mais c'est aussi quelque part une manière de faire passer le projet.
LAURENT PIETRASZEWSKI
Ça réinterroge… Modifier le contrat social en profondeur entre nos concitoyens et l'Etat employeur, ça nécessite de se réinterroger. Les grilles de rémunérations de nos fonctionnaires pour la plupart ont été construites justement avec cette visée du salaire différé de la pension. Nous allons reconstruire ces grilles. Reconstruire ces grilles, c'est aussi se réinterroger et franchement, pour le million d'enseignants que nous avons, qui au quotidien travaillent avec des enfants et travaillent sur leur éducation, leur émancipation, je pense qu'on peut se réinterroger légitimement sur le niveau de rémunération qu'ils perçoivent et sur leur place dans la société et sur le contenu de leur métier. C'est l'objet des concertations que mène Jean-Michel BLANQUER et c'est pour cela que nous avons inscrit dans la loi notre volonté de faire une loi pluriannuelle d'engagement qui rassure les enseignants sur le fait que leurs conditions à la fois de rémunération et de travail vont évoluer.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Laurent PIETRASZEWSKI, vous êtes du privé. Vous avez été DRH notamment chez AUCHAN. Vous savez comptez. Quand même, quand Emmanuel nous dit entre 80 et 100 milliards d'euros, est-ce que vous ne trouvez pas ça trop ? Tout ça pour ça, pour dépenser autant d'argent. Est-ce qu'on va faire des économies in fine ?
LAURENT PIETRASZEWSKI
Je continue sur peut-être ce que ce que vous souhaitiez évoquer, c'est-à-dire les perspectives tracées par Emmanuel LECHYPRE. Il y a à la fois des éléments d'investissement qu'il met dans son chiffrage et puis des éléments qui sont liés aux coûts de transition. Eh bien quand vous faites une transformation, d'ailleurs je pense que vos téléspectateurs le savent, quand une entreprise se transforme profondément, il y a des investissements à faire et il y a des coûts qui sont induits par cette transformation. Et l'ensemble de ces investissements, de ces coûts…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est des coûts de restructuration en fait.
LAURENT PIETRASZEWSKI
Eh bien ils sont couverts par l'objectif que vous avez. Et nous notre objectif, disons les choses, c'est de créer un système plus juste, plus durable où il y aura de la redistribution. Parce que le système actuel, honnêtement, vous savez quand on regarde les données de l'INSEE, elles sont claires. Vous avez des écarts de, un à six au niveau des salaires quand vous rentrez dans le système actuel, et les pensions elles vont de un à sept. Demain avec le système que nous proposons, ça sera un écart de un à quatre, donc nous allons réduire les écarts qu'il y a entre les différents niveaux de pension.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors on a vu toutes les réserves, les critiques émises par le Conseil d'Etat ; ce n'est qu'un avis. Vous n'avez pas peur que in fine votre loi soit retoquée par le Conseil constitutionnel ? Parce que justement le Conseil dira qu'elle ne donne pas suffisamment de garanties, qu'elle n'est pas suffisamment équilibrée, qu'il y a un risque par exemple que la garantie des droits acquis qu'on donne aux personnes nées avant 75 ne soit pas respectée ?
LAURENT PIETRASZEWSKI
63 pages d'avis du Conseil d'Etat, il y a rarement eu d'ailleurs des avis du Conseil d'Etat aussi solides, aussi appuyés et aussi larges. Donc c'est vrai que souvent on me fait écho à une dépêche AFP qui a repris deux fois trois lignes de ces 63 pages. Moi j'ai lu les 63 pages…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il suffit parfois de trois lignes pour le Conseil constit' pour invalider une loi.
LAURENT PIETRASZEWSKI
J'ai lu les 63 pages. Qu'est-ce qu'il y a dans les 63 pages ? 1/ Le Conseil d'Etat a validé la quasi-totalité des dispositions des deux projets de loi : le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire. Donc ça, c'est un premier point. Le deuxième point, le Conseil d'Etat a dit, vous l'avez dit tout à l'heure, « on aurait souhaité avoir plus de temps pour pouvoir examiner cela. » Troisième point, le Conseil d'Etat nous dit : « On ne peut pas engager le gouvernement sur une loi de programmation pluriannuelle dans ce texte. » Eh bien nous, nous assumons la décision politique d'envoyer un message clair à nos enseignants, à nos chercheurs. Oui, nous nous sommes engagés à ce que leur niveau de pension ne baisse pas. Oui, nous nous sommes engagés à revoir avec eux les modalités de leur rémunération et du contenu de leur métier. Eh bien nous le maintenons et c'est pour ça que c'est clairement dans le texte de loi.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Laurent PIETRASZEWSKI, j'espère que vous êtes en forme parce que ça commence aujourd'hui pour vous. 21 heures 30 devant la commission spéciale de l'Assemblée nationale, vous allez commencer à défendre votre projet. Vous allez passer des centaines d'heures à le défendre. Est-ce que vous craignez un troisième tour social à l'occasion de ce débat parlementaire.
LAURENT PIETRASZEWSKI
Bon, je suis en forme. Bien sûr, je suis en forme.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
J'espère.
LAURENT PIETRASZEWSKI
D'abord je suis passionné par ce que je fais. Vous savez, vous avez rappelé tout à l'heure que moi j'avais une mission avant de m'engager, j'avais un job avant de m'engager en politique. J'aurai à la fin de cette mission plaisir à retourner dans d'autres activités et je suis là parce que je suis passionné par cette volonté de créer un modèle social adapté à notre situation économique, au marché de l'emploi, à la réalité des hommes et des femmes de notre pays. Donc j'ai cette énergie-là, je défendrai ce projet avec passion, avec envie, avec engagement mais avec aussi, vous le savez, le soutien de la majorité présidentielle à la fois à l'Assemblée nationale mais aussi, je crois, avec une volonté d'ouverture au Sénat.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et s'il n'y a pas d'accord avec les partenaires sociaux dans la conférence de financement, vous trancherez ? Vous imposerez les mesures qu'il faut pour équilibrer le système, on est d'accord ?
LAURENT PIETRASZEWSKI
Mais le gouvernement a dit qu'il prendrait ses responsabilités, mais je crois franchement que les partenaires sociaux ont une belle échéance avec une volonté de trouver des solutions.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci Laurent PIETRASZEWSKI, Secrétaire d'Etat chargé de la Réforme des Retraites. Vaste programme j'ai envie de vous dire. Je vous souhaite bon courage pour les centaines d'heures de débat parlementaire qui sont devant vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 janvier 2020