Interview de M. Franck Riester, ministre de la culture, à CNews le 7 février 2020, notamment sur les élections municipales, la restructuration du distributeur de journaux Presstalis et la parité hommes-femmes dans le cinéma.

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Média : CNews

Texte intégral

GERARD LECLERC
Bonjour Franck RIESTER !

FRANCK RIESTER
Bonjour Gérard LECLERC !

GERARD LECLERC
Vous annoncez ce matin dans le journal et Le Pays Briard et donc sur CNews que vous êtes candidat aux élections municipales à Coulommiers, en Seine-et-Marne, j'allais dire une candidature pour quoi faire sachant que vous êtes ministre et que même si vous êtes élu vous resterez ministre !

FRANCK RIESTER
Vous savez, j'ai été maire de Coulommiers pendant neuf ans et j'ai encore beaucoup de projets avec une équipe que je suis en train de constituer au service de la ville dans laquelle j'ai grandi, dans laquelle j'habite et on peut avoir des fonctions ministérielles, servir son pays et en même temps continuer d'avoir une ambition forte pour le territoire dans lequel on a grandi, c'est ce que j'ai vais présenter aux Columériennes et aux Columériens lors des prochaines élections municipales. Effectivement un peu comme le Premier ministre, si le président de la République et le Premier ministre continuent de me confier des missions au sein du Gouvernement je les assumerai parce que…

GERARD LECLERC
Et donc vous ne serez pas maire.

FRANCK RIESTER
…servir son pays c'est un devoir et un honneur. C'est donc Laurence PICARD, c'est une personne qui est très clairement identifiée qui sera maire si les Columériennes et les Columériens font confiance à l'équipe que je vais conduire et à l'issue éventuellement de mes missions gouvernementales à ce moment-là…

GERARD LECLERC
Là vous serez à la fois député et maire, vous ferez quoi ?

FRANCK RIESTER
Non, pas automatiquement député, la logique veut que je redevienne maire, j'ai ma suppléante qui fait un travail, Patricia LEMOINE, remarquable et donc jusqu'en 2022 elle sera députée. Et si je sortais du Gouvernement ou si la réorganisation gouvernementale voulait qu'effectivement je n'aie pu à assumer ces missions-là, la logique veut que je redevienne maire mais bien sûr on en parlera avec l'équipe et notamment avec la maire qui serait choisie par nos administrés.

GERARD LECLERC
On sait qu'Emanuel MACRON a incité, incite ses ministres justement à aller aux municipales, d'ailleurs il n'y en a pas beaucoup, il y en a seulement une douzaine qui le font pour l'instant, pourquoi, c'est l'idée peut-être de masquer des élections qui s'annoncent très difficiles pour La République en Marche, pour la majorité, et donc d'avoir quelques élus ?

FRANCK RIESTER
Non, je ne crois pas, c'est aussi le symbole qu'on peut être ministre sans être déconnecté du terrain, sans perdre ses racines, sans perdre son engagement citoyen d'une certaine façon et c'est ce que certains d'entre nous démontrent ! Après, il n'y a pas de règle d'aller ou de ne pas aller, chacun est dans son engagement, son parcours. Moi depuis des années mon parcours passe par Coulommiers, par celles et ceux qui m'ont fait confiance à Coulommiers et je ne les oublie pas et j'ai encore beaucoup de choses à proposer à cette ville que j'aime. Pour autant, vous savez, les élections municipales, on le voit bien partout, c'est d'abord des élections locales, c'est parce qu'il y a des hommes et des femmes qui se rassemblent autour d'un projet, au service de l'intérêt général, que les habitants de ces différentes villes votent, ce n'est pas pour une étiquette politique. Et on le voit bien, d'ailleurs c'est ce que je fais…

GERARD LECLERC
Il ne faudra pas sur-interpréter les élections municipales vous êtes en train de nous dire…

FRANCK RIESTER
Oui mais ça a toujours été le cas, c'est exactement ce que nous faisons par exemple dans la ville de Coulommiers, c'est qu'on rassemble des gens de sensibilités différentes, tout simplement qui veulent se rassembler au service d'un projet !

GERARD LECLERC
Vous le savez, il y a un énorme malaise dans la majorité, il y a encore deux députés qui sont partis de La République en Marche hier et il y a eu bien sûr cette affaire du couac autour d'un congé pour deuil d'un enfant décédé, c'est une proposition de votre groupe UDI, Agir, qu'est-ce qui s'est passé, quelles leçons à tirer de cet épouvantable événement, séquence ?

FRANCK RIESTER
Oui, c'est vrai que ça a été un mauvais signal, très mauvais signal, et, vous savez, j'ai été député pendant 12 ans, président de groupe, vous l'avez rappelé, le fameux groupe UDI, Agir et Indépendants, j'ai créé un parti politique Agir avec des amis parlementaires et élus locaux et je sais comment les choses se passent. Je vois…

GERARD LECLERC
Alors qu'est-ce qui s'est passé, qu'est-ce qui n'a pas fonctionné ?

FRANCK RIESTER
Ce qui n'a pas fonctionné c'est qu'il y a eu une réponse technique à un sujet très politique ! On voit bien, il y a une multitude de propositions de loi qui s'enchaînent, il y a des arbitrages qui se font et à un moment donné il y a une succession d'éléments qui font qu'on prend la mauvaise décision et on ne mesure pas le signal envoyé à nos compatriotes.

GERARD LECLERC
Alors qu'est-ce qu'on fait pour que ça ne se reproduise pas ?

FRANCK RIESTER
Ça a été reconnu d'abord et avant tout par le Gouvernement parce que c'est un arbitrage gouvernemental. Et quand on est dans la majorité on soutient la position du Gouvernement, c'est logique, ça fait partie du fonctionnement démocratique, mais là du coup il y a eu un mauvais arbitrage gouvernemental, tout le monde l'a reconnu. Ce qu'il faut maintenant c'est se mobiliser à la fois, l'auteur de la proposition de loi, Guy BRICOUT, qui est un député remarquable, les membres du groupe UDI, Agir et Indépendants mais aussi tous les groupes parlementaires et le Gouvernement pour trouver la bonne solution pour prendre en compte ce drame terrible qui est quand on est parents de perdre un enfant.

GERARD LECLERC
La discrimination à l'embauche, une étude qui a été d'ailleurs commandée par le Gouvernement épingle sept entreprises dont ACCOR, RENAULT, AIR FRANCE, des entreprises qui discrimineraient de façon significative les candidats en fonction de noms à consonance maghrébine, ceux-là seraient discriminés, vous en pensez quoi ?

FRANCK RIESTER
Ecoutez, je ne sais pas si scientifiquement cette étude est…

GERARD LECLERC
Oui, les entreprises la contestent il faut le dire.

FRANCK RIESTER
Oui, donc je ne sais pas, mais en tout cas ce qui est certain de nombreux compatriotes qui ont un nom de consonance maghrébine comme vous dites, nous disent qu'ils ont un sentiment avéré ou pas d'être discriminés. Et donc on doit se mobiliser au maximum et les entreprises ont un rôle majeur dans cette mobilisation au service de la lutte contre la discrimination à l'embauche, on ne peut pas se mentir, c'est une réalité encore trop souvent dans les entreprises.

GERARD LECLERC
L'époque est aux révélations sur les abus sexuels à la suite du mouvement #MeToo, il y a bien sûr ces affaires dans le patinage mais il y en a aussi semble-t-il dans l'édition. Il y a eu une tribune de salariés de l'édition qui dénonce le harcèlement sexuel dans ce monde de l'édition y compris de la part d'« auteurs renommés », disent-elles…

FRANCK RIESTER
Ecoutez, ce que je constate c'est que la parole vraiment se libère, que les gens n''ont plus peur de dire les choses, ça c'est vraiment très important et c'est une évolution considérable ! Ça a commencé avec le fameux #MeToo, avec BalanceTonPorc et aujourd'hui on voit bien qu'avec la prise de parole de Vanessa SRINGORA, d'Adèle HAENEL, de madame… on a une libération de la parole…

GERARD LECLERC
C'est une bonne chose ?

FRANCK RIESTER
…et c'est une bonne chose, bien sûr que c'est une bonne chose !

GERARD LECLERC
Dans l'édition ça vous concerne, c'est votre…

FRANCK RIESTER
Gérard LECLERC, vous mesurez évidemment à quel point ça a touché un grand nombre de nos compatriotes ! Moi j'ai été frappé de voir suite aux prises de parole que j'ai eues par rapport à l'affaire MATZNEFF, par rapport à la question de la prise de parole d'Adèle HAENEL, le nombre de gens qui sont venir me voir, « merci de prendre la parole, merci de reconnaître que la parole des victimes doit être reconnue parce que moi aussi j'ai été victime d'agressions sexuelles et sexistes dans mon enfance ou dans ma vie. Et merci enfin de dire que la parole des femmes doit être entendue et qu'elle ne doit pas être vaine et que la justice doit passer et que ce n'est pas parce qu'on est un artiste que c'est une garantie d'impunité ». Pour autant, il faut dire, et je le redis systématiquement, que la création doit être libre et qu'on ne doit pas censurer une oeuvre sous prétexte qu'on peut reprocher quelque chose à son auteur. Et c'est vrai dans l'édition comme dans le cinéma, comme dans tous les arts !

GERARD LECLERC
Et justement dans le cinéma il y a les César qui arrivent, le 28 février, Roman POLANSKI est cité à 12 reprises pour son film « J'accuse » et il y a des un certain nombre d'associations parce que Roman POLANSKI avait eu des accusations de viol sont choquées par ça y compris la ministre Marlène SCHIAPPA qui a dit qu'elle n'applaudirait pas. Vous vous allez aux César bien évidemment, vous applaudirez quand il sera cité ?

FRANCK RIESTER
Ecoutez, je n'en suis pas là, moi ce que…

GERARD LECLERC
« Je n'en suis pas là », qu'est-ce que vous ferez quand on va citer le nom de Roman POLANSKI ?

FRANCK RIESTER
Attendez, ce que je veux faire c'est d'abord redire les principes dans ces questions-là, liberté de création, ce n'est pas parce qu'on est un artiste que ça garantit une impunité. Ce n'est pas parce qu'on a un prix d'ailleurs que ça excuse ou efface toute responsabilité individuelle. On ne mélange pas l'oeuvre et l'auteur, l'oeuvre doit être libre et l'oeuvre doit être protégée ! Je me suis opposé avec force au boycott du film de Roman POLANSKI, en revanche j'entends bien ce que pour un certain nombre de victimes notamment ça pourrait signifier de mettre à l'honneur d'une certaine façon non seulement l'artiste mais l'homme !

GERARD LECLERC
Et donc c'est quoi la conclusion ?

FRANCK RIESTER
Donc c'est un sujet difficile.

GERARD LECLERC
Oui mais vous faîtes quoi là, est-ce que vous applaudissez quand il a un César ?

FRANCK RIESTER
Attendez, attendez, l'alpha et l'oméga de la politique publique ce n'est pas de savoir si on applaudit ou on n'applaudit pas, vous verrez bien quelle sera ma réaction. Simplement l'alpha et l'oméga de la politique publique c'est de rappeler les fondamentaux et ensuite de mettre en place des politiques pour que dans le cinéma mais aussi dans un certain nombre d'arts il y ait davantage de visibilité des femmes, de responsabilité des femmes et que ces pratiques cessent. C'est ce qu'on fait avec le CNC, c'est ce qu'on fait avec le CNL qui est le Centre national du livre, le CNC c'est le Centre national du cinéma, c'est qu'on fait en sorte que les aides accompagnent davantage les équipes qui sont paritaires ou les dispositifs artistiques qui mettent en valeur la lutte contre l'agression sexuelle et sexiste, c'est ça qui est important !

GERARD LECLERC
Oui mais il y a aussi la parité tout simplement, il y a actuellement le festival de Luchon sur les oeuvres à la télévision, il y a Julie GAYET et trois autres femmes qui demandent des quotas pour les réalisatrices de fiction à la télévision, elles ne représentent pour l'instant que 12 % des oeuvres qui sont diffusées, elles disent qu'il faut mettre des quotas pour pouvoir augmenter ce chiffre, vous êtes pour ?

FRANCK RIESTER
Ecoutez, moi je suis pour tous les dispositifs qui permettent aux femmes d'être davantage en responsabilité, elles ont…

GERARD LECLERC
Donc on pourrait mettre des quotas ?

FRANCK RIESTER
Ça dépend ce qu'on entend par quotas, elles ont raison de dénoncer le manque de femmes réalisatrices, aujourd'hui il y a des dispositifs qui ont été mis en place en 2019 au CNC, le CNC, vous savez, c'est l'établissement public qui accompagne dans notre pays financièrement la création audiovisuelle et cinématographique, aujourd'hui il y a des bonus d'aides supplémentaires si…

GERARD LECLERC
Ça ne suffit pas pour l'instant !

FRANCK RIESTER
Ecoutez-moi, attendez, c'est 2019, vous savez qu'un film et une fiction ça ne se fait pas comme ça en claquement de doigts, qui donne des bonus aux équipes paritaires, c'est-à-dire autant de femmes que d'hommes dans l'équipe de réalisation des films ou des fictions. Donc on voit bien qu'avec ce dispositif on devrait naturellement augmenter non seulement le nombre de réalisatrices mais aussi dans les équipes, dans les différents métiers qui constituent une équipe de cinéma ou une équipe de fiction davantage de femmes. C'est une très bonne chose, je préfère les mesures incitatives aux quotas mais s'il faut passer par des quotas nous passerons par des quotas.

GERARD LECLERC
Je change de sujet, il y a des rumeurs insistantes sur le dépôt de bilan de PRESSTALIS, PRESSTALIS c'est ce qui distribue les journaux, les quotidiens, les magazines dans les kiosques partout en France, on parle d'un dépôt de bilan et de 700 suppressions d'emplois…

FRANCK RIESTER
Vous savez que le secteur de la distribution de la presse écrite est un secteur en crise depuis des années, c'est une baisse d'activité de 10 % chaque année ! Ça fait des années que cette société PRESSTALIS, une société de messagerie que vous avez très bien décrite, réduit ses effectifs, se transforme, se réorganise pour baisser ses coûts étant donné que ses revenus baissent. Mais effectivement ça continue de s'accentuer la baisse de la distribution de la presse écrite, on a réformé en faisant voter la loi Bichet la législation qui régit la distribution de la presse écrite pour essayer de donner la possibilité à PRESSTALIS mais aussi aux marchands de journaux d'avoir davantage de solutions économiques pour leur entreprise mais ça ne règle pas tout. Et donc effectivement on discute beaucoup avec les dirigeants de PRESSTALIS, avec les actionnaires que sont les éditeurs de presse, des coopératives qui sont actionnaires de cette messagerie, de cette société, pour voir de quelle manière on peut transformer encore cette entreprise pour lui permettre d'être viable économiquement et donc permettre de continuer à assurer la distribution de la presse écrite partout en France. C'est un élément essentiel de la vie démocratique de notre pays, c'est une clé du pluralisme de la presse et donc de la saine vie démocratique.

GERARD LECLERC
Les 700 emplois supprimés effectivement c'est sur la table, ça fait…

FRANCK RIESTER
Non, non, il y a effectivement la nécessité de restructurer industriellement…

GERARD LECLERC
Donc de supprimer des emplois.

FRANCK RIESTER
…et peut-être supprimer des emplois, oui.

GERARD LECLERC
Je termine avec cette polémique qui se développe en France autour de l'idée que la France et notamment la France de MACRON irait vers un régime autoritaire, vers le politiquement correct. Je cite Jean-Marie BIGARD dans Valeurs Actuelles, je le cite, « nous vivons à l'ère de la dénonciation quasi systématique, j'ai de temps à autre l'impression de vivre en 1940 sous l'Occupation allemande dans une époque où le CSA serait une sorte de Kommandantur ». Et à un autre moment dans l'interview, « nous vivons dans une dictature un peu masquée ». Qu'est-ce que vous en pensez ?

FRANCK RIESTER
Ecoutez, on connaît Jean-Marie BIGARD…

GERARD LECLERC
C'est un humoriste, c'est vrai !

FRANCK RIESTER
C'est un humoriste, là malheureusement ce n'était pas en tant qu'humoriste mais en tant que citoyen qu'il s'exprime dans Valeurs Actuelles et comment peut-on dire, c'est assez incroyable, comment peut-on dire qu'aujourd'hui on serait comme en 1940 sous l'Occupation, cette confusion des valeurs est insupportable ! Rappelons-nous que c'était que l'Occupation, est-ce qu'on peut dire aujourd'hui qu'en France on est sous l'Occupation ? La preuve que oui ! Et donc d'ailleurs entre parenthèses quand il dit qu'il n'a pas de liberté d'expression il le dit très clairement dans la presse !

GERARD LECLERC
Ça part de l'idée de cette dénonciation…

FRANCK RIESTER
Mais c'est vous, Gérard LECLERC, vous avez raison et je le dénonce avec force cette façon de dire que nous serions en dictature alors que nous sommes dans une grande démocratie, où la parole est libre, où les manifestations sont libres, où les grèves sont évidemment autorisées, on a la preuve tous les jours ! Où la presse est totalement libre et ceux qui s'expriment dans la presse aussi dans la limite de la loi de 1881, donc ce n'est pas Emmanuel MACRON qui a changé la loi sur la liberté de la presse ! C'est ahurissant et il faut le dénoncer avec force parce que nous avons la chance dans notre pays d'être dans une grande démocratie, où les gens sont libres et c'est très bien comme ça ! Quasiment tous les jours le ministre en charge de la Culture et de l'Audiovisuel est caricaturé dans les entreprises publiques de ce pays notamment à Radio France mais c'est très bien !Il n'y a pas que lui, il y a de nombreux responsables politiques, c'est parfait, ça prouve qu'on est dans une démocratie et il faut qu'on en soit fier ! Mais il ne faut pas qu'on le nie parce que si on le nie un jour on se retrouverait effectivement dans une dictature et là ça ne serait pas la même chanson !

GERARD LECLERC
Merci Franck RIESTER !

FRANCK RIESTER
Merci à vous !


Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 février 2020