Interview de M. Cédric O, secrétaire d'État au numérique, à France Info le 17 février 2020, sur les élections municipales à Paris et la régulation d'Internet.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

LORRAIN SENECHAL
Bonjour Cédric O. Vous êtes l'ami Benjamin GRIVEAUX, vous l'avez rencontré en 2006 lors de la primaire socialiste, est-ce que vous l'avez vu depuis vendredi, est-ce que vous savez comment il va ?

CEDRIC O
Non, je ne l'ai pas vu, je l'ai eu au téléphone assez brièvement. Ecoutez, je ne vais pas commenter ses états d'âme, je pense que maintenant il faut le laisser en paix, il a vécu un épisode particulièrement difficile, il faut le laisser se reconstruire avec sa famille et puis il reviendra quand il voudra.

LORRAIN SENECHAL
Il reviendra en politique, ce n'est pas terminé pour lui ?

CEDRIC O
Ecoutez, c'est à lui d'en décider, je pense qu'on n'en est pas là, à ce stade je pense qu'il va prendre un petit break et ce sera bienvenu.

LORRAIN SENECHAL
Alors dans une heure et demie maintenant Agnès BUZYN va laisser le ministère de la Santé à Olivier VERAN, on est en pleine épidémie de coronavirus, il y a la réforme des retraites qui est à l'Assemblée dans l'hémicycle à partir d'aujourd'hui et puis la grève qui se poursuit dans les urgences également, est-ce que ce n'est pas le pire moment pour changer de ministre de la Santé ?

CEDRIC O
Je pense que ce qui aurait pu poser question c'est si Agnès BUZYN avait décidé de faire les deux en même temps, en l'espèce elle a décidé de démissionner, de se consacrer pleinement à la campagne. Elle a été une très, très grande ministre de la Santé, mais le ministère de la Santé et la politique de la santé en France ne se résume pas à Agnès BUZYN et je pense que la continuité de l'Etat doit être totale. Nous avons par ailleurs, le président et le Premier ministre ont décidé de nommer Olivier VERAN, qui est quelqu'un de remarquable, très reconnu dans les milieux médicaux, qui est lui-même médecin, je pense qu'il y aura une continuité de l'Etat totale et que l'engagement et du gouvernement et des équipes de santé restera maximal.

LORRAIN SENECHAL
Il était co-rapporteur de la réforme des retraites.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Mais néanmoins vendredi, elle disait non, dimanche elle disait oui, on l'écoute.

AGNES BUZYN
Je ne pourrais pas être candidate aux municipales, j'avais déjà un agenda très chargé, vous l'avez dit vous-même j'ai beaucoup de réformes aujourd'hui dans le ministère et c'est rajouter un surcroît de travail inattendu malheureusement qui est cette crise du coronavirus, qui aujourd'hui m'occupe énormément et donc j'avais dit à Benjamin GRIVEAUX malgré mon soutien que je ne pourrais pas m'engager auprès de lui.

JEAN-JEROME BERTOLUS
C'est le choix de l'intérêt général, Paris plutôt que les retraites, plutôt que le coronavirus, plutôt que l'indépendance, tous les dossiers très sensibles qu'elle gérait ?

CEDRIC O
Je pense que ce qu'elle dit ici, c'est qu'elle ne peut pas faire les deux choses en même temps. Ensuite je pense que c'est dans l'ADN d'En Marche et c'est quelque chose d'extrêmement bénéfique pour l'intérêt général que des gens qui ont été engagés, qui ont été des grands médecins à Necker, qui ont été professeur à Paris Descartes…

JEAN-JEROME BERTOLUS
Oui mais pour les Français ?

CEDRIC O
Je pense que pour les Français, ce qui est important c'est que la crise du coronavirus soit gérée. Olivier VERAN arrive, il connaît aussi bien les dossiers qu'Agnès BUZYN, il a été rapporteur général de la commission des affaires sociales, il était rapporteur du projet de loi retraite, il est médecin, je pense que la crise du coronavirus, il l'a connaît aussi bien.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Il n'a aucune expérience ministérielle.

CEDRIC O
Il a une très, très grande expérience politique, ça fait des années qu'il est lui-même député, je pense que les Français ne verront pas la différence.

LORRAIN SENECHAL
Est-ce que ce choix d'Agnès BUZYN, c'est le choix d'Emmanuel MACRON ?

CEDRIC O
Je pense que c'est d'abord le choix d'Agnès BUZYN qui a exprimé sa grande envie d'y aller y compris hier soir dans son premier meeting a montré qu'elle était prête au combat. Ensuite évidemment cela se fait en accord avec Emmanuel MACRON et le Premier ministre, mais je pense que ce qui est intéressant chez Agnès BUZYN, c'est qu'elle porte cet ADN qui a fait la force d'En Marche, c'est-à-dire cette société civile qui s'engage, qui a été présidente de l'institut Cancer, présidente de la Haute autorité de santé, cette personnalité à la fois déterminée, bienveillante et qui mène ses combats. Je rappelle les combats qu'elle a menés dans des conditions pas faciles sur les vaccins, sur le déremboursement de l'homéopathie, mais voilà qui rassemble et qui peut à mon avis ouvrir une nouvelle page dans la campagne parisienne.

LORRAIN SENECHAL
Mais tout de même est-ce que le l'exécutif, le gouvernement ne perd pas en crédibilité en changeant de cheval au milieu du gué ? On parlait quand même de cette… on est peut-être face à une pandémie avec le coronavirus.

CEDRIC O
Je pense encore une fois que la continuité de l'Etat va être totale et qu'Olivier VERAN fera très bien le job et je pense que c'est très bien que des gens comme Agnès BUZYN s'engage pour devenir Maire de Paris.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Et à Paris elle peut créer un miracle, Paris, vous pensez que c'est encore gagnable malgré tous vos déboires ?

CEDRIC O
Je pense que c'est plus gagnable que jamais. Je pense que c'est plus gagnable et je pense même que la nomination ou la désignation d'Agnès BUZYN…

JEAN-JEROME BERTOLUS
Vous nous dites ce matin que vous allez gagner ?

CEDRIC O
Je pense qu'on va gagner oui. Elle a réinsufflé un enthousiasme et une nouvelle donne dans la campagne qui à mon avis vont bouleverser la donne.

LORRAIN SENECHAL
Il reste 4 semaines seulement, c'est extrêmement court.

CEDRIC O
Oui mais je pense que d'abord elle est bien connue des Parisiens. C'est une ville où elle est née, elle a travaillé toute sa vie, elle est connue en tant que ministre de la Santé, elle est respectée en tant que ministre de la Santé donc je suis très optimiste.

LORRAIN SENECHAL
Est-ce que vous tendez toujours la main à Cédric VILLANI, est-ce que vous avez des contacts avec lui, est-ce que vous pensez qu'il peut revenir dans le giron d'En Marche ?

CEDRIC O
Bien sûr que nous tendons toujours la main à Cédric VILLANI mais cette question c'est d'abord à lui d'y répondre, ce que nous espérons, c'est que cette nouvelle donne va permettre de faire table rase du passé et que nous allons pouvoir avancer, rassembler.

LORRAIN SENECHAL
Ce serait peut-être le moyen de faire campagne commune avec Cédric VILLANI, vous y croyez encore ?

CEDRIC O
Mais d'abord on y croit encore et je pense que par ailleurs en elle-même Agnès BUZYN est une nouvelle donne dans la campagne, au-delà du rassemblement de Cédric VILLANI ou d'autres par sa personnalité, par ses combats politiques, je pense qu'elle introduit un nouveau souffle et qu'elle fait table rase de la donne qui était celle de la campagne juste avant.

LORRAIN SENECHAL
Elle est moins clivante que Benjamin GRIVEAUX.

CEDRIC O
Je pense qu'on va laisser Benjamin GRIVEAUX de côté…

JEAN-JEROME BERTOLUS
Elle est moins clivante qu'Anne HIDALGO, moins clivante que Rachida DATI, finalement c'est quoi, ce n'est pas une femme politique, vous l'avez dit, elle vient de la société civile, c'est vrai qu'elle a été ministre, qu'elle a exercé de lourdes responsabilités, mais c'est quoi ces qualités politiques pour gagner Paris ?

CEDRIC O
Alors c'est une femme qui a mené des combats politiques et les combats qu'elle a menés au ministère de la Santé et je vous citez les vaccins ou l'homéopathie.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Vous les avez rappelé, mais maintenant quelles sont ses qualités ?

CEDRIC O
Son côté rassembleur et son côté bienveillant tout à la fois déterminé et bienveillant me semble dans l'univers politique qui est le nôtre, dans le moment politique avec la violence politique qui est le nôtre, quelque chose d'extrêmement fort pour Paris.

LORRAIN SENECHAL
Et finalement c'est mieux Agnès BUZYN que Benjamin GRIVEAUX.

CEDRIC O
Encore une fois, je pense que nous allons laisser Benjamin GRIVEAUX tranquille.

LORRAIN SENECHAL
Elle a quand même montré qu'elle avait des difficultés parfois à gérer certains dossiers, par exemple ce bras de fer avec les urgentistes qui n'est toujours pas terminé, ça fait près d'un an qui sont en grève les médecins urgentistes, est-ce qu'Olivier VERAN va réussir à clore ce dossier ?

CEDRIC O
Je pense que le problème des urgences et de l'hôpital public ne vient pas d'Agnès BUZYN et tout le monde est à peu près d'accord pour dire que cela fait des années, voire des décennies, que nous sous-investissons dans l'hôpital public et que les premiers à réinvestir massivement dans l'hôpital public ont été ce gouvernement et Agnès BUZYN. Donc la crise est difficile mais elle l'a géré avec détermination et avec beaucoup de doigté. Et donc je pense que maintenant c'est à Olivier VERAN de prendre la suite.

LORRAIN SENECHAL
Vous dites, elle a géré la crise mais la grève est toujours là, ça fait quand même près d'un an encore une fois dans les services d'urgence, le mouvement a commencé en mars l'an dernier à Paris.

CEDRIC O
C'est vrai, mais encore une fois c'est une crise qui vient de loin et qui est très profonde et donc ça prend du temps à gérer.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Un dernier mot effectivement Agnès BUZYN, elle doit en quelque sorte mettre un terme à la crise qui a secoué la macronie depuis 48 heures, redonner en quelque sorte un peu, vous redonner un peu le moral à vous les macaronistes ?

CEDRIC O
Je pense qu'il faut saluer la maturité et la rapidité avec laquelle cette crise a été gérée, qui montre la maturité de ce mouvement. Certains auraient pu comme Mounir MAHJOUBI…

JEAN-JEROME BERTOLUS
La maturité du président parce que c'est le président qui était à la manoeuvre.

CEDRIC O
Comme Sylvain MAILLARD, comme Julien BARGETON, certains ont pu se pousser du col, ils ont eu la responsabilité de laisser la place à celle qui était la plus rassembleuse et par ailleurs le mouvement et son président Stanislas GUERINI ont permis qu'on sorte de la crise extrêmement vite et avec une candidate qui est capable de rebattre les cartes.

LORRAIN SENECHAL
Cédric O, secrétaire d'Etat chargée du numérique, on va quand même continuer de parler un peu de Benjamin GRIVEAUX parce que c'est une affaire qui dépasse largement celle des municipales à Paris.
///
LORRAIN SENECHAL
Cédric O, secrétaire d'Etat en charge du Numérique, invité de Franceinfo ce matin. Qui en veut à Benjamin GRIVEAUX d'après vous ?

CEDRIC O
Je ne sais pas qui en veut à Benjamin GRIVEAUX. Ce qui interpelle, c'est la fragilité de notre démocratie dans cet exemple-là. Il faut réaliser ce qui s'est passé. Quelqu'un dont on ne sait ni d'où il vient, ni vraiment qui il sert a réussi en trois jours - en trois jours ! - à ébranler l'une des élections municipales les plus importantes de France. Je pense que ça doit nous faire réfléchir à la fois sur la manière dont notre démocratie fonctionne et puis sur le respect de l'Etat de droit. Parce qu'on ne peut pas continuer comme ça, surtout avec les échéances électorales qui arrivent.

LORRAIN SENECHAL
Il y a deux personnes en garde à vue, on le disait à l'instant : l'activiste russe Piotr PAVLENSKI et sa compagne Alexandra DE TADDEO. Ce sont des personnes que vous avez découvertes à cette occasion ?

CEDRIC O
Alors à titre personnel, j'ai découvert l'existence de ces personnes, oui.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Ils ont agi seuls ou vous pensez que, finalement derrière eux, il y a des forces en présence ?

CEDRIC O
A ce stade, je n'ai aucune information qui me laisse penser qu'il pourrait y avoir autre chose qu'un agissement personnel. Si ça devait être le cas, ce serait très grave.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Pourtant effectivement, Emmanuel MACRON qui était ce week-end à Munich a évoqué le risque de déstabilisation des démocraties par la Russie. On l'écoute.

EMMANUEL MACRON, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Je pense que la Russie continuera à essayer de déstabiliser, alors soit des acteurs privés, soit directement les services, soit des proxy. Et d'ailleurs dans toutes les élections, elle cherchera à avoir des stratégies de la sorte ou elle aura des acteurs qui le feront. Parce que la vérité, c'est que nous avons très peu d'ANTICOR face à ces attaques.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Ça veut dire que les méthodes employées contre Benjamin GRIVEAUX et contre finalement la Macronie, elles pourraient être réemployées à l'occasion des prochaines présidentielles ? La vie politique va être maintenant sous pression ?

CEDRIC O
Encore une fois, nous n'avons aucune preuve ni aucun indice qui nous laissent penser que la Russie soit impliquée dans le cas particulier de Benjamin GRIVEAUX. Pour le reste, on connaît la fragilité de nos démocraties et les agissements de certaines autres puissances. On l'a vu, que ce soit dans les élections américaines ou dans les élections comme le débat sur le Brexit. Je pense qu'il faut y réfléchir collectivement parce que si certains peuvent interférer avec nos élections et notre démocratie, c'est d'abord que notre démocratie est faible et que nous l'avons laissée évoluer. Nous avons laissé le débat être de plus en plus violent, se polariser et donc c'est d'abord à nous de réfléchir. Mais par ailleurs, il faut réfléchir effectivement à ces nouvelles interférences et ces nouvelles manières d'interférer avec…

JEAN-JEROME BERTOLUS
Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que par exemple le maillon police-justice est faible ? Que la loi est faible ? Que, bref, on n'a pas les armes juridiques, légales pour lutter contre ce genre de déstabilisation ?

CEDRIC O
Alors je pense d'abord, s'agissant de la régulation des réseaux sociaux et d'Internet, qu'il faut rétablir la peur du gendarme. Je pense qu'aujourd'hui ce qui se passe sur Internet, et on l'a vu, on ne prend pas de cette réflexion parce qu'il y a l'affaire Benjamin GRIVEAUX. L'affaire Benjamin GRIVEAUX, c'est la énième affaire après l'affaire Mila, après l'affaire Noisiel, après ce qu'on a vu avec la prédation pédophile sur Internet ou le cyber-harcèlement. Ces agissements blessent et ces agissements tuent. Aujourd'hui, il y a en ligne une quasi impunité et donc nous devons faire en sorte, avant même de changer la loi - mais même si on peut réfléchir à changer la loi - de faire appliquer la loi, car notre justice et la manière dont fonctionne notre chaîne police-justice ne s'est pas adaptée à ce monde du numérique, à sa viralité et à sa masse. Et c'est à ça que nous devons réfléchir.

LORRAIN SENECHAL
Est-ce que Benjamin GRIVEAUX n'a pas démissionné un peu vite ? Parce que certaines figures notamment du féminisme l'ont accusé finalement de ne pas avoir été assez courageux et de ne pas donner le bon exemple aux autres victimes de cyber-harcèlement qui peuvent être souvent des adolescents ?

CEDRIC O
Non mais je pense que c'est terrible de rejeter la faute sur Benjamin GRIVEAUX. Benjamin GRIVEAUX, il a pris une décision pour arrêter les frais et éviter que sa famille ne paye plus de frais dans cette histoire. C'est sa décision, elle est digne, parce que je pense que le problème c'est qu'on en vienne là. Donc il ne faudrait surtout pas commencer à culpabiliser les victimes en disant que c'est à eux de prendre la responsabilité.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Mais c'est toujours les victimes qui subissent en quelque sorte la double peine. C'est elles qui sont victimes et souvent ces victimes doivent changer de lycée, doivent changer de vie, les parents doivent les protéger effectivement. Donc en fait ce que dit Lorrain SENECHAL, c'est est-ce qu'un homme politique de la trempe de Benjamin GRIVEAUX n'aurait pas dû assumer pour toutes les victimes, on va dire, de préjudice sur l'intimité sexuelle ?

CEDRIC O
Je pense qu'en l'espèce, Benjamin GRIVEAUX a bon dos. Je pense que ce que nous devons faire, c'est 1 : faire en sorte que nous puissions appliquer la loi et que la loi s'applique sur Internet en ligne comme hors ligne. Et deuxièmement d'avoir une réflexion…

JEAN-JEROME BERTOLUS
Et ça veut dire quoi appliquer la loi alors ?

CEDRIC O
Ça veut dire changer nos processus, ça veut dire changer notre capacité à aller vite et à traiter la viralité des contenus. Aujourd'hui quand vous avez cent mille injures antisémites, homophobes, la justice a du mal à aller chercher dans la temporalité qui est celle d'Internet. Parce que si vous jugez quatre mois plus tard, ça ne sert à rien. Et donc nous devons mettre à jour nos processus judiciaires : ce n'est pas un problème que français, c'est un problème qui est dans le monde entier. Et par ailleurs, je pense que nous ne pouvons pas nous absoudre d'une réflexion collective sur ce qu'est la démocratie à l'ère du numérique.

LORRAIN SENECHAL
Ça veut dire qu'il faut encore une nouvelle loi ? On a déjà eu la loi Avia il y a quelques mois, qui a été très critiquée d'ailleurs. Il y a eu la loi sur justement ce qu'on a appelé le revenge porn dont a été victime Benjamin GRIVEAUX manifestement, qui date elle de 2016. L'arsenal juridique français, il n'est pas suffisant encore ?

CEDRIC O
Je pense que d'abord il faut faire appliquer la loi. Si on parle de la loi sur le revenge porn que vous évoquez, si la personne, Piotr PAVLENSKI en l'occurrence, et ceux qui ont diffusé sont condamnés à deux ans de prison et soixante mille euros d'amende comme le dit la loi, alors que le débat est un petit peu différent me semble-t-il.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Y compris pour le député SON-FORGET qui a retweeté effectivement des liens vers le site qui retransmettait la vidéo ?

CEDRIC O
J'ai vu que Benjamin avait porté plainte, Benjamin GRIVEAUX avait porté plainte contre ceux qui avaient retweeté et diffusé la vidéo.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Mais pleinement… Quand vous dites qu'elle soit pleinement…

CEDRIC O
La loi doit s'appliquer. Pour la personne dont vous parlez, je pense qu'il n'est pas la peine de lui faire plus de publicité. Il suffit de deux minutes sur son compte Twitter pour prendre la mesure du délire névrotique dans lequel il est parti. Maintenant, je pense que la loi doit s'appliquer.

LORRAIN SENECHAL
Joachim SON-FORGET, il a fait une faute grave selon vous ?

CEDRIC O
Mais il doit répondre devant la justice de ses agissements. Point.

LORRAIN SENECHAL
Donc c'est un délinquant.

CEDRIC O
Il doit répondre devant la justice de ses agissements.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Pourquoi les plateformes numériques, on va dire, laissent se répandre d'une manière virale extrêmement rapidement et massivement des contenus qui tombent sous le coup de la loi ? Vous parliez de propos antisémites, mais là dans le cas de la vidéo de Benjamin GRIVEAUX, ça tombe sous le coup de la loi. C'est la loi de 2016, l'intimité sexuelle, et pourtant les plateformes laissent ce contenu se répandre.

CEDRIC O
Alors si je puis me permettre, le fait de retirer des contenus pornographiques, antisémites ou agressifs, c'est au coeur de la loi Avia que vous citiez tout à l'heure.

LORRAIN SENECHAL
Mais pourquoi ça n'a pas été retiré plus tôt ?

CEDRIC O
D'abord elle n'est pas appliquée aujourd'hui la loi.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Elle n'est pas encore votée.

CEDRIC O
La vidéo a été retirée par les plateformes au regard de leurs conditions générales d'utilisation parce que c'est une vidéo pornographique, donc il y a eu un retrait d'un certain nombre de fois de cette vidéo, mais nous devons faire cela pour les contenus manifestement illégaux. Sur des contenus qui sont plus difficile à estimer, je pense qu'il ne faut pas laisser aux plateformes la nécessité de décider ce qui est légal ou pas légal. C'est pour ça que nous devons faire en sorte que la justice et la police soient plus efficaces.

LORRAIN SENECHAL
Mais est-ce que la justice a suffisamment de moyens pour remplir cette nouvelle mission que vous allez lui transmettre ?

CEDRIC O
Je pense que ça fait partie de la question, tout comme la mise à jour de notre cadre juridique, mais nous devons avoir une réflexion plus globale. Bien sûr il faudra probablement plus de moyens mais il n'y a pas que ça. Je prends par exemple un autre exemple. Aujourd'hui on considère communément que ce qui est commis en ligne est moins grave que ce qui est commis dans la vraie vie. Je pense qu'il faut y réfléchir. Peut-être que c'est l'inverse.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Ça veut dire quoi ? Prenez un exemple concret.

CEDRIC O
Mais quand vous injuriez quelqu'un en ligne, le sens commun quand vous en discutez avec vos amis, c'est que c'est moins grave que si vous le faites dans la vraie vie. Parce que c'est en ligne, parce que c'est contingent, parce que ça se fait en une seconde.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Quand Mila, la jeune lycéenne, est menacée de mort par exemple.

CEDRIC O
Et donc je pense que nous devons réfléchir à inverser la logique. Car quand vous insultez, que vous injuriez, que vous menacez de mort en ligne, d'abord ça reste et ensuite ça peut être diffusé extrêmement largement. Donc je pense que c'est l'ensemble de notre cadre législatif et de nos processus que nous devons réfléchir à l'aune de ce monde numérique.

LORRAIN SENECHAL
Mais ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'actuellement, par exemple Mila, vous parliez de cette jeune lycéenne qui avait insulté l'islam dans une vidéo et qui a été ensuite menacée de mort, il pourrait ne pas y avoir de conséquences ? C'est-à-dire qu'une menace de mort en ligne vaut moins aujourd'hui à ce stade qu'une menace de mort dans la rue ?

CEDRIC O
Mais dans les faits, c'est ce qui est en train de se passer, oui. C'est-à-dire que vous pouvez injurier, menacer de mort, aujourd'hui il ne se passe quasiment rien. Ce n'est pas un phénomène que français, c'est un phénomène dans le monde entier. Et donc nous devons repenser la justice et la police à l'ère du numérique, nous devons rétablir la peur du gendarme.

LORRAIN SENECHAL
Mais pourtant la loi elle est là, elle existe. Si on menace de mort quelqu'un que ce soit en ligne ou pas, on tombe sous le coup de la loi. Attendez, il n'y a pas besoin de la loi Avia pour changer ça.

CEDRIC O
Bien sûr. Mais aujourd'hui, nous avons des difficultés à gérer la masse et la viralité des contenus. Je prends l'exemple de la vidéo de Christchurch, c'est-à-dire la vidéo de cette tuerie qui a eu lieu en Nouvelle-Zélande. La vidéo a été mise en ligne un million cinq cent mille fois en vingt-quatre heures sur Facebook. La question qui se pose, c'est comment fait-on pour que la justice agisse dans ce monde-là.

LORRAIN SENECHAL
Justement, vous allez nous donner quelques éléments de réponse dans un instant, Cédric O, secrétaire d'Etat en charge du Numérique, juste après un coup d'oeil sur le fil info.
////
LORRAIN SENECHAL
Cédric O, secrétaire d'Etat en charge du Numérique invité du 8/30 de France Info ce matin, à l'instant chez nos confrères de France Inter le Premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier FAURE estime que Benjamin GRIVEAUX a fait preuve de légèretés qui ne seraient pas dignes selon lui d'un homme politique de premier plan en partageant ces vidéos, puisque c'est bien Benjamin GRIVEAUX qui les a envoyé dans un premier temps, comment est-ce que vous réagissez à… ?

CEDRIC O
Je trouve que cette affirmation est pitoyable, pitoyable, c'est comme les jeunes filles qui a des moments partagent des photos de nues d'elles, c'est leur intimité et ensuite quand elles viennent porter plainte parce que ces photos ont été diffusées sur les réseaux sociaux, on les culpabilise, elles, en disant c'est votre faute, vous n'aviez qu'à pas les faire.

LORRAIN SENECHAL
Là on parle de Benjamin GRIVEAUX, pas d'une adolescente.

CEDRIC O
Culpabiliser les victimes au moment où le problème, police justice est un problème de société, je pense… pitoyable, qui n'est pas… je n'ai pas eu la déclaration en entier, donc je ne réagis qu'à ce que vous me dites, qui n'est pas digne du Premier secrétaire du Parti socialiste, mais Olivier FAURE nous a habitué à d'autres déclarations.

LORRAIN SENECHAL
Mais on parle quand même d'un homme politique encore une fois de premier plan, on ne parle pas d'une adolescente qui peut être parfois un peu perdue voilà dans sa vie.

CEDRIC O
On ne peut pas dire dans la même phrase, ce qui d'ailleurs a été la réaction des médias, c'est quelque chose d'intime qui relève de la vie privée et donc cela ne doit pas entrer dans le débat politique et faire le reproche à Benjamin GRIVEAUX de son imprudence, peut-être qu'il est imprudent, mais je pense que le débat n'est pas là.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Néanmoins on va dire d'une manière générale est-ce qu'effectivement aujourd'hui tout dirigeant politique et a fortiori de tout dirigeant politique nationale ne doit pas faire preuve de prudence, est-ce qu'il ne faut pas s'attendre à ce que tout soit filmé, enregistré, rediffusé, est-ce que vous n'êtes pas vous les hommes politiques et a fortiori les ministres des cibles permanentes ?

CEDRIC O
Bien sûr que si et bien sûr que nous devons faire attention, mais je pense qu'au-delà de ça nous devons avoir cette réflexion avec les médias, avec les institutions, avec les hommes politiques, avec les Français sur quelle est la société vers laquelle nous voulons aller, parce que si cette société vers laquelle nous avons, c'est cette société de l'inquisition et du voyeurisme, alors je pense que ce sera l'enfer.

LORRAIN SENECHAL
Cédric O, demain le chef de l'Etat Emmanuel MACRON sera en déplacement à Mulhouse, il devrait faire des annonces, en tout cas prendre la parole au sujet du communautarisme, c'est un sujet qu'il a lui-même mis dans le débat public à quelques semaines des municipales, il parle même lui de séparatisme, est-ce que la lutte contre le communautarisme, le séparatisme ça passe aussi par des moyens mis sur le numérique ?

CEDRIC O
Je pense que plus globalement c'est ce que je disais tout à l'heure, la lutte et la mise à jour de l'état de droit passent par plus de moyens mis sur le numérique. Une part de notre débat public, une part de notre manière de faire société et une part même de nos relations interpersonnelles se passent sur le numérique. Et donc les institutions la police, la justice, la régulation des réseaux sociaux doivent s'adapter à cette nouvelle donne.

LORRAIN SENECHAL
Ça veut dire qu'il y a un séparatisme d'après Emmanuel MACRON dans certains quartiers, il y aurait aussi un séparatisme en ligne ?

CEDRIC O
On sait que c'est un vecteur de communication, un vecteur d'identification de personnes relativement faibles, un vecteur sur lequel des gens viennent s'épancher, discuter et qui permet à certaines personnes de les identifier pour divers agissements d'ailleurs et donc il faut faire en sorte qu'on puisse vérifier ce qui s'y passe et puis s'il y a des dérives, sanctionner aussi bien ce qui se passe en ligne qu'hors ligne.

LORRAIN SENECHAL
Donc c'est un vecteur qui échappe aussi en partie à l'Etat et aux moyens de l'Etat ?

CEDRIC O
En tout cas c'est un vecteur sur lequel l'Etat doit être plus présent.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Mais est-ce qu'on n'est pas complètement démuni, vous parliez de la réflexion qu'on doit avoir en France, vous parlez de l'Etat français mais par définition, on le sait, le réseau est mondial, le site par exemple qui a accueilli la vidéo concernant Benjamin GRIVEAUX est au Canada, donc finalement les pays, les démocraties dont parlait Emmanuel MACRON sont un peu démunis, non ?

CEDRIC O
Alors déjà il y a des choses que l'on peut faire au niveau français, Christophe CASTANER, Nicole BELLOUBET ont introduit à partir de cette année des choses comme la plainte en ligne ou la spécialisation d'un parquet numérique qui doit fortement augmenter l'efficacité de la justice et de la police, ce sont des pièces essentielles. Ça ne suffit pas mais ce sont des pièces essentielles. Ensuite vous l'avez dit, il y a une discussion à avoir avec nos partenaires parce que dans la capacité à récupérer les identités, dans la capacité à échanger d'informations, nous sommes beaucoup trop lents. Donc il y a une partie internationale et d'ailleurs nous en discutons, nous en discutons avec les Européens, j'étais à Bruxelles il y a 2 semaines, nous avons discuté de ce problème de l'efficacité de l'Etat de droit sur Internet, nous en discutons aussi avec les Américains. Nous sommes efficaces pour le terrorisme, nous sommes efficaces pour la pédopornographie, nous sommes encore trop peu efficaces pour ces dérives qui sont un peu moins graves, mais nous devons discuter avec eux…

LORRAIN SENECHAL
Et pourquoi est-ce que ça veut dire que nos partenaires ne veulent pas faire ce pas envers nous, est-ce que les Américains bloquent ?

CEDRIC O
Non, ils ne bloquent pas, mais c'est un problème d'inertie de la puissance publique, c'est-à-dire que le web et la société ont évolué très très vite, nos cadres juridiques et la manière dont nous interagissons, ont évolué insuffisamment vite, donc maintenant nous devons avoir ce débat et cette discussion en interne comme avec nos partenaires internationaux.

LORRAIN SENECHAL
Mark ZUCKERBERG, le patron de Facebook estime que Facebook ne devrait pas être traité comme un média, comme ce serait le cas par exemple de France-Info, ne devrait pas non plus être traité comme un simple canal de communication et il dit, vous n'allez pas poursuivre ORANGE, si vous insulter quelqu'un au téléphone. Il voudrait trouver une forme de troisième voie, est-ce qu'il a raison Mark ZUCKERBERG, est-ce qu'il faut trouver un autre cadre juridique pour Facebook ?

CEDRIC O
Je pense qu'effectivement Facebook n'est pas totalement un média mais que Facebook a des responsabilités, quand vous êtes une agora sur lequel il y a 1,4 milliard de personnes et 40 millions de Français, vous avez des responsabilités. Quand vous êtes une agora qui accélère les contenus qui propose des contenus individualisés aux gens selon leurs centres d'intérêt, selon leur centre d'intérêt politique, alors vous avez des responsabilités et l'Etat doit surveiller ce que vous faites. Donc oui nous devons inventer la supervision de Facebook du XXIème.

LORRAIN SENECHAL
Et cette invention, elle va se faire avec le concours des Américains, vous discutez... ?

CEDRIC O
Elle va déjà se faire au niveau européen, moi il y a 2 semaines quand j'étais avec Margrethe VESTAGER et Thierry BRETON, nous avons spécifiquement décidé ça, ne pas discuter de ça, ce que la France pousse, c'est de dire, nous avons des acteurs qui sont structurants ou systémiques pour nos économies, nos démocraties, ils doivent voir se voir appliquer une supervision et un contrôle systémique.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Une dernière question, vous n'êtes pas vous-même un professionnel de la politique à la base, on va dire, vous n'envisagez pas d'ailleurs de faire toute votre vie en politique, vous êtes un ami de Benjamin GRIVEAUX, est-ce que ce qui vient de se passer vous a dégoûté de la politique ?

CEDRIC O
Ecoutez, je pense que ce n'est pas la question, quand on s'engage en politique, on s'engage aussi en ayant en tête la dureté de la politique et nous ne sommes pas tombés de la dernière pluie avec Benjamin GRIVEAUX, nous savions à quoi nous nous exposions.

JEAN-JEROME BERTOLUS
Ça ne vous a pas étonné ce qui est arrivé alors ?

CEDRIC O
Ça m'a révulsée, mais quelque part quand on s'engage en politique, on sait qu'on prend ces risques.

LORRAIN SENECHAL
Un dernier mot Cédric O, juste avec le départ d'Agnès BUZYN, l'arrivée d'Olivier VERAN, j'ai l'impression que la parité ne va plus être respectée au sein du gouvernement.

CEDRIC O
Alors je n'ai plus la parité exacte en tête, mais je crois que nous avions un déséquilibre féminin et que donc avec la nomination d'Olivier VERAN, soit on revient à l'égalité, soit il y a peut-être un homme de plus, mais je pense que la parité et ce gouvernement-là a montré quelque chose qui tient très à coeur au président de la République, et rassurez-vous…

LORRAIN SENECHAL
Parité respectée, donc merci beaucoup Cédric 0, secrétaire d'Etat en charge du Numérique d'avoir été l'invité de 8/30 de France Info ce matin, belle journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 février 2020