Déclaration de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, sur le projet de loi de la réforme des retraites, à Paris le 5 février 2020.

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Circonstance : Débat sur la réforme des retraites, à l'Assemblée nationale le 5 février 2020

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur la réforme des retraites.

La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions et de réponses.

(…)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Je vous remercie pour vos différentes interventions. Avant de vous répondre, je souhaite revenir brièvement sur les conditions dans lesquelles nous sommes réunis dans l'hémicycle pour débattre du système de retraite, à la demande du groupe Socialistes et apparentés.

L'Assemblée nationale examine en commission spéciale, au moment où nous parlons, deux projets de lois – l'un ordinaire et l'autre organique –, visant à instaurer un système universel de retraite.

Il n'appartient pas au Gouvernement de se prononcer sur l'opportunité des travaux parlementaires de contrôle et d'évaluation des politiques publiques. Néanmoins, il me semble utile de rappeler que le respect de la procédure législative, et des travaux mêmes de cette commission spéciale, ne nous permet pas d'avoir en séance des discussions de la même nature, portant sur les détails du futur projet de loi.

Ce texte propose un nouveau pacte entre les générations, et je souhaite retracer devant vous les grandes lignes de sa philosophie. Il s'agit d'un pacte fidèle, dans son esprit, à celui imaginé après la seconde guerre mondiale par le Conseil national de la Résistance…

Mme Mathilde Panot. Pas du tout !

Mme Agnès Buzyn, ministre. …et qui a créé, vous le savez, le système de retraite actuel. Il en refonde les règles en profondeur pour corriger des injustices, ainsi que pour l'adapter aux trajectoires de carrière du XXIe siècle, et prendre en considération les nouvelles formes de précarité, qui ne sont plus celles des Trente Glorieuses. Il reste cependant profondément fidèle aux valeurs fondatrices de notre pacte social.

La France n'a pas fait le choix du « chacun pour soi, et tant pis pour les autres ».

Mme Mathilde Panot. Mais si, c'est le choix que vous faites !

M. Jean-Paul Lecoq. Tout pour les riches et rien pour les pauvres !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Nous ne voulons pas confier le soin de nos aînés au marché ou aux fonds de pensions. C'est un choix fondamental, historique et répété de notre pays.

Mme Marie-Christine Dalloz. Historique ! Non, mais !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Même lorsque des désaccords se manifestent entre nous, j'ai observé que nous tenions tous à préserver ce lien indéfectible entre les générations, qui constitue l'une des illustrations les plus éloquentes de ce qui fait notre démocratie, profondément sociale.

Mme Mathilde Panot. Vous ne la respectez pas, la démocratie !

Mme Agnès Buzyn, ministre. La réforme repose sur trois principes. Le premier est celui de l'universalité.

M. Jean-Paul Lecoq. Pour l'universalité, c'est raté !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Il garantira aux Français une protection sociale plus forte et plus durable, parce qu'elle ne dépendra plus de la démographie de telle profession ou de tel secteur. Il permettra une plus grande liberté de mouvement entre les métiers, pour déconnecter les choix professionnels du niveau des retraites.

M. Pierre Cordier. Déconnecté – c'est le mot !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Le deuxième principe de notre réforme, c'est la justice sociale et l'équité. J'entends ceux qui disent que notre système est le meilleur du monde.

M. Jean-Paul Lecoq. C'est vrai !

Mme Agnès Buzyn, ministre. De fait, il nous permet d'avoir, chez les personnes retraitées, un taux de pauvreté parmi les plus faibles d'Europe. C'est très bien, et cela n'a d'ailleurs pas vocation à changer.

M. Fabien Roussel. Le problème est que vous allez les appauvrir !

Mme Mathilde Panot. Toutes les réformes à points ont eu le même résultat : une explosion de la pauvreté des retraités !

M. Jean-Paul Lecoq. Toutes les mesures prises par le Gouvernement vont dans le même sens…

Mme Agnès Buzyn, ministre. Mais ne fermons pas les yeux sur les injustices que notre société tolère depuis trop longtemps.

M. Jean-Paul Lecoq et M. Fabien Roussel. Vous les aggravez, ces injustices !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Le système universel permettra de mieux protéger les Français les plus fragiles, qui sont souvent oubliés du système actuel.

M. Alain David. Un peu d'humanité !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Le troisième principe de ce système universel, c'est la responsabilité, à commencer par celle des acteurs. Le Premier ministre l'a dit : la gouvernance du système sera confiée aux partenaires sociaux, sous la supervision du Parlement, dans le respect du rôle incombant à chacun et en articulant intelligemment démocratie sociale et démocratie parlementaire.

M. Jean-Paul Lecoq. Disons « sous l'autorité du Président de la République », parce que le Parlement, en ce moment…

Mme Agnès Buzyn, ministre. Le système est financé à 75 % par des cotisations, ce qui justifie l'intervention et le rôle central des partenaires sociaux. Ceux-ci ont démontré, avec l'AGIRC-ARRCO – Association générale des institutions de retraite des cadres et Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés –, qu'ils savent gérer les retraites quand ils sont en situation de responsabilité et quand on leur en donne les leviers.

La responsabilité, c'est aussi restaurer la confiance des jeunes générations dans un système dont elles doutent de plus en plus. Qui n'a pas entendu un jeune dire : « De toute façon, la retraite, on n'en aura plus » ? La responsabilité consiste non à leur demander de financer, en plus de nos retraites, des déficits que nous aurions accumulés parce que nous ne voudrions pas, nous, payer la totalité de la retraite de nos parents, mais à tenir compte, comme tous nos voisins, de données économiques et démographiques incontestables. Il y avait quatre actifs pour financer un retraité en 1950. Il n'y en a plus que 1,7 aujourd'hui.

Mme Mathilde Panot. Mais ils sont autrement plus productifs !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Voilà ce que je pouvais vous dire à ce stade et sans préjuger, comme je l'ai dit, des débats qui se déroulent actuellement en commission spéciale. Je serai évidemment ravie de répondre à vos questions.

Mme la présidente. Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que leur durée, comme celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

M. Guillaume Larrivé. C'est dommage !

Mme la présidente. La parole est à M. Régis Juanico.

M. Régis Juanico. Madame la ministre, votre contre-réforme des retraites portera-t-elle un coup fatal à l'engagement bénévole des retraités ? La vie associative est une formidable richesse. Elle est forte de l'engagement de 18 millions de bénévoles dans plus d'un million d'associations.

Or aujourd'hui, il n'existerait pas de vie associative dans notre pays sans les retraités : 40 % des plus de 60 ans sont membres d'une association. Ce taux de participation culmine, entre 60 et 70 ans, à 45 %. Mieux : la moitié des présidents d'association sont des retraités, dont le tiers a plus de 65 ans.

Entre 2010 et 2019, le taux d'engagement associatif des plus de 65 ans a baissé de 38 % à 31 %. Pour quelles raisons ? Bien sûr, un besoin de souffler, de s'occuper de sa famille – des petits-enfants ou des aînés ; mais aussi du fait de l'augmentation de l'âge de départ à la retraite, qui est passé de 62 à 63 ans et demi.

La participation à une association diminue avec l'âge. Le taux de participation est divisé par trois chez les personnes en mauvaise santé, alors que les publications scientifiques montrent l'effet bénéfique de la participation associative sur la santé des retraités eux-mêmes. L'espérance de vie en bonne santé, c'est-à-dire la durée de vie sans incapacité dans les gestes de la vie quotidienne, est aujourd'hui de 64 ans, en dessous de la moyenne européenne et stable depuis quinze ans.

Nous le savons, la fixation de l'âge d'équilibre à 65 ans, conséquence de votre contre-réforme, aura pour effet reporter le départ à la retraite au-delà de l'âge actuel de 62 ans. Or, aujourd'hui, l'enjeu est d'être à la retraite en bonne santé.

Madame la ministre, quels effets aura la réforme des retraites sur l'engagement bénévole des retraités ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)  

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. La question que vous posez est extrêmement importante pour la ministre des solidarités que je suis, parce que – vous avez raison – nous avons besoin de l'engagement associatif. Celui-ci est un fait de société que nous devons favoriser. Avec le renouvellement des générations, le rapport à l'engagement des Français a changé dans la société. L'engagement est de plus court terme, orienté vers des projets plus ponctuels, au détriment de l'engagement fidèle de long terme à une association.

M. Jean-Paul Lecoq. Mais non ! Aucune connaissance du milieu associatif !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Il est donc essentiel que notre société promeuve l'engagement associatif et le bénévolat, facteurs de cohésion pour une société et marques d'une démocratie qui favorise la solidarité. Gabriel Attal y travaille activement en réfléchissant à créer des incitations et une meilleure reconnaissance de l'engagement tout au long de la vie, notamment par une certification des compétences et des connaissances acquises durant les phases d'engagement, qui pourrait être reconnue sur le marché du travail.

Pour répondre à votre question, nous veillons bien évidemment à ce que les règles du système de retraite n'aient pas d'effet désincitatif sur l'engagement associatif. Pour autant, je ne crois pas que l'engagement associatif soit un problème d'âge de départ à la retraite.

M. Régis Juanico. Oh si !

Mme Agnès Buzyn, ministre. C'est un problème d'adaptation de la société dont tous les marqueurs montrent en réalité que de plus en plus de jeunes et de moins en moins de retraités s'engagent. Aujourd'hui, l'engagement n'est donc pas lié à l'âge de départ à la retraite.

M. Régis Juanico. Si ! Je vous ai expliqué pourquoi !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Enfin, je reviens sur une phrase que vous avez prononcée. Médicalement parlant, la durée de vie en bonne santé n'a rien à voir avec la durée de vie sans incapacité. Il s'agit de deux choses différentes : on peut être en mauvaise santé, par exemple souffrir d'un diabète, sans avoir d'incapacité. Il ne faudra donc pas mélanger les deux termes.

M. Régis Juanico. Je m'appuie sur les études de la DREES !

Mme la présidente. La parole est à M. Francis Vercamer.

M. Francis Vercamer. Le groupe UDI, Agir et indépendants est favorable à un système de retraite qui garantit l'égalité pour tous les Français, un système qui assure la solidarité de tous les actifs, du public comme du privé, selon des règles communes. Nous encourageons cette démarche d'unification. Cependant, celle-ci appelle notre vigilance sur un point : celui du devenir de la contribution de l'État en tant qu'employeur.

Les cotisations versées par les employeurs du public et du privé varient actuellement de manière significative. Le taux de cotisation des employeurs du privé est de 16,3 %, quand l'État cotise à hauteur de 74,28 % pour la retraite des fonctionnaires civils et de 126,07 % pour les militaires. Chaque année, des crédits budgétaires sont alloués pour financer ces retraites. En 2018, cette dépense a représenté environ 41 milliards d'euros pour les pensions civiles et militaires.

Par ailleurs, les cotisations ne couvrant pas la totalité des pensions versées aux régimes spéciaux, la contribution employeur de l'État, qui joue un rôle de subvention, a été créée en 2003. En 2019, l'État a ainsi versé 7,5 milliards d'euros de subventions d'équilibre aux régimes spéciaux de la SNCF, de la RATP, des ouvriers d'État, des mines ou encore de la marine.

Demain, nous nous apprêtons à supprimer les régimes spéciaux et à intégrer la fonction publique dans le futur régime universel, ce qui aura pour conséquence d'aligner le taux de cotisation de l'État sur le taux de cotisation employeur du privé.

Nous nous interrogeons donc : qu'adviendra-t-il de la contribution de l'État en tant qu'employeur ? Celle-ci sera-t-elle versée en intégralité à la caisse commune du régime universel de retraite ? Dans l'intérêt de l'équilibre financier du régime universel, il est indispensable que l'État prenne sa part de responsabilité.

Pouvez-vous nous assurer que l'intégralité des financements aujourd'hui consacrés par l'État à garantir ces pensions de retraite sera versée dans le fonds commun qui sera créé dans le cadre du régime universel ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Je commence par vous remercier de vos propos et de l'intérêt que vous avez porté à cette réforme. Je puis vous assurer que, dans la future organisation, la contribution de l'État au système de retraite sera maintenue en 2025.

Vous l'avez rappelé, plusieurs éléments entrent dans cette contribution : les cotisations qu'il verse en tant qu'employeur, les dotations et les recettes fiscales qu'il apporte pour équilibrer certains régimes, et les recettes qu'il affecte au système de retraite au titre du financement de dispositifs de solidarité ou de la compensation d'exonération de charges.

Une fois que les assiettes et les taux de cotisation de l'État employeur auront été alignés sur ceux des autres employeurs, cette contribution se composera de la manière suivante : 45 milliards correspondant aux dispositifs de solidarité pris en charge directement, comme par exemple les avantages familiaux, et correspondant également aux départs anticipés des catégories actives et aux déséquilibres démographiques internes au régime des fonctionnaires, et 8,5 milliards d'euros de dotation d'équilibre.

Pour en venir au fond de votre question, cette contribution évoluera ensuite selon la nature et la dynamique des dépenses qu'elle vise à couvrir : les droits assimilables au droit commun, les départs anticipés des catégories actives, la prise en compte de la pénibilité dans la fonction publique et les droits spécifiques en extinction.

Elle intégrera donc progressivement les conséquences financières pour l'État de la suppression des régimes spéciaux et de certaines catégories actives. Les principes retenus pour l'évolution de la contribution de l'État seront présentés dans le cadre de la conférence de financement. Dans le futur système, la contribution de l'État se poursuivra donc – nous verrons dans quelle proportion.

M. Jean-Paul Lecoq. En résumé, c'est oui ou c'est non ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Jeanine Dubié.

Mme Jeanine Dubié. En 2019, le taux d'emploi des 55-64 ans était en France de 52,3 %, soit six points de moins que la moyenne européenne. Un senior reste en moyenne deux fois plus longtemps au chômage que l'ensemble des demandeurs d'emploi.

La question de l'emploi des seniors se pose avec une importance croissante dans le cadre de la réforme des retraites, puisque celle-ci prévoit la mise en place d'un âge d'équilibre situé autour de 65 ans, et qui a vocation à reculer.

Mais alors, comment le Gouvernement entend-il se donner les moyens de son ambition : inciter à travailler plus longtemps ? Comment compte-t-il concrètement améliorer le maintien des seniors dans l'emploi et faciliter leur transition vers la retraite ?

Saluons la possibilité offerte par le projet de loi d'acquérir des droits supplémentaires via le dispositif de cumul emploi-retraite. Mais pourquoi n'avoir ouvert le dispositif de retraite progressive qu'à partir de 62 ans contre 60 ans aujourd'hui ?

Depuis sa création en 1988, la retraite progressive a évolué. Elle n'a plus pour stricte mission d'inciter à prolonger l'activité au-delà de l'âge de départ en retraite, objectif repris par le cumul emploi-retraite. Elle a surtout vocation à faciliter la transition des personnes vers la retraite en réduisant leur activité. C'est surtout un outil précieux pour favoriser la transmission aux générations suivantes. C'est aussi une des solutions permettant de prendre en compte la pénibilité au travail sans recourir à une retraite anticipée. Dans ces conditions, n'est-il pas paradoxal de relever l'âge d'accès à la retraite progressive ?

Enfin, quels aménagements sont prévus pour accompagner effectivement la mise en place de ce droit ? Actuellement, le dispositif est encore sous-utilisé. Au-delà de la réforme des retraites, comment le Gouvernement prévoit-il de le rendre attractif et opérant tant pour les employeurs que pour les travailleurs, sans nuire à l'activité des entreprises ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. La question de l'emploi des seniors préexiste à la réforme des retraites. Elle se pose déjà avec la réforme précédente visant à l'allongement progressif du nombre de trimestres cotisés : dans ce cadre, les salariés du privé partent en moyenne à 63 ans et demi et seront amenés à cotiser plus longtemps. C'est en réalité un problème général, qu'il nous faut instruire et qui est mis en relief par la réforme actuelle.

Le Gouvernement a demandé à Mme Bellon de travailler sur le sujet. Son rapport, qui nous a été remis le 14 janvier, comporte trente-huit propositions relatives à la prévention de l'usure professionnelle, au développement des compétences de deuxième partie de carrière, à une meilleure organisation des mobilités professionnelles, à une transition plus progressive entre pleine activité et pleine retraite – j'y reviendrai – et à une transformation culturelle de la perception des seniors dans les entreprises.

Ce rapport nous aidera à définir de façon concertée les mesures qui permettront le développement du vieillissement actif au travail et le maintien en emploi des seniors, que nous préférerions appeler les travailleurs expérimentés.

Muriel Pénicaud et moi-même menons depuis début janvier un cycle de concertation avec les partenaires sociaux afin de dégager les mesures à mettre en oeuvre concernant la prise en compte de la pénibilité et le maintien dans l'emploi des seniors. Celles-ci passent par trois canaux : normatif, accords de branche et modification des mentalités sur la perception des travailleurs expérimentés dans le monde professionnel.

Ensuite, vous avez évoqué la retraite progressive. Il est très important d'aménager les fins de carrière et de permettre à chacun d'organiser en douceur des transitions selon ses choix. Nous souhaitons prévoir dans le système universel de retraite l'extension de la retraite progressive à tous, notamment aux salariés des régimes spéciaux ou aux professions libérales. Une concertation est menée sur le sujet par Olivier Dussopt.

Mme la présidente. La parole est à Mme Mathilde Panot.

Mme Mathilde Panot. Lundi dernier, François s'est ouvert les veines sur son lieu de travail, à Vitry-sur-Seine. François, syndicaliste à la RATP, se bat depuis le 5 décembre pour l'intérêt général – non pas pour sa propre retraite, mais pour celle de vos enfants, des générations futures.

Pour avoir fait grève, François, comme trois autres grévistes, a été convoqué et menacé de licenciement. Cet homme engagé a été sali, harcelé ; il a reçu une fiche de paie de zéro euro pour le mois de janvier. François incarne la France que vous poussez à bout. Combien de tentatives de suicide et de dépressions faudra-t-il ? Combien de violences, d'yeux perdus, de mains arrachées, de souffrances, pour qu'enfin vous entendiez le peuple ? Jusqu'où êtes-vous prêts à aller pour faire passer en force cette réforme BlackRock ?  

Les violents, c'est vous, quand vous vous indignez que deux heures de coupure d'électricité affectent les grands patrons, mais ne dites rien des 572 000 coupures d'électricité pour non-paiement qui empêchent des familles de se chauffer et de cuisiner.

Les violents, c'est vous, quand le secrétaire d'État chargé de la réforme des retraites, alors membre de la direction des ressources humaines d'Auchan, fait envoyer en garde à vue une caissière et la menace de licenciement pour avoir offert un pain au chocolat brûlé.

Les violents, c'est vous, qui criminalisez tous les opposants à votre politique injuste, et violentez la démocratie.

À quoi ressemblez-vous ? À tout, sauf à la République. En vérité, vous ne tolérez les citoyens que silencieux et passifs ; vous n'aimez la démocratie que lorsqu'elle convient aux intérêts privés que vous servez.

Pourtant, la matraque, les menaces et le mépris ne parviendront jamais à faire taire le peuple soulevé et uni. La France rend partout son tablier. Les professeurs déposent leurs livres, les avocats leurs robes, les soignants leurs blouses, les égoutiers leurs outils. La mobilisation fait fleurir des élans de solidarité magnifiques, montre une société qui n'est pas centrée sur le travail, la productivité, et l'individualisme, mais sur le partage, le vivre-ensemble et l'émancipation – un monde solidaire auquel nous aspirons.

Madame la ministre, allez-vous retirer votre réforme haïe par les Français, ou bien continuerez-vous de mettre le pays à feu et à sang ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Madame Panot, comme vous le savez, le droit de grève a une valeur constitutionnelle ; il est fort heureusement respecté dans notre pays. Il faut aussi respecter la loi, qui rappelle que les violences ne sont pas acceptables.

Mme Mathilde Panot. Il ne s'agit pas de violence. La contestation n'a jamais été violente !

Mme Agnès Buzyn, ministre. J'en viens à ma réponse sur le fond : cette réforme est profondément sociale et redistributive ; elle profitera aux personnes qui ne sont jamais représentées, n'ont pas le temps de défiler dans la rue, et ne sont pas défendues par les organisations syndicales : les femmes aux carrières les plus hachées…

Mme Mathilde Panot. C'est faux !

M. Joël Aviragnet. Vous ne pouvez pas dire ça, madame la ministre !

Mme Agnès Buzyn, ministre. …les plus précaires. Elles ne sont pas représentées ; la réforme, vous le savez, leur bénéficiera.

Mme Mathilde Panot. Vous mentez, et vous le savez !

Mme la présidente. S'il vous plaît, madame Panot !

M. Fabien Roussel. Elles viendront toutes vous voir, pour vous demander des comptes !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Je suis prête à en répondre devant elles. Nous sommes là pour montrer aux Français à quel point la réforme est redistributive. Nous en discuterons pendant les semaines qui viennent ; je pense qu'ils seront convaincus.  

Mme Mathilde Panot. Personne n'est convaincu !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

M. Jean-Paul Lecoq. Toute réforme des retraites doit répondre à la question suivante : vit-on pour travailler, ou bien est-ce l'inverse ?

Pour leur part, le Gouvernement et la majorité croient qu'il faut vivre pour travailler ; ils n'ont pas compris qu'ils étaient les seuls. Le peuple français vous le dit de toutes les manières depuis exactement deux mois : il veut travailler pour vivre. Dès lors, il ne peut accepter que la fin de l'espérance de vie en bonne santé arrive avant la retraite.

Les Français veulent bien vivre leur vieillesse, et partir à la retraite à un âge décent, et alors que leur condition physique est supportable. Je rappelle qu'en France, l'espérance de vie en bonne santé est de 64 ans pour les femmes, de 62,7 ans pour les hommes ; elle varie, selon les professions, de dix ans. Un ouvrier peut espérer vivre sans problèmes sensoriels et physiques jusqu'à 59 ans ; et on va lui demander de partir à la retraite à 65 ans ?

Il faut compter aussi avec le taux d'emploi des seniors, qui est de 30 % : dès lors, ceux qui le voudraient ne peuvent pas continuer à travailler, ou de trouver un emploi.

Vos arguments ne trompent personne, et ce depuis le début. C'est la raison pour laquelle la contestation ne s'arrête pas. Assumez donc que vous voulez abaisser le montant des retraites par répartition à un niveau si ridicule que les gens seront obligés de se payer une retraite complémentaire. Cette réforme est un cadeau à vos amis des fonds de pension.

Les députés communistes ont proposé, à l'inverse, de ramener à 60 ans l'âge de départ à la retraite à taux plein. Voilà une mesure de progrès social ! Il faut pouvoir profiter de sa vie après le travail ; la contestation montre que c'est la volonté des Français. À vous de les écouter et de retirer votre réforme. Ayez le courage de la soumettre au référendum ! (M. Fabien Roussel applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Vous opposez travail et vie, or, fort heureusement, on peut vivre en travaillant.

Nous souhaitons que les conditions de travail des salariés et des fonctionnaires soient bonnes. Tout l'objet de cette réforme est de le permettre. Elle permettra ainsi d'étendre les critères de pénibilité à la fonction publique. Ce travail sera particulièrement intéressant pour la fonction publique hospitalière ; je pense ici aux aides-soignantes.

La réforme nous donne aussi l'occasion de débattre de la fin de carrière, et notamment des reconversions possibles en deuxième partie de carrière, qui amélioreront la situation de ceux qui ont exercé des métiers pénibles.

Nous travaillons en outre sur la retraite progressive, suivant le souhait de nombreux Français, qui veulent éviter que la retraite ne constitue une rupture, douloureuse pour certains.  

Je ne comprends pas que vous opposiez systématiquement le travail et la vie. L'objectif de la réforme n'est pas de faire travailler ad vitam aeternam.

M. Fabien Roussel. …mais quand même de faire travailler plus longtemps !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Loin de là. Elle permet de traiter un problème démographique : le ratio entre actifs et retraités est de moins en moins favorable ; or nous considérons qu'il est impératif de préserver les pensions des seniors.

Enfin, vous demandez un référendum. Il me semble pourtant que le Parlement est le lieu légitime pour voter la loi. Je m'étonne que les députés, qui ont reçu mandat de débattre, de rédiger des amendements afin d'améliorer les textes de loi, décident de se décharger de leurs responsabilités…

M. Fabien Roussel. Il s'agit de sortir de la crise actuelle !

M. Jean-Paul Lecoq. Votre majorité n'est plus représentative !

Mme Mathilde Panot. Se décharger de ses responsabilités, vous pouvez parler !

Mme Agnès Buzyn, ministre. …en demandant un référendum.  

M. Jean-Paul Lecoq. Vous n'avez aucun problème avec le référendum sur l'écologie qu'envisage le Président de la République, par contre !

Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Roseren.

M. Xavier Roseren. L'Assemblée nationale a commencé lundi l'examen des deux projets de loi instaurant un système universel de retraite. Tout en maintenant le principe de répartition en vertu duquel les actifs financent les pensions, la réforme corrigera les inégalités du système actuel. Plus de justice sociale, d'équité, de solidarité : voilà quels en sont les maîtres-mots.  

Je pense particulièrement aux professions indépendantes, qui bénéficieront de nombreux progrès grâce à cette réforme : chaque heure travaillée sera désormais prise en compte lors du calcul des droits de retraite ; les pensions seront majorées de 5 % dès le premier enfant ; le système des pensions de réversion sera simplifié et renforcé, permettant de conserver 70 % des revenus du couple ; surtout, l'instauration d'un minimum des retraites, à hauteur de 85 % du SMIC. Ces dispositions qui profiteront à l'ensemble des actifs, constituent des améliorations pour les travailleurs indépendants.

Cependant, comme l'ont relevé les organisations professionnelles concernées, cette réforme se traduit aussi pour eux par une hausse de cotisation pour ces travailleurs. Pour certains, comme les infirmières, les kinésithérapeutes, les orthoptistes ou les orthophonistes, le taux de cotisation augmentera pour atteindre 28 %.

Je sais que le Gouvernement a conscience de la difficulté, et travaille activement en lien avec les professionnels. Madame la ministre, pouvez-vous nous rappeler quelles mesures de transitions sont prévues pour les professions indépendantes, et quelles dispositions permettront de neutraliser les effets de la hausse de cotisations ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Monsieur le député, vous posez une question qui préoccupe le secteur des travailleurs non salariés ; je suis ravie de pouvoir y répondre.

La situation actuelle est très hétérogène, selon qu'il s'agit d'artisans, de commerçants, d'agriculteurs ou de professions libérales ; c'est au sein des professions libérales que l'hétérogénéité est la plus forte.

Il convient donc de définir la transition adaptée à chacun de ces métiers. Le projet de loi prévoit des mesures d'accompagnement, et notamment une réforme de l'assiette sociale. Un abattement sur les revenus déclarés permettra de reconstituer une assiette brute comparable à celle des salariés, sur laquelle la contribution sociale généralisée – CSG – et les cotisations sociales seront prélevées.

C'est à la fois une mesure de justice – nous évitons ainsi que ces assurés ne soient soumis à un taux de CSG trop élevé –, et une mesure de simplification, qui permet d'éviter la circularité que l'on connaît aujourd'hui, c'est-à-dire le fait que l'assiette des cotisations soit obtenue par un calcul qui exige de connaître les cotisations.

Enfin, c'est une mesure d'accompagnement, qui neutralise entièrement, pour les artisans comme pour les commerçants, les effets du nouveau barème de cotisations.

Pour les exploitants agricoles, le dispositif permet de limiter les hausses de cotisation, qui seront de toute manière étalées dans le temps. Par ailleurs, les 40 % des agriculteurs qui sont aujourd'hui soumis au taux minimal de cotisation verront son montant décroître.

J'en viens aux professions libérales. Les cas types présentés dans l'étude d'impact montrent que la réforme permet d'absorber l'effet de la hausse de cotisation pour les auxiliaires médicaux, que vous avez cités. Pour un avocat dont le revenu est égal à 1 PASS – plafond annuel de la sécurité sociale –, sept des onze à douze points de l'augmentation envisagée du taux de cotisation seront absorbés grâce à la réforme de l'assiette. L'évolution des cotisations sera en outre lissée sur une période de quinze ans.

Comme nous n'avons cessé de le dire, si l'abattement qui permettra de diminuer le montant de la CSG et les longs délais de transition prévus ne suffisent pas, les professions pourront mobiliser leurs réserves pour accompagner l'évolution.

Mme la présidente. La parole est à Mme Barbara Bessot Ballot.

Mme Barbara Bessot Ballot. Actuellement, la pénibilité n'est pas prise en compte de la même manière, et les dispositifs pour les fins de carrière diffèrent, d'un régime à l'autre, même pour des salariés qui exercent le même métier.

La réforme des retraites va étendre et améliorer la prise en compte de la pénibilité, selon des critères qui seront les mêmes pour tous, notamment grâce à l'ouverture du compte professionnel de pénibilité dit « compte C2P » aux fonctionnaires et salariés des régimes spéciaux.

La réforme permettra également de mieux prendre en compte le travail de nuit, les mêmes seuils devenant applicables à tous. C'est un vrai progrès, qui mérite d'être souligné.

La semaine prochaine se tiendra une réunion entre le Gouvernement et les syndicats, afin de discuter de la pénibilité. Actuellement, la définition de cette notion, au coeur des débats, repose prioritairement sur des critères endogènes, tels que les contraintes physiques. Or l'Organisation mondiale de la santé et Santé publique France nous alertent sur d'autres formes de pénibilité. Je pense notamment à la situation des responsables des petites et moyennes entreprises, premiers employeurs de France. Ils sont artisans, travaillent dans les métiers de l'hôtellerie et de la restauration par exemple, et ont souvent quelques salariés. Il leur faut être bon technicien, mais aussi bon cadre, bon comptable, et bon gestionnaire. La vie de l'entreprise les préoccupe constamment ; pour eux, pas de vacances.

Madame la ministre, il est temps de revenir sur la définition même de la pénibilité. Quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière ? La définition de la pénibilité continuera-t-elle de reposer exclusivement sur des critères physiques, ou comptez-vous aller plus loin et l'élargir ?        

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Madame la députée, permettez-moi de rappeler l'équilibre du projet de loi. Le système universel doit permettre d'harmoniser les droits entre les différents régimes afin notamment que les personnes qui exercent le même métier bénéficient des mêmes droits à la retraite. Le système doit garantir que ceux dont la santé a été affectée par leur travail – soit parce qu'ils ont commencé à travailler très jeunes, soit parce qu'ils sont exposés durablement à des risques professionnels – pourront partir à la retraite avant 62 ans.

Les deux dispositifs de prise en compte de la pénibilité seront étendus aux 5,5 millions de fonctionnaires et salariés des régimes spéciaux. Ceux-ci pourront bénéficier de la retraite pour incapacité permanente, qui permet un départ à 60 ans, sans décote, dès lors qu'une incapacité d'au moins 10 % liée à un des risques professionnels est constatée.

En outre, le compte professionnel de prévention permettra aux fonctionnaires et salariés des régimes spéciaux, comme aux autres travailleurs, de partir jusqu'à deux années plus tôt à la retraite et de bénéficier d'une formation ou d'un temps partiel payé comme un temps plein.

Comme vous le savez aussi, les mêmes seuils relatifs au travail de nuit et en équipe alternante seront appliqués à tous ; ils seront abaissés dans le futur système.

Enfin, un plafond limite actuellement l'acquisition des points de pénibilité, qui permettent la reconversion professionnelle ou le passage à temps partiel ; il sera supprimé.

La concertation avec les partenaires sociaux se poursuit sur cette base. Muriel Pénicaud la mène pour les salariés du privé, Olivier Dussopt pour les fonctionnaires. Plusieurs des questions que vous avez soulevées ont été abordées. La discussion doit se conclure la semaine prochaine. Le Parlement sera saisi des adaptations proposées par le Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Bazin-Malgras.

Mme Valérie Bazin-Malgras. Comme vous, madame la ministre, nous voulons cette réforme. Nous ne faisons pas d'obstruction. Bien au contraire, nous formulons des propositions, mais vous ne les écoutez pas. Vous voulez faire passer votre texte en force, sans même en préciser le financement, en renvoyant des pans entiers de la réforme à des ordonnances que vous pourrez rédiger à votre guise tout en imposant au Parlement un calendrier intenable.

Mme Emmanuelle Anthoine. Scandaleux !

Mme Valérie Bazin-Malgras. Nous dénonçons fortement ces méthodes qui piétinent la représentation nationale. Pour financer votre système universel, vous pensez avoir trouvé une manne : les 2 milliards d'euros de réserves que les avocats ont rassemblés par leurs efforts. C'est une injustice insupportable ! Les avocats sont en colère, à raison. Ils se sont lancés dans une grève inédite parce que votre texte mène une attaque inouïe contre leur profession : ils vont en effet perdre leur régime autonome de retraite, particulièrement vertueux – celui grâce auquel, au cours des vingt dernières années, ils ont reversé au régime général déficitaire trois fois plus qu'ils n'ont constitué de réserves, soit plus de 100 millions d'euros par an ! Là est la solidarité des avocats !

Vous semblez confondre régimes spéciaux et régimes autonomes.

Mme Emmanuelle Anthoine. Rien à voir !

Mme Valérie Bazin-Malgras. Nombreux sont les avocats qui ne parviennent déjà pas à s'acquitter de cotisations à 14 % mais, lorsque ce taux sera porté 28 %, ce sont 40 % des cabinets libéraux qui devront cesser leur activité, tandis que d'autres seront précarisés. En somme, les emplois de 25 000 salariés se trouveront menacés !

Entendrez-vous les revendications légitimes des avocats, madame la ministre ? Les députés du groupe Les Républicains, eux, les ont entendues et ont déposé des amendements y répondant. Le Gouvernement acceptera-t-il nos propositions vertueuses pour les retraites des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Le Gouvernement ne passe pas en force, madame la députée ; il propose un projet de loi et tous les groupes politiques sont les bienvenus pour l'amender et l'améliorer.

Mme Valérie Bazin-Malgras. Ah bon ?

Mme Agnès Buzyn, ministre. D'autre part, les ordonnances – nous l'avons dit – n'ont qu'un objectif : les transitions pour les différents métiers. Nous inscrivons dans la loi les dispositions qui en relèvent, mais toutes les transitions nécessitent des concertations longues qui ne sauraient se conduire dans la précipitation. C'est pourquoi les ordonnances sont réservées aux transitions dans les professions concernées.

Vous affirmez d'autre part que nous allons ponctionner les réserves. Je l'ai dit et je le répète : aucune des réserves accumulées par les professions au cours des dernières années ne sera utilisée pour abonder le fonds de réserve du futur système universel. Les réserves des professionnels sont préservées. Elles seront éventuellement utilisées par ces mêmes professionnels pour accompagner les transitions s'ils le souhaitent – c'est l'un des points de la négociation en cours.

Mme Emmanuelle Anthoine. Cela revient donc au même !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Il n'y aura aucune ponction sur les réserves des différents régimes professionnels.

Enfin, nous ne confondons pas les régimes autonomes et les régimes spéciaux. Nous avons simplement pris la décision de traiter tous les Français à la même enseigne,…

Mme Valérie Bazin-Malgras et Mme Emmanuelle Anthoine. Ce n'est pas le cas !

Mme Agnès Buzyn, ministre. …de faire en sorte que nous soyons tous solidaires les uns des autres et que les systèmes de retraite ne dépendent plus de la démographie de chaque profession. Certaines professions à la démographie très dynamique ne souhaitent pas intégrer le système universel parce que le leur est bénéficiaire, mais le jour vient où la courbe démographique s'inverse, et nous constatons alors les dégâts pour les systèmes de retraite.  

Mme Valérie Bazin-Malgras. Mais ils sont justement autonomes !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Nous faisons le choix de l'universalité. Le futur système concernera 100 % des Français et personne ne devra y échapper, car il sera le reflet de la justice sociale que nous souhaitons.

Mme Emmanuelle Anthoine. En attendant, vous remettez en cause le modèle économique de la profession d'avocat !

Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Larrivé.

M. Guillaume Larrivé. Je crains de ne pas vous convaincre, madame la ministre, mais je veux vous demander directement pourquoi le Gouvernement souhaite démolir le régime autonome des avocats.  

Mme Emmanuelle Anthoine. Et leur profession avec !

M. Guillaume Larrivé. En effet, c'est un régime parfaitement géré qui dégage chaque année un excédent, qui produit des réserves et qui contribue à la solidarité nationale puisque l'an dernier, il a versé plus de 100 millions d'euros au régime général.

Mme Emmanuelle Anthoine. Eh oui !

M. Guillaume Larrivé. Si le projet initial du Gouvernement entre en vigueur, cette profession sera intégrée de force – ou du moins contre sa volonté – dans un système universel dont les conséquences pourraient s'avérer désastreuses.

Je ne prendrai qu'un seul exemple, celui du barreau d'Auxerre, qui compte cinquante-huit avocats. Ce sont les plus jeunes et les plus fragiles sur le plan économique – souvent les mêmes – qui seront les plus touchés. La cotisation va doubler, passant de 14 à 28 %.

Mme Emmanuelle Anthoine. Intenable !

M. Guillaume Larrivé. Autrement dit, les jeunes avocats réalisant un bénéfice annuel de 40 000 euros ne percevront plus qu'un revenu mensuel proche du SMIC.

Depuis quelques jours, je le sais, le Gouvernement a entamé une esquisse de concertation : hier soir, le Premier ministre et la garde des sceaux ont reçu une délégation. La demande que j'adresse au Gouvernement, madame la ministre, est simple : ne faites pas à cette profession des promesses intenables – et, pour tout dire, mensongères. En particulier, ne lui promettez pas de compenser la hausse de la cotisation par un abattement de 30 % sur la CSG : celle-ci, en effet, est un impôt, et, je l'affirme avec fermeté, ce serait tout bonnement inconstitutionnel.

Mme Emmanuelle Anthoine. Il a raison !

M. Guillaume Larrivé. Plutôt que d'improviser des rustines, acceptez pour une fois, modestement, de reconnaître votre erreur initiale et de revenir au bon sens. Ne détruisez pas ce régime autonome de professionnels, qui sont au service de nos concitoyens, qui jouent un rôle indispensable au service public de la justice. Concentrez-vous sur les véritables problèmes des Français – il y en a tant – plutôt que d'en créer vous-même, madame la ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. En premier lieu, les concertations avec les représentants des avocats se poursuivent puisqu'ils ont été reçus hier par le Premier ministre.

Mme Valérie Bazin-Malgras. Ils ont pourtant reconduit leur grève !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Mais je souhaite être très claire, monsieur le député, et je prendrai donc des exemples précis. Lors des discussions, il a été montré que la réforme de l'assiette sociale permettra de diminuer de près de 10 % l'assiette de cotisation à l'assurance vieillesse du salaire médian des avocats, et de 26 % son assiette de CSG et CRDS – la contribution de remboursement de la dette sociale. Ce mécanisme permettra, sans imposer une quelconque charge supplémentaire sur les avocats, d'augmenter les cotisations de retraite de 6,6 points pour un avocat percevant 32 000 euros de revenus annuels, et de 6,8 points pour un avocat percevant 40 000 euros. La pension d'un avocat percevant en moyenne 32 000 euros par an pendant l'ensemble de sa carrière sera supérieure de 13 % à celle qu'il aurait perçue dans le régime autonome.

Mme Emmanuelle Anthoine. Ça, j'attends de voir !

Mme Agnès Buzyn, ministre. Il n'y aura pas de doublement de cotisation des avocats : c'est une contrevérité. Rappelons en outre qu'au-delà d'un revenu équivalant à 1,8 fois le PASS, le système universel n'entraînera pas de hausse de cotisation pour cette profession.

La question concerne donc les revenus les plus faibles et les mesures complémentaires à l'abattement de CSG – dont je rappelle qu'il a été validé par le Conseil d'État –, mesures qui restent à définir. La trajectoire de cotisation doit être construite selon les modalités d'accompagnement choisies par la profession des avocats et sa caisse de retraite. Les réserves de la caisse, qui en restera propriétaire, pourront être mobilisées et la solidarité interne à la profession pourra intervenir.

Je ne prétends pas que nous sommes proches de la solution mais le Gouvernement a formulé des propositions très concrètes. Nous recherchons activement des solutions et l'assemblée générale du Conseil national des barreaux examinera nos propositions dès vendredi.

Mme Emmanuelle Anthoine. Sans doute est-ce pour cela que les avocats ont reconduit leur grève ?

Mme la présidente. La parole est à Mme Géraldine Bannier.

Mme Géraldine Bannier. Les artistes-auteurs font part de leurs inquiétudes concernant le projet de loi. S'agissant des modalités de révision des retraites liquidées, ils craignent que cette révision n'intervienne que dans les deux années suivant l'attribution de la retraite. De fait, le caractère imprévisible et aléatoire de la perception des droits d'auteur devrait leur permettre de demander régulièrement la liquidation de leur pension.

D'autre part, jusqu'à 1 PASS, soit 40 000 euros, le budget de l'État assurera la compensation de la part de l'employeur. Entre 1 et 3 PASS, toutefois, le texte est silencieux quant à la prise en charge des cotisations patronales. Est-ce à dire qu'elle sera intégralement à la charge des artistes-auteurs ?

En outre, ceux-ci ne sont pas associés aux dispositifs du minimum de pension assorti et du minimum de cotisation fixé à 600 fois le SMIC horaire ; ils demandent à l'être.

À ces inquiétudes s'ajoute le scandale, repris par le rapport de Bruno Racine, du défaut de prélèvement des cotisations à l'assurance vieillesse depuis la création du régime en 1975. L'AGESSA, l'Association pour la gestion de la Sécurité sociale des auteurs, n'a pas fait son travail et, arguant de son manque de moyens, n'a pas prélevé les cotisations de quelque 190 000 artistes-auteurs. Quelle réponse pouvez-vous leur apporter alors qu'Emmanuel Macron a rappelé, lors du salon de la bande dessinée d'Angoulême, qu'il était souhaitable, dans le pays qui a inventé le droit d'auteur, de mieux protéger et de mieux rémunérer ceux qui créent, et qui se trouvent parfois dans une grande précarité ?

D'autre part, je suis également sensible à la précarité des créateurs et producteurs qu'ont été les actuels retraités agricoles – mais j'y reviendrai lors du débat sur la réforme.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. La question des artistes-auteurs est naturellement centrale et démontre une fois de plus qu'il est possible d'intégrer au système universel des professions qui présentent de fortes spécificités.

Aujourd'hui, les artistes-auteurs ne cotisent qu'au titre de la part salariale du régime de base ; la part employeur est financée par une contribution des diffuseurs d'oeuvres, qui est de portée réduite, et, pour le reste, implicitement par la solidarité des autres assurés. Ensuite, les artistes-auteurs cotisent à leur régime complémentaire sur la base de leurs revenus artistiques.

Soyons clairs : demain, les artistes-auteurs continueront de ne régler que la part salariale dans le système universel, sous un plafond comme au-delà. La prise en charge de la part patronale sous un plafond sera assurée par l'État. Ce sera plus lisible que la situation implicite actuelle.

S'agissant du cumul emploi-retraite, les artistes-auteurs pourront, comme tous les assurés, liquider une deuxième fois leur pension pour en augmenter le montant. Enfin, comme les autres assurés, je vous confirme qu'ils pourront bénéficier du minimum de pension.

Vous évoquez par ailleurs la situation des cotisations qui, pendant de longues années, n'ont pas été appelées par l'AGESSA. Le Gouvernement et celui de la précédente législature ont selon moi pris toutes les mesures pour mettre fin à cette situation intenable. Nous en avons débattu dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Il est indispensable que l'ensemble des cotisations des artistes-auteurs soient effectivement appelées et payées, et que leurs droits soient effectifs, tout en continuant de prendre en compte les spécificités de cette population d'assurés.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Lorho.

Mme Marie-France Lorho. Je déplorais hier l'iniquité d'une réforme des retraites dont le financement demeure impensable sans une révision profonde des régimes d'exception et des grâces accordées à la fonction publique. Aujourd'hui, je dois regretter qu'elle ne soit pas plus équitable qu'elle n'est universelle. Derrière cette réforme, en effet, se trouve une ambition plus inquiétante de votre Gouvernement. Le secrétaire d'État Olivier Dussopt se réjouissait de proposer une réforme inédite depuis 1945, et pour cause : il est inédit qu'un gouvernement s'accapare un domaine qui, jusqu'à présent, n'était pas de son entier ressort. Vous faites mieux que les communistes en 1945 !

Cette réforme n'a d'universelle plus que le nom, qu'elle brandit en étendard pour justifier l'absence de révision du système de retraites des fonctionnaires statutaires au détriment d'autres professions – des organisations professionnelles qui, une fois de plus, seront les victimes silencieuses d'un État jacobin s'accaparant des caisses professionnelles excédentaires. Je rappelle que ces dernières, contrairement à l'État ultra-déficitaire, ont fait un grand effort de prévoyance.

Votre réforme n'est pas équitable et n'aspire en rien à l'universalité. Elle n'est que la manifestation d'un transfert de compétences vers un État centralisateur, recourant autant qu'il lui sied à des ordonnances sur des questions éparses et délicates. L'avis consterné du Conseil d'État souligne la faiblesse de votre projet, qui risque en bien des points d'être frappé d'inconstitutionnalité et que, dans les faits, vous aurez mille et une peines à appliquer tant il semble dogmatique et coupé des réels besoins des Français.

M. Djebbari a montré le peu de cas que le Gouvernement faisait de cet avis en répondant que « c'est bien le Gouvernement qui gouverne en France, et le Gouvernement assume ses responsabilités devant le Parlement ». C'est devant les Français que je vous invite, pour les décennies à venir, à assumer les responsabilités de ce texte lacunaire et inique dont le Conseil d'État ne peut même pas garantir la sécurité juridique.

Comment le Gouvernement compte-t-il justifier la véritable préemption des caisses excédentaires qui, au cours des dernières années, se sont illustrées par leur gestion exemplaire, sans le concours de l'État ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Agnès Buzyn, ministre. Vous comprendrez que je ne suis pas du tout d'accord avec votre analyse, madame la députée. Le système que nous proposons est tout à fait universel, puisque tout euro cotisé ouvrira les mêmes droits à chaque Français. Nous serons tous intégrés dans le système universel, sans exception, sans spécificités particulières, sans régimes spéciaux notamment. Je le répète ; c'est une réforme universelle.

La gouvernance doit être partagée entre le législateur et les partenaires sociaux. C'est cet objectif que nous confions à la conférence sur l'équilibre et le financement : une discussion est en cours pour permettre le retour à l'équilibre, mais je veux surtout souligner que la gouvernance envisagée pour la conférence sur l'équilibre et le financement devrait être la même que celle du futur système universel de retraite. Il n'est en rien question d'un État jacobin, mais bien d'une gouvernance confiée aux partenaires sociaux. L'État sera présent en tant qu'employeur, au même titre que le MEDEF en tant qu'employeur du secteur privé. Encore une fois, il ne s'agit pas d'une gouvernance centralisée.

D'autre part, le législateur jouera pleinement son rôle puisque les propositions formulées par la future gouvernance du système seront validées par les parlementaires, afin d'assurer un équilibre pendant des périodes de cinq ans et du respect de la règle d'or qui sera inscrite dans la loi.

Je ne peux donc qu'être en désaccord avec votre analyse du futur système. Primo, il est universel ; secundo, il n'est pas jacobin. Il ne s'agit pas de centraliser la gouvernance mais, bien au contraire, de faire confiance à la démocratie sociale et aux partenaires sociaux.

Mme la présidente. Le débat est clos.


Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 7 février 2020