Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à Public Sénat le 26 février 2020, sur la réforme des retraites, la chute des places financières, l'évaluation de l'impact économique de l'épidémie de COViD-19, le déficit public et la politique agricole.

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Média : Public Sénat

Texte intégral

ALEXANDRE POUSSART
Notre invité politique ce matin c'est Bruno LE MAIRE, le ministre de l'Economie et des finances, bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour.

ALEXANDRE POUSSART
Nous sommes ensemble pendant 25 minutes pour un entretien en partenariat avec la presse quotidienne régionale, qui est représentée aujourd'hui par le journal Ouest-France, avec vous Patrice MOYON, bonjour Patrice.

PATRICE MOYON
Bonjour.

ALEXANDRE POUSSART
Alors, on va commencer par l'actualité autour de la réforme des retraites, du débat qui s'enlise à l'Assemblée nationale, et du Premier ministre, Edouard PHILIPPE, qui a annoncé hier qu'il était possible qu'il utiliserait l'article 49.3 de la Constitution pour passer ce texte sans vote. On y va tout droit vers ce 49.3 ?

BRUNO LE MAIRE
Ça c'est la prérogative du Premier ministre et du seul Premier ministre, donc c'est à lui de juger en fonction de l'évolution des débats si et quand il doit mettre le 49.3. Ce que je vois simplement c'est que, au lieu d'avoir un débat de fond, auquel les Français ont droit, sur leur système de retraite, sur la retraite par répartition, sur la revalorisation des petites retraites, sur les moyens de financement, on a un combat politicien, un combat de tranchées à l'Assemblée nationale, qui, je trouve, ne fait pas honneur à la démocratie française. Ce qui ferait honneur à la démocratie française c'est qu'on puisse échanger arguments contre arguments, qu'est-ce que propose la gauche, qu'est-ce que proposent les Insoumis, à la place de cette réforme du système de retraite par répartition que nous proposons ? Je ne vois aucune proposition, je ne vois, une fois encore, qu'un combat de tranchées, qui ne sert pas notre démocratie.

PATRICE MOYON
Tout de même Bruno LE MAIRE, on a l'impression que cette réforme elle avait été mal préparée, même le Conseil d'Etat le dit, il parle de dispositions financières lacunaires, pourquoi n'avoir pas cadré cette réforme dès le départ avec un cadrage budgétaire ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense qu'elle a été cadrée, enfin les grands paramètres de la réforme ils sont connus, une réforme par points, une réforme qui maintient le système par répartition, qui fait disparaître les systèmes qui étaient des systèmes qui ne correspondaient plus à ce à quoi pouvaient s'attendre les Français au 21e siècle, avec des régimes spécialisés qui n'avaient plus lieu d'être, et tout ça devait être soumis au débat à l'Assemblée nationale, pour justement qu'il y ait une amélioration de ce projet, et malheureusement il ne peut pas y avoir d'amélioration, parce qu'il y a blocage.

ALEXANDRE POUSSART
Les députés LR et notamment également la droite du Sénat demandent un report du débat après les élections municipales, même parfois à la fin de la conférence de financement entre les partenaires sociaux, pourquoi ne pas prendre le temps de débattre justement, pour avoir un débat de fond ?

BRUNO LE MAIRE
Mais le débat il devrait avoir lieu, c'est uniquement parce que nous sommes confrontés à une opposition systématique, à une guerre de tranchées, à un refus de débattre, parce qu'il n'y a pas de débat actuellement à l'Assemblée nationale, il y a uniquement des positions de principe pour empêcher le débat d'avoir lieu, et moi je reproche à la France Insoumise de tout faire pour que le débat n'ait pas lieu, en privant donc les Français du débat légitime qui doit avoir lieu à l'Assemblée nationale, sur leur futur système de retraite. On peut très bien améliorer le texte que nous avons apporté à l'Assemblée nationale, vous avez raison, un texte n'est jamais parfait, quand il arrive en commission, quand il arrive sur les bancs de l'Assemblée nationale, mais le rôle des parlementaires ce n'est pas de bloquer un texte législatif, ce n'est pas de bloquer un projet du gouvernement, c'est de l'améliorer, et malheureusement ce débat n'a pas lieu, et ce débat n'aura pas lieu.

ALEXANDRE POUSSART
Allez, on va parler de l'épidémie de coronavirus puisque lundi les places financières mondiales ont chuté face à l'incertitude autour du coronavirus, Bruno LE MAIRE, est-ce qu'il y a un risque pour l'économie mondiale ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, il y a un risque pour l'économie mondiale, et nous l'avons vu dans les débats que nous avons eus dans le cadre du G20 des ministres des Finances, je rentre tout juste de Riyad où ce G20 a eu lieu, il y a une vraie inquiétude des ministres des Finances des 20 Etats les plus riches économiquement de la planète, sur les conséquences de l'épidémie de coronavirus sur la croissance mondiale. Il y a deux canaux de transmission, le premier c'est le tourisme, il y aura beaucoup moins de touristes chinois en France cette année, ils sont environ 2,5 millions à venir chaque année, l'évaluation que j'ai donnée c'est 30 à 40% de touristes chinois en moins dans les endroits de France où ils vont le plus souvent, c'est-à-dire la région parisienne, la Côte-d'Azur et autour de la Bourgogne, 30 à 40% de touristes chinois en moins dans ces régions. Et puis le deuxième canal de transmission, c'est le plus important, c'est les chaînes de valeur, aujourd'hui vous avez des chaînes d'approvisionnement qui sont tout simplement coupées. Lorsque l'industrie automobile a besoin de pièces pour ses freins, par exemple, elle ne va pas les trouver parce qu'une très grande partie est produite en Chine. Vous avez des problèmes également de logistique, parce que beaucoup de ports chinois tournent au ralenti ou ne tournent plus du tout, donc les produits qui devraient partir des ports chinois pour aller jusqu'en Europe, ou ailleurs, ne peuvent plus partir. Et je pense qu'il faut tirer les conséquences de long terme de cette situation. Ça fait plusieurs mois que je dis qu'il faut que nous réfléchissions à renforcer la souveraineté économique, l'indépendance économique de notre pays, en ayant la capacité de produire un certain nombre de biens qui sont stratégiques pour notre industrie, en France, ou en Europe, et pas uniquement en Chine. Un exemple, le médicament, 80 à 85 % des processus actifs, des principes actifs, qui sont dans les médicaments, que vous consommez, que nous consommons, que tous les Français consomment, sont produits en Chine, est-ce que vous pensez qu'on peut longtemps garder une dépendance vis-à-vis de principes actifs qui sont produits en Chine. Nous avons confié une mission à Jacques BIOT, sur ce sujet, avec le ministre de la Santé, nous aurons les résultats, je suis très heureux de voir que SANOFI a décidé justement de rapatrier une partie de sa production de principes actifs en France et en Europe, et de créer des unités de production, parce que c'est exactement ce qu'il faut faire, garantir notre indépendance économique et tirer des conséquences de cette épidémie sur les chaînes de valeur, pour avoir une organisation de l'économie mondiale qui soit plus proche des centres de consommation.

PATRICE MOYON
Alors, l'Italie, notre grand voisin, est à son tour touchée par le coronavirus, quel impact économique possible pour la France ?

BRUNO LE MAIRE
L'impact économique, je l'ai évalué à 0,1 point de croissance en moins pour la France en 2020. Je confirme ce chiffre ce matin, je n'ai pas de nouvelle évaluation, mais nous suivons au jour le jour la situation. J'ai eu hier soir au téléphone la directrice générale du Fonds monétaire international, pour faire le point avec elle, nous avons décidé, au G20, de suivre au jour le jour la situation de l'épidémie et ses conséquences sur l'économie. Les conséquences de court terme, la croissance, les conséquences de long terme, la nécessité de relocaliser, ça prendra bien sûr du temps, mais de relocaliser un certain nombre d'activités industrielles pour être moins dépendants de fournisseurs qui se trouvent loin de l'Europe. Et puis la troisième conséquence que je ne voudrais pas qu'on oublie, c'est les pays en développement, qui s'ils devaient être frappés par l'épidémie, n'ont pas forcément les mêmes capacités de résistance que nous, d'organisation, de réponse sanitaire, c'est, pour le FMI, comme pour le G20, un vrai sujet de préoccupation que de voir ce que cela peut donner pour les pays qui sont les plus fragiles, qui n'ont pas forcément les mêmes structures de santé, si l'épidémie devait se développer dans ces pays-là, ça aurait évidemment des conséquences importantes.

ALEXANDRE POUSSART
Vous parliez de relocaliser l'activité, notamment industrielle, en France, ça veut dire que vous envisagez des mesures pour inciter à revenir en France ?

BRUNO LE MAIRE
C'est tout l'objet du Pacte productif, sur lequel nous travaillons à la demande du président de la République et du Premier ministre.

ALEXANDRE POUSSART
On va en parler.

BRUNO LE MAIRE
L'objectif c'est quoi ? C'est d'avoir une production décarbonée et relocaliser un certain nombre d'activités. Je vous donne un autre exemple pour être très concret, les batteries électriques. On dit il faut une industrie automobile avec des voitures électriques, bien sûr, bien sûr si on veut garantir cette transition énergétique il faut aller dans cette direction-là, mais, aujourd'hui, l'approvisionnement en batteries électriques des voitures dans lesquelles vous roulez c'est à 80 ou 85% des batteries asiatiques, Chine ou Corée du Sud, mais c'est totalement déraisonnable. A quoi est-ce que cela sert de vouloir lutter contre les émissions de C02 si c'est pour avoir des véhicules électriques dont 80 à 85% des batteries viennent de Chine ou de Corée du Sud ? donc, nous avons décidé de relocaliser, de créer notre propre filière de batteries électriques en France, le président de la République a inauguré l'usine pilote à Nersac en Nouvelle Aquitaine il y a quelques semaines, il y aura une première usine dans le Nord de la France, à Douvrin, d'ici 2022, une deuxième en Allemagne en 2024, c'est exactement ce mouvement-là que nous souhaitons enclencher, c'est un mouvement de long terme, qui prendra du temps, qui ne concernera pas toutes les industries, mais les industries qui sont les plus stratégiques, relocaliser la production pour à la fois être indépendants et en même temps plus vertueux du point de vue de l'environnement.

ALEXANDRE POUSSART
Toujours sur le coronavirus, quelles mesures que vous allez prendre pour soutenir les filières économiques qui sont touchées par cette crise ?

BRUNO LE MAIRE
C'est d'abord un problème d'approvisionnement, je vais vous le dire avec beaucoup de simplicité, c'est un choc d'offre, du point de vue économique, cette épidémie du coronavirus, c'est-à-dire que vous ne trouvez plus les pièces dont vous avez besoin pour construire, vos avions, vos voitures, vos médicaments, donc ce n'est pas de la relance budgétaire qui va permettre de répondre à ce choc d'offre, on peut toujours mettre de l'argent, de l'argent, de l'argent, si la pièce n'est pas disponible, elle n'est pas disponible. Donc nous travaillons à une série de réponses possibles, avec le Fonds monétaire international, et dans le cadre du G20, ça peut passer aussi par des mesures de soutien à des pays qui sont en grande difficulté, mais pour le moment il n'y a pas encore de batteries de mesures définies.

PATRICE MOYON
Autre sujet dans l'actualité, les finances publiques, la Cour des compte sa rendu public hier son rapport, elle dit que le redressement des finances publiques est à l'arrêt, votre réaction.

BRUNO LE MAIRE
Nous avons écrit, avec le ministre des Comptes publics, Gérald DARMANIN, au Premier président de la Cour des comptes, que nous ne partageons pas évidemment cette évaluation. Nous avons engagé le rétablissement des finances publiques, en 2017, avec le président de la République et le Premier ministre, et nous tiendrons cette ligne du rétablissement des finances publiques, parce qu'elle est bonne pour la France. Regardez les chiffres, nous sommes sortis de la procédure pour déficit public excessif, nous sommes sous les 3% de déficit, 3,1 en 2019 parce qu'il y avait la transformation du CICE en allégements de charges, qui représentait 0,8 point de déficit public, 2,2% de déficit public prévu pour 2020. La dette qui est stabilisée, alors qu'elle avait flambé au cours des dix dernières années, je rappelle qu'il y a un peu plus de 10 ans la dette française elle était à 64 ou 65 % de notre richesse nationale, aujourd'hui elle avoisine les 100 %, mais quand nous sommes arrivés au pouvoir et aux responsabilités, avec le président de République, elle était déjà à 97 ou 98%, nous avons stabilisé cette situation. Nous avons pris des mesures qui sont difficiles, courageuses, pour réduire la dépense publique. ce qui est fait sur l'assurance chômage, ce qui a été fait sur les contrats aidés, ce qui a été fait sur le logement, ce qui a été fait sur les chambres de commerce et d'industrie, on en a souvent parlé ici, c'est des réductions structurelles de long terme de la dépense publique, donc nous tiendrons ce cap du rétablissement des finances publiques, parce que c'est bon pour le pays, parce que c'est utile pour les Français. Et je reconnais bien volontiers qu'il y a un point noir qui demeure, c'est celui de la dette, c'est le point noir qui reste dans nos finances publiques…

PATRICE MOYON
Sachant que les taux d'intérêt sont très bas et qu'ils pourraient remonter.

BRUNO LE MAIRE
Oui, mais c'est une espèce de morphine les taux d'intérêt, les taux d'intérêt sont bas, donc on se dit ce n'est pas grave qu'il y ait de la dette parce que les taux d'intérêt sont bas, moi je ne partage pas cette évaluation, parce que je pense qu'elle n'est pas responsable vis-à-vis des générations qui viennent. Bien entendu, au moment où je vous parle, les taux d'intérêt sont très bas, ils sont négatifs pour la Banque Centrale Européenne, don on emprunte pour rien, pour faire simple, mais sur le long terme je pense qu'il serait déraisonnable de ne pas se battre pour stabiliser la dette publique française et engager sa baisse. En tout cas, ma détermination à stabiliser et à engager la baisse de cette dette publique, elle est totale, parce que je pense que ce ne serait pas responsable, sinon, vis-à-vis des générations qui viennent.

ALEXANDRE POUSSART
Et comment vous allez faire pour baisser cette dette pour les deux prochaines années ?

BRUNO LE MAIRE
La première condition c'est de poursuivre la réduction des dépenses publiques, il ne s'agit pas de tailler au hasard comme cela, il s'agit juste de prendre un, deux, trois éléments de politique publique, et puis engager sur le long terme, comme on l'a fait sur les contrats aidés, comme on l'a fait sur le logement, comme on l'a fait sur les chambres de commerce et d'industrie, une réduction progressive de la dépense, tout en préservant des secteurs qui sont vitaux, je pense au secteur de l'hôpital par exemple, tous les Français qui vont à l'hôpital savent que l'hôpital est dans une situation très difficile et que ce n'est sans doute pas là qu'il faut aller chercher l'argent, parce qu'on a besoin d'avoir un système de soins qui fonctionne bien. Mais on l'a fait, je le redis, sur les CCI, sur les contrats aidés, sur le logement, nous réfléchissons, avec Gérald DARMANIN, à un certain nombre de propositions, sur deux, trois politiques publiques, sur lesquelles on pourrait se dire tiens, là-dessus on peut faire un effort, et ça va permettre de réduire, au bout du compte, la dette publique française.

ALEXANDRE POUSSART
Avec des suppressions également de postes dans la fonction publique ?

BRUNO LE MAIRE
L'objet n'est pas de supprimer les postes ici ou là, de tailler, c'est de prendre des politiques publiques où on se dit là-dessus, avec la dématérialisation des activités, ou parce que c'est peut-être un peu moins stratégique que d'autres politiques publiques, on peut faire des économies.

PATRICE MOYON
Quelles sont les politiques publiques sur lesquelles vous pourriez agir ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne vais pas vous répondre ce matin, mais nous sommes en train de faire ce travail, avec Gérald DARMANIN, pour présenter au Premier ministre, et au président de la République, des propositions. Il ne s'agit pas, une fois encore, de faire des économies absolument partout, sans aucune distinction, je le redis, il y a des secteurs qui sont stratégiques, il y a des secteurs qui souffrent, le monde hospitalier en fait partie, il y en a d'autres sur lesquels on se dit c'est moins stratégique pour la France, il y a des économies qui sont possibles, eh bien c'est là que nous les ferons.

ALEXANDRE POUSSART
Allez, on va parler maintenant d'agriculture, puisque le Salon de l'agriculture se poursuit à la porte de Versailles à Paris, on va parler notamment de la loi Agriculture et Alimentation, elle était censée améliorer le revenu des agriculteurs, dans les faits ce n'est pas vraiment le cas, c'est un échec ?

BRUNO LE MAIRE
Non, je pense qu'il y a eu de belles réussites avec la loi EGalim, sur un certain nombre de secteurs, on a pu redistribuer de la valeur, je pense par exemple au secteur laitier, je trouve que ça a plutôt bien fonctionné, ce n'est jamais parfait, mais ça a permis de redonner de la valeur aux producteurs laitiers. Et, vous savez, je n'ai jamais manqué un Salon de l'agriculture depuis 2009, depuis que j'ai été nommé ministre de l'Agriculture par Nicolas SARKOZY, jamais, j'ai un attachement viscéral aux paysans français, à l'agriculture française, et cet attachement il passe par une chose très simple, les paysans doivent avoir un revenu digne, ils travaillent, ils travaillent dur, pour certains la vie est parfois totalement impossible, donc notre responsabilité c'est de leur donner du revenu, un revenu digne pour leur travail. Et je reconnais bien volontiers qu'il y a d'autres secteurs sur lesquels nous n'y sommes pas, je vous en donne un, c'est l'élevage, les bovins allaitants, honnêtement on n'y est pas, et c'est un sujet, depuis plus de 10 ans que je travaille sur ce sujet-là, on essaye désespérément de redonner de la valeur aux éleveurs, on n'y est pas encore. et du coup, soyons très lucides, il y a un certain nombre de filières, qui sont des filières prestigieuses, qui participent à l'identité de notre pays, à la culture de notre pays, je pense à la Charolaise, je pense à l'Aubrac, je pense à la Blonde d'Aquitaine, enfin toutes ces races-là font partie de notre culture, de notre patrimoine agricole, eh bien si on n'arrive pas à trouver des solutions, la vie va devenir trop dure pour les éleveurs, et vous ne trouverez pas de jeunes éleveurs qui voudront s'engager dans cette profession-là. Donc, sur l'élevage, je le reconnais très volontiers, sur les races à viande, il reste beaucoup de travail à faire pour redonner à nos agriculteurs, à nos éleveurs, de quoi vivre dignement de leur travail.

PATRICE MOYON
Comment aller plus loin sachant que, on le voit bien avec des négociations qui sont extrêmement difficiles en Europe aujourd'hui autour de la Politique Agricole Commune, les subventions, le soutien versé aux agriculteurs, devrait baisser ?

BRUNO LE MAIRE
Moi je vois trois, au moins pour l'élevage, je vois trois orientations possibles. La première c'est de regarder ce qui n'a pas fonctionné dans EGalim et l'améliorer, nous sommes prêts à le faire avec Didier GUILLAUME. La deuxième chose c'est l'organisation de la filière, on sait bien, j'ai essayé de l'organiser, nous avons fait des petits progrès, mais ça n'a pas été suffisant lorsque j'étais ministre de l'Agriculture, il y a un défaut d'organisation de la filière que sur lequel on peut encore travailler. il y a un acteur industriel qui pèse pour 75 % de l'ensemble de la filière, honnêtement je ne pense pas que ce soit une situation idéale, dans une économie, d'avoir un acteur qui pèse pour 75%, je ne donnerai pas son nom, pour 75% de l'organisation de la filière, donc il faut mieux l'organiser, lui permettre de mieux se structurer, et d'aller chercher de la valeur à l'étranger, en exportant des bêtes qui sont les meilleures au monde, et qui doivent s'exporter plus facilement, mieux, et en nombre plus important. Et puis la troisième solution c'est effectivement ce que vous dites sur la PAC, et moi je veux rendre hommage au combat qu'a livré le président de la République pour dire non à un budget qui se serait conclu sur le dos des paysans français, parce que ce que nous proposaient un certain nombre de partenaires européens, qui était absolument inacceptable, c'était de dire voilà, on perd de l'argent, qui est la cotisation britannique à l'Union européenne, eh bien on n'a qu'à retirer cet argent-là de la Politique Agricole Commune. Le président de la République a refusé, avec beaucoup de détermination, cette proposition inacceptable de nos partenaires européens, il a raison. Il y a un combat qui est engagé en Europe, il faut être lucide, un combat pour la préservation d'une agriculture de qualité, avec des produits sains, avec des produits qui respectent l'environnement, et qui sont forcément un peu plus coûteux, eh bien ce combat pour la qualité de l'agriculture européenne, il doit être livré, il est livré avec beaucoup de force par le président de la République, et je peux vous garantir qu'il a le soutien total de son ministre de l'Economie et des Finances, ancien ministre de l'Agriculture.

ALEXANDRE POUSSART
Vous parliez du secteur agroalimentaire, de la viande, ça veut dire que dans ce secteur on est en situation de quasi monopole ?

BRUNO LE MAIRE
On est dans une situation, je ne vais pas employer le terme de monopole, qui est très agressif, mais si vous voulez rendre de la valeur aux éleveurs il faut aussi que le rapport de force soit un tout petit peu plus équilibré. Quand vous avez un acteur qui pèse pour 75% dans la filière, et que vous avez en face des éleveurs qui sont en ordre trop dispersé encore, eh bien le rapport de force il n'est pas favorable. J'ai toujours plaidé, depuis près de 10 ans, pour que les producteurs s'organisent en organisations de producteurs, ils ont commencé à le faire, mais il faut aller beaucoup plus loin. Et puis il faut pouvoir exporter. Prenez l'exemple de la filière porcine, qu'est-ce qui fait que le kilo de porc est passé de 1,10 euro à 1,49 euro, en moyenne, en 2019, et avec parfois des pics à 1,70 euro ? Il y a une seule explication, et chacun doit le comprendre, notamment tous ceux qui critiquent les traités commerciaux, c'est parce que nous avons exporté massivement du porc vers la Chine, et que cette exportation massive de porc vers la Chine a donné du revenu à nos agriculteurs. Il faut que dans le domaine de l'élevage bovin ce soit la même chose, qu'on puisse exporter davantage des produits qui sont, je le redis, les produits les meilleurs au monde, parce que la viande française est la meilleure au monde, au moins à mes yeux, qu'on en tire un meilleur prix, et que du coup nos éleveurs soient mieux rémunérés.

ALEXANDRE POUSSART
Un mot sur le CETA, l'accord de libre-échange avec le Canada, est-ce que cet accord est un bon accord pour notamment les éleveurs bovins français ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, moi je pense que c'est un bon accord, parce que quand vous regardez les chiffres il doit y avoir environ 500 tonnes de viande bovine qui vont venir du Canada vers la France, là où nous on va en exporter 20.000 tonnes, donc les chiffres ne sont pas comparables. je crois qu'il faut faire très attention à ne pas céder aux fantasmes sur ces traités commerciaux, regarder effectivement ce qu'ils nous apportent, s'assurer, comme le fait le président de la République, que ça s'inscrit dans le cadre des accords de Paris, c'est-à-dire avec une règle environnementale qui soit stricte, et je vous redonne cet exemple des produits porcins, quand vous exportez, le prix monte, et les éleveurs vivent mieux.

PATRICE MOYON
Donc c'est un bon accord, y compris pour les éleveurs français ?

BRUNO LE MAIRE
Je pense que ce sera un bon accord y compris pour les éleveurs français.

ALEXANDRE POUSSART
Parlons maintenant de la viticulture, les viticulteurs français sont victimes des taxes américaines décidées par Donald TRUMP en représailles à un conflit commercial, au niveau européen notamment, qui concerne AIRBUS, ils demandent un fonds de compensation d'urgence à l'Etat pour aider la viticulture, vous y êtes prêt ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, ils ont raison, et moi je comprends la colère des viticulteurs français. Je vais aller les voir tout à l'heure, je suis un soutien, fort, de la viticulture française, qui est une viticulture exceptionnelle, et qui là aussi fait partie de notre culture, de ce que nous sommes, de notre patrimoine, je comprends leur colère et leur sentiment d'injustice. Enfin, qu'est-ce qu'ils ont à faire avec l'affaire BOEING-AIRBUS ? il y a un conflit commercial sur BOEING-AIRBUS, que nous essayons de régler avec le commissaire européen au Commerce Phil HOGAN, que j'ai eu longuement hier au téléphone, et puis c'est les viticulteurs, qui n'ont pas grand chose à voir, une fois encore, avec l'aéronautique, qui se prennent 25% de taxes sur leurs produits, et en plus souvent les produits de moyenne gamme, entre 15 dollars et 25 dollars la bouteille, qui sont les plus sensibles à l'augmentation des tarifs. C'est quoi les réponses possibles ? Un, un fonds de compensation, je vais redemander à nos partenaires européens qu'un fonds de compensation soit mis en place pour les viticulteurs français.

ALEXANDRE POUSSART
De combien ?

BRUNO LE MAIRE
Mais c'est une solution. C'est un fonds qui peut être de l'ordre de 300 millions d'euros, et qui permettrait de soutenir les viticulteurs. Après, il y a une deuxième réponse qui est la vraie réponse, celle pour laquelle je me bats au quotidien, et je veux le dire à mes amis viticulteurs, c'est au quotidien que je me bats pour cette deuxième réponse, c'est qu'il y ait un accord entre l'Union européenne et les Etats-Unis sur le conflit BOEING- AIRBUS. J'ai vu récemment le responsable américain sur ce sujet-là Bob LIGHTHIZER, je lui ai redit : c'est votre intérêt, c'est notre intérêt, on doit trouver un accord le plus vite possible. Je l'ai redit à Phil HOGAN hier, le commissaire européen au Commerce : nous devons trouver un accord dans les semaines qui viennent. Et cet accord, il doit prévoir le règlement du différend entre BOEING et AIRBUS et la fin des sanctions contre la viticulture française. La bonne solution, elle est là, c'est qu'il n'y ait plus de sanctions.

PATRICE MOYON
Autre sujet sensible, celui des pesticides, les agriculteurs français et les viticulteurs demandent un moratoire sur la question des zones de non-traitement. Vous, quel est votre avis sur la question ?

BRUNO LE MAIRE
Eh bien, le président de la République a répondu très clairement pendant le Salon de l'agriculture avec la possibilité d'avoir des aménagements au cas par cas, je pense qu'il faut savoir écouter les difficultés des agriculteurs, mais sur le long terme, l'intérêt de tous, c'est évidemment l'utilisation beaucoup plus faible des phytosanitaires, la possibilité d'avoir un respect de l'environnement qui soit toujours plus fort, et donc une agriculture qui apparaîtra comme l'agriculture la plus environnementale en Europe, ça redonnera de la valeur à nos produits, et donc du revenu aux agriculteurs. Après, cette évolution de long terme, elle est très difficile, elle doit s'accompagner de mesures de soutien pour les agriculteurs, de compréhension, il ne faut pas être trop lapidaire sur ces sujets-là, il faut faire preuve de beaucoup de pragmatisme. Mais la direction de long terme, la seule qui est bonne pour l'agriculture française, c'est la qualité et le respect de l'environnement, c'est ça qui redonnera du revenu à nos agriculteurs.

ALEXANDRE POUSSART
Allez, on va parler politique, et notamment de la campagne des élections municipales, une question sur la campagne à Paris, est-ce qu'une alliance notamment au second tour entre Agnès BUZYN et Rachida DATI pourrait permettre de battre Anne HIDALGO ?

BRUNO LE MAIRE
Ecoutez, pour l'instant, on est au premier tour, donc, il ne faut jamais vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, comme on dit, mais ce que je constate, c'est qu'Agnès BUZYN fait une remarquable campagne, très dynamique, qu'elle a su comprendre un certain nombre de préoccupations des Parisiens, elle a su renoncer aussi à certains projets qui ne correspondaient pas nécessairement à l'envie et à la nécessité des Parisiens, et je pense qu'elle peut créer la surprise au premier tour des élections municipales. Moi, je soutiens totalement Agnès BUZYN, je soutiens totalement les têtes de liste qui sont derrière elle, qui sont souvent des amis proches, je pense à Florence BERTHOUT, dans le 5ème, à Delphine BÜRKLI, dans le 9ème arrondissement de Paris ; je suis totalement derrière Agnès BUZYN pour la soutenir dans sa campagne, et je pense qu'elle peut créer la surprise au premier tour.

ALEXANDRE POUSSART
Et une alliance avec votre ancien camp Les Républicains, une alliance avec les LR, c'est impossible ?

BRUNO LE MAIRE
Pour faire une bonne alliance, il faut le faire en position de force, donc pour être en position de force, il faut faire le meilleur score possible au premier tour, moi, je souhaite qu'Agnès BUZYN fasse le meilleur score possible au premier tour des élections municipales à Paris.

ALEXANDRE POUSSART
Allez, durant cette interview, nous donnons la parole à ceux qui nous écoutent et à ceux qui nous regardent, avec une question qu'ils vont vous poser. Une question Twitter : est-ce que la crise du coronavirus pourrait bien faire augmenter les prix de l'essence ?

BRUNO LE MAIRE
Alors, ce n'est pas ce qu'on constate pour le moment sur les marchés, mais bon, on va suivre ça évidemment de très près, ça va dépendre, de façon très concrète, est-ce que le coronavirus va toucher les pays du Golfe, est-ce qu'il va toucher l'Arabie Saoudite, est-ce qu'il va toucher des grands pays producteurs ou non, aujourd'hui, il touche par exemple l'Iran. Donc si, effectivement, il devait y avoir une extension de l'épidémie dans les pays producteurs et des problèmes d'approvisionnement, choc d'offres, augmentation des prix, nous n'en sommes pas encore là pour l'instant.

ALEXANDRE POUSSART
Merci Bruno LE MAIRE d'avoir été notre invité ce matin. Merci beaucoup Patrice. Demain, à votre place, eh bien, Jacqueline GOURAULT, sera là, à votre place, la ministre de la Cohésion et des territoires. N'hésitez pas à lui poser vos questions en vidéo ou par écrit à l'adresse qui s'affiche sur votre écran. « bonjourchezvous@publicsénat.fr ».


source : Service d'information du Gouvernement, le 27 février 2020