Interview de Mme Roxana Maracineanu, ministre des sports, à RMC le 21 février 2020, sur la convention pour lutter contre les violences sexuelles dans le sport.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

JOURNALISTE
Et ces violences sexuelles, on en parle tout de suite avec la ministre des Sports, Roxana MARACINEANU.

APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour !

ROXANA MARACINEANU
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Bonjour Roxana MARACINEANU. Vous êtes la ministre des Sports. C'est vous qui allez réunir tout à l'heure cette convention pour lutter contre les violences sexuelles dans le sport, vous rassemblez les acteurs du sport, les présidents des fédérations. D'abord, quel est l'objectif de cette convention ?

ROXANA MARACINEANU
J'ai voulu qu'on fasse cette convention dans un cadre interministériel, il y aura Adrien TAQUET, Protection de l'enfance, Nicole BELLOUBET, Garde des Sceaux et puis Marlène SCHIAPPA qui lutte activement contre les violences faites aux femmes. Et aujourd'hui, ce sujet du sport, je veux que l'on prenne conscience qu'il dépasse le sport et que le monde sportif, que le mouvement sportif sache qu'il est aujourd'hui temps de se mobiliser et qu'il faut qu'on le fasse tous ensemble avec les élus des collectivités locales, avec le mouvement sportif mais aussi avec les associations qui, sur le terrain, luttent au quotidien pour la protection de l'enfance.

APOLLINE DE MALHERBE
Roxana MARACINEANU, vous avez le sentiment qu'aujourd'hui, cette prise de conscience, ça, c'est le premier niveau en quelque sorte, elle est actée ?

ROXANA MARACINEANU
Aujourd'hui, c'est ce qu'il faut qu'on fasse aujourd'hui …

APOLLINE DE MALHERBE
Ce n'est pas gagné, quoi ?

ROXANA MARACINEANU
Non, je pense que le mouvement sportif ne mesure pas l'amplitude, le nombre de faits, la gravité des faits aujourd'hui. C'est aussi un moment où on va faire un état des lieux, c'est vrai que ce qu'on a vu dans les médias, entendu, lu, c'est la partie émergée de l'iceberg, c'est beaucoup de courage pour ces victimes qui ont pris la parole mais qui ont permis aussi de libérer la parole des autres personnes aujourd'hui qui s'adressent directement au ministère des Sports, qui s'adressent à leur fédérations et on voit beaucoup de témoignages arriver aujourd'hui pour vous dire « on est préoccupé par cette situation » et il faut vraiment qu'on se mette tous en ordre de marche pour agir.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est saisissant ce que vous dites, c'est-à-dire qu'il y a encore une forme peut-être de déni, voire même un peu de résistance ?

ROXANA MARACINEANU
Oui, je pense que le mouvement sportif aujourd'hui en est encore à se dire « préservons l'image du sport » alors que la priorité aujourd'hui, c'est d'entendre la parole des victimes, de comprendre que ce ne sont pas que des victimes d'il y a 30 ans, 20 ans mais c'est aussi des gens actuellement qui viennent témoigner et c'est ce qu'on va leur dire aujourd'hui.

APOLLINE DE MALHERBE
Alors, il y aura aussi des mesures concrètes qui vont être prises, il y a un certain désarroi parfois, c'est ce que disent certains clubs par exemple quand ils ont un doute, voire même des certitudes sur des questions de violence. Quels sont les outils que vous allez leur donner ? Qu'est-ce qu'il faut qu'ils fassent ?

ROXANA MARACINEANU
C'est pour cela aussi qu'on veut les rapprocher des associations spécialisées de lutte contre les violences et de protection de l'enfance pour qu'elles sachent recueillir la parole, alerter.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous allez leur donner des formations ?

ROXANA MARACINEANU
Exactement, il faut qu'on mette ensemble en place un processus de lancement d'alerte clair, précis où chacun sait sa responsabilité, une chaîne de responsabilités entre le mouvement sportif, associatif, les villes, les mairies, le ministère des Sports et puis derrière, ces associations spécialisées pour qu'on puisse très vite pouvoir donner à la justice les éléments pour qu'elle puisse agir pour sanctionner, pour punir les coupables et puis derrière, pour qu'on puisse aussi travailler plus sereinement sur un plan de prévention pour que cela n'arrive plus dans le sport.

APOLLINE DE MALHERBE
Précisément parce qu'il y a deux aspects : il y a l'aspect effectivement punir comme vous dites une fois qu'on a les coupables mais pour tenter qu'il y n'y ait même plus de coupables et plus de victimes, il faut aussi faire de la prévention ; quels sont les outils que vous allez donner là encore ?

ROXANA MARACINEANU
Pour faire de la prévention, le sport est bien placé puisqu'il a accès aux enfants les mercredis pendant les vacances, les week-ends de compétition et je pense que le sport est le mieux placé pour pouvoir faire et proposer cette éducation rapport au corps des enfants.

APOLLINE DE MALHERBE
Il faut dire quoi aux enfants ?

ROXANA MARACINEANU
Il faut dire aux enfants que leur corps leur appartient, qu'il faut aussi les aider à apprendre à s'habiller, se déshabiller tout seuls dans un vestiaire pour que demain, ils n'aient plus besoin d'un adulte pour les aider. Je pense que vu le temps qu'on y passe dans ces vestiaires, lorsqu'on fait une pratique sportive, vu la place qu'a le corps dans la pratique sportive, dans cette relation aussi entraîneur / entraîné plus tard dans ce processus d'entraînement de sport à plus haut niveau, eh bien, c'est le moment de parler avec les enfants de cette chose-là avec les adolescents et puis, c'est le moment aussi d'indiquer aux adultes, aux futurs éducateurs, les limites à avoir et à poser et à tenir surtout dans ses relations un homme qui ne peuvent pas être autrement qu'elles ne sont aujourd'hui. Aujourd'hui, ces relations, elles sont …

APOLLINE DE MALHERBE
…parfois quasi exclusives pendant des années quand un entraîneur suit un jeune sportif ?

ROXANA MARACINEANU
Effectivement et c'est ce qui mène aussi à la performance. Il faut le reconnaître évidemment dans la majeure partie des cas, aujourd'hui, ces relations sont saines et elles servent à l'émancipation et à rendre les athlètes autonomes mais parfois, ce n'est pas le cas. Parfois, elles sont sujet à emprises qui peuvent mener à du harcèlement moral, physique et on l'a vu parfois aussi à des dérives beaucoup plus graves et c'est aussi ces formations-là qu'il faut qu'on donne aux futurs éducateurs, aux éducateurs …

APOLLINE DE MALHERBE
Donc il y aura des formations pour les jeunes et des formations pour les éducateurs. Vous allez donc lancer ce grand plan sauf que, quand on regarde par le passé, des plans et des grands plans, il y en a eu, si on se souvient de 2008. 2008, la ministre des Sports à l'époque, c'était Roselyne BACHELOT, elle avait lancé un plan de lutte contre les violences sexuelles, ça s'appelait déjà comme ça. C'était après l'affaire de CAMARET, on se souvient cet entraîneur qui avait été accusé de viol par plusieurs joueuses de tennis, qui a été d'ailleurs condamné. Ca, c'est en 2008 et pourtant, on voit qu'il a fallu attendre plus de 10 ans avant que des victimes du patinage comme Sarah ABITBOL osent parler. Comment vous expliquez que ça mette autant de temps ?

ROXANA MARACINEANU
Parce qu'aujourd'hui, l'ampleur du sujet n'est pas la même, c'est vrai qu'il faut saluer le courage des premières qui ont osé parler, Catherine MOYON DE BAECQUE et puis Isabelle DEMONGEOT qui ont été les premières à prendre la parole sur ce sujet, à dénoncer. Aujourd'hui, vous voyez l'ampleur du phénomène fait qu'on ne peut pas ne pas réagir aujourd'hui.

APOLLINE DE MALHERBE
A l'époque, on en avait beaucoup parlé et pourtant, ces jeunes femmes ont continué à se taire encore pendant quelque temps, elles avaient peur ?

ROXANA MARACINEANU
Oui parce qu'on pensait que c'étaient des cas isolés et qui ne concernaient pas le mouvement sportif ; aujourd'hui, c'est un sujet qui concerne le mouvement sportif. On a vu à la Fédération des sports de glace que c'était quelque chose un peu presque de généralisé, un silence institutionnel avec des personnes aussi susceptibles de couvrir lorsqu'ils entendaient des cas comme cela et ne pas alerter. C'est ce qui a fait aussi que j'ai proposé la démission de Didier GAILHAGUET qui, aujourd'hui, n'est plus président de la Fédération des sports de glace. Aujourd'hui, il faut qu'on étudie les autres cas qui remontent dans des sports très différents.

APOLLINE DE MALHERBE
Il y a des responsabilités comme ça que vous allez devoir pointer à nouveau qui résistent ?

ROXANA MARACINEANU
Bien sûr, on a ouvert des enquêtes sur tous les cas qui nous remontent aujourd'hui et quand il y en a beaucoup dans une fédération, il faut qu'on regarde aussi quelles sont les personnes impliquées au niveau institutionnel.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça passe aussi par ça, un véritable coup de balai aussi du côté de ceux qui sont responsables ou qui, en tout cas, pas forcément de façon directe mais de manière indirecte ont couvert ces agissements ?

ROXANA MARACINEANU
Oui par cela et ça passe aussi par un meilleur contrôle des personnes dont on n'a pas la trace aujourd'hui, les bénévoles qui sont dans le mouvement sportif et qui peuvent naviguer de fédération en fédération, d'association en association, de territoire en territoire.

APOLLINE DE MALHERBE
Il va falloir mieux contrôler ?

ROXANA MARACINEANU
C'est le travail qu'on mène avec Nicole BELLOUBET, avec Adrien TAQUET pour pouvoir contrôler cette honorabilité des bénévoles, avoir une traçabilité.

APOLLINE DE MALHERBE
Une sorte de fichier ?

ROXANA MARACINEANU
Il existe déjà le fichier FIJAIS mais pour cela, il faut que la personne ait été condamnée pour que cette sa peine soit inscrite dans ce fichier qu'on puisse l'écarter du contact avec les enfants. Malheureusement lorsqu'on parle de pédocriminalité, c'est souvent, quand on le découvre voilà, la personne est condamnée.

APOLLINE DE MALHERBE
Alors, comment vous allez pouvoir changer ça ?

ROXANA MARACINEANU
Il va falloir créer une vigilance bienveillante de tous les instants ou de chacun dans laquelle chacun est impliqué, un véritable cordon sanitaire au niveau associatif où on est impliqué qu'on soit parent, qu'on soit athlète, entraîneur, bénévole et bien sûr responsable institutionnel.

APOLLINE DE MALHERBE
Roxana MARACINEANU, vous parlez de ces formations que vous allez proposer, vous parlez de cette vigilance ; est-ce que ça doit passer aussi par des obligations, par une contrainte ?

ROXANA MARACINEANU
Aujourd'hui dans le Code du sport, beaucoup de choses existent. Il faut s'en servir.

APOLLINE DE MALHERBE
Parce que pour l'instant, c'est plutôt presque un code d'honneur ou de moralité ? Est-ce qu'il faut aller plus loin ?

ROXANA MARACINEANU
Je crois, déjà, c'est une prise de conscience de la part du mouvement sportif que ça les concerne, que ça ne se passe pas dans la famille, que lorsqu'un bénévole vient et qu'il propose de tels actes à des enfants et même si ça se passe à la maison chez lui, eh bien, ça les concerne parce qu'il est rentré en contact avec les enfants dans le cadre associatif et sportif et que ça doit même aller au-delà, c'est-à-dire que le mouvement sportif doit aujourd'hui se positionner, je pense, avec le ministère des Sports comme véritablement capable de faire avancer la lutte contre la pédocriminalité dans la société. On sait que ça existe dans un cadre familial, ailleurs et je pense que c'est à nous aussi en libérant la parole sur ce qui se passe dans le sport arriver à libérer la parole sur ce qui se passe aussi ailleurs dans la société.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci d'être venue dans le studio de RMC ce matin avant même d'ouvrir cette convention, donc convention pour lutter contre les violences sexuelles dans le sport que vous organisez, ce sera à 9h dans une grosse demi-heure. Merci Roxana MARACINEANU, ministre des Sports, d'être venue sur RMC.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 février 2020