Texte intégral
MATTHIEU BELLIARD
Votre invitée, Sonia MABROUK, c'est la porte-parole du gouvernement, Sibeth NDIAYE.
SONIA MABROUK
Merci d'être avec nous ce matin, sur Europe 1, Sibeth NDIAYE. A partir d'aujourd'hui, la France va avoir peur durant 14 jours, le temps de savoir si votre décision de laisser entrer 3 000 supporters italiens hier à Lyon n'aura aucune conséquence sanitaire, 14 jours d'angoisse, donc.
SIBETH NDIAYE
Non, pas du tout, je pense que c'est important de comprendre le phénomène de propagation d'un virus et de comprendre pourquoi est-ce que les mesures telles qu'elles ont été prises ont été décidées, d'abord, la première chose que je veux dire, c'est que, en fait, ça n'est pas le politique qui décide tout seul, c'est le politique qui s'appuie sur des comités d'experts scientifiques qui s'appuient sur l'avis au fond d'experts médicaux qui savent de quoi ils parlent et qui connaissent la manière dont se répand une épidémie. Et donc on fait la différence entre des gens qui viennent par exemple d'une région dite à risques, où il y a une circulation du virus, c'est le cas de la Lombardie, par exemple, et donc c'est la raison pour laquelle des gens qui rentrent de Lombardie, on leur demande de rester confinés chez eux, et c'est aussi la raison pour laquelle des gens qui ne viennent pas de Lombardie, ce qui était le cas des supporters turinois peuvent venir en France ils ont été dans une tribune spéciale et ils ont disposé d'informations à la fois dans les haut-parleurs mais aussi sous format papier, en italien qui leur permettait de savoir quelle était la conduite à tenir.
SONIA MABROUK
Sauf que, depuis hier soir, il y a trois cas d'infection dans le Piémont, contrairement à ce que dit le ministre de la Santé, s'il y a contamination de Français qui assumera une telle décision qui assumera ses responsabilités.
SIBETH NDIAYE
Alors, ce qu'il faut voir aussi de manière précise, c'est que, à ce stade, vous avez trois cas de contamination, effectivement, ça n'est pas encore une circulation épidémique du virus, donc il faut savoir surtout garder ses nerfs, garder son calme et ne prendre de décisions que lorsqu'elles peuvent être étayées scientifiquement et médicalement.
SONIA MABROUK
Mais garder ses nerfs, c'est facile à dire ici, dans ce studio, mais pour les Lyonnais, comment vous expliquez que l'Italie interdise les matchs de foot avec des supporters dans ses stades, qu'en Irlande, le match de rugby Irlande-Italie soit reporté, quand nous, on accueille 3 000 supporters de la Juve à Lyon. Comment expliquer cette incohérence ?
SIBETH NDIAYE
Alors, il faut, je crois, faire attention, en Italie, il y a une circulation épidémique dans un certain nombre de régions d'Italie, l'Italie a pris des mesures drastiques, puisqu'au stade où ils en sont, ce qui est important, c'est de contenir la propagation de l'épidémie, donc c'est pour ça qu'il y a des mesures de quarantaine, c'est pour ça qu'il y a des zones qui ont été définies en Italie pour que les gens ne puissent pas y entrer ou en sortir quand ils y sont une fois qu'ils y sont rentrés. Ça n'est pas le cas de la France à ce stade. Je ne dis pas…
SONIA MABROUK
A ce stade, Sibeth NDIAYE, il faut faire confiance à la chance, si dans 14 jours, il y a de nouvelles contaminations…
SIBETH NDIAYE
Non, ça n'est pas une question de chance, aujourd'hui, les frontières physiques dans le monde, telles que nous le vivons, elles n'ont pas de sens pour un virus. Je vous prends un exemple…
SONIA MABROUK
Oui, mais hier soir, on a reçu 3 000 vecteurs potentiels de ce virus…
SIBETH NDIAYE
Je vous prends un exemple, on aurait 3 000 personnes vivant dans la région de Lombardie, partant aux États-Unis, parce qu'elles ont envie de faire un voyage aux États-Unis. Ces 3 000 personnes rencontrent 3 000 autres personnes, lesquelles vont au Danemark, en Suisse, en Finlande, aux États-Unis et en Angleterre, puis viennent en France, on aura beau avoir fermé notre frontière ça ne change strictement rien au fait que la circulation des personnes aujourd'hui fait que la notion de frontière physique elle n'a de sens pour un virus…
SONIA MABROUK
Mais où est le principe de précaution qui nous protège, est-ce que les intérêts financiers du foot sont supérieurs à la santé de nos citoyens ?
SIBETH NDIAYE
Mais enfin, c'est n'importe quoi de dire…
SONIA MABROUK
Etes-vous sûre que c'est n'importe quoi ?
SIBETH NDIAYE
Je suis parfaitement certaine que c'est n'importe quoi, depuis le début de cette crise, nous avons eu une constance, c'est avoir de la transparence, informer les gens, c'est avoir des décisions qui sont prises et qui sont étayées scientifiquement, je vais vous donner un exemple, vous savez, l'Italie a été un des premiers pays qui a mis en place des portiques de détection de température, ce que nous avons refusé de faire, nous avons refusé de le faire, parce que les scientifiques et les médecins nous disaient que ça n'avait pas d'intérêt, parce qu'on pouvait franchir un portique en ayant pris de l'aspirine juste avant, donc ne pas avoir de fièvre, est-ce que aujourd'hui, ça a empêché en Italie la propagation du virus ? Non, la preuve en est…
SONIA MABROUK
Sibeth NDIAYE, les 3 000 supporters qui sont arrivés hier, est-ce que vous leur avez exigé un certificat médical négatif au coronavirus ? Non !
SIBETH NDIAYE
Mais quand bien même, nous l'aurions fait, ça n'aurait eu aucun intérêt du moment que le virus, d'abord, vous pouvez être porteur du virus et asymptomatique, c'est-à-dire que vous ne présentez pas de symptômes, vous n'avez pas les symptômes de l'état grippal, entre guillemets, vous pouvez aussi être en période d'incubation, donc être dans la période de 14 jours, et on voit bien que ça n'a pas de sens, ça n'aurait pas eu de sens de leur demander un certificat médical…
SONIA MABROUK
Mais alors pourquoi avoir mis en quarantaine des Français qui sont rentrés de Wuhan, ça ne sert à rien, puisqu'hier, on a accueilli des supporters avec aucun contrôle…
SIBETH NDIAYE
Non, parce que c'est bien pour ça que je vous dis qu'il y a une différence sur la notion de zones à risques, il y a des zones, c'est la région en Chine…
SONIA MABROUK
Mais hier, on a appris qu'il y avait trois cas, pardonnez-moi, dans le Piémont…
SIBETH NDIAYE
Ça n'est pas une circulation… d'accord, je comprends bien, mais ça n'est pas une circulaire épidémique, quand vous êtes en Chine, que vous avez 80 000 cas, que vous voulez revenir de Chine, c'est normal qu'on vous mette en quarantaine, quand vous revenez de Lombardie, où il y a des centaines de cas, c'est normal qu'on vous mette en quarantaine…
SONIA MABROUK
Alors, continuons dans votre logique, les enfants français qui reviennent d'Italie, pas seulement de Lombardie, d'Italie, sont priés de rester chez eux, où est la logique, puisque les milliers de supporters italiens hier peuvent venir tranquillement sur le territoire français…
SIBETH NDIAYE
Alors, vous le savez, les enfants, ils vont à la crèche, à l'école, au lycée, donc ils sont dans des endroits qui sont confinés, et par ailleurs, c'est difficile de s'assurer qu'un enfant à qui on ferait par exemple porter un masque pour éviter la projection de gouttelettes dans lesquelles se situerait du virus, en fait, on ne peut pas demander à une maîtresse de maternelle de surveiller des enfants pour qu'ils portent leur masque en permanence, c'est la raison pour laquelle on a pris une mesure consistant à faire en sorte que les enfants restent à la maison, mais les parents, en revanche, qui viennent d'Italie eux aussi, ces parents, on leur demande ce qu'on appelle la réduction de vie sociale, donc on qu'on leur dit : il vaut mieux rester chez vous, ne pas aller au travail, et d'ailleurs, on a mis en place…
SONIA MABROUK
... Donc ces parents, on leur demande peut-être de réduire leurs déplacements et leurs fréquentations, mais les supporters italiens hier, non !
SIBETH NDIAYE
Mais parce qu'ils sont capables… parce que les parents, ils sont capables de porter un masque, ils sont capables de le porter durablement, et donc, au fond, quand on regarde là où il y a eu des cas contacts, qui ont été contaminés par ce qu'on appelle les patients zéro, jusqu'à maintenant, en France, tous les patients, on a été capable de tracer la manière dont ils ont contracté la maladie, ils ont été soit au contact de personnes…
SONIA MABROUK
Jusqu'à présent…
SIBETH NDIAYE
Jusqu'à présent, mais bien sûr, mais je ne vous dis pas que nous n'aurons pas d'épidémie en France, je ne vous dis pas d'ailleurs que nous ne découvrirons pas dans quelques…
SONIA MABROUK
Mais d'où la question pourquoi il n'y a pas de principe de précaution par rapport à hier ? Madame Sibeth NDIAYE, si dans 14 jours, il y a un cas de contamination à Lyon, qu'est-ce que vous allez dire…
SIBETH NDIAYE
Vous ne pouvez pas l'attribuer au fait qu'il y ait eu…
SONIA MABROUK
Etes-vous sûre ?
SIBETH NDIAYE
Je ne peux pas vous le dire avec 100% de certitude, ce que je peux vous dire, c'est qu'on ne peut pas prendre de décision uniquement sur la foi de la peur, on doit prendre des décisions qui sont, je le répète, encore une fois étayées médicalement…
SONIA MABROUK
Oui, mais le problème n'est pas que médical, il est politique aujourd'hui, vous avez aussi la responsabilité de cette décision, parfois, on a l'impression que vous vous cachez derrière aussi l'avis des médecins qu'on respecte…
SIBETH NDIAYE
Mais attendez, non, mais on ne se cache pas derrière l'avis des médecins, mais dans ce cas-là, si on écoutait la peur collective, qu'est-ce qu'on ferait si on écoutait la peur collective, on se barricaderait à l'intérieur de nos frontières ?
SONIA MABROUK
Non, principe de précaution !
SIBETH NDIAYE
Non, ce n'est pas ça, je vous dis, si on écoute la peur collective qui, au fond, est guidée par… – et je comprends parfaitement le fait qu'on ait peur – mais aujourd'hui, en France, on a quelques dizaines, on a moins d'une vingtaine de cas, je vous rappelle juste une épidémie de grippe en France, c'est en moyenne 2,5 millions à 3 millions de personnes qui sont infectées chaque année, et en ce moment, il y a une épidémie de grippe, et donc je ne fais par la comparaison entre la grippe et le coronavirus, soyons très clairs, de ce point de vue-là, parce que le coronavirus est une maladie qui est plus grave que la grippe saisonnière il faut être bien clair de ce point de vue-là je vous dis simplement que la réponse qu'on doit conduire, elle est graduée en fonction de l'état de propagation du virus, il faut le faire avec calme et il faut le faire avec évidemment beaucoup de rigueur.
SONIA MABROUK
Avec calme, mais envisageons aussi ce qui peut se passer dans les prochains jours, est-ce qu'une ville comme Paris, est-ce que vous envisagez un confinement partiel ou total ?
SIBETH NDIAYE
Eh bien, évidemment, on dispose de plans qui permettent de réagir en cas de pandémie, c'est-à-dire en cas d'épidémie qui touche le monde entier ou même en cas d'épidémie en France, qui nous permettent de voir comment on adapte la réponse…
SONIA MABROUK
On est prêt donc ?
SIBETH NDIAYE
Je vais vous donner un exemple. Jusqu'à maintenant, on est dans une phase où on essaie de faire en sorte que le virus ne se propage pas, donc qu'il n'y ait pas trop de cas et de plus en plus de cas, c'est la raison pour laquelle on confine des gens, et c'est la raison pour laquelle on invite les gens qui sont infectés à séjourner à l'hôpital…
SONIA MABROUK
Est-ce que les villes sont prêtes, Madame NDIAYE, Paris, par exemple ?
SIBETH NDIAYE
Si d'aventure, ce qui est vraiment loin d'être impossible, nous basculions en situation épidémique, on ferait en sorte que les gens qui sont les cas les plus simples restent à la maison pour être soignés chez eux, et que les cas les plus graves aillent à l'hôpital, donc on voit bien…
SONIA MABROUK
Est-ce que vous envisagez un scénario de confinement, oui ou non ?
SIBETH NDIAYE
Mais on doit mettre sur la table l'intégralité des scénarii qui existent, ce qui nous permet de pouvoir être prêts à y répondre, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons activé les hôpitaux pour qu'ils puissent apporter une réponse notamment en terme de tests, ce qu'on appelle ambulatoires, où vous n'est pas obligé de rester à l'hôpital pour être testés au coronavirus. Donc on adapte la réponse…
SONIA MABROUK
Alors, parmi ces scénarios…
SIBETH NDIAYE
En fonction de la gradation du danger…
SONIA MABROUK
Parmi ces scénarios, peut-être l'annulation de l'élection municipale, le report, vous l'avez envisagé ?
SIBETH NDIAYE
Alors, non pas du tout, en tout cas moi, je n'ai participé à aucune…
SONIA MABROUK
La question ne se pose pas de la campagne ?
SIBETH NDIAYE
Je n'ai pas dit que la question ne se posait pas, je vous dis que compte tenu des données qui sont à notre portée aujourd'hui, à notre connaissance, nous n'envisageons pas d'empêcher les élections municipales…
SONIA MABROUK
Mais comme vous êtes dans l'anticipation, je suppose que l'hypothèse s'est clairement posée. Est-ce que vous en avez parlé avec le président en Conseil des ministres ?
SIBETH NDIAYE
J'ai participé à toutes les réunions ministérielles qui concernent le coronavirus, dans aucune de ces réunions ministérielles, la question ne s'est posée d'annuler les élections municipales…
SONIA MABROUK
Tout ce que vous dites vaut aujourd'hui, évidemment, comme l'épidémie peut se propager ou le virus, demain, nous aurons peut-être une autre réalité…
SIBETH NDIAYE
Mais c'est pour ça que quand vous entendez le ministre de la Santé, Olivier VERAN, il a toujours cette phrase on l'introduction de tous ses propos, il dit : la situation est très évolutive au plan international comme au plan français, c'est la raison pour laquelle on doit avoir des mesures qui tiennent pour maintenant, mais on sait aussi que ces mesures peuvent évoluer dans le temps, et nous sommes prêts à les faire évoluer, et en anticipation, on prend un certain nombre de mesures, on armes les hôpitaux, on donne des informations aux 800 000 professionnels de santé, on fait en sorte que le système de santé français soit prêt à toutes les éventualités.
SONIA MABROUK
Olivier VERAN qui a dit lundi : aujourd'hui, il ne reste qu'un seul malade en France, mais ça, c'était lundi, depuis, un mort français et 18 personnes contaminées.
SIBETH NDIAYE
Mais bien sûr, mais c'est normal, une épidémie, c'est quelque chose qui évolue, la question qu'on doit se poser, c'est : est-ce qu'on est prêt…
SONIA MABROUK
Tout comme la communication du gouvernement !
SIBETH NDIAYE
Mais en fait, notre communication, c'est une communication qui se fait dans la transparence donc je ne vais pas vous dire : il y a des malades quand il n'y en a pas ou il n'y a pas de malade quand il y en a, donc quand Olivier VERAN vous dit…
SONIA MABROUK
Mais qu'est-ce qu'on sait au final ?
SIBETH NDIAYE
Mais ce qu'on sait, c'est les cas qu'on a détectés, on sait les enquêtes qu'on mène pour connaître les cas qui sont contact et qu'il faut éventuellement isoler, et on a des modélisations de ce que peut être le développement d'une épidémie, en fonction de ces modélisations, on prend des décisions pour adapter la posture sanitaire de notre pays vis-à-vis de cette épidémie.
SONIA MABROUK
Merci. Sibeth NDIAYE, invitée ce matin sur Europe 1.
SIBETH NDIAYE
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 février 2020