Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, à Europe 1 le 15 avril 2020, sur les aides aux entreprises, notamment le report des charges et le financement du chômage partiel pendant la période de confinement.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bonjour Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

SONIA MABROUK
Merci d'être avec nous, en direct sur Europe 1. Vous présentez ce matin un nouveau budget de crise, déficit aux alentours de 9%, dette de 115%, des chiffres saisissants, mais pour autant ce budget sera-t-il suffisant compte tenu de l'évolution de cette crise historique ?

GERALD DARMANIN
On ne le sait pas encore. On a à Bercy modifié par deux fois le budget de la France, effectivement en trois semaines, 110 milliards d'euros à peu près, peut-être qu'il faudra encore compléter les mesures que nous avons annoncées. Je crois qu'il ne faut surtout pas d'idéologie, il faut beaucoup de bon sens et de pragmatisme, à la demande du président de la République, pour sauver l'économie française.

SONIA MABROUK
Du bon sens, ça veut dire que dans un mois il y aura sans doute un autre budget de crise, avec des chiffres encore plus vertigineux ? A combien on peut finir, on va finir ?

GERALD DARMANIN
Eh bien je trouve que ce n'est pas tout-à-fait le sujet, même si les chiffres effectivement sont vertigineux et sont, de l'avis de tous, les plus graves en finances publiques depuis la Seconde guerre mondiale. C'est le cas de tous les pays, regardez ce qu'a déclaré hier la Grande-Bretagne, et de tous les pays occidentaux qui connaissent cette crise sans précédent. Et puis par ailleurs, je pense qu'on prépare la croissance de demain. « Gouverner, c'est choisir » disait Pierre MENDES FRANCE, donc soit vous choisissez de faire la sourde oreille aux cris des indépendants, aux cris des restaurateurs, aux cris des gens qui sont licenciés par millions – regardez les autres pays – sans pouvoir retrouver de l'espoir, soit vous essayez de préparer la croissance de demain, vous dites : oui, je m'endette, mais pour investir pour demain, pour éviter que les gens soient licenciés, pour éviter que les gens perdent leur pouvoir d'achat, que les gens perdent leur maison, perde leur restaurant, et dans ces conditions vous faites ce que nous faisons, c'est-à-dire nous sauvons l'économie française par des moyens extrêmement importants.

SONIA MABROUK
Effectivement, avant demain il y a l'urgence, ce plan d'urgence a été relevé avec une augmentation du budget consacré au chômage partiel, et le fonds de solidarité aux très petites entreprises et aux indépendants, il est passé de 1 à 7 milliard, une enveloppe qui est de, donc si je vous comprends bien, appelée encore à évoluer.

GERALD DARMANIN
Nous le verrons bien. Aujourd'hui, puisque ce sont les agents de la Direction générale des finances publiques qui le font, ce fonds, et qui remplissent les conditions de rapidité demandées par le président, et ils le font très bien, je les en remercie, c'est 900 000 indépendants ce matin, qui ont demandé ce fonds de 1 500 €, qui est versé chaque mois, dans des conditions d'extrême rapidité. Bien sûr il ne règle pas tout. Le président de la République a également appelé l'annulation de charges, vous savez que beaucoup d'entreprises peuvent reporter ces charges, et pour le secteur de l'hébergement, de la restauration, des arts et spectacles par exemple, les annulations de charges aujourd'hui, ça va représenter plus de 750 millions d'euros, pour tous ces restaurants notamment. Alors, je le dis à tous ceux que le gouvernement a obligé de fermer, pour des raisons sanitaires, et que chacun comprend, que nous respecterons évidemment la demande du président de la République et nous travaillons à l'annulation de ces charges pour ces secteurs.

SONIA MABROUK
Vous dites bien annulation, Gérald DARMANIN. Ce chiffre de 750 millions, ce n'est pas un report des charges, vous ne demandez pas à ce qu'elles soient payées, c'est très clair ?

GERALD DARMANIN
Exactement. Aujourd'hui, qu'est ce qui se passe ? Aujourd'hui nous autorisons, les URSSAF autorisent le report de charges toutes les entreprises qui le demandent, c'est à peu près de 12 milliards d'euros de charges qui ont déjà été reportés. Et dans ces 12 milliards d'euros de charges déjà reportés, il y a 750 millions qui concernent les secteurs évoqués par le président, notamment la restauration, et chacun le comprend, mais aussi des arts et spectacles, qui ne peuvent pas se dérouler dans les conditions d'aujourd'hui, et qui sans doute reprendront bien plus tard que tous les autres acteurs économiques, et donc nous travaillons effectivement, à la demande du président de la République, à ces annulations. Le restaurant ne va pas retrouver ses clients au mois de juillet ou au mois d'août, si jamais il peut rouvrir, des 3 mois ou des 4 mois passés. Donc nous y travaillons, et nous ferons cela sans doute de façon extrêmement concrètes, avec les professionnels de la restauration, de l'hébergement et des arts et spectacles.

SONIA MABROUK
Et pour la suite, Gérald DARMANIN, puisque vous êtes sur ce secteur qui est très touché, de l'hôtellerie-restauration, est-ce que pour la suite ces reports de charges seront aussi transformés, mués en annulation ?

GERALD DARMANIN
Eh bien écoutez, pour l'instant nous parlons de secteurs dont le gouvernement a demandé la fermeture et qui ne peuvent absolument pas travailler, chacun le comprend. Aujourd'hui il y a quand même une partie de l'économie qui fonctionne, qui récupère de la TVA, qui peut payer les charges de ses salariés. Vous savez, ces charges pour les autres secteurs, si je prends l'exemple de la grande distribution ou des banques par exemple, il n'y a pas aujourd'hui de raison a priori d'accepter leur report. Ces cotisations elles savent à quoi ? A protéger justement les salariés. Elles servent à payer les retraites elles servent à payer la protection sociale. Donc ces cotisations, elles ne rentrent pas dans les caisses de l'Etat qui fait autre chose avec cet argent. Donc il faut quand même continuer à payer ses charges, bien évidemment. Le report de charges n'est accepté, dans l'esprit voulu par le président de la République, que pour aider les entreprises à survivre, et pas pour avoir des mesures de trésorerie. Si vous voulez des mesures de trésorerie, il faut vous adresser aux banques, puisque nous avons par ailleurs garanti 300 milliards d'euros de prêts auprès de ces banques. Donc aujourd'hui chacun fait son travail, l'Etat le fait de manière considérable, et notamment annulera, à la demande du président, les charges pour les secteurs les plus touchés, et j'ai parlé tout à l'heure de la restauration et des arts et spectacles.

SONIA MABROUK
Et vous précisez, ces prêts garantis, c'est très important, par l'Etat, qui le sont, précisons-le, garantis à 90 %, puisque vous avez parlé de nos voisins tout à l'heure, en Allemagne par exemple ils sont garantis à 100 %, ce qui fait que les banques ne sont pas du tout frileuses à prêter. Alors, encore un effort ?

GERALD DARMANIN
Non, les banques ne sont pas frileuses à prêter non plus en France. J'ai eu l'occasion hier de saluer la Fédération bancaire et son président monsieur OUDEA, ils font un très gros travail auprès du ministre de l'Economie. Il se peut qu'ici ou là dans les territoires, et moi je le vois à Tourcoing où je suis élu, il y a des banques qui refusent de prêter ou qui demandent des cautions personnelles, ce qui n'est évidemment pas acceptable, c'est du détail et c'est très peu de personnes, et dans ces cas-là il faut nous le signaler et nous débloquons les choses, notamment avec la BPI. Donc le travail de garantie des 300 milliards de prêts faits par la France, fonctionne très bien, et s'il y a des exceptions, il faut absolument nous saisir.

SONIA MABROUK
Il y a aussi, Gérald DARMANIN, les fonctionnaires. On a entendu dans le journal de 08h00, Emmanuel DUTEIL préciser cette prime de 1 000 € au maximum, on parle vraiment de ceux qui ont assuré la continuité du service public, dans un climat anxiogène. Est-ce que vous pouvez nous dire, ces primes, d'abord à qui elles sont destinées et combien cela va coûter également ?

GERALD DARMANIN
Ecoutez, d'abord moi je voudrais, en tant que ministre de la Fonction publique et avec le secrétaire d'Etat auprès de moi Olivier DUSSOPT, qui fait un travail formidable auprès des syndicats et auprès des agents publics, les remercier, comme l'a fait le président. Ils font un travail extrêmement important et ils montrent que l'Etat est présent et protège les plus faibles, et justifie de ce point de vue l'intervention de l'Etat. Cette prime elle est décidée par le président de la République, en parallèle des salariés qui travaillent par exemple, vous l'avez évoqué vous-même, c'est une prime qui sera défiscalisée, on ne paiera pas de cotisations sociales lorsqu'on la touchera, jusqu'à 1 000 €, c'est prévu dans le projet de loi de finances rectificatif que je présente ce matin avec Olivier DUSSOPT au Conseil des ministres. Et par ailleurs nous prenons dans les prochaines heures, à la demande du Premier ministre, les décrets qui nous permettent effectivement, pour la Fonction publique hospitalière, je pense que c'est le ministre de la Santé qui le dira, pour la Fonction publique d'Etat c'est un peu plus de 300 millions d'euros qui est prévu pour le versement de cette prime, et pour la Fonction publique territoriale, on va laisser la possibilité aux maires de verser, s'ils le souhaitent, et je sais que beaucoup le souhaitent, cette prime qui sera aussi de déchargée des cotisations pour les collectivités locales.

SONIA MABROUK
Alors là, nous parlons depuis tout à l'heure, Gérald DARMANIN, d'argent tout-à-fait nécessaire, légitime, que ce soit pour les fonctionnaires, les indépendants, nos entrepreneurs, mais c'est aussi une valse de milliards, de l'argent public, en réalité c'est l'argent des Français, jusqu'à combien vous pouvez dépenser sans compter ? On comprend la nécessité, mais on se demande est-ce que c'est illimité ?

GERALD DARMANIN
On ne dépense pas sans compter, le ministre des Comptes publics est bien là pour compter, ça ne veut pas dire qu'il a aujourd'hui un plafond. Le plafond c'est sauver l'économie française. Ça coûterait bien plus cher, madame MABROUK, de laisser mourir des dizaines de milliers d'entreprises, ou de laisser des millions de personnes, pendant des années au chômage. Notre stratégie, c'est certes de dépenser, de compter parce qu'il faut bien emprunter au nom de la France, effectivement c'est l'argent des Français, mais c'est de permettre, quand la crise va se terminer, un retour, nous l'espérons le plus rapidement possible, au travail, de tous les chômeurs qui sont aujourd'hui au chômage partiel. Il y a 1 salarié sur 3 aujourd'hui qui est au chômage partiel. Ça veut dire quoi ? Que quand demain le restaurant va réouvrir ou quand l'usine AIRBUS va rouvrir, très rapidement ils quitteront le chômage partiel, payé par l'Etat, pour retourner à leur poste de travail, on ne perdra pas des compétences, et très rapidement nous verrons une baisse, nous l'espérons, de tous les dispositifs qu'on a mis en place, et donc effectivement des économies de constatation. C'est sûr que ça coûte de l'argent, c'est sûr que les Français demain vont avoir une dette plus importante, il va falloir continuer effectivement à la rembourser, ce qu'on avait commencé à faire, les chiffres le montrent, des trois premières années du président de la République, mais il vaut mieux aujourd'hui s'endetter pour investir pour demain, plutôt que de compter les litres d'eau quand la maison brûle, parce que la maison brûlera.

SONIA MABROUK
Gérald DARMANIN, nous sommes tous d'accord. Nous sommes tous d'accord, mais comme il faut un discours de vérité, de transparence, l'Etat est privé là de 43 milliards d'euros de recettes fiscales. Comment compenser sans augmenter les impôts ? Si je vous entends bien, il faut d'abord créer de la richesse, sans augmenter les impôts.

GERALD DARMANIN
Oui, je le pense. C'est la stratégie que le président de la République a mis en place et qui avait marché depuis 3 ans. Je constate que le chômage avait fortement baissé, que le pouvoir d'achat avait augmenté, que par ailleurs la création d'emplois était extrêmement forte et la croissance plus forte que la plupart des pays européens. Il faudra continuer cette stratégie, sans doute en revoyant un certain nombre de choses qui sont nées de cette crise, bien évidemment. Nous souhaitons que la richesse créée demain, et c'est les conditions pour lesquelles nous sauverons cette économie dans des conditions très importantes d'intervention publique, nous souhaitons que cette richesse permette de créer effectivement des cotisations, des recettes qui nous permettent de rembourser cette dette et non pas d'augmenter l'impôt des entreprises ou des Français.

SONIA MABROUK
Pour créer cette richesse, est ce qu'il faut faire des efforts ? Le débat a été très vif sur les efforts à demander aux salariés rogner sur les jours fériés, les congés payés, le patron du MEDEF semble revenir sur son idée, après avoir provoqué un tollé. Son idée était mauvaise, une mauvaise piste ?

GERALD DARMANIN
Aujourd'hui, tout le monde est très inquiet pour la santé, sa propre santé, celle de ses parents, celle de ses enfants. Et aujourd'hui, tout le monde fait des efforts, et il le fait dans des conditions évidemment pas faciles, soit de télétravail, soit d'intervention de public présent en envers les personnes, je pense évidemment comme tout le monde aux caissières, aux caissiers, tous ceux qui ne sont pas très bien payés dans notre économie et qui pourtant sont en première ligne. Après, moi je pense que chacun a une part de responsabilité. Le consommateur il doit acheter…

SONIA MABROUK
Qu'est-ce que ça veut dire ? C'est une forme de « en même temps », là.

GERALD DARMANIN
Non, mais je pense qu'avoir un discours honnête envers les Français, c'est de dire que chacun a une part de résolution de la crise malgré tout. Ce n'est pas que les politiques ou que les patrons ou que les syndicats qui ont les clés. Le consommateur, s'il achète français, il va aider les agriculteurs français. C'est un acte citoyen que l'on peut faire tous les jours. L'actionnaire il peut éviter de se verser des dividendes, le grand patron il peut éviter d'augmenter sa rémunération, et chacun à sa manière peut contribuer, je crois, à une société plus juste et à un effort collectif. Alors, après, je ne suis pas…

SONIA MABROUK
Mais vous demandez au salarié de rogner sur ses jours fériés, ses congés payés ?

GERALD DARMANIN
Non, moi je pense qu'on n'en est pas du tout à ce niveau aujourd'hui d'intervention. Je crois qu'il faut éviter à la fois de faire de la démagogie, j'ai entendu des augmentations extrêmement fortes de salaires demandées par certains syndicats, comme absolument avoir de la sueur, du sang et des larmes par d'autres. Je pense qu'on voit que l'Etat est présent, que l'Etat est solide, que l'Etat, grâce à ses fonctionnaires et grâce à ses finances publiques qui ont été bien tenue pendant 3 ans, est capable d'emprunter beaucoup et de dire aux Français : voilà, nous sommes aujourd'hui capables de vous donner ce parachute social, économique, qui nous permettra d'attendre des jours meilleurs, et je pense qu'on peut être très fier de l'Etat français, de la façon dont il fonctionne, et de ses fonctionnaires qui aident aujourd'hui l'économie française.

SONIA MABROUK
Effectivement, l'état présent, l'état solide, Gérald DARMANIN mais l'Etat aussi monstre technocratique, peut-être que c'est à l'Etat d'abord de faire un effort.

GERALD DARMANIN
L'Etat, on est bien content de l'avoir. Alors, on est tous un petit peu râleurs…

SONIA MABROUK
Oui, mais vous êtes d'accord sur le constat aussi, des efforts à faire par tous.

GERALD DARMANIN
Mais, les efforts à faire par tous, c'est une phrase madame MABROUK, qui est générale, mais en particulier chacun constatera qu'il faut sans doute plus enseignants, plus de soignants, plus de personnes au contact des entreprises, plus de personnes au contact dans les territoires. Il faut éviter d'avoir un discours de comptabilité, et ce qui n'empêche pas de pouvoir compter par ailleurs. Moi je pense que ce qu'il faut continuer à faire, c'est de transformer le pays, dans des conditions sans doute de plus grande écoute, tirer les conclusions de cette crise, le président l'a dit, il y aura un jour d'après. Mais aujourd'hui on est dans un plan d'urgence, on n'est pas dans un plan de reconstruction. Viendra le plan de la reconstruction, le plan de relance de notre économie, mais aujourd'hui on est dans l'urgence. On a encore un mois de confinement au minimum, si j'entends le président de la République, il faut pendant ce mois encore tenir. Les indépendants qui souffrent énormément aujourd'hui, qui se demandent comment ils vont être payés, comment ils vont pouvoir réembaucher leurs salariés, payer leurs fournisseurs. Hier je parlais avec des agriculteurs, comment ils vont nourrir leurs bêtes aussi simplement que ça. Eh bien il faut pouvoir répondre à ces urgences, viendra demain le temps de la reconstruction. Je suis sûr que vous aurez l'occasion de me réinviter.

SONIA MABROUK
Certainement. Merci Gérald DARMANIN. Vous restez avec nous, place aux auditeurs, fonctionnaires, indépendants, entrepreneurs, ils sont très nombreux, de nombreuses questions et des interpellations aussi.

MATTHIEU BELLIARD
Oui, ils nous appellent depuis de nombreux jours, ils se posent des questions et c'est bien normal, oui effectivement, qu'on soit entrepreneur, qu'on soit le salarié cet entrepreneur, qu'on soit fonctionnaire peut-être. 39 21. Le #radioouverte. Nous sommes avec Gérald DARMANIN, ministre de l'Action et des Comptes publics, jusqu'à 08h45.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 avril 2020