Texte intégral
Q- Bonsoir, Amélie de Montchalin.
R – Bonsoir.
(…)
Q - Amélie de Montchalin, vous le disiez, l'Europe est désormais le continent le plus touché. L'Italie dépasse même la Chine en nombre de morts. Les frontières extérieures de l'Union européenne sont maintenant fermées pour trente jours. N'est-ce pas trop tard ?
R - Ce que l'on voit, c'est qu'aujourd'hui, effectivement, nous sommes le foyer épidémique, nous-mêmes. Et donc, la raison pour laquelle nous fermons nos frontières, c'est d'abord éviter qu'il y ait de nouvelles personnes qui rentrent dans l'espace où aujourd'hui on voit bien que la seule demande qu'on fait à tout le monde, c'est de rester chez soi. Donc, il ne faut pas que des étrangers viennent nous voir. Et par ailleurs, il faut aussi que l'on évite de contaminer plus largement d'autres zones du monde et donc qu'on applique ces restrictions. Il y a eu des restrictions de voyages déjà depuis longtemps, notamment avec la Chine. Donc, on voit bien aujourd'hui que c'est aussi pour préserver notre système de santé. On a déjà beaucoup, beaucoup, de travail à faire ici avec les Européens qui sont sur le continent, avec ceux qui y habitent, et donc c'est pour ça qu'on prend ces mesures.
Q - Certains pays européens ont verrouillé très tôt leurs frontières intérieures, mais pas tous. Aujourd'hui les déplacements entre pays européens sont contrôlés. Est-ce que là aussi, il n'aurait pas fallu mettre tout cela en oeuvre plus tôt ?
R - La grande victoire qu'on a, c'est que, avant-hier, on a adapté et on a adopté, ensemble, un cadre commun. Un cadre commun sur les frontières extérieures, vous l'avez dit, on a aussi adopté un cadre commun sur les frontières intérieures. Pour dire trois choses. D'abord, il faut absolument que les marchandises puissent circuler, parce qu'on a tous besoin des uns des autres, je pense notamment au domaine alimentaire. On a aussi fixé l'idée que les voyages non essentiels n'avaient aucun lieu de se poursuivre puisque dans chacun des pays, on a les mêmes munitions, dans cet effort de guerre qui est de rester chez soi le plus possible. Donc, il n'y pas de raison que si on dit aux Français de rester chez eux, on les retrouve de l'autre côté des frontières en train de se promener en Allemagne ou en Belgique par exemple. Et puis, troisième point, il faut qu'on laisse les travailleurs transfrontaliers pouvoir travailler s'ils ont des fonctions essentielles de l'autre côté de la frontière. Parce qu'on a, là aussi, des choses qui sont essentielles pour notamment je pense au système de santé. Ce cadre-là, il a été adopté en commun.
Q - Même si cela aussi fait circuler le virus, les travailleurs transfrontaliers ? Amélie de Montchalin, vous reconnaissez finalement, ce soir, que garantir les frontières a un intérêt ?
R - En fait, ce qu'il faut avoir en tête, c'est que beaucoup de gens nous ont dit, " il faut fermer les frontières parce que comme cela, quand on sera tous entre nous, le virus, on l'aura combattu ". La clé, le sujet, ce n'est pas de fermer les frontières, c'est d'être cohérent. Est-ce que si on demande aux gens de rester chez eux, cela a un sens de les imaginer se promener de l'autre côté des frontières ? Fermer les frontières si c'est pur et simple, cela crée de grandes difficultés, je pense notamment pour les marchandises, pour les biens, pour les services. Il y a des choses qui doivent continuer de circuler. Donc la clé, ce n'est pas fermer ou ouvrir les frontières, la clé c'est d'être cohérent. Et donc, si on demande aux Européens de rester chez eux, eh bien, il faut qu'on puisse appliquer ces mesures. Maintenant je vous dis, les travailleurs transfrontaliers et les marchandises ont besoin de circuler. Et bien sûr on prend toutes les mesures sanitaires, on protège tous ceux qui circulent, parce que le but, ce n'est pas qu'ils propagent la maladie, mais c'est qu'ils continuent, je pense notamment dans les hôpitaux, notamment dans les services qui font que la vie quotidienne est possible, je pense à l'électricité, je pense à la logistique, que l'on puisse continuer à avoir au fond une économie qui fonctionne. Parce que, je vous l'ai dit, sinon cette guerre que le virus nous mène nous anéantira à la fois sanitairement et économiquement, et là, il faut vraiment qu'on prenne un effort collectif pour que ce ne soit pas le cas.
Q - Amélie de Montchalin, vous parlez de cohérence, tous les pays européens ne choisissent pas la même stratégie pour lutter contre le virus. On voit des pays comme la France, comme l'Italie, comme l'Espagne, qui confinent la population, et d'autres pas, on pense aux Pays-Bas notamment qui préfèrent laisser circuler le virus pour développer une immunité de la population, le Royaume-Uni qui déconseille les rassemblements, mais sans confinement. Tout cela manque un peu de coordination, non ?
R- Sur ce plan-là, on est très vigilants. J'ai eu mon homologue des Pays-Bas, Jean-Yves Le Drian a eu son homologue britannique, j'ai eu, moi-même, des contacts très nombreux avec les autorités de tous ces pays. Aujourd'hui, au fond, on partage le fait que notre meilleure munition, c'est de limiter les contacts sociaux. Cela prend parfois des formes différentes dans les discours politiques. Dans les faits, je peux vous dire que partout en Europe, il y a beaucoup, beaucoup moins de contacts. Il y a parfois des périodes d'ajustements. Mais aujourd'hui, il y a une prise de conscience, y compris de pays au départ qui avaient des stratégies qui étaient différentes, que l'on ne peut pas s'en sortir autrement. Au Royaume-Uni, les choses bougent. Elles bougent, peut-être pas exactement en même temps que nous, mais elles évoluent. Et aux Pays-Bas, là aussi, il y a une grande vigilance de notre part. Ce qui est important, c'est que dans cette guerre, on a un ennemi qui est commun, qui est le virus. On a aujourd'hui des mesures qui sont les plus efficaces qui sont de limiter les contacts, c'est ce que tous les pays appliquent, peut-être différemment parce que parfois…
Q - Différemment !
R - Parfois différemment parce que le discours est différent, mais je peux vous dire que partout en Europe, c'est comme cela que l'on va y arriver. Et d'ailleurs, on encourage beaucoup nos voisins à regarder comment on peut y arriver ensemble et à rester bien coordonnés. Et les mesures qui sont préconisées au niveau européen sont les mêmes, et donc on est vraiment dans une bataille en commun.
Q - Amélie de Montchalin, où en est le rapatriement des dizaines de milliers de Français qui sont aujourd'hui hors d'Europe, au Sénégal, au Maroc, aux Philippines, et qui veulent à tout prix rentrer en France ?
R - Alors écoutez, on y travaille 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Le centre de crise du Quai d'Orsay est sur le pont. On y travaille avec Air France ; on y travaille pour que ce retour soit possible. Pour que tous les Français qui étaient, soit en visite, pour des courts séjours, pour des voyages d'affaires ou des voyages tout court, des touristes, puissent retourner en France le plus rapidement possible.
On le fait dans les plus brefs délais et je lance ici un appel vraiment qui est double. Si vous résidez en dehors de France et que votre résidence principale est dans un autre pays, en Europe ou ailleurs, il faut vraiment rester là où vous êtes. Les voyages internationaux, sauf cas sanitaires graves, ne vont pas aider, parce que c'est de la mobilité contre laquelle il faut que l'on arrête, il faut qu'on arrête ces mouvements. En revanche, si vous êtes en court séjour, il y a vraiment une urgence à vous faire connaître, parce que, aujourd'hui, on organise les choses, on essaie de les faire dans les plus brefs délais. Si on attend une semaine, deux semaines, trois semaines, ce sera plus compliqué. Donc là aussi, les consulats, les ambassades, le centre de crise, on est tous sur le pont. On travaille avec toutes les autorités des pays où sont ces Français, pour faciliter les retours, s'assurer que les vols peuvent décoller. Mais vraiment, il faut que, aussi, les Français nous aident à se faire connaître parce qu'on ne pourra pas permettre ces retours s'ils ne se manifestent pas.
Q - Un tout dernier mot, Amélie de Montchalin, vous pensez que les Français qui souhaitent rentrer vont être rentrés d'ici combien de temps ?
R - Cela dépend des destinations. On travaille aujourd'hui avec les compagnies aériennes pour que les vols se passent dans les plus brefs délais. Il y a des endroits où il y a beaucoup de monde, donc, bien évidemment, cela prend plusieurs rotations. Il y a des endroits où il y a moins de monde. Là, on se coordonne aussi entre Européens. Parce que parfois vous avez des nationalités différentes, des petits groupes de dizaines de personnes, là on essaie de faire les choses ensemble pour éviter de faire voler trop d'avions à moitié pleins. Donc il y a tout un travail logistique énorme, énorme, qui est fait, une énorme coordination. Et c'est vraiment l'objectif premier : c'est que tout le monde puisse rentrer chez soi, et rester chez soi. Parce que c'est, au fond, la meilleure arme, c'est la meilleure munition que l'on a dans cette guerre sanitaire qui est la plus dure qu'on ait à connaître depuis un siècle, comme l'a dit le président de la République.
Q - Merci, Amélie de Montchalin d'avoir été mon invitée ce soir.
source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 mars 2020