Texte intégral
Q - Bonjour, Amélie de Montchalin.
R – Bonjour.
Q - Secrétaire d'Etat chargée des affaires européennes ; sommet européen aujourd'hui par visioconférence totalement dédié à la lutte contre le coronavirus. Amélie de Montchalin, très concrètement, qu'espérez-vous de ce sommet ?
R - Alors, c'est très important, c'est la troisième fois que les chefs d'Etat et de gouvernement échangent. C'est un moment à la fois de crise et d'avenir. C'est-à-dire qu'il est stratégique sur la capacité, dans l'immédiat, de trouver des solutions communes, donc je pense aux équipements médicaux, je pense bien sûr aux sujets économiques. Mais c'est aussi au Conseil européen qui va parler de l'avenir parce qu'un certain nombre de sujets vont demander qu'on fasse beaucoup plus, ensemble, après, pour notamment assurer la reprise. Et puis, qu'on réfléchisse peut être à agir différemment en européen. On voit que cette crise ébranle beaucoup de certitudes, beaucoup de certitudes économiques. On voit qu'il faut qu'on fasse primer la solidarité, qu'aucun pays ne peut s'en sortir seul. On a dit qu'on ferait, quoi qu'il en coûte, tout ce qu'il fallait. Et donc, il va falloir nous donner les moyens de la relance européenne. Et donc, notamment, on va parler d'un instrument d'aide commun. On va aussi parler de choses qui se passent très concrètement sur le terrain et qui sont extrêmement, je crois, révélateur de l'Europe qu'on veut, c'est cette solidarité entre les soignants dans les territoires transfrontaliers. Hier, à Mulhouse, le président était au coeur d'un territoire où que ce soit au Luxembourg, en Allemagne, ou même en Suisse, on a vraiment une coopération européenne à la bonne échelle, une vraie solidarité. Et c'est cela aussi que dans ce Conseil, on va créer, des nouvelles solidarités de nouveaux moyens d'action commun, parce que cette crise révèle que personne ne peut s'en sortir seul.
Q - Alors, on va revenir sur, justement, ces solutions très concrètes mais Amélie de Montchalin, si je vous comprends bien il faut, dès à présent, penser l'après Coronavirus, c'est maintenant que cela se joue aussi ?
R - Cela se joue maintenant parce qu'on voit que si on n'est pas dans l'anticipation, si on ne prend pas dès maintenant des décisions qui nous permettront, dans quelques semaines, quelques mois, d'avoir des instruments de relance, d'avoir des instruments d'investissement, d'avoir aussi un mécanisme de gestion de crise beaucoup plus performant, on passera à côté, à la fois de ce qu'on doit faire aujourd'hui, et ça, on y est tous, je crois, à notre tâche, mais aussi à notre capacité de rebondir. Je pense, par exemple, au sujet de l'Afrique. On va devoir mobiliser de grands moyens pour notamment soutenir le système sanitaire africain. Ce n'est pas aujourd'hui une priorité, cela le sera peut-être dans quelques semaines, si on n'anticipe pas, si les Européens ne font pas cet effort, ensemble, en anticipation, je pense qu'on passera à côté de notre rôle qui est à la fois d'être solidaire entre nous, mais aussi d'avoir un vrai rôle dans le monde et notamment économique et financier. C'est pour cela qu'avec le G7, c'est pour cela qu'avec le G20, on a beaucoup de travail à faire.
Q - Alors effectivement la priorité aujourd'hui, c'est quand même l'Europe. Vous voulez notamment mutualiser la dette, c'est une idée française mais aussi italienne.
R - On a neuf chefs d'Etat aujourd'hui qui ont écrit à Charles Michel, le président du Conseil européen, pour dire, voilà, si on ne met pas en commun à la fois des moyens, des ressources et si on n'a pas une capacité collective à s'endetter pour financer ces investissements majeurs qu'il va falloir consentir à faire, on passera à côté de ce qu'on peut faire. Bien sûr qu'il y a des choses qui sont faites au niveau national. Vous voyez bien, Bruno Le Maire a son plan, l'Espagne a un plan très important, en Italie également, en Allemagne, donc il y a des choses. On peut faire chacun dans notre pays, mais si on pense à la relance qu'on va devoir faire, notamment à une relance qui soit plus compatible avec cette transition énergétique qu'on doit faire, on ne va pas repartir exactement comme avant, on a besoin de soutien européen, de solidarité, parce qu'il y a aussi des pays qui aujourd'hui sont plus fragilisés, et ceux-là ont besoin de la solidarité de tous.
Q - Alors mutualiser la dette, Paris est d'accord, Rome est d'accord. Berlin, c'est quand même beaucoup plus compliqué !
R - Ce que vous voyez, c'est qu'on est dans un cas totalement nouveau. Beaucoup de règles européennes, que ce soit sur le pacte de stabilité de croissance sur le rôle de la BCE, sur les aides d'Etat, si il y a même un mois j'étais venu vous dire qu'on allait faire ce qu'on est en train de faire aujourd'hui vous m'auriez dit, ce n'est pas possible, c'est un tabou et ce n'est pas comme ça qu'on fait. Les temps sont nouveaux, ils sont extraordinaires, et donc on dit que de manière nouvelle extraordinaire, il faut qu'on se pose des questions à la fois d'objectifs, de stratégies, d'outils, et donc d'aller sur des terrains où nous ne sommes jamais allés parce que les circonstances n'ont jamais été celles d'aujourd'hui.
Si je résume aujourd'hui, on a une crise qui touche tout le monde. Donc, c'est une crise symétrique, il n'y a pas de différence entre les pays, et c'est une crise systémique. Eh bien, dans cette crise qui est majeure, qui touche tout le monde, il faut qu'on puisse aussi avoir de nouveaux outils. Cela n'a rien à voir avec la crise de 2008 par exemple où certains pays étaient en situation difficile et d'autres, objectivement, allaient vraiment bien.
Q - Alors, Amélie de Montchalin, même des européens convaincus disent aujourd'hui, l'Europe n'a pas réagi assez vite, les gouvernements n'ont pas réagi assez vite. Quand on voit les différences, parce que vous parliez justement de solidarité entre les Européens, quand on voit les différences à l'intérieur même de l'Europe on a des pays où le confinement n'est pas encore décidé, je pense à la Suède, on a des pays avec des politiques très précoces de dépistage, je pense à l'Allemagne ; des pays qui font appel aujourd'hui à l'OTAN pour s'en sortir, je pense à l'Espagne. Où est la coordination européenne ?
R - Alors, il y a plusieurs niveaux. Il y a déjà ce que font les institutions, tout ce qu'on a, en commun. Et je pense à la Commission européenne, à la BCE, à la Banque européenne d'investissement, à ce niveau-là vous avez, notamment, un énorme effort de recherche en commun, avec des gros budgets. Aujourd'hui, ce qui est formidable c'est qu'on ne fait pas 27 fois la même chose, en parallèle. Il y a un vrai effort commun, les tests cliniques se font ensemble.
Sur la stratégie, on a le même effort de guerre partout : de la distanciation sociale, limiter les contacts et nous assurer que nos hôpitaux sont soutenus. Et puis, ensuite, il y a, entre gouvernements, effectivement, des choses qui peuvent se faire. Il y a aussi au niveau local et j'y reviens, je pense qu'on a eu dans les derniers jours un exemple de solidarité européenne qui se fait peut-être avec moins de sensationnalisme, moins d'instrumentalisation médiatique que ce que certains nous apportent de l'étranger. Mais, quand vous voyez comment les Länder allemands, autour de la région Grand Est, ont ouvert des lits. Quand vous voyez comment les personnels de santé passent les frontières et sont en appui dans les zones les plus difficiles, quand vous voyez ce qu'on a fait avec, même l'Italie, en lui apportant des masques, dès qu'on a pu, avec l'Allemagne, on est là sur une solidarité concrète. Ce qui est certain, c'est que le virus…
Q - L'Italie, on est arrivé, pardonnez-moi, mais l'Italie on les a aidés quand même très tard et quand on voit que la Chine aide l'Italie, tant mieux d'ailleurs pour les Italiens. J'imagine que pour une européenne convaincue comme vous ça doit faire un petit peu mal.
R - Il y a une chose qui est sûre, c'est que nous avons envoyé beaucoup de matériel en Chine à la fin du mois de février, même à la fin du mois de janvier. Nous avons envoyé des dizaines de tonnes de matériel en Chine. Nous l'avons fait par solidarité par envie de servir. Nous n'avons pas mis en scène les choses parce que nous pensions que ce n'était pas, là, utile. Aujourd'hui, c'est très bien qu'il y ait des choses qui viennent de Chine puisque d'abord il y a une grande production d'équipements médicaux en Chine.
Q - Mais on s'est retrouvé en France sans beaucoup de masques comme vous diront tous les médecins.
R - Alors ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui, on a un effort à faire pour produire en Europe, on a un effort, où on essaie d'allouer avec Thierry Breton, avec la Commission européenne, les moyens médicaux dont nous disposons de manière la plus stratégique possible, là où il y a le plus de besoins. On est en train de faire un énorme effort pour qu'on relocalise des productions en Europe. Cette solidarité, évidemment, on aimerait tous la faire beaucoup plus jouer. Mais, pour la faire jouer, il faut qu'on ait des moyens. Et c'est pour ça qu'on dit souvent que la solidarité va avec la souveraineté. Il faut qu'on puisse produire beaucoup plus de choses et ainsi être beaucoup plus solidaire, je pense que sur les respirateurs, on est en train de faire des achats communs, sur les matériels de protection on fait des achats communs aussi et cela veut dire aussi qu'on reproduit en Europe des biens qui d'ailleurs, souvent, été importés avant. Ce que je vois derrière ça...
Q - Mais, Amélie de Montchalin, pardonnez-moi de vous couper, vous n'avez quand même pas le sentiment qu'on a commencé la bataille trop tard ?
R - Ce que je peux vous dire, c'est que nous en France, Agnès Buzyn, à l'époque a beaucoup, beaucoup oeuvré pour qu'on ait une réunion des ministres de la santé dès le mois de février pour qu'entre européens on s'en parle. Cela semblait d'ailleurs à l'époque bizarre à tout le monde. On se demandait bien pourquoi les Français voulaient qu'on parle du coronavirus. On a poussé énormément, le président de la République a demandé d'ailleurs cette première visioconférence entre chefs d'Etat et de gouvernement. Bien sûr qu'il y a eu un temps à l'allumage qui a été un peu long parce qu'il y a eu d'abord une phase d'observation, le virus ne se répandait pas partout en Europe de manière égale, une phrase aussi, je pourrais dire, un peu de précipitation, tout le monde a ensuite réagi de manière parfois pas coordonnée. Et aujourd'hui, ce que je vois, c'est qu'il y a une vraie phase d'action.
Il y a beaucoup de choses qui se font au niveau européen dont on pensait que c'était même impensable. Il y a quelques semaines ou quelques mois je pense notamment à beaucoup de règles européennes qui ont été levées pour que nous puissions répondre de manière exceptionnelle à cette période exceptionnelle. Et je pense que nous avons, et c'est pour ça que la France pousse beaucoup, nous avons encore beaucoup plus à faire en terme de moyens communs, en termes de financement, en terme de relance économique, en termes de protection de l'emploi, aussi.
On voit qu'il y a beaucoup, beaucoup de sujets où il faut qu'on fasse plus. Nous, Français, nous cherchons à ce que cette ambition soit grande et que surtout on prenne conscience que c'est que parce qu'on sera vraiment ensemble et que l'on fera jouer notre force, en européens, que l'on arrivera à dépasser non seulement la crise sanitaire qui met en danger des vies, mais aussi ce que le virus peut détruire, à savoir nos emplois, de notre économie et notre capacité à rebondir.
Q - Une dernière question, avec cette crise, soit l'Europe devient plus puissante, soit elle s'écroule, c'est le sentiment, par exemple, du politologue Dominique Reynié. C'est aussi votre avis, en quelques secondes ?
R - Moi, je suis d'accord sur le fait qu'il y a un risque de délitement. Une crise, ça met sous tension chacun ; soit on résout cette tension en étant ensemble, en faisant ensemble des actions, en préparant l'avenir ensemble et en se disant que demain, dans quelques jours, dans quelques semaines, on sera dans une nouvelle phase et il faudra qu'on l'aborde ensemble, soit effectivement, le risque, c'est que cette crise fasse, au fond, jouer le repli nationaliste, que chacun se tourne vers lui-même et d'abord qu'il soit moins performant, moins efficace. Et qu'ensuite on détruise, vous savez, beaucoup de choses qui sont des acquis, je pense notamment à la circulation des marchandises, aujourd'hui si nous n'avions pas cette capacité, je pense qu'on aurait dans beaucoup de pays une crise alimentaire. Nous essayons, par tous les moyens, de la combattre et c'est parce qu'on est européen qu'on va y arriver.
Q - Merci beaucoup Amélie de Montchalin d'avoir été à ce matin sur l'antenne de Radio Classique, la secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 mars 2020