Texte intégral
Q - Bonjour, Amélie de Montchalin
R – Bonjour.
Q - Merci d'être à l'antenne de France Inter. Beaucoup de questions à vous poser et notamment sur l'action de l'Union européenne. Vous avez, évidemment, entendu Jacques Delors, l'ancien président de la Commission, Européen convaincu, qui disait la chose suivante, et je le cite : "le climat qui semble régner entre les chefs d'Etat et de gouvernement ainsi que le manque de solidarité européenne font courir un danger mortel à l'Union". Amélie de Montchalin, l'Union européenne est-elle en danger de mort, aujourd'hui, faute d'être suffisamment solidaire et d'être unie dans la crise ?
R - Il faut voir que c'est d'abord un moment au cours duquel l'Europe joue effectivement sa crédibilité et son utilité. Si l'Europe n'est juste qu'un marché intérieur quand tout va bien, alors, elle n'a aucun sens parce que si elle ne parvient pas - si nous ne parvenons pas - à surmonter les égoïsmes et les peurs dans un moment comme celui que nous vivons, alors nous avons, au fond, à faire beaucoup mieux. C'est pour cela que le président de la République et nous même poussons beaucoup pour que non seulement nous soyons unis dans la recherche sur les vaccins, mais que nous soyons également unis dans les mesures que nous prenons - et c'est le cas aujourd'hui -, et que nous soyons unis pour éviter que le marasme économique soit trop grand. Cette unité fonctionne. Mais nous devons absolument - et il y a encore du travail à faire et nous demandons beaucoup plus là-dessus - préparer la sortie de crise et la relance, et préparer l'après. Nous devons montrer que nous sommes efficaces parce qu'on sera ensemble. Si l'union fait la force n'est juste qu'un slogan, et si cela ne devient pas une réalité, alors nous avons un problème.
Q - Justement, comment convaincre que c'est plus qu'un slogan ? Lorsqu'on regarde le Conseil européen qui s'est réuni cette semaine, il n'a absolument pas rassuré sur la réponse européenne à la crise. Il a plutôt entériné et montré les divisions, le délitement des différents pays de l'Union. Chacun a l'air de penser d'abord à lui-même. Les nations d'abord, l'Europe ensuite. Même si la santé ne fait pas partie des compétences de l'Union européenne, pouvons-nous en attendre davantage ? les citoyens peuvent-ils en attendre davantage ?
R - Il y a deux choses à dire. D'abord, il y a ce qu'on fait actuellement, à savoir une vraie solidarité : au moment où l'on se parle, un avion militaire allemand se pose à Strasbourg pour emmener des patients français dans les hôpitaux autour de Stuttgart et d'Ulm. C'est une vraie solidarité. Nous recherchons également ensemble des solutions, des traitements et des vaccins. Il y a une solidarité autour du matériel médical, qui manque partout dans le monde. En Européens, nous allons produire ensemble, nous allons nous partager les ressources et les technologies.
C'est ce qu'on fait aujourd'hui, et je pense qu'on ne peut pas nier qu'il y a une vraie solidarité, chacun contribuant à la hauteur de ce qu'il peut faire, sachant que c'est difficile pour tout le monde. Il y a 80 français aujourd'hui qui sont hospitalisés au Luxembourg, en Allemagne et en Suisse et ça, cela compte.
Maintenant, là où on a un défi, c'est comment on sort de la crise ensemble. Si on est très lucide, il n'y aura pas de rebond économique, social, de quelque nature que ce soit, en Allemagne ou aux Pays-Bas si l'Espagne, l'Italie, la France et le reste de l'Europe ne va pas bien. Et donc, on ne peut pas s'exonérer sans honte de la solidarité nécessaire avec l'Italie, avec l'Espagne, alors que l'on sait qu'il doit y avoir une mobilisation générale.
Q - Et c'est pourtant le cas !
R - Ce que nous disons, nous, France, avec une dizaine de pays. Nous avons un discours simple : "d'accord, nous sommes prêts à ce que ceux qui ont des doutes, pendant quinze jours de plus, réfléchissent avec nous sur la manière de s'en sortir ensemble." Je parle de la relance, de ce qui viendra après. Mais, si nous n'arrivons pas à faire en sorte que cette solidarité soit à la hauteur de ce qu'elle doit être, alors nous devrons nous poser des questions : doit-on continuer à travailler sur tout, à 27, avec ceux qui ne sont pas solidaires et qui ne sont pas ambitieux, alors que ça tangue ? Si c'est pour être ensemble quand tout va bien, je dirais, tant mieux, mais ce n'est pas là que l'on doit montrer notre crédibilité, notre utilité. Notre Europe, c'est celle de l'action. C'est celle de la solidarité. Et si certains n'en veulent pas, alors se posera la question de leur place, et se posera la question de ce que l'on doit faire encore à 27. C'est une question existentielle fondamentale.
Q - On va bien sûr parler du registre économique. Je voudrais que l'on reste encore un tout petit instant sur la question sanitaire, parce que je trouve qu'elle dit beaucoup de la situation aujourd'hui de l'Europe. Est-ce que tous les pays de l'Union européenne n'auraient pas eu intérêt à gérer la crise sanitaire de la même façon ? Parce que là, nous n'y sommes pas du tout. Nous avons la Suède et les Pays-Bas par exemple qui misent sur l'immunité collective quand nous, la France, l'Italie, l'Espagne, avons fait le choix du confinement. Ce qui pose vraiment cette question à laquelle vous n'avez pas vraiment répondu, de l'efficacité et de l'unité de l'Union européenne. Donc, est-ce qu'on est efficace et est-ce que nous savons encore être unis ?
R - Sur ce point, très précisément, nous sommes, nous, la France, le premier pays à avoir demandé à ce que nos ministres de la santé, en Europe, se réunissent. Et cela a été fait, au mois de février, et c'est Agnès Buzyn qui avait à l'époque beaucoup poussé pour que cela se fasse. C'est nous aussi qui avions demandé, et cela a été fait aussi le 10 mars, à ce que les chefs d'Etat et de gouvernement aient une réunion ensemble dédiée à la question du coronavirus. Pourquoi est-ce important ? Parce que ce virus, on le voit, nous touche successivement. Et donc, il y a des mesures qui ont été prises par certains, à un moment donné, qui paraissaient, à un moment donné, pas encore nécessaires pour les autres, après.
Aujourd'hui, 95% des Européens sont chez eux. On leur a tous demandé de limiter leurs contacts sociaux, de limiter tous les rassemblements et nous avons effectivement mis beaucoup de pression. Je vous le dis très clairement, il est arrivé un moment où, vis-à-vis notamment des Britanniques, on a eu un dialogue assez franc, pour leur dire : "on pense que si l'on veut continuer à avoir un minimum d'échanges sur les marchandises, sur les frontaliers, sur une gestion commune de notre espace aux frontières, eh bien il va falloir que vous fassiez beaucoup plus sur les questions sanitaires". Cela a été fait, et aujourd'hui ils ont pris une démarche qui est celle que le reste de l'Europe conduit. Je peux vous dire qu'aux Pays-Bas et qu'en Suède, les mesures chaque jour évoluent, parce qu'ils se rendent bien compte, comme partout ailleurs, qu'il n'y a pas de magie, et on se met d'accord.
Ce qui compte sur le plan sanitaire, au niveau européen, parce qu'il y a des choses qui sont de la responsabilité et de l'autorité de chacun, c'est vraiment sur la recherche. Aujourd'hui, la bonne nouvelle, c'est que ce sont plus de 180 millions d'euros qui ont été mobilisés pour la recherche d'un traitement, d'un vaccin, et heureusement on ne fait pas 27 fois la même recherche en parallèle. Heureusement, il y a toute une coordination, les essais cliniques sont faits ensemble. Tout est fait pour travailler vraiment collectivement, et là je pense que sur le plan sanitaire on y aille bien ensemble, et notamment si on trouve des molécules qui fonctionnent, qu'on puisse, eh bien, y aller, pas chacun de façon désordonnée.
Q - Vous avez parlé de la solidarité européenne, Amélie de Montchalin, et pourtant c'est la Chine qui a livré des masques à l'Italie. A son tour, Cuba vient d'envoyer un contingent de médecins, 88% des Italiens considèrent que l'Union européenne ne les aide pas. Comment expliquer l'absence de Bruxelles dans cette crise ?
R - Là aussi, d'abord, la solidarité, cela ne s'instrumentalise pas.
Q - C'est-à-dire ?
R - A un moment donné la Chine a eu besoin de nous. Début février, fin février, on a envoyé 56 tonnes de matériel à la Chine. C'est très bien et je pense qu'il ne faut pas être dans une comptabilité, dans une instrumentalisation, dans un comptage qui serait indécent. On est solidaire, point. Et je le dis pour tous. Aujourd'hui, ce que je vois, c'est effectivement, c'est vrai, la Chine a envoyé du matériel parce qu'elle est en capacité de produire.
Mais je peux vous dire que la France a donné un million de masques à l'Italie. On a envoyé des dizaines de milliers de blouses et des surchemises. On est en train de faire ensemble un travail énorme sur notamment le plan économique, et sur le plan sanitaire et la solidarité. Je vous répète ce qui se passe à nos frontières : on a beaucoup travaillé avec la région, la préfecture pour que les régions d'Allemagne frontalières à la France, pour que le Luxembourg, pour que la Suisse, maintenant jusqu'à Berlin accueillent des patients français. Il y a déjà 80 patients français qui ont été transférés en-dehors de nos frontières. Quand vous voyez la situation des hôpitaux, c'est de la vraie solidarité. Et viendra un jour où peut-être que nous, France, on accueillera des patients qui viendront d'autres pays parce que ce sera chez eux qu'il y aura un besoin. Donc, la solidarité, cela a toujours été une question de réciprocité. Chacun aide au moment où il peut le faire, avec ce qu'il peut offrir.
Là où Bruxelles compte énormément, c'est sur notre capacité à produire davantage de matériel médical en Europe. On aimerait tous être beaucoup plus solidaire, encore faut-il avoir les moyens de le faire. Et donc, Thierry Breton mène tout un travail extrêmement précis pour que nous ayons plus de producteurs de ventilateurs, de masques, de tenues de protection pour les soignants et que nous fassions, en Européens, avec un suivi, pays par pays, "qu'est-ce que chacun produit, qu'est-ce que chacun a comme stock, qu'est-ce que chacun a comme besoins" pour que l'on alloue entre nous les ressources stratégiquement. C'est un gros travail et là, c'est de la solidarité parce que si on suit juste des commandes des uns et des autres, sans tenir compte des besoins, on pourrait faire de grosses bêtises.
Q - C'est formidable, ce qu'on vient d'entendre, mais on comprend que c'est simplement écrit, pensé. Quand est-ce que ce schéma que vous venez de décrire, qui serait parfait, quand est-ce que ce schéma va réussir à être applicable à l'Europe ?
R - Il est en train d'être appliqué. C'est déjà une réalité, les rapatriements, les transferts de patients, cela se fait depuis dix jours. Ce que je vous dis sur les masques et le matériel médical, cela se met en place. Aujourd'hui, vous savez que la France a un pont aérien avec la Chine qui se met en place. Vous avez entendu le Premier ministre et Olivier Véran, hier, vous parler d'un milliard de masques commandés. On fait tout cela aussi en Européens parce que sinon, et le Premier ministre l'a très bien dit hier, ce serait une concurrence entre nous, que l'on mettrait en oeuvre alors que l'on sait bien que c'est ensemble, chacun dans nos pays, en ayant tous les moyens nécessaires au moment où le pic, au moment où la vague est la plus haute qu'on a besoin de travailler ensemble. Ce que je vous dis, c'est qu'effectivement, c'est parfois plus simple de faire de la propagande, de belles images, et parfois d'instrumentaliser ce qui se passe. Ce que je vous dis, c'est qu'il y a tout un travail qui se fait. Je crois que nous sommes en démocratie.
Q - On en est loin, Amélie de Montchalin, on en est loin, de la propagande.
R - Non, je vous parle de la Chine, de la Russie et d'autres qui mettent en scène des choses. C'est très bien, ils font ce qu'ils ont à faire, on les remercie et on les a soutenus, le moment venu, quand c'était utile d'être dans l'autre sens en appui, notamment en matériel médical vis-à-vis de la Chine. Ce que je vous dis, c'est que nous travaillons. Je préfère, pour ma part, et c'est le travail que j'ai mené et que nous menons collectivement, je préfère que nous travaillions sur des choses concrètes et sur des choses qui sont utiles à un moment donné.
Aujourd'hui, on a beaucoup d'aide et je tiens vraiment à les remercier, de la part des pays frontaliers. A un moment donné, on fera aussi cet effort, eh bien peut-être, d'accueillir des patients quand la vague sera passée chez nous.
Q - Alors, justement, puisque vous parlez des réponses concrètes, il y a évidemment la solidarité économique, la solidarité financière et les réponses que peut apporter à la fois l'Union européenne et la Banque centrale européenne. Et pour le coup, comment comprendre le refus de certains Etats de l'Union de mutualiser les risques, de permettre à tous les Etats qu'ils soient plus riches, plus pauvres, les uns ou les autres, de pouvoir emprunter, par exemple de pouvoir émettre des obligations, qui seraient communes pour partager l'effort de guerre ?
R - En fait, il y a deux débats. Il y a un débat technique et il y a un débat politique. Sur le plan politique et ce qui compte, c'est que nous prenions conscience qu'aujourd'hui même beaucoup des règles qui étaient fixées pour les temps, j'allais dire, quand tout va bien, ont été suspendues parce que ce sont de bonnes règles parce qu'elles prévoyaient qu'elles puissent être suspendues pour que nous puissions faire face à la situation actuelle que nous connaissons. Cela veut dire effectivement que la BCE a lancé un programme de 750 milliards d'euros de soutien aux Etats, c'est inédit. Nous avons levé les règles du pacte de stabilité sur les déficits, c'est inédit. La Commission européenne, elle, a mis plus de 40 milliards d'euros de soutien, c'est inédit. Et c'est très bien comme ça. Ça, c'est ce qui se joue aujourd'hui.
Ce que nous avons encore à faire, c'est de penser l'après. Ce n'est pas dans deux semaines, c'est peut-être dans un mois, deux mois, trois mois, comment nous referons partir nos économies. Aujourd'hui, on se maintient à flot, et on se maintient ensemble en étant solidaires. Et c'est très bien. Maintenant, la question, c'est comment on repart. Et c'est là, effectivement, où nous mettons, nous, France, avec le président de la République, avec Bruno Le Maire, énormément d'énergie. On est soutenu, on n'est pas tout seul du tout. Mais on met énormément d'énergie à bien faire comprendre qu'il n'y aura pas de sortie si chacun retourne à son chez-soi, à son repli nationaliste. Pourquoi ? Parce qu'évidemment que l'Allemagne a besoin des fournisseurs et des clients qui sont en France, en Espagne, en Italie. Les Pays-Bas aussi. Et donc, si juste après la crise sanitaire, si juste après ce moment où, pour l'instant, on se maintient à flot, il n'y a pas un travail collectif pour qu'on reparte tous ensemble, eh bien, cela ne peut pas marcher. C'est ce que nous essayons de faire comprendre.
Q - Mais cela ne marche pas ! Pardon de vous interrompre, Amélie de Montchalin. Parce qu'on l'a vu au dernier Conseil européen. C'est un non catégorique martelé ces derniers jours par les Pays-Bas, par l'Allemagne. Il n'est pas question, pour le moment, de mutualiser les risques. Ce qui retenu, pour le moment, par ces deux pays, c'est un schéma type 2008-2009 qui s'accompagnera de politiques d'austérité qu'on imposera aux pays qui auront trop emprunté pour traverser la crise.
R - C'est pour cela qu'on leur donne quinze jours. C'est pour cela que ce que je vous dis, c'est que nous ne considérerons pas qu'il est envisageable d'imaginer une sortie de crise, je ne vous parle pas de la gestion actuelle, mais je parle de la sortie de crise. Il ne nous semble ni efficace, ni concevable, ni rationnel de penser que nous pourrions nous en sortir autrement qu'ensemble.
C'est pour cela que je vous dis que le débat est d'abord politique. Les outils, il y a plein de façons différentes de mettre des moyens ensemble et de s'en sortir ensemble. Cela peut être un plan de relance européen, cela peut passer par la Commission. Il y a beaucoup d'outils techniques. Et cela, c'est un débat que les ministres des finances vont conduire dans les quinze prochains jours.
Mais le point politique principal, c'est : "nous ne pouvons pas nous exonérer de cette solidarité." Et ce que nous disons, c'est que si certains pensent qu'ils peuvent s'exonérer, cela aura des conséquences majeures sur le projet européen parce que, je vous le redis, si on est solidaire uniquement quand tout va bien, "ce n'est pas cher". Ce n'est pas comme ça que l'on veut travailler. On veut absolument que cette solidarité s'applique également au moment de la relance. Et si on est purement, même un peu, cynique, les pays qui nous disent qu'ils peuvent s'en sortir tous seuls, ce n'est juste pas possible, parce qu'économiquement nos destins sont liés, parce que nos économies dépendent les unes des autres, parce que nos entreprises ne peuvent pas fonctionner séparément si vous avez une partie de l'Europe qui fonctionne bien et une partie de l'Europe qui est à l'arrêt. On a trop vu cela depuis la crise financière. On l'a vécu à l'époque de manière très dure. Nous devons apprendre de cette expérience qui a été parfois malheureuse, pour bien comprendre qu'aujourd'hui, parce que le choc, parce que le virus est partout, il nous concerne tous, - personne n'est responsable, personne n'aurait pu faire différemment avant pour ne pas être exposé au virus, on le voit bien -, c'est pour cela que nous disons que c'est bien ensemble, par l'action commune que nous devons nous en sortir. Et donc, on met de la pression. Nous sommes très mobilisés, le président de la République l'a encore redit, très clairement, hier, c'est dans l'action et dans la solidarité que nous nous en sortirons et ce sera uniquement ensemble qu'on pourra le faire.
Q - Parmi les dogmes qui ont explosés avec cette crise, il y a celui de l'ouverture des frontières. Schengen est-il en danger ?
R - Il l'a été, effectivement, quelques jours où, un peu par sidération, un peu par précipitation, beaucoup de pays ont pris des mesures un peu désordonnées. Aujourd'hui les choses sont revenues à un fonctionnement qui est, je crois, coordonné. On a posé un certain nombre de principes. On a dit que les marchandises devaient absolument circuler parce qu'on ne pouvait pas ajouter une crise alimentaire à une crise sanitaire. Il fallait absolument que les biens alimentaires et les biens médicaux puissent circuler.
On a posé un deuxième principe, c'est que les travailleurs frontaliers, qui d'ailleurs souvent sont des travailleurs dans le secteur médical, devaient absolument continuer à pouvoir passer les frontières.
Et on a posé un troisième principe, c'est que chacun devait pouvoir rentrer chez lui, quel que soit son passeport. C'est-à-dire si vous êtes un Français qui habite en Autriche, vous avez le droit de rentrer en Autriche. Si vous êtes un Espagnol qui habite en France, vous avez le droit de rentrer chez vous, en France. On a réussi à le faire ensemble. On a aussi réussi à poser ensemble nos règles vis-à-vis du reste du monde, un Indien, un Brésilien, un Japonais... Voilà. Comment nos frontières extérieures étaient régulées, en ce moment, de fait, fermées, pour éviter qu'on importe et qu'on réexporte le virus.
Cela a pris un peu de temps, effectivement, il faut qu'on soit très vigilant, parce que c'est comme pour l'économie, si on se fixe des principes notamment de circulation des marchandises et de circulation des Européens, dans un espace, que quand tout va bien, là aussi, on voit que la solidarité, cela va avec une forme de responsabilité, pour les moments où c'est plus difficiles.
Q - Restons sur la question des frontières qui effectivement est fondamentale. Cette crise sanitaire nous oblige à repenser nos frontières, elle nous oblige à repenser notre souveraineté, surtout dans un monde qui nous apparaît tout à coup beaucoup, peut-être trop, globalisé. Est-ce qu'il n'y a pas un danger vis-à-vis des populistes ? Est-ce qu'en s'interrogeant sur ces sujets-là, ils n'ont pas déjà un petit peu gagné la partie ?
R - Je pense que les populistes gagneront la partie si on ferme les yeux sur les questions difficiles. Effectivement, à un moment donné, il fallait qu'on puisse faire appliquer un principe simple, c'est que les gens devaient rester chez eux. Quand on demande aux gens de rester chez eux, ce n'est pas pour les retrouver de l'autre côté de la frontière en train de se promener, parce que d'abord c'est faciliter la propagation du virus qui est ce contre quoi on se bat, et ce serait surtout incohérent de considérer que l'on ne se donne pas les moyens ensemble pour que ce virus arrête de circuler. Donc, à un moment donné, ce qu'il fallait éviter, c'est qu'effectivement, quand on demande aux Français des zones frontalières de rester chez eux, je vous dis, ce n'est pas pour les retrouver de l'autre côté de la frontière à ne pas respecter les règles. Donc, il fallait des contrôles, mais qui sont moins liés aux frontières elles-mêmes qu'à la nécessité de faire appliquer le confinement. Et donc, c'est ce que nous avons mis en place. Là où je vous rejoins, c'est que - et si certains disent "est-ce que l'Europe va mourir ou pas ?" -, je pense que ce que l'on doit faire, c'est montrer que l'on est crédible, qu'on est efficace, qu'on est utile, et que quand, face à un choc qui nous concerne tous, si on n'est pas capable d'agir ensemble, alors, là, oui, les populistes pourront gagner. Ce que je vois aussi, c'est que certaines grandes crises écologiques, migratoires, on les connaît et contrairement au virus, elles ne nous prennent pas par surprise. Et donc, si cette crise doit nous apprendre quelque chose, c'est qu'on ne doit pas s'exonérer de travailler là-dessus, dès qu'on pourra, dès que la crise sera derrière nous, parce que sinon, là aussi, ce sera notre crédibilité, notre utilité qui sera remise en question.
(…)
Q - La France compte 5 000 lits en réanimation, l'Allemagne en compte près de 30 000. L'Allemagne fabrique des tests, nous en avons très peu, on l'a vu. Comment expliquer un tel décalage entre ces deux pays européens, Amélie de Montchalin ? Et au fond, n'y a-t-il pas un défaut de coopération au sein du couple franco-allemand ?
R - Là aussi, vous l'avez entendu, le Premier ministre et Olivier Véran ont annoncé que nous visions d'avoir 14 000 à 15 000 lits de réanimation dans les tous prochains jours. Ensuite, la stratégie d'équipement des hôpitaux est différente, et là, c'est une compétence nationale. Ce que je vois, c'est qu'aujourd'hui l'Allemagne, je le redis, nous offre des lits supplémentaires, notamment dans les régions frontalières. Actuellement, des avions militaires allemands se posent sur les aéroports du Grand Est pour emmener des patients en Allemagne, ce qui montre que le couple franco-allemand fonctionne - vous savez, on signe des traités ; on a signé le traité d'Aix-la-Chapelle qui ouvre beaucoup de possibilités, dans notre coopération très concrètes -, je peux vous dire que cela fait dix jours que mon travail quotidien a consisté à passer ces traités, ces principes en réalités et aujourd'hui c'est extrêmement précieux. Vous pouvez voir tout ce que nous faisons localement dans les hôpitaux. Si nous n'avions pas cette coopération-là, je pense qu'il y aurait encore plus de difficultés. Et donc, oui, elle fonctionne, des respirateurs ont été livrés par l'Allemagne, encore hier, à la France. Ce couple franco-allemand, bien sûr il faut qu'on puisse réfléchir, peut-être après la crise, à mettre en commun nos bonnes pratiques. Il y a peut-être des choses qu'ici en France on va apprendre des choses qui seront utiles, d'ailleurs pour que les Allemands se préparent eux-mêmes puisque la vague, le pic, n'est pas encore arrivé chez eux. Et je tiens vraiment à les remercier.
(…)
Q - Merci, Amélie de Montchalin, d'avoir été notre invitée, aujourd'hui.
source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mars 2020