Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne (nos 2907, 2915).
Avant que nous commencions nos travaux, je voudrais vous rappeler qu'en cette période de crise sanitaire, 150 députés peuvent, à partir de cette semaine, se réunir dans l'hémicycle, selon une répartition proportionnelle aux effectifs des groupes.
Par ailleurs, les règles sanitaires que vous connaissez continuent naturellement à s'appliquer : nettoyage de l'hémicycle avant et après chaque séance, et des micros en cours de séance ; les orateurs sont invités à ne pas poser les mains sur les micros et à utiliser des micros différents ; les distances entre les participants doivent être respectées ; les entrées et les sorties sont échelonnées. Je vous rappelle enfin qu'il est demandé aux orateurs de s'exprimer depuis leur banc, et non à la tribune.
- Présentation -
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement.
M. Marc Fesneau, ministre chargé des relations avec le Parlement. Permettez-moi tout d'abord de remercier l'ensemble des membres de la commission spéciale chargée d'étudier ce texte pour la qualité des débats et des échanges, et pour le travail d'ores et déjà réalisé en commun. Je voudrais en particulier saluer la présidente Nathalie Elimas, ainsi que Guillaume Kasbarian pour l'important travail de coordination qu'il a mené en tant que rapporteur.
Notre pays sort progressivement du confinement : certains de nos enfants ont repris le chemin de l'école ; des commerces longtemps fermés ont rouvert leurs portes ; des salariés, qui étaient en télétravail ou en chômage partiel, ont pu rejoindre leur entreprise. Mais ne nous y trompons pas : ce n'est pas parce que nous reprenons quelque chose qui ressemblerait à une vie normale que la crise est derrière nous. Son ampleur est telle que ses conséquences seront lourdes, durables et diverses, pour nos concitoyens, nos entreprises, notre environnement, mais également notre administration.
Nous sortons de deux mois pendant lesquels le temps a été comme suspendu et nous devons continuer de nous adapter et de nous réorganiser, pour assurer au mieux la reprise progressive de nos activités, chacun dans nos domaines respectifs. C'est à ce souci d'adaptation et donc d'agilité, dans un contexte de grandes incertitudes, que répond ce projet de loi. À bien des égards, et à l'image de la situation que nous connaissons, celui-ci est exceptionnel.
Il est exceptionnel, tout d'abord, parce qu'il concerne un très grand nombre de périmètres ministériels, ce qui est assez rare et justifie ma présence parmi vous ce matin – même si plusieurs de mes collègues nous rejoindront au cours des débats. C'est bien parce qu'aucun secteur n'a été épargné par la crise liée à l'épidémie du Covid-19 que tous les ministères sont mobilisés : cette crise est en effet – pour reprendre l'expression de Marcel Mauss –, un fait social total : nul n'y échappe. C'est donc aussi un fait politique total. Je sais que certains regrettent que ce projet de loi soit, selon l'expression consacrée, un texte fourre-tout. Mais je ne suis pas certain que le dépôt de seize textes, soit autant de projets de loi que de périmètres ministériels concernés, eut apporté plus de lisibilité. De plus, organiser le calendrier parlementaire pour permettre leur examen par l'Assemblée nationale et le Sénat eut été une véritable gageure.
Il est exceptionnel, ensuite, dans la mesure où il comportait, avant son examen par la commission spéciale, vingt-huit habilitations à légiférer par ordonnance. Je n'ignore pas la sensibilité particulière qui s'attache au recours à l'article 38 de notre Constitution ; je la comprends d'autant mieux que j'ai été parlementaire, siégeant parmi vous, et qu'il pourrait m'arriver un jour de revenir sur vos bancs.
Le recours aux ordonnances est cependant pleinement justifié par l'incertitude entourant l'évolution de la situation économique, sociale, sanitaire et administrative à court terme. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Conseil d'État, dans son avis rendu public, a validé le procédé.
Le Conseil a toutefois relevé que certaines habilitations portaient sur des dispositions législatives brèves dont la rédaction ne posait pas de difficulté ou était déjà avancée. Nous nous sommes donc efforcés, en lien avec le rapporteur, d'inscrire ces dernières "dans le dur" lorsque cela était possible. À son initiative, huit dispositions ont ainsi déjà été incluses dans le projet de loi dès son examen en commission. Elles concernent la mise à disposition d'agents publics, le passage de certains d'entre eux en contrat à durée indéterminée, l'application d'accords d'intéressement dans les entreprises de moins de onze salariés, le fonctionnement du comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires ou des fédérations de chasseurs, mais aussi les volontaires internationaux en ambassade, les travailleurs saisonniers ou l'entrée en vigueur de certaines réformes dans le domaine de la justice.
De même, en vue de l'examen du projet de loi en séance publique, nous avons travaillé à y inclure les dispositions relatives à l'expérimentation des cours criminelles, à la réorientation des poursuites pénales, à l'allocation pour demandeurs d'asile, aux contrats courts, au droit à la retraite en cas d'activité partielle ou aux contrats de recherche. Votre assemblée s'en trouvera ainsi davantage éclairée.
Le sort de l'habilitation prévue au troisième alinéa de l'article 1er – qui devait permettre le report, au 1er janvier 2022 au plus tard, de l'entrée en vigueur de certaines réformes devant entrer en vigueur au 1er janvier 2021 – illustre parfaitement la démarche d'écoute du Gouvernement. Je n'ignore pas que d'aucuns jugeaient son champ d'application trop large et craignaient – pour ne pas dire suspectaient – qu'elle ne conduise à prendre du retard en matière de transition écologique ; cette habilitation sera purement et simplement supprimée après que les mesures qu'elle recoupait auront été ajoutées au texte même du projet de loi.
Certains critiqueront un texte dont on ne verrait pas la finalité d'ensemble. Ce sont pourtant des mesures de bon sens qui y figurent. Il s'agit en premier lieu d'assurer la continuité du service public grâce au maintien en service de certains militaires ou encore à l'augmentation du plafond de jours de mobilisation des réservistes de la police nationale. Le projet de loi prévoit aussi de faciliter et de sécuriser, en période de crise sanitaire, la mise à disposition d'agents publics au profit des établissements de santé publics sociaux et médico-sociaux, notamment des EHPAD.
Deuxièmement, le texte contient des mesures destinées à permettre de mener à bien des réformes que vous avez votées. En effet, l'administration a dû suspendre une partie de ses activités en raison du confinement ; en l'absence de travaux préparatoires, des réformes aussi importantes que celles du divorce ou de la justice pénale des mineurs doivent voir leur entrée en vigueur reportée pour pouvoir s'appliquer dans de bonnes conditions. En outre, le redémarrage de l'activité étant progressif, la question du rattrapage de plusieurs dossiers qui n'ont pu être traités pendant la crise se posera. Nous essayons d'y apporter des réponses, notamment en matière pénale.
Troisièmement, le projet de loi permet de faciliter la reprise de la vie économique et sociale tout en s'attachant à maintenir les dispositifs concernant les salariés. C'est la raison pour laquelle il prévoit la prorogation des contrats courts, la simplification du recours au prêt de main-d'œuvre ou encore la possibilité pour les travailleurs saisonniers déjà présents sur le territoire français d'y demeurer trois mois supplémentaires.
Ce projet de loi offre également plusieurs filets de sécurité. Je pense par exemple à la possibilité de constituer un fonds de soutien pour le secteur de la restauration à partir des contre-valeurs des titres restaurant émis pour l'année 2020. Il contient également des avancées pour les salariés, avec la possibilité d'un intéressement dans les entreprises de moins de onze salariés, la constitution de droits à la retraite dans le régime de base pour les salariés en position d'activité partielle ou bien encore le maintien des garanties de protection sociale complémentaire pour une durée pouvant aller jusqu'à six mois après la fin de l'urgence sanitaire.
Certaines dispositions dont l'urgence n'est pas directement corrélée à la crise du Covid-19 ont été placées au sein de l'article 2 ou transformées, en commission, en articles additionnels. Elles sont relatives à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires, au statut des volontaires internationaux en ambassade ou encore à la gestion des fonds européens par les régions. Les incertitudes pesant sur le calendrier parlementaire nous ont conduits à privilégier ce vecteur pour vous les présenter.
En effet, l'éventuel report des élections municipales – et donc des élections sénatoriales – impliquerait le dépôt et l'examen rapide de deux projets de loi. De plus, comme l'a dit le ministre de l'action et des comptes publics, nous pourrions avoir besoin d'un troisième projet de loi de finances rectificative, même si la date de son examen dépend évidemment de la reprise des activités économiques. Il faudra aussi soumettre au Parlement des mesures de relance. Enfin, à l'automne, vous le savez comme moi, il n'y a guère de temps à consacrer à autre chose qu'au budget. Ce projet de loi est donc pour nous l'occasion de proposer le nombre limité de mesures dont nous avons besoin.
Je sais que la mesure de trésorerie figurant à l'article 3 suscite toujours des interrogations de votre part. Mais il ne s'agit en aucun cas pour l'État de ponctionner les disponibilités placées sur le compte du Trésor : leurs détenteurs pourront les utiliser à tout moment. C'est le même mécanisme que celui qui est déjà à l'œuvre pour d'autres entités. Des concertations sont en cours avec les organismes publics ou privés chargés d'une mission de service public et concernés par la mesure. Il s'agit de permettre à l'État d'améliorer son coût de financement et de réduire sa charge d'intérêts. Toutes les entités publiques en tireront d'ailleurs bénéfice, puisque leur coût d'emprunt est en général fonction du coût de financement de l'État, augmenté d'une prime.
S'agissant enfin de l'article 4, qui concerne le Brexit, des explications vous seront données par Amélie de Montchalin, que je remercie d'être présente dès ce matin.
Telles sont donc les dispositions contenues dans le projet de loi qui vous est soumis. Elles sont commandées par l'urgence et le souci constant du Gouvernement de donner à notre pays les moyens d'affronter les conséquences de la crise et d'une manière générale, l'incertitude. Elles visent à répondre aux inquiétudes et aux besoins des entreprises et des salariés, à préserver l'activité d'organismes essentiels à la vie économique et sociale, à rétablir progressivement le fonctionnement de la justice, ce qui est attendu par les victimes comme par les justiciables, et enfin à satisfaire les besoins des étudiants, pour ne citer que ces quelques exemples. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM et quelques bancs du groupe MODEM.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des affaires européennes.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État chargée des affaires européennes. Le projet de loi qui vous est soumis comporte, comme vient de le rappeler Marc Fesneau, des dispositions permettant d'habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance diverses mesures rendues nécessaires pour tirer les conséquences de la fin de la période de transition, dans le contexte de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. Avant d'en venir aux détails des dispositions, je souhaite, car je le crois utile, faire le point sur le Brexit, car ce feuilleton, qui dure depuis maintenant plus de trois ans, est parfois difficile à suivre.
L'accord sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne est entré en vigueur le 1er février dernier. Il marque l'aboutissement de presque trois ans de négociations difficiles conduites par le négociateur de l'Union, Michel Barnier, à partir du déclenchement par le gouvernement britannique, en mars 2017, de l'article 50 du traité de l'Union européenne.
Cet accord préserve en particulier – et c'était notre priorité – les droits acquis des citoyens britanniques et européens, notamment leurs conditions de travail et de séjour. Ainsi, les citoyens français qui résidaient déjà au Royaume-Uni avant la fin de la période de transition pourront continuer d'y vivre, d'y travailler et d'y étudier dans les mêmes conditions que celles qui prévalent actuellement. Réciproquement, les citoyens britanniques qui résidaient déjà sur le territoire français bénéficieront des mêmes droits qu'aujourd'hui.
Notre mobilisation est désormais totale pour la construction du futur partenariat avec le Royaume-Uni et nous avons engagé le 2 mars dernier une nouvelle négociation, toujours sous l'égide de Michel Barnier. Elle doit aboutir d'ici à la fin de la période de transition prévue par l'accord de retrait, soit le 31 décembre ; mais nous savons que cette période peut être prolongée d'un ou deux ans à la demande du Royaume-Uni et avec l'accord de l'Union européenne.
Au cours de cette période de transition, l'accord de retrait prévoit que le droit de l'Union continue de s'appliquer dans sa quasi-totalité au Royaume-Uni. C'est un élément essentiel de protection pour nos entreprises et nos citoyens, car cela nous permet de nous préparer pour l'étape suivante, dans laquelle la situation sera nécessairement différente : à la fin de la période de transition, en effet, seuls s'appliqueront l'accord de retrait, qui est pérenne, et l'accord sur la relation future si nous parvenons à le conclure.
Notre objectif dans cette négociation est très clair. Nous souhaitons conclure avec le Royaume-Uni un accord ambitieux et équilibré, couvrant un vaste champ – comprenant entre autres le commerce, la pêche, les transports ou la sécurité – et préservant les principes et les intérêts de l'Union. Mais, vous le savez, construire une telle relation, équilibrée et ambitieuse, prend du temps et entraîne son lot de difficultés. Si à ce jour notre mobilisation est totale, je peux aussi vous dire que les incertitudes sont grandes. Elles le sont en premier lieu concernant le calendrier : les Britanniques nous placent face à une contrainte de temps inédite pour négocier et pour ratifier l'ensemble de ce futur partenariat. Il nous reste désormais moins de sept mois de discussions si nous devons nous en tenir à la durée prévue de la période de transition, soit jusqu'au 31 décembre 2020.
Le refus de toute prolongation de la période de transition n'est pas notre souhait, mais celui des Britanniques. Il s'agit d'un défi majeur, tant les sujets de la négociation sont complexes et nombreux. À cela s'ajoute la pandémie de Covid-19 qui nous a fait perdre un temps précieux. Les discussions, vous le savez, ont été suspendues pendant près de deux mois : elles ont repris depuis quelques semaines par vidéoconférence, dans des conditions nécessairement différentes de celles qui prévalent habituellement compte tenu des contraintes sanitaires, ce qui n'est pas sans conséquence sur leur rythme.
Le deuxième type d'incertitudes a trait au fond. Les négociations s'annoncent très difficiles tant les positions de départ sont éloignées. Les derniers échanges de l'équipe de négociation dirigée par Michel Barnier avec les Britanniques, au cours de la semaine du 24 avril, ont été peu constructifs. Les principaux sujets de divergence demeurent la pêche, la gouvernance et, surtout, les conditions d'une concurrence équitable. Notre objectif, confirmé par Michel Barnier, est de tout faire pour défendre le mandat que les États membres lui ont confié le 25 février. Il est pour nous hors de question de céder à l'approche sélective des Britanniques ; nous souhaitons, au contraire, nous assurer que les négociations progressent au même rythme sur tous les sujets et pas uniquement sur ceux qui relèvent de leurs seuls intérêts.
Je vous le dis clairement parce que ces sujets représentent des enjeux importants dans chacune de vos circonscriptions : nous ne sacrifierons pas les intérêts des pêcheurs, des agriculteurs, des entreprises et des citoyens pour signer un accord dans les délais et aux conditions imposées par les Britanniques. Il est de notre devoir de nous préparer, comme nous l'avons fait pour la négociation sur l'accord de retrait, à tous les scénarios, y compris celui d'une absence d'accord à la fin de la période de transition. Tel est l'objet de la demande d'habilitation présentée par le Gouvernement à l'article 4 du projet de loi.
Je vais maintenant vous présenter en détail l'approche retenue par le Gouvernement pour demander cette habilitation.
En premier lieu, le dispositif proposé se fonde sur le modèle de celui prévu par la loi d'habilitation de janvier 2019, adopté à l'époque pour nous préparer à l'hypothèse d'une sortie sans accord du Royaume-Uni de l'Union européenne. Il tient bien évidemment compte de l'évolution du contexte, et les différences résultent principalement de l'entrée en vigueur de l'accord de retrait.
L'article 4 porte sur trois ensembles de sujets : ceux non couverts par l'accord de retrait ; les questions qui se poseraient sur la relation future en cas d'absence d'accord à l'issue de la période de transition ; des situations particulières non encore identifiées mais qui pourraient survenir – comme on le dit souvent, gouverner, c'est prévoir, et prévoir, c'est anticiper –, d'où le besoin de disposer d'une marge de manœuvre.
En tout état de cause, la démarche de la France respecte pleinement les compétences et l'action de l'Union européenne dans le cadre de la négociation. Nous avons totalement confiance en Michel Barnier, que nous remercions pour l'énergie et la persévérance qu'il met dans ce travail.
Certains sur ces bancs s'interrogent sur la nécessité de légiférer par ordonnance : l'habilitation est nécessaire pour adopter rapidement des mesures qui s'imposent, dans un contexte qui évolue rapidement et compte tenu des contraintes qui pèsent sur le déroulement et l'issue de la négociation. Le Gouvernement doit être en mesure de protéger sans délai les personnes et les entreprises qui pourraient pâtir de l'effet couperet de la fin de la période de transition. Personne ici ne peut, me semble-t-il, contester ce besoin de protection. Le Parlement aura bien sûr l'occasion d'exercer son contrôle et continuera d'être informé, aussi souvent que nécessaire, de l'état des négociations avec le Royaume-Uni.
Des députés ont, en commission, critiqué la durée de l'habilitation. Je veux vous le dire solennellement : nul n'a l'intention de dessaisir le Parlement de ses prérogatives. Vous connaissez mon attachement, tout comme celui de Marc Fesneau, aux prérogatives de cette assemblée, notamment celles de contrôle, et à l'importance du travail parlementaire. Vous connaissez également mon engagement à défendre les intérêts de tous les Français dans cette négociation. Il n'y a pas de bon accord conclu dans la précipitation, et nous préférons un bon accord dans dix-huit, vingt ou trente mois à un accord insatisfaisant à la fin de l'année.
Vous le savez, le choix d'étendre la période de transition revient aux Britanniques, et compte tenu de l'état d'avancement de la négociation et en dépit du fait qu'ils s'y refusent pour le moment, personne ne peut exclure cette hypothèse. C'est pourquoi la période d'habilitation doit être suffisamment longue pour couvrir une possible extension de la période de transition – sachant qu'aux termes de l'article 132 du traité, celle-ci peut être reconduite pour un ou deux ans. Ainsi, même en cas de prolongation, le Gouvernement pourrait prendre par ordonnance les dispositions nécessaires. En outre, en choisissant une période d'habilitation correspondant au moins à l'allongement d'un an de la période de transition, nous pourrions montrer aux Britanniques que la négociation ne s'arrêtera pas le 31 décembre à minuit si le projet d'accord ne respecte pas les limites que nous avons fixées.
J'en viens maintenant aux mesures précises contenues dans l'article d'habilitation.
La première, sur la circulation des personnes et des marchandises, est destinée à assurer la continuité du trafic dans le tunnel sous la Manche même en l'absence d'accord à l'issue de la période de transition. Certes, notre objectif est de maintenir un cadre de gestion unifié, tel que prévu par le traité de Cantorbéry, mais si la négociation ne pouvait aboutir, il nous semblerait nécessaire de prévoir, au moins à titre temporaire, la compétence de l'Autorité nationale de sécurité ferroviaire.
La deuxième disposition concerne la circulation de matériels de défense exportés vers le Royaume-Uni. Nous allons bien entendu préserver le régime de contrôle de ces exportations, soumises à une autorisation préalable, mais les licences dites de transfert de ces matériels au sein de l'Union européenne deviendront, au titre du droit français, des licences d'exportation pour tenir compte de la perte de la qualité d'État membre du Royaume-Uni. Cette mesure est essentielle à la bonne circulation des marchandises exportées par la France vers le Royaume-Uni : comme vous le savez, les relations en matière de défense avec un État tiers relèvent de nos compétences souveraines, ne sont pas régies par l'accord de retrait et doivent faire l'objet de mesures adaptées.
Le troisième type de dispositions de l'article 4 s'inscrit dans une perspective de stabilité financière et vise à protéger les assurés et les épargnants. Nous souhaitons sécuriser les conditions d'exécution des contrats en cours et inciter au transfert de ceux-ci vers des entités agréées au sein de l'Union européenne. Le but est de protéger les assurés français, en sécurisant leurs contrats d'assurance – notamment d'assurance-vie – souscrits durant la période de transition auprès d'organismes britanniques, mais également les épargnants français, l'éventuel maintien temporaire de l'éligibilité de certains titres nécessitant des dispositions législatives.
Enfin, l'article 4 contient des dispositions protectrices pour les ressortissants britanniques en France, destinées à leur garantir la poursuite de certaines activités que le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne pourrait mettre en péril. L'habilitation est rédigée de façon à couvrir des situations qui n'auraient pas été encore identifiées. En effet, même si la très grande majorité des sujets sont traités par l'accord de retrait, ou le seront par celui portant sur la relation future, nous ne pouvons pas exclure qu'émergent des sujets résiduels appelant une intervention à l'échelle nationale. Par définition, nous ne les connaissons pas encore, mais il nous semble important de permettre à certaines professions, dont les conditions d'exercice sont soumises à l'appartenance à l'Union européenne, comme les avocats, certains experts-comptables, des architectes ou des médecins, d'assurer la poursuite d'activité de sociétés dont le capital social est détenu au Royaume-Uni. L'objectif est, là aussi, de préserver des situations existantes.
Nous sommes engagés dans une négociation sans précédent. Grâce à nos efforts collectifs et à votre soutien, nous sommes parvenus à franchir une première étape, celle d'une sortie ordonnée du Royaume-Uni de l'Union européenne. Le Gouvernement n'a d'ailleurs pas eu à faire usage de l'habilitation que vous lui aviez confiée en janvier 2020. Avec vous, je forme le vœu que nous trouvions un accord ambitieux avec le Royaume-Uni d'ici à la fin de la période de transition. Avec vous, je forme le vœu que nous n'ayons pas à utiliser l'habilitation que je vous demande de nous donner aujourd'hui. Mais je vous dis solennellement qu'il faut nous préparer à toutes les éventualités et protéger les Français face à l'incertitude du Brexit. Le Gouvernement aura à en rendre compte devant cette assemblée, et je suis bien sûr prête à venir aussi souvent que nécessaire et que vous le jugerez utile pour vous tenir informés de l'état d'avancement de la négociation. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 18 mai 2020