Déclaration de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes, sur les résultats du Conseil européen du 23 avril 2020, à l'Assemblée nationale le 27 avril 2020.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Audition devant la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Il est trop tôt pour tirer tous les enseignements de la crise, mais on voit que l'Union européenne (UE) a manqué de préparation et qu'elle n'a pas réagi assez tôt : elle a d'abord été impuissante face aux mesures unilatérales qui ont été prises par certains Etats, notamment la fermeture des frontières. Des actes de solidarité tangibles, en particulier vis-à-vis de l'Italie, ont suivi, mais tardivement, après une période de sidération collective d'une dizaine de jours.

Depuis, un certain nombre de choses ont bien fonctionné : la réaction de la Banque centrale européenne (BCE), la recherche commune d'un vaccin pour laquelle 150 millions d'euros ont été débloqués très rapidement, le retour de plus de 50.000 ressortissants européens grâce au mécanisme européen de protection civile, la mobilisation de moyens financiers pour les systèmes de santé les plus en difficulté et les régions ou encore les mesures de marché, notamment pour le lait et la viande, et les flexibilités exceptionnelles qui ont été décidées dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). Il faut aussi rappeler que la Commission n'a pas de compétence directe en matière de santé : elle ne peut assurer qu'une coordination entre les Etats membres, mais elle fait tout ce qu'elle peut et le Conseil de l'UE est particulièrement mobilisé.

La priorité de la réunion de jeudi dernier était d'élaborer ensemble une stratégie de sortie de crise.

S'agissant du déconfinement, dans la mesure où le virus n'a pas touché tous les Etats membres de la même manière, nous attendons non pas une harmonisation parfaite mais une coordination. Il faut éviter que les mesures prises chez les uns aient des conséquences négatives chez les voisins, et une deuxième vague de propagation du virus. Les actions menées doivent notamment être cohérentes au sein des bassins transfrontaliers - nous avons engagé une coordination dans ce domaine avec nos voisins. L'interopérabilité des applications mobiles, dans le respect des règles européennes en matière de protection des données, fait partie des questions qui se posent. Les ministres chargés du numérique se réuniront bientôt autour des commissaires européens concernés.

Le deuxième grand sujet était la relance économique. Elle doit permettre d'avancer en matière d'autonomie stratégique et de solidarité avec les secteurs et les régions les plus touchés. Beaucoup de progrès ont déjà été réalisés : l'Eurogroupe a pu se mettre d'accord sur le soutien au chômage partiel dans le cadre de l'initiative SURE, sur le recours à la Banque européenne d'investissement (BEI) pour faciliter le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux entreprises de taille intermédiaire (ETI), et sur l'activation du mécanisme européen de stabilité (MES) pour des Etats qui auraient des difficultés à se refinancer sur les marchés, sans mesures additionnelles de conditionnalité. La création d'un fonds de relance, défendue par notre pays, a fait l'objet d'un consensus jeudi dernier. Des discussions techniques vont avoir lieu sur les besoins d'investissement par secteurs, sur le mode de financement et sur la compatibilité de cet outil avec les politiques européennes préexistantes, notamment le pacte vert et l'agenda numérique. Il faut un instrument suffisamment puissant, reposant sur un endettement commun - non parce que nous aimerions la dette mais parce que cela permet d'avoir très rapidement des moyens à la hauteur des besoins - et cohérent avec nos ambitions en matière de transformation et d'autonomie.

Par ailleurs, la France soutient sans réserve les efforts de la Commission pour surveiller la compatibilité des mesures adoptées au plan national avec le respect de l'Etat de droit et des libertés fondamentales. Nous avons demandé que le Conseil reste saisi de cette question.

Enfin, nous pensons qu'une conférence sur l'avenir de l'Europe a plus que jamais sa pertinence pour associer les citoyens à une réflexion sur la manière dont nous pourrions être plus souverains, plus solidaires et plus réactifs au niveau européen.

(Interventions des parlementaires)

Les échanges que vous avez prévus avec des membres du Parlement européen sur l'Etat de droit sont une bonne nouvelle pour l'avènement d'une culture commune telle que la souhaitent plusieurs Etats membres, dont la France.

L'organisation de la conférence sur l'avenir de l'Europe proposée par le Parlement européen laisse trop de côtés les parlements nationaux. Ils doivent y compter suffisamment de représentants pour permettre des allers-retours entre les citoyens, le Parlement européen et les parlements nationaux.

La relance doit être organisée par grands secteurs d'activité, en poursuivant deux objectifs : assurer l'unité du marché intérieur et son fonctionnement en évitant que les mesures nationales, peut-être légitimes, ne créent trop de différences entre Etats membres ; assurer notre compétitivité future et notre capacité d'exportation. La Chine et les Etats-Unis soutiennent massivement certaines de leurs industries et innovations ; nous devons faire de même. La transition écologique tient un rôle central dans notre manière de penser ce redémarrage et de faire fonctionner le marché intérieur.

À l'égard de l'Afrique, les enjeux sont de plusieurs ordres. Du point de vue sanitaire, la protection des populations africaines est essentielle à la santé mondiale, car il sera très difficile d'arrêter la pandémie tant que des foyers actifs de contagion se maintiendront. Du point de vue humanitaire, la pandémie peut aggraver les difficultés des populations réfugiées ou déplacées, très nombreuses sur le continent. Du point de vue de la recherche, il s'agit d'assurer à tous les pays un accès aux traitements et aux vaccins futurs, en adoptant pour le Covid-19 une démarche analogue à celle du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Du point de vue économique, la dégringolade des prix des matières premières est un risque pour la stabilité des pays qui en dépendent, nombreux en Afrique. Le Conseil européen a décidé de consacrer spécifiquement 15 milliards d'euros à la lutte contre le coronavirus en Afrique et au soutien des systèmes sanitaires.

Je m'occupe assidûment de la situation à la frontière avec l'Allemagne, en lien avec les autorités et élus de chacun des deux côtés, afin d'assurer la coordination alors que nos économies se rouvrent progressivement. Il s'agit de permettre à la main d'oeuvre de se rendre sur les lieux de travail et aux marchandises de circuler, dans le respect de conditions sanitaires strictes. Le même travail est mené avec mes homologues belges, luxembourgeois, suisse, italien et espagnol.

Nous cherchons à simplifier les procédures d'accès au fonds d'urgence de 37 milliards d'euros ainsi qu'aux fonds régionaux, afin qu'ils soient distribués aussi largement que possible.

La réponse économique de l'Union européenne s'est déployée sous trois formes : des mesures budgétaires exceptionnelles ; un assouplissement des règles sur les aides d'Etat, qui nous a permis de mettre en oeuvre le plan de soutien d'Air France et tous les mécanismes proposés par les régions ou Bpifrance ; l'extension des capacités de garantie et le couplage des subventions et des prêts par la Banque européenne d'investissement et toutes les banques d'investissement publiques. Sans doute faudra-t-il aller plus loin pour couvrir toutes les demandes.

En matière d'Etat de droit, la France a fait entendre sa voix, mais nous devons respecter pleinement le jeu des institutions européennes. La Commission est garante des traités, et peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne - elle l'a fait à propos de l'organisation judiciaire en Pologne. La France a proposé de signer une déclaration de soutien des Etats membres à la Commission ; elle a été suivie par dix-neuf pays. La Commission nous fera part de ses observations sur l'instauration de l'état d'urgence et ses mesures d'application, et si des manquements sont relevés, nous y travaillerons. La Commission travaille aussi de plus en plus étroitement avec le Conseil de l'Europe et ses différents organes en matière de surveillance électorale, d'organisation judiciaire et de respect des libertés fondamentales.

La subsidiarité suppose de déterminer, secteur par secteur, les initiatives qui doivent se décider de manière coordonnée, au niveau européen.

La multiplicité des instruments offre la possibilité d'apporter la réponse la plus massive possible à cette crise violente, mais aussi d'orienter les politiques. Le dispositif SURE peut être compris comme une capacité d'emprunt à taux bas, mais c'est aussi une incitation forte pour que chaque pays prenne des mesures de soutien à l'activité partielle.

L'endettement national est nécessaire pour soutenir l'activité partielle et le fonctionnement d'un certain nombre de services publics, qui permettent de limiter l'ampleur de la crise. La relance, quant à elle, passera par des transferts directs, car le niveau d'endettement des pays limitera leur capacité à investir.

Pour déterminer s'il s'agit d'endettement en commun - un transfert - ou d'une dette qui pèsera sur le budget des Etats - un prêt -, il faut considérer selon quelle clé de répartition l'argent levé sur les marchés financiers sera remboursé. Plus les modalités de remboursement seront fondées sur la solidarité, plus nous nous approcherons d'un transfert.

Le principal rôle de la BCE est de racheter les obligations d'Etat sur le marché secondaire pour maintenir les écarts de taux d'intérêt entre les pays dans des proportions raisonnables. Des prêts directs aux Etats pour investir ne sont pas possibles en vertu des traités, et ils ne sont pas nécessaires pour l'instant. Je ne m'exprimerai pas sur l'annulation des dettes détenues par la BCE ; je préfère me concentrer sur son action immédiate.

Les mesures de soutien du secteur agricole vont être validées par le Conseil et le Parlement européens dans les plus brefs délais, avec effet rétroactif au 1er avril. Elles incluront une aide au stockage privé pour les produits laitiers et les viandes, et assoupliront certains programmes sectoriels. Par dérogation au droit de la concurrence, les interprofessions et les organisations de producteurs pourront prendre des décisions concertées pour stabiliser les marchés du lait, des fleurs et des pommes de terre.

(Interventions des parlementaires)

Le principe du fonds de relance est acquis ; ce qu'il reste à définir, ce sont les modalités techniques, qui dépendent des choix politiques. Elles seront différentes selon que ce fonds sera intégré ou non au budget européen. Le montant en est déjà arrêté : 540 milliards, pour financer le chômage partiel, le soutien aux PME et l'activation du mécanisme européen de stabilité.

Nous devons maintenant bâtir un fonds de reconstruction. La France souhaite qu'il soit identifié comme tel et qu'il s'élève à 1000 milliards d'euros environ, remboursables sur quinze ou vingt ans et de manière solidaire entre les Etats membres quelque montant qu'ait reçu chacun sous forme de transferts. Ce fonds devrait soutenir l'unité du marché intérieur, en partant des besoins sectoriels et en cohérence avec le pacte vert et l'agenda numérique ; il financerait tant le maintien en vie de nos entreprises que les innovations technologiques de nature à assurer notre souveraineté européenne, dans l'esprit, par exemple, du pacte européen pour les batteries.

S'agissant du déconfinement, l'harmonisation entre pays européens n'est ni possible, ni souhaitable, parce que tous n'ont pas été également touchés par le virus ; nous devons nous coordonner pour éviter une deuxième vague. Cela implique de réfléchir aux flux de personnes et de marchandises et à la reprise du trafic aérien. Le calendrier fera l'objet d'une discussion entre les différents ministres de l'intérieur lorsque chaque Etat aura défini sa propre stratégie de déconfinement. La Commission européenne a proposé des principes directeurs de bon sens : réciprocité des mesures, proximité de la situation sanitaire des pays qui rouvrent leurs frontières, cette réouverture se faisant par étapes.

La crise révèle la nécessité, dans certains domaines vitaux, comme la médecine ou le numérique, de ne pas dépendre de l'extérieur. La nécessité de cette autonomie stratégique a été actée par le Conseil européen, elle devra être suivie de la création d'acteurs publics et du soutien d'acteurs privés, notamment grâce au règlement européen sur la protection des actifs stratégiques, qui vise à limiter les investissements de pays non européens dans certaines entreprises. Désormais, il ne s'agit plus, aux yeux de nos partenaires, d'une lubie protectionniste de la France.

Tous les Etats européens sont censés garantir les coupons remis par les compagnies aériennes. En cas de faillite de l'une d'elles, il faudrait réévaluer la valeur de ces coupons.

S'agissant du déploiement du fonds de relance en matière de santé, nous avons obtenu que le premier plan de la Commission européenne pour lutter contre la crise, le CRII, soit déployé avec souplesse pour tenir compte de la singularité française, et qu'il bénéficie aux territoires qui en ont le plus besoin. Nous veillons aussi à faire entrer des actions sociales menées par les départements - aide à l'enfance, distribution alimentaire - dans le champ sanitaire.

Pour trouver un compromis au niveau européen, il importe de ne pas passer en force pour que les mécanismes que nous introduisons soient jugés légitimes partout en Europe. Il faut entendre les résistances et expliquer notre action si nous ne voulons pas faire le jeu des populismes.

Le sommet entre l'Union européenne et les pays des Balkans aura bien lieu la semaine prochaine, en visioconférence. Nous souhaitons qu'il débouche sur un vrai plan économique, pour que notre relation avec ces pays ne se limite pas à la seule question juridique de l'élargissement. Le but est de simplifier et de rendre plus cohérents et efficaces la quarantaine de mécanismes de coopération économique, culturelle et universitaire qui existent déjà avec eux.

Nous avons effectivement simplifié le recours aux aides dans le secteur de la pêche. La question du report des quotas se posera quand nous rouvrirons les activités de pêche. Le virus n'a pas arrêté les négociations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne au sujet du Brexit, et Michel Barnier a tenu la semaine dernière une nouvelle session de négociations. La crise n'a pas changé les priorités européennes : la gouvernance, la garantie d'une concurrence loyale, la conclusion d'un accord commercial complet et un accord sur la pêche. Ces quatre questions sont interdépendantes ; nous ne signerons pas d'accord commercial si nous n'avons pas d'accord sur la pêche.

Le Royaume-Uni a jusqu'au 30 juin pour demander l'allongement de la période de négociations. La France n'y verrait aucun inconvénient si cela permet d'aboutir à un bon accord. Je veux vous assurer de l'unité des Vingt-sept sur cette question. Il faut trouver une manière commune de gérer cet espace et la ressource, d'un point de vue à la fois économique et environnemental, les deux aspects étant inséparables. La France tient à la cohérence du cadre de négociations et de l'accord final.

S'il y a un domaine où la souveraineté et l'autonomie stratégiques s'imposent, c'est bien la défense. Le fonds européen de défense est toujours une priorité et la Commission européenne n'entend pas sacrifier ce secteur essentiel qui crée des emplois et de l'innovation, et qui nous permet de nous imposer comme une puissance dans le monde.

Il faut que la relance se fonde sur les besoins d'innovation et de compétitivité, secteur par secteur. Nous avons trouvé un accord européen sur le principe d'un fonds de relance, et c'est essentiel, mais celui-ci ne pouvait pas sortir du chapeau en quelques jours : il faut prendre le temps de réfléchir aux réorientations qui s'imposent et aux priorités que nous voulons mettre en avant.

Q - M. Christophe Jerretie - La prise de participation de l'Etat dans les entreprises stratégiques qui a eu lieu en France est-elle évoquée au niveau européen ?

R - Ce qui est évoqué, c'est l'élargissement du champ des aides d'Etat pour soutenir les entreprises. Margrethe Vestager a elle-même indiqué qu'il fallait aussi éviter la prise de contrôle d'entreprises en difficulté par des investisseurs non européens. Nous devons veiller à ce que les entreprises innovantes qui font l'identité de l'Europe restent européennes. Le règlement européen sur la protection des actifs stratégiques devrait entrer en application dans quelques mois, mais la Commission européenne a recommandé aux Etats de l'appliquer par anticipation. Nous y travaillons en France.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 2020