Interview de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, à CNews le 20 mai 2020, sur la crise qui touche fortement le secteur automobile, le dispositif de chômage partiel et la reprise progressive d'activité d'un certain nombre d'entreprises.

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Média : CNews

Texte intégral

GERARD LECLERC  

Bonjour Muriel PENICAUD, merci d'être avec nous.

MURIEL PENICAUD
Bonjour Gérard LECLERC.

GERARD LECLERC
RENAULT envisage de fermer trois usines et d'arrêter la production automobile dans l'usine emblématique de Flins. Près de 4 000 emplois sont concernés. RENAULT qui bénéficie aujourd'hui même d'un prêt bancaire garanti par l'Etat de 5 milliards d'euros. Quelle est votre réaction ?  

MURIEL PENICAUD
Ma réaction d'abord, c'est qu'il ne faut pas se précipiter sur les rumeurs.  Il est vrai que le secteur de l'automobile aujourd'hui est très frappé par la crise et avait déjà des difficultés avant puisqu'il doit engager, il a engagé un virage vers l'électrique, vers le véhicule autonome. Donc c'est un secteur qui est en plein bouleversement et d'ailleurs d'ici une quinzaine de jours, le gouvernement avec notamment Bruno LE MAIRE annoncera un plan de soutien à l'automobile. Dans ce contexte-là, il y a la situation particulière de RENAULT et je vais vous dire, si des décisions qui doivent être prises, elles seront d'abord annoncées et discutées avec les organisations syndicales qui représentent les salariés. Je crois qu'il faut donner la primauté au dialogue social et donc je ne commenterai pas, tant que le Comité social et économique ou le conseil d'administration se soient réunis.   

GERARD LECLERC
RENAULT quand même ne dément pas. RENAULT a dit qu'il n'écartait pas il y a déjà quelques temps des suppressions d'emplois. Le plan de 5 milliards garantis par l'Etat ne prévoit pas de clause sur les suppressions d'emplois. C'est normal ?

 MURIEL PENICAUD
Je crois que le plan garanti par l'Etat, il a été mis en place comme le chômage partiel dès le début par le gouvernement, dès le début de la crise épidémique, parce que sinon on aurait eu des faillites d'entreprises, on aurait eu des catastrophes en matière d'emploi immédiatement. Après il y a les sujets structurels. Encore une fois, l'automobile est un secteur qui se transforme, qui doit se transformer. RENAULT a des difficultés, on le sait, et donc c'est normal aussi qu'il y ait un plan de soutien à cette structure et que toutes les solutions doivent être envisagées. Mais je serai évidemment extrêmement attentive au dialogue social et aux conditions sociales s'il doit y avoir des éléments de restructuration.  

GERARD LECLERC
Mais l'idée donc que l'on puisse fermer des usines, ce n'est pas illogique vues les difficultés de l'automobile selon vous.

MURIEL PENICAUD
Je pense qu'il faut d'abord regarder le dossier économique et le dossier social et sur cette base-là, trouver la meilleure solution pour sauvegarder le plus d'emplois possible.  Mais quand un secteur est en difficulté, il faut regarder aussi les choses en face et je crois qu'après, c'est la qualité du projet, du projet industriel pour avoir un avenir pour RENAULT, et puis la qualité du projet social qu'il faudra évaluer et sur lequel, évidemment, l'Etat aura son mot à dire.  

GERARD LECLERC
Muriel PENICAUD, où en est-on du redémarrage de l'économie ? On a l'impression qu'il est un peu lent, qu'il est poussif. Est-ce qu'on sait combien de salariés ont effectivement repris le travail ? Combien sont encore au chômage partiel ? Ils étaient 12 millions et demi il y a un mois.

MURIEL PENICAUD
Alors en termes de demandes, les entreprises aujourd'hui ont un stock de demandes, si j'ose dire, qui concerne 11,4 millions de Français, donc c'est un peu moins qu'avant. La décrue a commencé. Après, moi j'ai demandé à la DARES, le service Statistiques du ministère du Travail, de faire une enquête auprès des entreprises directement pour savoir combien de salariés sont effectivement au chômage partiel. L'enquête à fin avril dont les résultats seront publiés ce matin montre qu'en avril, il y en avait 8,6 millions. Donc je crois que là, on est le plus proche possible de la réalité. Alors il y a une reprise de l'activité, on le voit dans le bâtiment. Ce n'est pas encore partout mais on le voit. L'industrie, ça progresse. J'étais hier à TOYOTA près de Valenciennes qui a repris entièrement sa production, et c'est intéressant parce que pourquoi ils ont pu le faire ? Parce qu'ils ont un dialogue social exemplaire et qu'avec les organisations syndicales majoritaires, ils ont discuté la mise en place des conditions de santé et de sécurité. En fait le chômage partiel, le retour à l'activité est très lié aux sujets de santé de sécurité parce qu'on peut repartir au travail, à condition que ça se passe bien. Et aujourd'hui l'estimation, c'est qu'il y a environ toujours un salarié sur 5 qui est en chômage partiel ; quatre ou cinq. Ça, ça n'a pas changé. Et il y en a un sur trois qui a repris physiquement le travail les dernières semaines.  

GERARD LECLERC
Vous avez annoncé qu'à partir du mois de juin, le chômage partiel serait réservé seulement à certains secteurs qui ne peuvent pas reprendre, comme le tourisme, la restauration. Or les syndicats et le patronat vous mettent en garde. Ils disent que si on débranche trop tôt ce chômage partiel, ça pourrait être une catastrophe pour beaucoup d'entreprises. Vous les entendez ?  

MURIEL PENICAUD
Alors d'abord, je l'ai redit, on ne va pas supprimer le chômage partiel pour les autres secteurs. Evidemment s'il y avait un couperet, ce serait très dangereux pour l'emploi.  Au fur et à mesure que l'activité reprend, le chômage partiel décroît, c'est normal. Parce que le chômage partiel, c'est quoi ? C'est l'Etat qui paye les salaires du secteur privé. Donc il est normal que l'activité reprenant, c'est l'entreprise qui réactive le contrat de travail et qui paye les salaires de ses salariés - heureusement - on va vers ça. Mais on va le faire progressivement. Donc dans tous les secteurs, on pourra continuer du chômage partiel pour une partie des salariés. Par contre le niveau de remboursement de l'entreprise ne sera plus à 100 % comme aujourd'hui.  Ça fait plus de deux mois que les salaires sont entièrement payés par l'Etat, jusqu'à quatre fois et demie du SMIC par le ministère du Travail. Donc il y aura un début de reste à charge pour les entreprises, sauf bien sûr les secteurs qui aujourd'hui ne peuvent pas redémarrer : hôtellerie, restauration, tourisme, les secteurs qui sont là directement impactés ou ceux qui dépendent d'eux complètement.  

GERARD LECLERC
Les conditions sanitaires sont-elles partout assurées ? Est-ce que vous pouvez le contrôler ? Et puis qu'est-ce qu'on fait avec les abattoirs ? On a vu plusieurs clusters dans les abattoirs en France comme en Europe. Est-ce qu'il ne faut pas tester systématiquement les salariés et revoir peut-être les conditions de travail ?  

MURIEL PENICAUD
Alors d'abord avec l'emploi, ma deuxième priorité ex-aequo, c'est vraiment la santé des salariés. On peut reprendre l'activité mais il faut le faire dans des conditions sanitaires irréprochables. Encore une fois ce que j'ai vu hier à TOYOTA ou dans un chantier du bâtiment la semaine dernière en Ile-de-France, c'est que quand les conditions sont réunies, les salariés sont sécurisés, l'employeur aussi, et on peut travailler. Alors c'est contraignant, il y a des protocoles. Il faut se laver les mains, la distanciation, parfois les masques, ça dépend des métiers. C'est contraignant mais je crois que tout le monde l'accepte. Et dans les entreprises que je visite, tout le monde l'accepte volontiers parce que ça sauve les vies et ça sauve tout le monde.  Après c'est un énorme travail. On a déjà publié un protocole de déconfinement et 64 guides qui sont réalisés par le ministère du Travail avec les professions, avec les partenaires sociaux, avec le ministère de la Santé. Et d'ailleurs j'ai demandé un peu de renfort sur ce sujet parce qu'on a beaucoup, beaucoup de travail pour assurer partout la santé des salariés et donc Laurent PIETRASZEWSKI, qui est secrétaire d'Etat aux retraites auprès du ministre des Solidarités et de la santé, va être aussi pour une partie de son temps, de façon exceptionnelle pour cette période, auprès de moi pour contribuer et m'aider sur cette multiplication des guides des bonnes pratiques et de veiller à la bonne santé des salariés dans tous les secteurs. Alors à chaque fois qu'il y a une alerte, il y a une alerte immédiatement et il y a des enquêtes. Donc il y a aujourd'hui des alertes ; à ce moment-là, l'ARS, l'inspection du travail vont sur site, font une enquête pour agir rapidement. Ce que je constate, c'est dans la très grande majeure partie des entreprises, les conditions aujourd'hui sont réunies. Mais encore une fois, ça dépend souvent du dialogue social. Parce que lorsqu'on a un bon dialogue social, on fait quoi avant de redémarrer ou de rouvrir un nouvel atelier ou un chantier ? On discute avec les salariés, avec les organisations syndicales du protocole du bâtiment, de la coiffure ou des chauffeurs livreurs. On discute de ce protocole qui est édité, qui est la référence, et puis on regarde comment on le met en place concrètement. Comment on fait des pauses plus nombreuses, une organisation du travail différente, des horaires décalés, les masques ou les tests. Alors tout ça se met en place grâce au dialogue social sur le terrain, grâce au protocole, mais il faut être très rigoureux là-dessus. La pandémie n'est pas terminée, l'épidémie n'est pas terminée donc il faut être très vigilant. On peut travailler en sécurité mais il faut respecter les guides.   

GERARD LECLERC
Et donc sur les abattoirs, il n'y a pas pour l'instant de mesures particulières qui sont prises.   

MURIEL PENICAUD
Alors les abattoirs, il y a eu effectivement plusieurs alertes. Il y a deux clusters aujourd'hui reconnus dont un où, après enquête de l'ARS et de l'inspection du travail, le préfet a décidé la fermeture par sécurité et l'autre qui est en cours d'enquête. Donc à chaque fois qu'il y a un cluster qui se révèle quelque part, il y a enquête immédiate, on teste et on agit ou test et on agit. Ça peut vouloir dire isoler évidemment les salariés concernés ou ceux qui doivent être en quatorzaine. Et dans des cas extrêmes, quand les cas sont nombreux, ça peut être aussi de fermer un site. On mettra toujours la santé en priorité. Ce n'est pas négociable : la santé sera au-dessus de tout.  

GERARD LECLERC
Beaucoup redoutent ou annoncent même des vagues de licenciements. On parle de tsunami. Comment l'éviter ? Est-ce qu'il ne faut pas, par exemple, rediscuter les plans de sauvegarde de l'emploi ? Peut-être aussi revoir certaines dispositions de la loi travail ?  

MURIEL PENICAUD
Alors d'abord, je crois qu'on peut dire que depuis le mois de mars, on aurait pu connaître déjà des vagues de licenciements. Si on n'avait pas modifié assez profondément, élargi, amplifié le chômage partiel qui était un dispositif qui existait avant, il y aurait des centaines de milliers, peut-être des millions de Français qui auraient perdu leur emploi depuis mi-mars. Je crois que pour la première phase, l'arme massive contre les pertes d'emploi, contre les vagues de licenciements, c'était et c'est le chômage partiel.  Ça a permis à plus de 12 millions de salariés au total, qu'on cumule sur l'ensemble de la période, d'avoir leur emploi conservé. Je rappelle que quand on est au chômage partiel, on n'est pas au chômage malgré le mot courant. Son contrat de travail est suspendu, l'Etat paye les salaires mais on garde son contrat. Donc quand l'activité reprend, l'entreprise dit juste : revenez, je vous rémunère et maintenant vous…

GERARD LECLERC
Est-ce qu'il ne faut pas aller plus loin ?  

MURIEL PENICAUD
Maintenant on entre en phase deux. Voilà, vous avez raison. Maintenant on entre dans une deuxième phase, c'est la reprise. Dans la reprise, c'est clair que l'emploi va être une de nos fortes priorités et donc, on est en train de travailler. J'ai commencé les discussions avec les partenaires sociaux là-dessus pour avoir leur avis et puis les discussions avec beaucoup d'acteurs de terrain.  On a eu hier par exemple une réunion téléphonique sur l'apprentissage qui va être un des gros sujets, je pense, parce que c'est l'espoir pour la jeunesse d'avoir des métiers passionnants et un avenir, donc ça va faire partie du sujet emploi. Donc il y a toute une série de mesures dans le cadre du plan de relance qui concerneront l'emploi sur lequel nous travaillons au sein du gouvernement et avec les partenaires sociaux. C'est encore un peu tôt pour les annoncer parce qu'on y travaille mais ça viendra assez vite.  

GERARD LECLERC
« Devrons-nous accepter de travailler plus pour surmonter la crise » titre ce matin Le Figaro. Effectivement pour faciliter la reprise, est-ce qu'il ne faut pas permettre aux entreprises d'assouplir les 35 heures comme vous allez le faire à l'hôpital ? C'est ce qu'a annoncé Olivier VERAN.   

MURIEL PENICAUD
Alors d'abord, le premier sujet pour moi, mon obsession c'est que les 12 millions de personnes qui ont été à un moment donné en chômage partiel, toutes retrouvent leur travail. C'est-à-dire qu'il y ait du travail pour tous. Ça, c'est la priorité. Après il y a des entreprises qui sont en sous-activité, donc c'est là où il y a une préoccupation. Il faut qu'on les accompagne. Puis il y en a qui sont en surchauffe. Elles ne sont pas très nombreuses mais il y a certains secteurs déjà en surchauffe. Là dans le secteur privé, le droit du travail permet beaucoup de souplesse, ce qui n'existe pas aujourd'hui à l'hôpital, d'où la volonté d'Olivier VERAN de pouvoir permettre aux salariés qui le souhaitent de pouvoir par exemple faire des heures supplémentaires de façon plus facile qu'aujourd'hui.  Dans le secteur privé, il y a déjà deux outils principaux. On peut négocier dans l'entreprise une répartition du temps de travail qui n'est pas toujours la même toute l'année. Ça s'appelle l'annualisation. Mais on peut travailler plus à un moment et moins à un autre. Donc ça, il y a déjà des négociations en cours dans les entreprises. Et puis deuxièmement, il y a un quota d'heures supplémentaires sans charges sociales pour les salariés qui existe et qui est déjà de 220 heures par an par salarié, et même plus dans certaines branches. Evidemment avec le confinement, ce quota d'heures supplémentaires qui est autorisé il n'a pas eu lieu. Donc en fait, on peut tout de suite dans une entreprise se mettre d'accord pour travailler plus s'il y a un coup de chauffe compte tenu de la reprise. Et je crois que là encore une fois, il faut faire confiance au dialogue social. Les outils existent, il faut les utiliser s'il y a besoin et on a permis aussi que, par ordonnance, que s'il y a un accord avec les partenaires sociaux dans l'entreprise, on puisse… Pendant le confinement, on a pu prendre des congés, ce qui est libère du temps de travail pour après. Donc je crois que l'arsenal juridique, il est là dans le secteur privé et que simplement, il faut vraiment en discuter dans l'entreprise s'il y en a besoin. Si c'est clé pour l'entreprise, oui pourquoi pas, mais il faut en discuter. Priorité au terrain, au pragmatisme et au dialogue social.

GERARD LECLERC
Très brièvement Laurent PIETRASZEWSKI, vous nous avez dit, vous rejoint. Est-ce que c'est la confirmation que la réforme des retraites est abandonnée ?  

MURIEL PENICAUD
Alors il va continuer à suivre le sujet des retraites auprès d'Olivier VERAN mais le président de la République et le Premier ministre l'ont déjà annoncé : la réforme des retraites, elle est suspendue. Pour l'instant évidemment dans ce contexte, on ne peut pas mener cette réforme dans le contexte là d'urgence sanitaire. Je crois que tout le monde le comprend. Donc il a un peu plus de temps que prévu et donc c'est très bien, il va venir renforcer la capacité d'action sur la santé au travail. Et je lui souhaite la bienvenue.

GERARD LECLERC
Merci

Muriel PENICAUD.  
Bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 mai 2020