Interview de Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes, à RFI le 30 avril 2020, sur les conséquences de la crise du coronavirus pour les femmes et les filles dans le monde.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Marlène Schiappa - Secrétaire d'État à l'égalité entre les femmes et les hommes

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

FRÉDÉRIC RIVIERE 
Bonjour Marlène SCHIAPPA.

 MARLENE SCHIAPPA 
Bonjour. 

FREDERIC RIVIERE 
Vous avez souhaité alerter, dans une note publiée par la Fondation Jean Jaurès, sur le poids et les menaces que fait peser le confinement sur les femmes à travers le monde, mariages forcés, violences sexuelles, inégalités économiques, difficultés d'accès à l'interruption volontaire de grossesse, les femmes sont-elles, en quelque sorte, les oubliées de la crise ? 

MARLENE SCHIAPPA 
Ecoutez, moi ce que j'observe c'est qu'en tout cas ce sont les femmes qui sont le plus à risque, d'abord dans les périodes de crise de façon générale, mais dans les pandémies également, et là nous avons la conjugaison d'une pandémie et d'une crise économique mondiale, manifestement, qui se profile, et donc oui, ce sont les femmes et les petites filles qui vont en pâtir le plus fortement et ce partout dans le monde, sans exception. 

FREDERIC RIVIERE 
Pour quelle raison le confinement aggrave-t-il les choses dans tous les domaines que j'ai évoqués, les mariages, les violences sexuelles, les inégalités économiques ? 

MARLENE SCHIAPPA
 Il y a plusieurs raisons. Il y a des faits qui paraissent évidents, comme l'augmentation des violences conjugales, sur lequel nous avons alerté très tôt et qui hélas s'est avéré être une réalité, les violences intrafamiliales de la même manière également, mais de manière peut-être moins évidente cette pandémie elle va avoir un impact sur le risque de mariages forcés, sur le risque de grossesse précoce des petites filles, et ça on peut le voir puisqu'on a le retour d'expérience d'Ebola, de Zika, l'école en fait c'est un bouclier pour les petites filles partout dans le monde. Il y a des pays, notamment des pays d'Afrique, dans lesquels une grande part des filles, avant l'âge de 18 ans, sont mariées, ce sont les données de la Banque mondiale, et l'école empêche, en général, ou en tout cas contribue à empêcher les mariages précoces, et vient en soutien du travail mené par les gouvernements et par les ONG dans ces pays-là. Quand l'école est fermée, avec en plus une crise économique, et donc une inquiétude économique, il y a des familles dans lesquelles le réflexe sera d'organiser un mariage, pour une fille, avant l'âge de 18 ans, et une fois que la jeune fille, la petite fille est mariée, voire qu'elle est enceinte, elle ne retourne pas à l'école. Et puis par ailleurs il y a une menace sur les droits sexuels et reproductifs des femmes, on le voit en Pologne ou dans des Etats des Etats-Unis comme le Texas, l'Ohio et d'autres, il y a une instrumentalisation de la pandémie pour mettre à l'agenda un programme anti-foi pour empêcher les femmes d'avoir accès, notamment à l'avortement. 

FREDERIC RIVIERE 
Oui, c'est la raison pour laquelle vous dites que, y compris dans des pays développés, l'accès à l'avortement est rendu aujourd'hui plus difficile. 

MARLENE SCHIAPPA 
Oui, bien sûr, c'est le constat fait par plusieurs ONG, notamment canadiennes, qui pointent du doigt le fait qu'il y a évidemment des attaques contre les droits sexuels et reproductifs manifestes, de la part du mouvements politiques réactionnaires, mais que également, dans les pays plus progressistes, elles citent le Canada, mais en France on s'organise justement contre ça, il peut y avoir une difficulté d'accès à l'avortement, soit parce qu'il y a une difficulté de transport, quand vous habitez dans une zone rurale ça devient plus compliqué, c'est pourquoi le gouvernement français a mis en place des téléconsultations avec les sages-femmes et les médecins, mais aussi parce qu'il peut y avoir des dénis de grossesse, il y a des effets psychologiques du confinement et de la pandémie sur les femmes, il y a des dérèglements de cycle chez certaines d'entre elles, ce qui fait qu'elles peuvent parfois mettre plus de temps à se rendre compte qu'il y a un début de grossesse. 

FREDERIC RIVIERE 
Vous parlez, Marlène SCHIAPPA, du poids des traditions dans les difficultés que rencontrent les femmes en cette période de confinement, poids des traditions renforcé, dites-vous, dans ce moment qui impose une forme de repli au fond. 

MARLENE SCHIAPPA 
Exactement, c'est ce que l'on observe, et un certain nombre de sociologues se sont penchés là-dessus, on observe, notamment la consultante française Marie DONZEL le souligne, un retour, une tentation de se replier vers des traditions, ce qu'elle appelle à un réflexe conservateur, et il y a une sociologue à l'université de Kent, (…), qui évoque pour sa part un retour à la femme au foyer des années 50, une forme d'assignation à des rôles stéréotypés, à la faveur à la fois du confinement, parce que renvoyer les femmes et les hommes au foyer ça n'a pas le même sens historique, il y a trois générations en France les femmes ne pouvaient pas sortir travailler sans l'autorisation de leur mari, et il y avait cet idéal de la bonne ménagère qui fait le ménage, etc., et ça, ça se voit encore. Une étude allemande a montré que le télétravail, les femmes utilisent plus la souplesse du télétravail pour des tâches ménagères, les hommes plus pour le temps libre, et une étude française, que j'ai commandée à Harris, montre que dans 63 % des familles ce sont les femmes qui ont fait la totalité des repas, de la famille, depuis le début du confinement. 

FREDERIC RIVIERE 
Oui, et le confinement est aussi, selon vous, un facteur d'aggravation des inégalités économiques, pour quelle raison ? 

MARLENE SCHIAPPA 
Absolument. D'abord, on peut citer la question de la précarité, et notamment du travail dit au noir, ou du travail dit dans un secteur informel. Il y a des pays d'Afrique dans lesquelles plus de 70 % des femmes qui sont actives, sont actives dans le secteur informel, c'est quelque chose qu'on observe aussi dans les pays d'Europe. Il y a beaucoup de femmes, un tiers environ du travail dit non déclaré, c'est du travail accompli exclusivement par les femmes, femmes de ménage, garde d'enfants, etc., et donc ça crée une véritable…ça renforce une précarité, puisque par définition le travail non déclaré on ne cotise pas et donc on ne bénéficie pas des mécanismes de sécurité, ni d'aucune garantie de retrouver son emploi. Mais par ailleurs, y compris pour les femmes qui ne sont pas en situation de précarité, il y a un impact sur la trajectoire professionnelle des femmes, plusieurs féministes américaines alertent sur cette question, le télétravail ne se produit pas dans les mêmes conditions pour les femmes et pour les hommes dès lors qu'il y a des enfants, et c'est un risque véritable pour la carrière des femmes, notamment pour les femmes chefs de petites entreprises, qui sont moins présentes dans les réseaux statistiquement, qui ont moins accès à l'information, or en période de crise économique l'accès à l'information, savoir quels dispositifs existent, comment je peux me faire aider, l'accès aux réseaux de solidarité c'est fondamental pour faire survivre votre petite entreprise. 

FREDERIC RIVIERE 
Vous dites, Marlène SCHIAPPA, qu'au-delà du confinement, dont on évoque depuis tout à l'heure le poids et les menaces sur les femmes, le déconfinement luimême va représenter un danger pour les femmes. 

MARLENE SCHIAPPA
 Oui, je le crois, je pense qu'après… d'abord on peut partager le constat que statistiquement dans le monde une très faible part des gens qui ont déjà agressé sexuellement ou violé une femme sont effectivement en prison, c'est vrai pour tous les pays du monde, incluant la France, donc ça veut dire qu'il y a des agresseurs sexuels qui ont été en confinement pendant 2 mois et qui vont sortir, et cela conjugué à un sentiment d'impunité, c'est ce qui nous remonte du terrain des associations, il y a beaucoup de femmes qui sont agressées ou harcelées, l'agresseur dit « oui, mais nous sommes en période de pandémie, les forces de l'ordre ont autres choses à faire, etc. », ce qui n'est pas la vérité, puisque le ministère de l'Intérieur, notamment en France, avec Christophe CASTANER, est très engagé, mais il y a ce sentiment d'impunité, et il peut y avoir, conjugué à cela, une forme de décompensation collective, avec un certain nombre de conduites à risques induites, notamment de la part des agresseurs. Une ONG indienne a par exemple documenté que la consultation de sites pornographiques se faisait avec des mots clés de plus en plus violents, et de plus en plus gores, à mesure que le confinement avance, ça veut dire qu'il y a une représentation de la sexualité et du rôle des femmes, dans la sexualité, de plus en plus stéréotypée et de plus en plus « objectifiée. » 

FREDERIC RIVIERE 
Cette crise risque-t-elle de faire reculer finalement profondément la cause des femmes ? 

MARLENE SCHIAPPA 
C'est un vrai risque, c'est un vrai risque, et j'alerte justement par ce rapport publié à la fondation Jean Jaurès, mon objet, mon but pardon, c'est justement d'alerter, parce qu'en période de crise économique, eh bien toutes les grandes entreprises qui habituellement financent les grands événements, mobilisations pour les droits des femmes, peuvent se retrouver en difficulté, et on voit qu'il y a plusieurs événements, que nous devions retenir, le Mexique et la France co-organisaient, sous l'égide d'ONU-Femmes, le Forum Génération égalité en 2020, il est repoussé en 2021, donc nous y travaillons bien sûr, mais il faut vraiment une vigilance accrue sur les questions de diplomatie féministe. 

FREDERIC RIVIERE 
Merci Marlène SCHIAPPA, merci, bonne journée. 

MARLENE SCHIAPPA 
Merci à vous également. 


Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 mai 2020