Texte intégral
Q - Amélie de Montchalin, secrétaire d'Etat chargée des affaires européennes, est avec nous. Bonjour.
R – Bonjour.
(…)
Q - Les frontières, avant de parler de la Commission européenne et de la décision des aides en Europe, les frontières, quand est-ce que nous allons pouvoir circuler librement à l'intérieur de l'espace Schengen, en Europe, nous citoyens ?
R - Alors, on souhaite que ce soit, j'allais dire, le plus rapidement possible, dès que la situation sanitaire le permettra…
Q - Oui, ça c'est comme le fût du canon.
R - C'est-à-dire que comme la situation, on l'a vu, la crise sanitaire a touché différents pays de manière différente, d'abord l'Italie, l'Espagne, puis nous, puis d'autres. On a besoin de se protéger contre une deuxième vague, c'est pour cela que d'ailleurs, en France, on a toutes ces mesures, ces barrières sanitaires.
Le but c'est qu'effectivement on puisse rétablir la circulation au sein de l'espace européen, qui est un espace de libertés, et on s'est donné un rendez-vous le 15 juin. Christophe Castaner l'a indiqué encore récemment et donc j'espère que nous pourrons, à cette date-là, à cet horizon-là, rouvrir pour que les uns et les autres puissent circuler.
Mais la clé, ce n'est pas moi qui vous dis ce qu'il faut faire, théoriquement, ce qu'il faut faire c'est que sur le terrain on ait une circulation du virus qui soit suffisamment comparable de part et d'autre pour que cela ne présente plus de risque que les uns et les autres circulent. Aujourd'hui, voyez, en France, on se restreint à cent kilomètres, ce n'est pas le moment de se dire qu'on va aller faire, les uns et les autres, du tourisme à mille ou deux mille kilomètres de chez soi.
Q - D'accord, mais, Amélie de Montchalin, pendant le confinement on n'a pas vu beaucoup de prises de décisions européennes, au niveau européen, collectives, j'aimerais, les citoyens européens que nous sommes, nous aimerions que pour le déconfinement l'Europe soit un peu plus unie et solidaire !
R - Jean-Jacques Bourdin, moi, depuis deux mois et demi, mon combat quotidien cela a été de s'assurer que dans les bassins de vie transfrontaliers, où vous avez des centaines de milliers de Français qui vont travailler de l'autre côté de la frontière, vous avez des Françaises, des Français, qui sont infirmiers ou aides-soignants au Luxembourg, il fallait qu'ils puissent aller travailler, vous avez des Allemands qui viennent travailler tous les jours chez nous.
Et donc, mon combat c'était que dans ces bassins de vie très particuliers que sont les zones transfrontalières, nous puissions faire circuler les travailleurs, les frontaliers, et que nous avons d'ailleurs pu très récemment, aussi nous assurer que dans la vie familiale, aller rendre visite à un proche qui est dans un EHPAD de l'autre côté de la frontière, aller rendre visite à ses enfants, tout cela, cela se passe déjà, parce que c'est vital, c'est humain. Et c'était normal, pendant cette crise, que ces frontières ne soient pas des barricades, ne soient pas des forteresses, mais qu'on laisse ces bassins de vie vivre, c'est déjà le cas.
Donc l'étape d'après c'est qu'effectivement, au-delà des cent kilomètres, si cette restriction est levée, eh bien, cela sera cohérent, à ce moment-là, et on espère pouvoir se donner rendez-vous le 15 juin, qu'on aille plus loin et qu'on puisse circuler plus librement.
Q - Donc, à partir du 15 juin, probable circulation de tous les citoyens en Europe, dans l'espace Schengen, encore une fois !
R - Alors, nous, nous travaillons avec nos voisins, et donc moi...vous savez, on a neuf pays voisins de la France.
Q - Oui, alors les neufs pays, vous me dites à partir du 15 juin, si tout... encore une fois, si la situation sanitaire avance correctement.…
R - L'objectif qu'on s'est fixé c'est que, au 15 juin, on puisse regarder la situation, et l'objectif qu'on a c'est qu'on puisse effectivement, à ce moment-là, si la situation sanitaire le permet, rétablir une plus grande fluidité à nos frontières.
Q - Fluidité, cela veut dire que cet été, probablement, on pourra partir en vacances en Espagne, en Italie, ou les Italiens, les Espagnols, les Allemands, les Hollandais pourront venir chez nous.
R - Les Italiens ont déjà dit qu'à partir du 3 juin ils accueillaient les Européens, les Espagnols ont dit qu'à partir du 1er juillet, si la situation sanitaire le permettait, ils étaient prêts à accueillir les touristes…
Q - Nous aussi ?
R - Et donc nous on prépare les choses. Aujourd'hui, le Premier ministre, avec le président de la République…
Q - C'est-à-dire que nous aussi ?
R - Nous, on aimerait bien, on n'a aucune théorie qui nous empêcherait…
Q - Non, mais d'accord, mais les Italiens, eux, c'est oui, les Espagnols aussi, mais nous, toujours pas, pourquoi ?
R - Parce que c'est un objectif et que je pense qu'on fait les choses par étapes et que cela ne sert à rien de dire, il y a trois mois, " on espère le faire un jour ". On essaie de donner des dates crédibles et donc la date qu'on a tous en tête c'est le 15 juin. Il faut que cela puisse être confirmé par la situation sanitaire à nouveau.
Q - Le 15 juin. Bien, Amélie de Montchalin, on va parler des aides dans un instant, on va faire un peu de pub…
R - Le plan de relance, vous voulez dire.
Q - Oui, des aides... enfin, plan de relance, c'est soit subventions, soit aides, on va en parler.
R - Il y a, bien sûr, tout cela dans le plan.
Q - Oui, quarante milliards pour la France, c'est le chiffre ?
R - Un peu plus, parce que cela peut être même un peu plus que cela, on peut y revenir.
Q - Evidemment qu'on va y revenir Amélie de Montchalin, dans deux minutes, à tout de suite. (...) Amélie de Montchalin est avec nous, secrétaire d'Etat chargée des affaires européennes. Amélie de Montchalin, la Commission européenne a présenté son plan de relance hier, 750 milliards d'euros, 500 milliards distribués sous forme de subventions, et 250 milliards sous forme de prêts, cela veut dire quoi ? Subventions, cela veut dire que l'argent ne sera pas remboursé, et prêts cela veut dire... Si ? Non? Oui ou non ?
R - Il sera remboursé plus tard, quand on en aura les moyens, après 2028. Ce qui compte dans cette affaire c'est que, au départ, il y a une initiative franco-allemande, je pense que cela sera l'un des moments les plus marquants de ce quinquennat. Parce que c'est un des moments où on a eu un changement de paradigme, où par la volonté, par la persévérance, par le courage aussi d'Angela Merkel, du président de la République, eh bien, on a posé un acte fort, celui de prendre conscience que, d'abord, on dépendait les uns des autres et que les anti-européens, qui nous disent que l'Europe ne fait jamais rien, eh bien, en fait, quand on a la volonté, on peut la faire avancer.
Donc, hier, la Commission européenne a présenté ce qu'elle retirait à la fois de cette initiative franco-allemande et de ce qui était nécessaire aujourd'hui pour l'Europe.
Ce qui est nécessaire aujourd'hui pour l'Europe c'est que, nous dépendons les uns des autres, c'est comme cela qu'on a construit notre prospérité, dans les années passées. Aujourd'hui aucun pays ne peut s'en sortir seul, aucune entreprise en Europe ne peut s'en sortir seule.
Cela veut dire quoi ? Cela veut dire que quand vous êtes une entreprise française et que vous avez des clients et des fournisseurs dans un autre pays européen, vous ne pouvez pas, même si l'Etat français qui fait déjà beaucoup de choses vous aide massivement, si vos clients, parce qu'ils sont Allemands, Italiens, Espagnols, Slovaques ou je ne sais quoi, s'ils ne vous passent pas de commandes, cela ne marchera pas.
Et donc, on a une prise de conscience très forte que l'on dépend les uns des autres et que c'est une force. Maintenant, il faut en tirer les conséquences, et les conséquences c'est qu'il nous faut un plan de relance solidaire, il faut que cela soit, effectivement, des subventions…
Q - Oui, unanimes, il faut que les 27 pays de l'Union européenne soient unanimes, ils ne le sont pas pour l'instant, Amélie de Montchalin, quatre pays résistent.
R - Angela Merkel a dit quelque chose de très fort, elle a dit "il n'y a pas d'Allemagne forte dans une Europe faible." Je pense que tous les pays, tous les dirigeants aujourd'hui…
Q - Mais il n'y a pas que l'Allemagne, quand même !
R - L'Allemagne, si elle le dit, c'est qu'elle prend bien conscience que, malgré sa force, elle ne peut pas s'en sortir sans l'Europe. Aujourd'hui, vous savez, un pays comme la Suède, pour l'instant est très prudent, pour ne pas que…
Q - Oui, pour l'instant elle est contre ce plan, enfin elle y est opposée.
R - En tout cas elle n'a pas dit qu'elle était d'accord. La Suède, vous savez, c'est un pays, il n'y a pas eu de confinement en Suède, il y a quand même une baisse du PIB attendue de plus de 7%…
Q - Il y a eu beaucoup de morts.
R - C'est un pays qui exporte, si les pays, vers lesquels les entreprises suédoises exportent ne repartent pas, la Suède ne repartira pas, même si son gouvernement est riche et même si son gouvernement met de l'argent sur la table. Donc, aucun pays n'est une île en Europe, on vit tous les uns avec les autres.
Et donc, ce qu'on va faire dans les prochains jours, pour avoir un accord le plus vite possible - on a, normalement, un Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement le 18 juin -, c'est qu'on arrive à convaincre par la réalité. On n'a pas le luxe, là, d'être dans des débats théoriques, de dogmes, la réalité c'est que nous sommes tous dépendants les uns des autres, et c'est pour cela que ce plan, aujourd'hui, a été présenté. Il a été initié par la France et l'Allemagne, par le président de la République et par Angela Merkel. Ensuite, la Commission européenne prend ses responsabilités. Tous les dirigeants, tous les citoyens, toutes les entreprises, se rendent bien compte que personne ne peut s'en sortir seul.
Q - Amélie de Montchalin, l'Italie bénéficierait de 172 milliards, sur ces 750, la France de moins de 40 milliards, c'est cela ? L'Espagne 140, environ ?
R - Mais Jean-Jacques Bourdin, je viens de vous dire on dépend les uns des autres. Si on n'aide pas l'Italie à la hauteur de ce que la crise sanitaire a créé comme choc économique en Italie, nous on ne repartira pas non plus. La zone la plus touchée en Italie c'est la zone avec laquelle on échange tout le temps.
Q - Oui, tout le Nord de l'Italie.
R - C'est tout le Nord de l'Italie industrielle. Nos entreprises, partout en France, en dépendent, et donc je ne vais pas vous dire il faut qu'on fasse des plus et des moins, ce n'est pas cela le combat, le combat c'est comment on repart tous ensemble, de quoi on a besoin pour qu'on reparte tous ensemble.
On travaille pour tous les Européens, et d'ailleurs on travaille pour tous les Français, parce que je peux vous dire que si autour de nous tout le monde est en décrépitude, si on a des situations sociales, économiques très difficiles en Italie, en Espagne, la France ne repartira pas.
Q - Mais à quoi vont servir ces 40 milliards en France ?
R - Ils vont servir à aider les grands investissements, dans le plan automobile, dans le plan tourisme. Tous les plans qu'on annonce ils vont être financés avec une cohérence européenne parce que l'on veut réussir la transition du véhicule propre, on veut réussir la transition du secteur aéronautique. Ils vont aussi financer, peut-être, la réforme du système de santé, le fameux Ségur de la santé qu'on vous annonce. Il y a des investissements qu'il va falloir que l'on fasse. Et donc, derrière, c'est comment à la fois on reconstruit, mais c'est aussi comment on prépare l'avenir.
Parce que ce qu'a annoncé aussi la Commission européenne, Ursula von der Leyen, hier, c'est à la fois ce fonds de relance, reconstruire dans l'urgence, mais c'est aussi un budget européen jusqu'en 2027, parce qu'après le rebond il faut qu'on puisse investir…
Q - Et les 3%, c'est fini ça, les critères de Maastricht, c'est fini, tout ça ?
R - En ce moment cela ne s'applique pas.
Q - Ils ont disparu.
R - Le budget européen qui est présenté, c'est un budget qui va créer notre souveraineté industrielle, technologique, numérique, parce que, face à la Chine, face aux Etats-Unis, si on est juste dans le rebond de court terme et après on se dit c'est bon, on n'est pas crédible non plus.
Donc, c'est un combat à la fois, voyez, de court terme, comment on sort de la crise, et c'est un combat de long terme, comment on est pertinent, comment on est crédible, comment on est souverain, et la souveraineté cela veut dire comment on est compétitif, comment on peut se défendre, face à la Chine, face aux Etats-Unis.
Q - 2700 milliards, plan de relance américain, 1000 milliards, plus de 1000 milliards au Japon…
R - Si vous faites la somme de ce qu'on a fait en Europe, il y a un budget de plus de 1000 milliards d'euros, il y a du soutien pour le chômage partiel, pour les entreprises, pour les recapitaliser, pour le financement des Etats, de 540 milliards. Hier on a encore annoncé 750 milliards, on est à plus de 1300 milliards d'urgence, plus l'action de la BCE, plus le budget européen. Donc, aujourd'hui, ce qui manque, ce n'est pas la volonté, ce n'est pas l'ambition, c'est maintenant, il va falloir qu'on puisse, réellement, mettre cet argent sur la table, au bon endroit, et repartir.
Q - Au bon endroit, oui, qu'il soit efficace.
R – Exactement.
Q - Pour faire repartir l'économie. Merci beaucoup, Amélie de Montchalin.
R - Je vous remercie.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 mai 2020