Texte intégral
Q - Bienvenue ce matin sur Europe 1 et bonjour à vous, Amélie de Montchalin.
R - Bonjour.
Q - Nous allons largement évoquer l'actualité européenne du jour (...). C'est un sommet européen crucial. Est-ce qu'un accord sur le plan de relance avant l'été, c'est possible ou c'est illusoire ?
R - C'est nécessaire. Aujourd'hui, tous les pays européens font face à la crise que l'on connaît. Tous les pays, toutes les entreprises, tous les salariés voient que nous avons besoin de relancer notre économie. On a besoin de protéger nos emplois, on a besoin de relancer notre économie, on a besoin de construire l'avenir.
Q - Oui, mais il faut aller vite pour avoir le plus d'impact sur la relance économique, d'où ma question, avant l'été, c'est possible ?
R - Et donc on n'a pas le choix. Si ce plan de relance européen sur lequel on se bat, sur lequel le président de la République, sur lequel la chancelière Merkel, sur lequel la Commission européenne, sur lequel une majorité aujourd'hui d'Etats européens est d'accord, si on n'est pas capable d'avoir cet argent pour la relance au moment de la relance, on n'est pas à la hauteur de nos responsabilités. Vous savez le président, cela ne fait pas trois mois, trois semaines qu'on se bat, cela fait trois ans qu'il a pris à bras-le-corps ce combat, ce combat d'une Europe forte qui nous protège et donc on a fait un chemin. Regardez, en quelques mois, on a fait un chemin immense.
Q - Non, mais maintenant l'enveloppe, Amélie de Montchalin, 750 milliards, très concrètement, est-ce que ce sont des prêts qui devront être remboursés ou bien des subventions, des transferts ?
R - L'accord franco-allemand qui est inédit, qui est historique, et qui nous donne beaucoup de force, c'est 500 milliards de subventions budgétaires pour aider les régions les plus touchées, pour aider les secteurs les plus touchés à repartir.
Q - Subventions, dites-vous, mais moi, j'ai entendu le Premier ministre suédois qui est très clair, il ne parle que de prêt et qui dit prêt dit remboursement !
R - Mais de toute façon, il n'y a pas d'argent magique ; l'argent, on le remboursera. Ce qu'on dit, c'est que si on s'endette ensemble, si on lève de l'argent ensemble, si on investit partout en Europe là où c'est le plus nécessaire, eh bien, il faudra qu'on rembourse, le moment venu, pas demain, on est en train de parler d'après 2028, quand l'économie ira mieux et qu'on rembourse comment ? Nous, en France, on pense qu'il faut que l'on le rembourse avec des ressources européennes, avec des choses qui nous permettent de gagner en justice fiscale - la taxe Gafa -, avec des choses qui soient cohérentes avec notre transition écologique.
Q - Vous êtes favorable avec un impôt européen pour rembourser la dette, comme le dit d'ailleurs le Commissaire Thierry Breton ?
R - Je ne parle pas d'un impôt européen, je ne parle pas d'aller taxer encore plus les ménages et les entreprises, mais on a aujourd'hui en Europe des gens qui bénéficient, au fond, de notre prospérité européenne : les Gafa. On a, à nos frontières, à créer ce qu'on appelle une frontière verte parce qu'on ne peut pas imposer, nous, à nos entreprises ...
Q - Attendez, mais rien n'est sûr ; rembourser comme ça, c'est ne pas être sûr de rembourser, si vous attendez tout cela ?!
R - Non, mais d'abord sur ces sujets-là, ça progresse vite parce que tous les Etats européens comprennent bien qu'on ne peut pas être souverain, on ne peut pas être indépendant, on ne peut pas réussir notre transition écologique si on se laisse remplir de biens qui sont produits à l'autre bout du monde sans nos normes !
Q - Attendez, tous, tous les pays européens, citons les pays dits "frugaux", maintenant on les connaît, les Pays-Bas, le Danemark, l'Autriche, la Suède qui redoutent, alors ils ne sont pas contre, Amélie de Montchalin, aider évidemment mais ils redoutent que les aides soient mal utilisées et que tout cet argent soit dépensé en vain. Franchement, est-ce qu'ils ont tort ?
R - Ils ont raison sur un point, c'est qu'il n'y a pas d'argent qui va refaire fonctionner tout seul le système. Tous les pays aujourd'hui du Nord, du Sud, de l'Est, de l'Ouest, cette crise a montré des fragilités, elle a montré qu'on avait des choses à réformer, pas parce que Bruxelles nous l'imposerait, mais parce qu'on voit bien que cette crise, elle nous montre que parfois ....
Q - Voilà le noeud du problème, vous nous dites que pour qu'il y ait ce plan de relance, pour qu'il soit utile, il faut qu'il y ait des réformes derrière pour certains pays !
R - J'écoute le Premier ministre italien et il nous dit "voilà j'ai infiniment besoin de remettre en route mon économie, mon l'industrie". Mais l'Italie ne re-fonctionnera pas si, en même temps, il ne fait pas une réforme de sa bureaucratie, de son système judiciaire ; il le fait pour les Italiens et donc ce que nous disons tous aujourd'hui, ce que nous disons tous aujourd'hui, notre objectif c'est une Europe forte, qui protège chacun des pays ...
Q - J'ai compris, mais dites-nous clairement, est-ce que si les transferts, si les futurs transferts de fonds seront assortis d'une obligation de réformer pour les Etats notamment du Sud qui sont jugés trop dispendieux, est-ce que ce sera écrit noir sur blanc "on vous donne l'argent si vous faites des références structurelles" ?
R - Non, on ne va pas rentrer dans une logique qui était celle, vous savez, de la crise grecque, de la Troïka, de la mise sous tutelle. On est en démocratie et on fait des réformes pour nous-mêmes. Quand le président de la République, avec Olivier Véran, ouvre aujourd'hui un grand chantier sur l'investissement, la transformation de notre système hospitalier, c'est une réforme, on le sait, qu'on doit faire depuis longtemps. Les soignants, ils le demandent depuis longtemps ; on a besoin aussi d'avoir une santé plus proche des territoires. On le fait pour nous et on va d'ailleurs le faire avec l'argent du plan de relance, ce n'est pas un préalable !
Q - Oui, ça, ce sont des mots, mais les pays que je viens de citer voudront que ce soit écrit noir sur blanc qu'il y ait ces réformes là pour accepter tout à l'heure le plan de relance ?
R - Vous savez, moi, j'étais aux Pays-Bas, j'étais en Autriche la semaine dernière ...
Q - Vous avez essayé de les convaincre.
R - J'ai essayé d'abord de comprendre ce dont ils avaient besoin pour que la population néerlandaise voit que ce plan était aussi pour elle, comment les entreprises néerlandaises en auront bénéficié parce que l'Europe, elle se construit dans l'intérêt de chacun. Vous savez, cette vision ...
Q - On est loin de l'adhésion des opinions publiques de ces pays-là franchement !
R - Ce n'est pas vrai !
Q - Ah bon ? Ils sont d'accord pour que l'argent soit donné sans réforme structurelle des pays du Sud ?
R - Non, ce que je vous dis, c'est que les entreprises néerlandaises, les entreprises autrichiennes, suédoises, danoises, elles savent que leurs clients, que leurs fournisseurs sont partout en Europe, et y compris en Italie. Ce que j'ai entendu, c'est que les syndicats dans toute l'Union européenne, tous les salariés savent que c'est dans leur intérêt, des salariés, la prospérité qu'on a besoin de construire. Et donc, vous voyez, ce combat du président depuis trois ans de construire une souveraineté européenne, un investissement européen ...
Q - ...et de la chancelière allemande Angela Merkel, on dit d'ailleurs que c'est le plan Angela Merkel !
R - Non, c'est un combat...
Q - Elle le porte, elle l'incarne quand même !
R - ...que depuis le premier jour, le président en 2017 avec une grande force a présenté aux Français. Il dit : je ne fais pas l'Europe pour l'Europe ; je fais l'Europe pour vous, les Français, parce que dans le monde face à la Chine, face aux Etats-Unis, ceux qui vous disent qu'on peut s'en sortir seuls, la crise qu'on vit aujourd'hui, plus que jamais, nous le montre : il n'y a pas d'indépendance française, il n'y a pas de souveraineté française si ce n'est pas par l'Europe qu'on la construit. Vous savez, le général de Gaulle, il y a quatre-vingt ans, qu'est-ce qu'il nous disait ? Qu'il voulait se battre pour une France indépendante et une France libre. Aujourd'hui, on est quatre-vingts ans après ...
Q - Et il ajoutait "la souveraineté" parce que là si on vous écoute bien, vous allez faire un saut vers le fédéralisme et vous vous éloignez de la souveraineté, de l'idée phare ?
R - Non. Vous savez la souveraineté dont parlait Emmanuel Macron, c'est une souveraineté française et européenne.
Q - Elle existe, la souveraineté européenne ?
R - Mais, quand on parle d'indépendance de la France ....
Q - Elle ne s'oppose pas à la souveraineté française ?
R - Mais quand on parle d'indépendance de la France sur le plan alimentaire, sur le plan industriel, sur le plan technologique, sur le plan militaire, moi, je ne sais pas aujourd'hui dans le monde tel qu'il est aujourd'hui comment ceux qui vous disent qu'on peut le faire seuls, à 65 millions, sont crédibles. Je pense que c'est un mensonge parce que les Chinois, ils nous parlent pourquoi ? Parce qu'ils nous voient arriver en Européens, parce qu'ils voient qu'on est 450 millions ; quand on veut, je pense à la transition écologique ...
Q - Ils nous parlent parce qu'on a été angélique, peut-être que c'est fini l'angélisme par rapport à la Chine, par rapport à cette indépendance, mais pour l'instant, on ne s'est pas suffisamment protégé, et vous le reconnaissez !
R - Le combat du président de la République, c'est de créer de la réciprocité. Moi, je ne sais pas comment créer de la réciprocité entre la France et la Chine. En revanche, je sais comment on a un dialogue ferme, d'engagement, entre l'Europe et la Chine. Et donc la souveraineté française, cette indépendance, cette liberté qui était le combat du gaullisme, ce chemin de grandeur qui dit "on doit pouvoir peser dans le monde" aujourd'hui au XXIème siècle, c'est par l'Europe qu'on le fait !
Q - Ah, de Gaulle, ah, l'héritage gaullien ! Puisqu'on fait référence à cela, justement hier, lors des commémorations du 18 juin, Emmanuel Macron était aux côtés, Amélie de Montchalin, de Boris Johnson, mais derrière les images, derrière les commémorations, il y a le Brexit, est-ce que, oui, le divorce se passe mal ?
R - Il y a deux choses : d'abord, vous voyez bien les liens d'amitié qu'on a avec les Britanniques, ce n'est pas réductible au Brexit, on a une histoire commune, on a des engagements communs, on a des valeurs communes.
Q - Oui, mais le no deal semble de plus en plus certain malheureusement.
R - D'abord, je crois que, en toute amitié, ceux qui ont le plus besoin d'un accord, c'est les Britanniques parce qu'ils n'ont pas aujourd'hui, ils ne peuvent pas supporter un deuxième choc après l'épidémie, ils n'auront pas accès au filet de sécurité qu'est l'Europe, ils n'auront pas accès au fonds de relance dont on vient de parler et donc aujourd'hui, les entreprises britanniques, les salariés britanniques, ils savent bien ...
Q - Oui !
R - Maintenant, les Britanniques ...
Q - Ils font pression, quand même. Donc ma question : est-ce que vous excluez un no deal aujourd'hui ?
R - Je n'exclus rien mais nous, on a un mandat clair, on veut protéger nos entreprises, nos pêcheurs, nos agriculteurs. Michel Barnier a un mandat porté par les 27 qui, à l'unanimité, lui ont dit avec beaucoup de calme ce dont on avait besoin, pas pour gagner, pas pour que les Britanniques perdent. Ce qu'on veut, c'est une relation équilibrée.
Q - Mais je vous entends bien, le no deal n'est pas exclu, vous n'excluez rien ?
R - Vous savez, il y a quelques semaines, à l'Assemblée, au Sénat, on a voté, le gouvernement, j'ai proposé que nous puissions, si nous n'avions pas d'accord, [prendre] des mesures utiles pour protéger les épargnants, pour protéger notre capacité à commercer. Et évidemment, il y a des secteurs qui sont plus en risque mais il y a une chose que je veux vraiment dire, aujourd'hui ...
Q - Pour conclure ...
R - On ne cédera pas à cette espèce de pression du calendrier, à ce sprint final que veulent nous imposer les Britanniques ...
Q - Parce qu'il y a pression.
R - ... en espérant que nous céderons, nous ne voulons pas d'un accord pour un accord, on veut un accord mais on veut un accord équilibré, un bon accord, un accord protecteur.
Q - Et tout sera discuté, notamment, ce sera tout à l'heure, à partir de 10h, lors de ce sommet européen. Et il est crucial, ce n'est pas galvaudé de le dire, ce sommet-là. Merci, Amélie de Montchalin.
R - L'Europe avance et je crois qu'on est près du but.
Q - On va le voir à l'épreuve des faits, merci à vous, merci d'avoir été notre invitée ce matin.
R - Merci.
Q - Et bonne journée à vous.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juin 2020