Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2020 (nos 3074, 3132).
(…)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'action et des comptes publics.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics. Les premiers PLFR – désormais, nous parlons au pluriel – étaient ceux de l'urgence économique pour les salariés et les entreprises. Après l'urgence vient le temps du redémarrage, pendant lequel nous devons aider les secteurs les plus touchés et nos compatriotes les plus fragiles à sortir de la crise économique et sociale. Avec les collectivités territoriales, nous devons amorcer, sur le terrain, une reprise progressive et durable de l'activité économique. C'est l'objet du troisième projet de loi de finances rectificative. Le ministre de l'économie et des finances vient de présenter les grandes mesures de soutien économique.
Celles issues des PLFR 1 et 2 sont approfondies, pour accompagner les plus touchés tout en incitant à la reprise de l'activité. C'est le cas du fonds de solidarité, prolongé et étendu dans le cadre du plan tourisme, avec près de 5 milliards d'aides déjà versés, soit plus de 3,5 millions de versements aux petites entreprises. L'activité partielle est également concernée : les crédits alloués par l'État et l'UNEDIC – l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce – s'élèvent, dans ce budget, à près de 31 milliards d'euros.
Pour les secteurs les plus touchés, nous instaurons une mesure inédite d'exonération de cotisations et contributions sociales et patronales, associée à un crédit de cotisations, pour un coût de plus de 3 milliards d'euros, qui pourrait atteindre près de 4 milliards si tous les amendements auxquels le Gouvernement entend donner un avis favorable venaient à être adoptés par l'Assemblée nationale.
Je m'arrête un instant sur ce dispositif inédit que le Président de la République et le Premier ministre proposent de mettre en oeuvre. Il suscite légitimement de nombreuses interrogations, dont les 422 amendements déposés à l'article 18 offrent une illustration, impliquant que le Gouvernement explicite sa proposition… Aucun gouvernement n'a jamais décidé une exonération de cotisations sociales pour plusieurs secteurs de l'économie. Il s'agit donc d'une mesure absolument inédite, témoignant de la volonté du Gouvernement d'apporter des réponses fortes à la crise économique et sanitaire sans précédent que traversent la plupart des entreprises de notre pays. J'ai déjà eu l'occasion de présenter ici même l'économie générale du dispositif, qui comporte plusieurs étages. À l'attention des législateurs – aujourd'hui les députés, demain les sénateurs –, je souligne la nécessité de le doter de fondements juridiques solides, pour le cas où Conseil constitutionnel examinerait la loi. Nous avons précisé la liste des secteurs éligibles à ces exonérations exceptionnelles dans un communiqué de presse du 10 juin, jour de la présentation du PLFR 3 en conseil des ministres. Beaucoup de questions ont été formulées quant à la façon dont cette liste sera appliquée. J'aurai l'occasion d'y répondre au cours de nos débats, mais il me semble important d'apporter dès maintenant quelques éléments de réponse essentiels.
Le dispositif, validé par le Conseil d'État, vise à apporter aux secteurs les plus fortement touchés un soutien particulier pour les aider à reprendre progressivement leur activité.
La liste des secteurs publiée traduit les annonces faites par le Président de la République à la télévision : des exonérations seront automatiquement accordées aux secteurs de l'hôtellerie – il n'a pas été frappé d'interdiction administrative, mais nous savons tous qu'il a été durement frappé par le confinement –, de la restauration, des cafés, du tourisme, de l'événementiel, du sport, de la culture et du transport aérien. Pour les TPE et PME des secteurs qui leur sont économiquement liés – désignation préférable à celle de « sous-secteurs » –, comme la blanchisserie pour l'hôtellerie, et qui ont subi une perte de chiffre d'affaires de 80 % au moins, le PLFR prévoit une exonération de quatre mois de cotisations patronales. Pour les TPE ayant été frappées d'une interdiction d'accueil du public, en particulier dans le secteur du commerce de détail – on peut citer les coiffeurs –, une exonération de trois mois est proposée.
Pour ces deux catégories, un crédit correspondant à 20 % de leur masse salariale durant la période d'exonération pourra également être utilisé pour payer toutes les cotisations. Prenons l'exemple d'un hôtel resté en activité pendant le confinement ; il a employé un gardien, un réceptionniste et quelques collaborateurs, nécessaires pour le service et l'accueil d'un minimum de public, même si la majorité des employés ont été placés en activité partielle, ce qui a nécessité le paiement de cotisations sociales, en plus des cotisations patronales. Il convenait de prévoir ce crédit forfaitaire de cotisations, utilisable par l'entreprise au lendemain de la crise du covid-19. Nous n'avons pas souhaité les annuler. D'abord, elles ouvrent des droits individuels aux salariés, qui auraient ainsi été réduits ; ensuite, leur suppression aurait correspondu à une augmentation de salaire pour ceux qui travaillaient, entraînant une iniquité à l'égard de ceux placés en activité partielle.
Vous avez déposé de très nombreux amendements tendant à étendre la liste des secteurs éligibles. Le Gouvernement a fait le choix, dans le respect des compétences du Parlement, d'indiquer dans la loi les grands principes, donc les grands secteurs, et de renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de préciser les activités éligibles, principalement à partir des codes NAF – nomenclature d'activités française. Cela nous permettra d'appliquer notre dispositif avec souplesse et de préciser, voire d'affiner, ses principes, afin d'assurer un traitement équitable des entreprises. Par exemple, pour répondre à un amendement déposé par le groupe MODEM, j'aurai l'occasion de confirmer que les interprètes conférenciers seront bien éligibles : dès lors que leur activité dépend du secteur événementiel, il n'y a évidemment pas lieu de les exclure. Nous aurons également l'occasion d'évoquer la situation du monde de la nuit, du transport maritime de passagers ou encore des cinémas. Je prends l'engagement de lire en séance, à l'attention de ceux qui le souhaitent, la liste des codes NAF, un peu longue et parfois compliquée…
Mme Olivia Gregoire. Oh oui ! (Sourires.)
M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. Dans la nuit de jeudi à vendredi ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM – Commentaires.)
M. Gérald Darmanin, ministre. Oui, dans la nuit de jeudi à vendredi ! Pour ceux à qui une telle lecture paraîtrait fastidieuse et recouvrant une réalité comptable peu évocatrice, je m'engage à soumettre les textes réglementaires que nous prendrons, en vertu de la loi, au président de la commission des finances, au rapporteur général et à leurs homologues du Sénat. Une concertation prolongera alors la discussion, selon l'habitude que j'ai prise depuis désormais trois ans, afin de les rendre conformes à l'esprit du législateur, même si nous ne sommes pas d'accord sur le fond. Lorsque le Gouvernement investit autant d'argent public pour sauver l'économie, il n'en est pas à un code NAF près – si vous voulez bien me passer l'expression.
Beaucoup d'entre vous voudraient faire baisser le critère de la perte de chiffre d'affaires, à 75, 65, 60 voire 50 %.
Mme Cendra Motin. Qui dit mieux ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Cependant, pour préserver strictement l'égalité de traitement entre les entreprises, il est important de conserver un seuil de 80%, conformément aux recommandations du Conseil d'État, si nous voulons que le dispositif soit validé dans son intégralité par le Conseil constitutionnel. Ce seuil témoigne de la dépendance à l'un des secteurs dits « prioritaires » et justifie que les entreprises concernées bénéficient de la même exonération que celles des secteurs dont elles dépendent. Il se peut qu'une majorité de producteurs d'un secteur travaillent avec la restauration et aient rencontré des difficultés substantielles pendant la période, avec une perte de chiffre d'affaires excédant 80 %, mais que d'autres, travaillant davantage avec la grande distribution, n'aient pas besoin d'aides particulières parce que leur chiffre d'affaires est resté proche de la normale. Les aides doivent alors être différenciées : ce n'est pas le fait d'être viticulteur ou blanchisseur qui doit être déterminant pour l'octroi d'une aide, mais le fait d'être dépendant d'un secteur économique mis à l'arrêt ; nous aiderons davantage les blanchisseurs travaillant avec les hôtels et les restaurants que ceux travaillant avec des secteurs économiques épargnés par la crise économique.
À ces secteurs qui dépendent des grands secteurs prioritaires, dont le Parlement établira la liste, nous avons fait le choix d'offrir 100% d'exonération sur quatre mois, et non un pourcentage moins élevé. Abaisser le seuil de 80% augmenterait le risque de différences de traitement non justifiées et fragiliserait juridiquement le dispositif, aux dépens de l'ensemble des entreprises destinataires de ces aides. Pour les mêmes raisons, nous traiterons les cas de pluriactivité, qui ont suscité beaucoup d'amendements, en retenant l'activité principale. Modifier ces critères reviendrait à exonérer un nombre extrêmement important d'entreprises, faisant courir un risque de taille au financement des droits sociaux et de la sécurité sociale, dont le déficit atteindra cette année le triste record de 52 milliards d'euros, selon l'estimation actuelle.
M. Jean-Louis Bricout. La vache !
M. Gérald Darmanin, ministre. L'article 18 ne se résume pas aux deux étages d'exonérations que je viens de décrire : il comporte également un filet de sécurité pour toutes les entreprises, quels que soient leur secteur et leur emplacement, qui ne seront pas automatiquement éligibles aux exonérations. À quelque secteur qu'elles appartiennent – j'insiste –, toutes les entreprises de moins de cinquante salariés bénéficieront ainsi, à leur demande, de remises de cotisations patronales, étudiées au cas par cas, à hauteur de 50 %. Je donnerai instruction en ce sens aux URSSAF – les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales –, dès que la loi aura été adoptée dans l'hémicycle, afin que tout soit prêt pour une application dès sa promulgation. Cette mesure permettra aux entreprises de réduire leurs passifs sociaux très rapidement et massivement, en soutien à la reprise d'activité.
Enfin, quatrième et dernier étage des exonérations, toutes les entreprises, quels que soient leur secteur et leur taille, pourront bénéficier d'étalements exceptionnellement longs, allant jusqu'à trente-six mois, pour payer les cotisations et les impôts qui leur resteront à acquitter. Les instructions sur ce point ont déjà été données à la direction générale des finances publiques et aux URSSAF.
Le Gouvernement entend également les demandes, exprimées en commission, qui concernent les travailleurs indépendants. Nous donnerons donc un avis favorable à l'amendement déposé par le groupe MODEM visant à permettre aux travailleurs indépendants de bénéficier de plans d'apurement, sur proposition des organismes de recouvrement, et non à leur demande.
Mme Cendra Motin. Bravo !
M. Gérald Darmanin, ministre. L'avis sera également favorable sur l'amendement du rapporteur général en réponse aux nombreuses demandes formulées pour renforcer le soutien à l'agriculture, notamment : le déploiement d'un filet de sécurité pour l'ensemble des travailleurs indépendants, dont les exploitants agricoles, grâce à une remise exceptionnelle et partielle des dettes de cotisations.
Pour les entreprises des secteurs de l'hôtellerie, de la restauration, des cafés, du tourisme, de l'événementiel, du sport, de la culture et du transport aérien, nous proposons également aux collectivités du bloc communal d'activer un dégrèvement exceptionnel de CFE – cotisation foncière des entreprises – qui allégera leur imposition de deux tiers et dont un tiers sera pris en charge par l'État, lequel ne perçoit pourtant pas cet impôt. Consigne a été donnée à la direction générale des finances publiques de ne pas appeler le premier acompte, que la plupart des entreprises acquittent normalement en juin.
Les dates de délibération suscitent l'interrogation. Plusieurs amendements tendent d'ailleurs à décaler celle du 31 juillet, ce qui nous interdirait de procéder au dégrèvement. (Exclamations.)
Mme Marie-Christine Dalloz. Oui, mais…
M. Fabien Roussel. Comment fait-on ?
M. Gérald Darmanin, ministre. J'y viens ! Cette date, qui concrétise déjà un report substantiel par rapport au calendrier habituel de délibération des collectivités locales, est impérative, car tout report supplémentaire voté par le Parlement remettrait en cause l'application du dispositif en 2020 et ferait perdre à la mesure son intérêt. Les conseils de communauté vont se réunir pour élire leur exécutif ; il appartiendra au président ou à la présidente qui sera élu de convoquer une délibération ou de réunir de nouveau le conseil pour voter le budget, qui doit être adopté avant le 31 juillet. Il ne sera sans doute pas impossible aux conseils de communauté – d'agglomération ou de communes – et aux conseils de métropole de trouver une date afin de sauver l'économie locale ; nous connaissons bien la vie des élus locaux et la manière dont ils savent s'adapter au jour le jour.
J'en viens à mon deuxième point. Le projet de loi de finances rectificative prévoit un soutien de 4,5 milliards aux collectivités locales affectées par la crise, ce qui les aidera à accompagner la reprise de l'activité.
Pour les communes et les intercommunalités, nous compenserons les pertes de recettes fiscales et domaniales constatées en 2020 par rapport à la moyenne des montants perçus entre 2017 et 2019. Au total, cela pourra représenter jusqu'à 750 millions. Je salue M. Cazeneuve, qui nous a beaucoup aidés, dans le cadre de la mission que lui a confiée le Premier ministre, pour établir ces propositions.
Les départements sont aussi concernés par ce budget : 2,7 milliards d'avances sont prévus pour ceux qui ne peuvent pas faire face à la perte des droits de mutations à titre onéreux pour 2020.
Ce budget ouvre aussi 1 milliard de crédits supplémentaire de DSIL – dotation de soutien à l'investissement local –, afin que les collectivités locales puissent aider les acteurs économiques. Cette dotation peut être considérée comme verte ou sanitaire, puisqu'elle financera prioritairement des projets contribuant à la résilience sanitaire, à la rénovation du patrimoine public bâti et non bâti, et plus généralement à la transition écologique. Les crédits seront ouverts dès 2020. Les préfets recevront de mes services ou de ceux de Mme ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales l'instruction de les débloquer très vite.
Nous n'oublions pas les collectivités d'outre-mer, qui subissent la crise de plein fouet, compte tenu de la nature particulière de leurs recettes. Le projet de loi de finances rectificative prévoit, pour elles, une compensation des pertes de recettes d'octroi de mer et de taxe spéciale de consommation sur les carburants, à hauteur de 60 millions. Comme nous l'avions fait dans le dernier budget pour la Nouvelle-Calédonie, nous garantirons à la Polynésie française un prêt de 240 millions pour payer le chômage partiel, compenser les pertes de cotisations sociales et aider le secteur touristique – bien que ces compétences soit généralement dévolues au Gouvernement de Polynésie française.
Je souligne qu'aucun gouvernement, sous aucune république, n'avait jamais compensé les pertes de recettes fiscales des collectivités. La dernière crise que nous avons connue s'est même traduite par une baisse des dotations aux collectivités locales plutôt que par une compensation de leurs recettes… À cet égard, le Gouvernement, qui consent un effort sans précédent, a entendu la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM, UDI-I et Agir ens.)
M. Philippe Michel-Kleisbauer. Bravo !
M. Gérald Darmanin, ministre. Enfin, nous intervenons pour les plus fragiles. Le présent projet de loi de finances rectificative renforce en effet les moyens de l'hébergement d'urgence pour plus de 200 millions. Il traduit aussi le plan annoncé par la secrétaire d'État Marlène Schiappa afin de lutter contre les violences faites aux femmes. Il finance les aides exceptionnelles aux étudiants et aux jeunes précaires annoncées par le Premier ministre. Il paie des bourses et des aides sociales pour nos compatriotes qui sont en difficulté à l'étranger, à la suite du plan de soutien que nous avons annoncé avec Jean-Yves Le Drian.
Au total, notre plan d'aide représente plus de 460 milliards. L'impact de la crise sur la dégradation de la croissance, qui devrait chuter de 11%, et l'ampleur des nouvelles mesures se traduisent dans nos finances publiques. On relève 222 milliards de déficit budgétaire, 52 milliards de déficit pour la sécurité sociale, 11,4 % de déficit public et 121 % de dette publique. Ces chiffres, loin d'être anodins, constituent de tristes records. Le coût des mesures mises en oeuvre doit nous inviter et vous inviter à examiner le plus scrupuleusement leur opportunité et leur efficacité. Néanmoins, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, lorsque la maison brûle, on ne compte pas les litres d'eau. M. le ministre de l'économie et des finances et moi-même sommes à la fois graves et pleins d'espoir au moment où nous vous présentons ce troisième PLFR, en attendant de vous soumettre, j'imagine, d'autres textes financiers avant la fin de l'année… (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM, UDI-I et Agir ens.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 30 juin 2020