Interview de Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au logement, à Radio Classique le 10 juillet 2020, sur la rénovation thermique des bâtiments, le projet de moratoire sur les centres commerciaux et les expulsions locatives.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

RENAUD BLANC
Bonjour Emmanuelle WARGON !

EMMANUELLE WARGON
Bonjour !

RENAUD BLANC
Ministre délégué au Logement. Le logement, un enjeu majeur. Avant d'évoquer les dossiers chauds qui vous attendent, un mot sur votre nomination. Vous étiez sous Edouard PHILIPPE secrétaire d'État à la Transition écologique ; vous devenez ministre sous Jean CASTEX. Alors j'imagine que pour vous, c'est forcément …c'est une promotion mais est-ce que vous vous avez été surprise qu'on vous propose le logement ?

EMMANUELLE WARGON
Moi, je suis très fière et très heureuse d'être dans ce ministère, le ministère du logement parce qu'en fait ça réconcilie mes deux grands engagements, un engagement écologique. Le ministère du Logement est rattaché au ministère de l'Écologie, ce qui veut dire que le logement doit contribuer à notre trajectoire écologique, à la baisse des émissions de gaz à effet de serre et un engagement social.

RENAUD BLANC
Alors il dépendait jusqu'à présent de la cohésion des territoires, ce ministère du Logement ?

EMMANUELLE WARGON
Juste pour finir, le logement, c'est aussi une politique très sociale pour que chacun puisse avoir accès à un toit dans de bonnes conditions et moi, j'ai été très engagée sur les sujets de lutte contre la pauvreté, j'ai commencé ma prise de poste hier soir, je faisais une maraude avec le Samu social ; c'est aussi la question de l'hébergement. Donc pour moi, ce ministère a énormément de sens.

RENAUD BLANC
Alors certains ont tout de même peur qu'on résume le logement à ces enjeux écologiques. Qu'est-ce que vous répondez ?

EMMANUELLE WARGON
Alors je voudrais rassurer ceux qui ont des inquiétudes : le logement, c'est un ministère plein, c'est un ministre entier.

RENAUD BLANC
Complexe !

EMMANUELLE WARGON
Complet et complexe ; c'est un ministère passionnant, il concerne tous les Français. Chacun a besoin, envie d'avoir un logement, un logement de bonne qualité et c'est mon objectif, pouvoir loger tous les Français dans de bonnes conditions. Après, la dimension écologique est une dimension complémentaire, elle touche la construction, comment on construit, où construit-on ? Elle touche aussi la rénovation et en rénovant des logements, on a à la fois une meilleure qualité de vie, un bon impact sur la planète et ça sera un élément très important du plan de relance mais le logement est un ministère entier, il était rattaché au ministère des Territoires dans le gouvernement précédent, aujourd'hui au grand ministère de l'Ecologie, ça reste un ministère entier que je porterai avec conviction.

RENAUD BLANC
Vous avez quand même défini deux priorités, la rénovation énergétique et puis la lutte contre le bétonnage. Justement, la Convention citoyenne dans ses propositions demande une rénovation de tous les bâtiments d'ici 2040, c'est à peu près 20 millions de logements. On estime le coût à 11 milliards d'euros par an et aucune location d'ici 2028 pour les passoires thermiques. Ce sera votre feuille de route, Emmanuelle WARGON ?

EMMANUELLE WARGON
Ma feuille de route, ce sera un logement de qualité pour tous, ça veut dire plus de logements et mieux de logements, dans le mieux, la partie rénovation est très importante et donc oui la Convention citoyenne pour le climat nous l'a demandé, le président de la République a dit qu'il reprendrait ses propositions, il faut accélérer sur la rénovation mettre plus d'argent, investir plus, simplifier les procédures notamment dans les copropriétés, mieux accompagner les Français dans leur process de rénovation et à un moment, la question des obligations se posera et on va y travailler mais avec un accompagnement plus fort !

RENAUD BLANC
Mais vous dites "à un moment", est-ce que ces demandes de la Convention citoyenne 2040/2028, est-ce qu'on aura une promulgation avec le Conseil de défense écologique à la fin du mois ou est-ce qu'il y aura un projet de loi à la fin de l'été sur ces questions centrales ?

EMMANUELLE WARGON
Alors, il y aura un projet de loi dédié aux propositions issues de la Convention citoyenne pour le climat qui concerne la rénovation mais qui concerne aussi beaucoup d'autres sujets et donc le gouvernement va travailler cet été avec le Parlement, avec un groupe contact des citoyens pour pouvoir traduire tout ça dans des propositions qui ensuite seront soumises au Parlement. Donc c'est dans les mois qui viennent et puis, financièrement, l'investissement sera dans le plan de relance et c'est ça qui est très important. On va investir de l'argent. Le secteur du bâtiment, de la construction nous demande d'investir toujours dans la construction nouvelle – nous en avons besoin – et dans la rénovation.

RENAUD BLANC
Mais justement, je parlais des 11 milliards par an pour la rénovation. D'abord, est-ce que vous êtes assez d'accord sur ce chiffre qui est avancé – et vous savez bien que le nerf de la guerre c'est l'argent –, est-ce que vous allez disposer d'un budget conséquent justement sur des questions aussi importantes que le logement et cette rénovation ?

EMMANUELLE WARGON
Alors, j'ai bien l'intention de disposer du budget nécessaire. Nous avons déjà beaucoup augmenté le volume de rénovation l'année dernière …

RENAUD BLANC
Mais ça veut dire, pardonnez-moi de vous couper, vous avez eu des garanties par exemple du Premier ministre sur ces questions justement de financement ?

EMMANUELLE WARGON
Moi, j'ai des garanties du Premier ministre que le plan de relance sera très fortement axé sur les grands investissements d'avenir et le bâtiment et la rénovation en font partie. Après, les arbitrages budgétaires ne sont pas encore rendus mais nous savons que nous voulons investir au moment de ce plan de relance, que c'est l'occasion aussi d'accélérer l'atteinte de nos objectifs écologiques et là, il n'y a aucune contradiction entre des objectifs de la politique du logement, des objectifs écologiques et des objectifs d'amélioration de la qualité de vie. On a déjà augmenté le budget de la rénovation l'année dernière. On a fait 3 fois plus d'isolation, de comble, d'isolation de plancher. On a fait deux fois plus de changement de chaudières, donc on va déjà beaucoup plus vite. Maintenant, nous devons accélérer ce qu'on appelle la rénovation dit globale, c'est-à-dire quand on prend une maison ou un appartement ou un immeuble et qu'on rénove complètement, ça doit être mieux financé. Les copropriétés doivent être mieux aidées, les propriétaires bailleurs doivent pouvoir être aidés quand ils font des travaux qui bénéficient aux locataires. C'est tous ces sujets que nous avons sur la table.

RENAUD BLANC
Le bétonnage, on a comme ordre d'idée un département qui disparaîtrait à peu près tous les huit ans, donc c'est quand même aussi complexe pour vous parce que vous avez face à vous aussi des professionnels du bâtiment qui réclament des constructions. Alors comment fait-on ?

EMMANUELLE WARGON
Comment fait-on ? On construit mieux et on construit là où c'est déjà bétonné. En fait l'enjeu, c'est de ne pas continuer à consommer des terres agricoles ou naturelles parce qu'on a besoin de préserver la nature pour nous-mêmes, pour notre rapport à la nature et aussi pour la lutte contre le changement climatique parce qu'on sait qu'à chaque fois qu'on détruit la nature, en fait, on a des effets secondaires. On peut construire, on peut construire sur des friches, on peut construire sur des zones en déshérence, on peut construire en densifiant un peu, on peut inventer de l'habitat intermédiaire entre les quartiers pavillonnaires classiques qui en fait sont très étendus et les centres villes qui, eux, sont plus denses. On peut aussi répondre à un vrai besoin que moi, j'ai ressenti très fortement pendant la crise des Gilets jaunes, plus de services de proximité, plus de lieux de convivialité, des vrais centres-villes qui vivent, des centres bourgs qui vivent et pas des zones finalement plus ou moins laissées à l'abandon dans les grandes périphéries. Donc il faut continuer à construire, on a un besoin de logements en France, il faut continuer à construire, il faut pouvoir répondre à la demande des Français en logement classique ou en logement social mais on peut construire mieux.

RENAUD BLANC
La Convention citoyenne demande un moratoire sur les centres commerciaux, vous y êtes favorable ?

EMMANUELLE WARGON
Moi, je suis très favorable à un moratoire sur les nouveaux espaces commerciaux en périphérie des villes parce que ces espaces commerciaux aujourd'hui détruisent le commerce de centre-ville et parce qu'on ne peut pas vouloir à la fois retrouver des centres-villes vivants, des lieux de convivialité, des lieux de vie et laisser le commerce se déplacer d'autant plus que ces centres commerciaux appellent des trajets en voiture et que nous avons aussi comme objectif de trouver d'autres formes de mobilité. Donc oui, je suis favorable à un moratoire pour les centres commerciaux en périphérie sauf dans les endroits où l'offre commerciale est très insuffisante et c'est ce que la Convention dit d'ailleurs.

RENAUD BLANC
Emmanuelle WARGON, vous êtes, je le rappelle, ministre délégué au Logement. Mercredi la députée Delphine BATHO, Écologie Démocratie Solidarité, a déposé un amendement pour taxer les entrepôts, les entreprises en ligne, un amendement qui a été rejeté par la majorité. C'est assez contradictoire avec ce que vous souhaitez faire !

EMMANUELLE WARGON
D'abord les entreprises en ligne, ce n'est pas tout à fait le même sujet que les centres commerciaux en périphérie. Ensuite, nous, nous arriverons avec une vision globale avec ce projet de loi sur la Convention citoyenne plutôt à la rentrée et c'est là dedans, je pense, qu'on trouvera le bon équilibre des mesures.

RENAUD BLANC
Mais Delphine BATHO visait évidemment AMAZON entre autres, AMAZON qui veut construire un grand bâtiment près du pont du Gard, vous allez suivre ce dossier de près ?

EMMANUELLE WARGON
Je vais suivre ce dossier avec Barbara POMPILI ; il faut qu'on trouve l'équilibre pour que les services en ligne puissent quand même exister mais sans détruire la nature et là, je crois que c'est dans un site particulièrement emblématique.

RENAUD BLANC
Emmanuelle WARGON, c'est la fin aujourd'hui de la de la trêve hivernale qui a été prolongée avec le Covid. Dans nos journaux, on a entendu plusieurs responsables notamment de la Fondation Abbé Pierre craindre la multiplication des expulsions, est-ce que c'est une crainte justifiée pour vous ?

EMMANUELLE WARGON
Alors je veux être très claire, j'ai reçu les grandes associations hier vu les préfets de région. Le message est très simple : il n'y aura pas d'expulsions locatives avec recours à la force s'il n'y a pas de proposition de solution de relogement ou hébergement pour les personnes concernées.

RENAUD BLANC
Vous vous y engagez ?

EMMANUELLE WARGON
Je m'y engage, je m'y engage auprès des associations, je m'y engage auprès des Français et j'ai demandé aux préfets d'appliquer cette instruction.

RENAUD BLANC
Alors pendant le confinement peu ou pratiquement pas de SDF dans la rue, donc ce qui fait dire à certaines associations : c'est possible, c'est possible qu'on y arrive. Donc effectivement est-ce qu'on peut essayer, espérer parce que tous les ministres du Logement ont toujours dit "je m'engage à ce n'y ait plus de SDF dans la rue etc., etc." et on connaît la suite !

EMMANUELLE WARGON
Alors je crois qu'il faut être très, très humble sur ce sujet, d'une très grande humilité, c'est un sujet difficile parce que ce n'est pas toujours possible de trouver une solution pour toutes les personnes à la rue, parce que certaines personnes à la rue elles-mêmes considèrent que les solutions qu'on leur propose ne sont pas adaptées. On a 180 000 places en France d'hébergement, on a augmenté ces places d'environ 20 000 pendant le confinement. J'étais hier soir au Samu social en maraude et pour la première fois pendant cette période de confinement, le SAMU social a pu répondre presque à la totalité des demandes. La question, c'est de savoir comment on fait à la sortie de la crise, c'est pour ça que j'ai reçu les associations, la Fondation Abbé Pierre, la Fondation des acteurs de solidarité hier, notamment la Croix-Rouge. Donc ils ont des propositions avec un plan de sortie de crise, ça va rentrer dans la feuille de route du gouvernement à la rentrée mais une succession, c'est peut-être une somme de cas particuliers, chaque situation particulière et différente que ce soit des familles, que ce soit des personnes seules et la réponse, à la fin, elle se trouve dans l'accès au logement. Le gouvernement avec Julien DENORMANDIE, mon prédécesseur, a lancé un plan "logement d'abord" pour que la sortie de la rue ou de l'hébergement très précaire aille le plus possible vers le logement, c'est pour ça que c'est tellement important de continuer à développer l'offre de logement. On a besoin de plus de logements et on a besoin de pouvoir accompagner même les personnes précaires vers le vrai logement.

RENAUD BLANC
"Chacun doit avoir un accès à un logement et un logement de qualité", je vous cite, et il y a quand même beaucoup, beaucoup de boulot, Emmanuelle WARGON !

EMMANUELLE WARGON
Ça, c'est sûr, il y a beaucoup, beaucoup de boulot. Pendant les deux dernières années du quinquennat …

RENAUD BLANC
Oui parce que le temps est compté !

EMMANUELLE WARGON
…vous pouvez compter sur la mobilisation de tous les membres du gouvernement et bien sûr sur la mienne.

RENAUD BLANC
Merci Emmanuelle WARGON d'avoir répondu à mes questions, la ministre déléguée au Logement, l'invité de Radio Classique ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 juillet 2020