Interview de Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, à RTL le 28 juillet 2020, sur les chiffres du chômage, les solutions à proposer aux jeunes pour l'emploi et les fraudes au chômage.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

JEROME FLORIN

Bonjour Elisabeth BORNE.

ELISABETH BORNE
Bonjour.

JEROME FLORIN
Ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion. On l'entendait avec Eric VAGNIER, les chiffres du chômage publiés hier sont fragiles puisque le pire est à venir pour les jeunes notamment, ils sont 700.000 à arriver bientôt sur le marché du Travail et ils sont déjà 102.000 à avoir rejoint en juin les statistiques de pôle Emploi, ils ont fini leur formation, cherché du travail en vain, il y a le feu, Madame la Ministre ?

ELISABETH BORNE
Je vous confirme qu'il était urgent de proposer des solutions aux jeunes et c'est bien pour ça que sans attendre le plan de relance qui sera présenté fin août on a présenté la semaine dernière un plan pour la jeunesse avec des moyens très importants, massifs.

JEROME FLORIN
Six milliards et demi sur deux ans.

ELISABETH BORNE
Six milliards et demi, c'est un triplement des moyens qui sont consacrés à l'emploi des jeunes. Et puis on a voulu avoir une réponse adaptée à la situation de chaque jeune, à la fois ceux qui sont diplômés qui auraient en temps normal, qui seraient rentrés simplement sur le marché du travail, là on a prévu une prime de 4.000 euros pour des embauches en CDI ou en CDD de plus de trois mois pour que des entreprises ne diffèrent pas leur recrutement, on soutient aussi l'apprentissage.

JEROME FLORIN
4.000 euros, Madame BORNE, ce n'est pas un peu dérisoire pour une entreprise qui cherche pour l'instant à sauver les meubles, pas forcément à embaucher ?!

ELISABETH BORNE
Evidemment il faut aussi faire repartir la machine économique !

JEROME FLORIN
C'est 1.000 euros par trimestre.

ELISABETH BORNE
C'est 1.000 euros par trimestre, il faut que la machine économique reparte, c'est bien tout le sens du plan de relance qui sera présenté fin août. Mais c'est une aide qui est quand même substantielle pour embaucher un jeune, l'idée c'est surtout de dire « n'attendez pas », on sait qu'on va avoir des entreprises qui mesurent que la situation est un peu incertaine, qui peuvent du coup être tentées de se dire « on va attendre quelques mois », là on leur dit « non, allez-y maintenant, embauchez ces jeunes, ne laissons pas ces jeunes sur le bord de la route et passez à l'acte ».

JEROME FLORIN
Mais qui peut embaucher, quel secteur peut embaucher ?

ELISABETH BORNE
Ecoutez, je pense qu'on va avoir un plan de relance massif, 100 milliards d'euros, qui sera présenté fin août. On a des secteurs qui vont être fortement soutenus, des énergies renouvelables, la rénovation des bâtiments, le transport ferroviaire.

JEROME FLORIN
Là il y a du boulot ?

ELISABETH BORNE
Il y aura très clairement du boulot, donc non seulement on va soutenir l'embauche des jeunes, on va aussi développer 200.000 formations qualifiantes pour amener les jeunes vers ces métiers d'avenir. Et puis on veut aussi s'assurer qu'on ne laisse personne sur le bord de la route, donc pour les jeunes qui sont plus en difficulté on prévoit 300.000 parcours ou contrats d'insertion pour les amener vers l'emploi.

JEROME FLORIN
Vous ressuscitez quand même un peu les emplois-jeunes que le Gouvernement avait supprimés en 2017 justement parce qu'ils n'étaient pas assez efficaces et qu'ils ne permettaient pas une réinsertion à long terme sur le marché du travail !

ELISABETH BORNE
On a toute une palette de solutions…

JEROME FLORIN
Tout ça, ça a déjà été fait !

ELISABETH BORNE
On a toute une palette de solutions, on ne s'interdit pas d'avoir aussi des contrats aidés mais ce n'est pas des contrats aidés, ce n'est pas un recours massif aux contrats aidés comme ça a pu être fait par le passé où c'était vraiment du traitement pour faire baisser les chiffres du chômage. On a voulu limiter justement le nombre de contrats aidés, ce sera 120.000 contrats aidés de plus avec un accompagnement individualisé pour que ce soit vraiment un tremplin vers l'emploi.

JEROME FLORIN
Comment vous allez vous assurer que ce ne sont pas juste des contrats précaires ?

ELISABETH BORNE
Je vous dis, on aura vraiment un accompagnement personnalisé de chaque jeune pour que chaque jeune ait la bonne formation.

JEROME FLORIN
Par qui ?

ELISABETH BORNE
Les missions locales, Pôle Emploi pour qu'à la fin ces jeunes trouvent un emploi durable. On va évidemment tout faire pour éviter les licenciements avec notamment l'activité partielle de longue durée qui va se mettre en place et le décret sera publié cette semaine.

JEROME FLORIN
Le décret sera publié cette semaine parce que le chômage partiel longue durée devait être mis en place début juillet, on attend toujours effectivement les décrets d'application !

ELISABETH BORNE
Donc je vous confirme qu'il sera…

JEROME FLORIN
Pourquoi ça traîne ?

ELISABETH BORNE
Ça ne traîne pas, vous savez, il y a des procédures pour sortir un décret, le Conseil d'Etat qui doit regarder, en tout cas le décret sera bien publié cette semaine, moi je l'ai signé.

JEROME FLORIN
D'accord.

ELISABETH BORNE
Il permettra pour le coup aux entreprises dont l'activité va rester durablement en dessous de ce qu'elle était avant la crise de pouvoir garder les salariés et je crois que c'est très important. On a vu par le passé que quand nos entreprises ont une activité qui baisse par exemple de 20 %, par le passé il y avait l'habitude de se séparer de 20 % des salariés. Là on veut au contraire qu'il y ait des accords dans les entreprises pour garder les salariés, garder les compétences pour qu'elles soient bien là au moment où l'activité repartira.

JEROME FLORIN
Pour les jeunes en quoi votre plan est inédit ? Encore une fois depuis le gouvernement Raymond BARRE je crois on a toujours ces aides aux entreprises pour embaucher des jeunes quand ça ne va pas…

ELISABETH BORNE
Il est inédit d'abord par la somme qui est consacrée, 6,5 milliards d'euros ce n'est pas banal, donc ça veut dire que c'est un soutien massif.

JEROME FLORIN
Il y a beaucoup d'argent débloqué en ce moment dans tous les secteurs.

ELISABETH BORNE
Et puis je vous dis, ce n'est pas une seule recette, la situation des jeunes elle est très variée, et on veut avoir une réponse adaptée à chaque situation. On n'a pas évoqué mais par exemple on veut absolument continuer à soutenir l'apprentissage et donc on donne une prime de 5000 euros, enfin un contrat d'apprentissage avec un jeune de moins de 18 ans, 8000 euros pour les plus de 18 ans, ça veut dire que pour une entreprise qui recrute un jeune en contrat d'apprentissage, c'est quasiment sans coût pour la première année. Et je crois que c'est très important, moi je compte, vous savez ce plan on met des moyens massifs mais il faut qu'on s'y met tous, que tout le monde se mobilise, moi je verrai des branches professionnelles, les entreprises pour leur demander de prendre leur part, pour qu'aucun jeune ne reste sans solution.

JEROME FLORIN
Que tout le monde se mobilise, c'est exactement ce que disait la semaine dernière à Besançon Jean CASTEX, le Premier ministre que vous vous accompagniez d'ailleurs, écoutez son message aux chefs d'entreprise.

JEAN CASTEX, PREMIER MINISTRE
Ecoutez, ça ne va pas vous coûter cher, il ne va peut-être pas vous être complètement utile ce jeune, mais prenez-le quand même parce que là vous êtes dans une phase mauvaise, mais grâce au plan de relance, grâce aux investissements, on va vous trouver des débouchés, ce jeune vous allez le former, il va falloir que tout le monde joue le jeu.

JEROME FLORIN
Ça vous fait sourire.

ELISABETH BORNE
Non, non mais c'est exactement ça, vous savez.

JEROME FLORIN
Mais ce n'est pas désobligeant comme message pour les jeunes.

ELISABETH BORNE
Je ne crois pas du tout.

JEROME FLORIN
Ça ne revient pas à dire aux patrons, bon embauchez n'importe qui et aux jeunes, prenez n'importe quoi ?

ELISABETH BORNE
Pas du tout, ça revient à dire aux entreprises, là vous avez peut-être un trou d'air dans votre activité, mais l'activité va repartir, le gouvernement fait tout ce qu'il faut pour qu'elle reparte avec le plan de relance. Dans 2 ans, dans 3 ans vous aurez besoin de ces compétences et ces jeunes il faut les former maintenant. enfin quand on voit des jeunes en apprentissage et effectivement on en a vu dans la visite qu'on a faite avec Jean CASTEX à Besançon, vous avez des jeunes qui sont, voilà qui sont sur des métiers d'avenir, qui sont heureux de ces formations et les jeunes dont on aura besoin dans 2, 3 ans, c'est maintenant qu'il faut les recruter en contrat d'apprentissage. Et c'est bien le sens des primes de 5000 et de 8000 euros qu'on met en place.

JEROME FLORIN
Alors toutes ces primes, toutes ces aides, c'est quand même pour parer au plus pressé, mais dans un an vous ne craignez pas que tous ces jeunes, beaucoup de ces jeunes se retrouvent sans emploi ?

ELISABETH BORNE
Ecoutez ? On fait tout pour que l'activité reparte, c'est le sens du plan de relance. On va soutenir massivement tous les secteurs de la transition écologique…

JEROME FLORIN
Il y aura un effet d'aubaine, il y a des patrons qui vont dire, je prends un jeune quelques mois et puis après je m'en débarrasse.

ELISABETH BORNE
Enfin l'idée c'est vraiment qu'on fait repartir de notre économie et qu'en attendant on ne diffère pas l'embauche des jeunes, on continue à embaucher des apprentis pour avoir demain les compétences dont on aura besoin.

JEROME FLORIN
Dans ce contexte le recours au travail détaché est souvent une bouée de sauvetage pour des entreprises, vous le comprenez ?

ELISABETH BORNE
Ecoutez, le recours au travail détaché, c'est légalement possible, moi je dis que dans une période où va avoir et où on voit qu'on a déjà une augmentation du nombre de demandeurs d'emploi, je souhaite vraiment qu'on puisse avoir un travail avec chacune des branches qui recourent beaucoup au travail détaché pour voir quel est, voilà qu'est-ce qui les empêche d'embaucher des jeunes formés en France.

JEROME FLORIN
Concrètement ça veut dire quoi, ça veut dire vous allez limiter ou stopper ce recours au travail détaché ?

ELISABETH BORNE
Non ça veut dire que je pense que là encore il faut que chacun prenne ses responsabilités. quand on voit des entreprises qui recrutent par exemple des soudeurs qui viennent voilà d'autres pays, formons plutôt des jeunes, formons des demandeurs d'emploi pour être sur ces métiers qui sont évidemment des métiers dont on n'aura durablement besoin et donc je souhaite que avec chacune des branches qui recourent beaucoup au travail détaché on puisse avoir un plan d'action pour avoir demain les compétences et ne plus avoir besoin de travailleurs détachés.

JEROME FLORIN
Il peut y avoir des sanctions ?

ELISABETH BORNE
Ce n'est pas l'idée, l'idée c'est vraiment de responsabiliser chacun. Vous savez je pense qu'on est dans une situation absolument inédite et je crois qu'il faut que chacun prenne ses responsabilités.

JEROME FLORIN
« Prennent ses responsabilités », c'est un peu de langue de bois, il y a des sanctions ou il n'y a pas de sanction.

ELISABETH BORNE
Pas du tout, il faut que chacun joue le jeu. On a besoin de relancer notre activité économique, on a besoin d'embaucher des jeunes, on va former et ce sera aussi le volet que moi je suivrai dans le plan de relance, on va former voilà nos concitoyens aux métiers de demain et donc moi je souhaite qu'on ait les compétences dont on a besoin, dont on aura besoin avec le plan de relance et du coup qui permettront de limiter le recours aussi aux travailleurs détachés.

JEROME FLORIN
Sur le chômage partiel vous avez commencé à traquer les fraudeurs, il y a combien d'entreprises qui ont été ou qui seront sanctionnées vous avez déjà des chiffres ?

ELISABETH BORNE
Alors peut-être dire qu'on a fait le choix de mettre massivement en place cette activité partielle et je pense que c'était indispensable. On a 9 millions de Français au plus fort de la crise qui ont été accompagnés, donc je pense que c'est un peu exceptionnel, on peut se dire qu'en France quand l'activité économique s'arrête, l'Etat a pris en charge tout ou partie du salaire de 9 millions de Français. Du coup la contrepartie de la simplicité, c'est qu'évidemment forcément il y a des gens qui ont fraudé, on fait beaucoup de contrôle, on en a déjà fait 25000, on en fera 50000 d'ici la fin de l'été et donc je vous confirme…

JEROME FLORIN
Combien d'entreprises…

ELISABETH BORNE
On a eu 700 entreprises qui ont une suspicion, mais ça va être traité maintenant par la justice, de fraude. 700 aussi qui ont des suspicions d'escroquerie mais on transmettra ça à la justice, on sera intraitable avec ceux qui détournent ce système.

JEROME FLORIN
Toute dernière question à l'ancienne ministre des Transports que vous êtes Elisabeth BORNE, c'est sous votre autorité que le train de primeurs Perpignan-Rungis avait arrêté de circuler, les camions avaient pris le relais, 80 camions par jour, pas très écolo, mais depuis hier, tient miracle les choses vont changer, Jean CASTEX a annoncé le rétablissement de cette ligne. Qu'est-ce qui a… qu'est ce qui s'est passé ?

ELISABETH BORNE
Ah mais je vous confirme que ça fait des mois qu'on a le projet de relancer ce train, vous savez ensuite on a eu un mouvement de grève, on a eu une crise sanitaire et donc moi je suis très heureuse que ce train puisse repartir.

JEROME FLORIN
Ce qui n'était plus possible hier l'est aujourd'hui.

ELISABETH BORNE
Mais absolument mais ça a toujours été ma volonté, moi je suis très heureuse que ça se concrétise.

JEROME FLORIN
C'est miraculeux, merci beaucoup Elisabeth BORNE, ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion, excellente journée et bientôt bonnes vacances.

ELISABETH BORNE
Oui peut-être.

JEROME FLORIN
Peut-être, merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 juillet 2020