Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la seconde partie du projet de loi de finances pour 2021 (nos 3360, 3399).
Nous abordons l'examen des crédits relatifs à la justice (no 3399, annexe 29 ; no 3404, tomes III et IV).
(…)
M. le président. Nous en avons terminé avec les interventions des porte-parole des groupes. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Lorsque je suis arrivé au ministère de la justice, j'ai dit qu'il fallait étendre les bonnes pratiques, éradiquer les mauvaises habitudes de l'institution et, naturellement, donner davantage de moyens à la justice. Nous y sommes.
Avant de répondre plus précisément à chacune et chacun d'entre vous, permettez-moi de présenter les grandes lignes du budget de la justice pour l'année 2021. Il s'agit d'un budget exceptionnel – et je ne fais pas là de la surenchère. Grâce à vous, il donnera à la justice des moyens inégalés depuis plus d'un quart de siècle, permettant à la fois le rattrapage de la loi de programmation de la justice, et le financement des priorités que j'ai affirmées lors de ma prise de fonctions, au premier rang desquelles figure la justice de proximité.
Vous dites, monsieur le rapporteur spécial, avoir lu des gazettes qui évoquaient « l'effet Dupond-Moretti ». Je n'ai pas eu la chance de les lire – tant mieux, sans doute, pour ma modestie naturelle, qui aurait été mise à rude épreuve ! (Sourires sur divers bancs.) Nul besoin, toutefois, de lire des gazettes : il suffit de regarder les chiffres. Oui, je l'affirme, il s'agit d'un budget historique – le qualificatif est justifié, dans la mesure où ce budget atteint un niveau inégalé depuis un quart de siècle.
M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial. Respecter une loi, ce n'est pas vraiment historique !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pour la première fois depuis vingt-cinq ans, le budget de la justice croît de plus de 8%, soit 607 millions d'euros supplémentaires et une augmentation de 200 millions d'euros par rapport à la loi de programmation et de réforme pour la justice, que vous le vouliez ou non. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)
M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial. Eh bien, non !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. En réalité, c'est plus du double de l'augmentation votée en 2019 pour l'année en cours.
M. Patrick Hetzel, rapporteur spécial. Oui, pour l'année en cours seulement !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Il s'agit bien, je le répète, de 200 millions d'euros d'augmentation ; si pour vous, ce n'est rien, alors nous n'avons pas les mêmes valeurs !
À 8,2 milliards d'euros, ce budget est exceptionnel. Il renforce de façon incomparable les moyens humains de l'ensemble des métiers de la justice. Ainsi 1 500 recrutements nets seront-ils effectués au cours de l'année 2021, soit 240 de plus que ceux qui étaient prévus dans la loi de programmation pour la justice pour 2021. S'y ajoutent 950 emplois supplémentaires, que j'ai obtenus en 2020 et qui sont déjà en voie d'être pourvus. Au total, cela représente 2 450 recrutements supplémentaires et un doublement des délégués du procureur, qui passeront de 913 à près de 2 000. Ces personnels viendront au soutien des greffes, qui, je le sais, connaissent encore un taux de vacance de 5% en 2020. Il n'y aura plus de vacance de postes de greffiers fin 2021.
M. Laurent Saint-Martin, rapporteur général. Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ces crédits et ces renforts supplémentaires sont particulièrement bienvenus dans le contexte actuel. Très concrètement, ce sont des moyens en plus pour le renseignement pénitentiaire, pour l'affectation de places dédiées aux détenus radicalisés, ainsi que pour le recrutement et la formation d'agents spécialisés.
J'ai bien noté, monsieur Questel, vos points d'attention concernant la politique carcérale, la surpopulation dans les prisons – sur laquelle m'interpelle également madame Goulet –, le poids de la détention provisoire et la situation en outre-mer. Vous avez justement rappelé les défis que pose la surpopulation carcérale en matière de dignité pour les détenus, de capacités de réinsertion et, évidemment, de sécurité dans les établissements pénitentiaires. Cela reste un enjeu, car le nombre de détenus poursuit sa progression depuis la fin du confinement : le 15 octobre, on comptait 62 842 détenus, 20 682 prévenus et 42 160 condamnés.
Pour faire face à la surpopulation carcérale, mon action au sein du Gouvernement est double. En premier lieu, nous poursuivons le programme de construction de 15 000 places de prison. Pour cela, j'ai besoin du soutien de tous les élus – et de vous particulièrement, mesdames et messieurs les députés – pour convaincre ceux qui localement, ont parfois quelque réticence à voir des établissements pénitentiaires se construire sur leur territoire. En second lieu, nous développerons les aménagements de peines. Dix-sept millions d'euros y sont consacrés dans le volet carcéral de la justice de proximité, à travers le développement des travaux d'intérêt général ou encore de la surveillance électronique.
S'agissant du poids de la détention provisoire, je citerai deux champs d'action nouveaux que je souhaite développer : un accent sera mis sur les prononcés d'assignation à résidence sous surveillance électronique, et le champ d'application de l'assignation à résidence sous surveillance électronique mobile sera étendu.
Enfin, concernant la question pénitentiaire en outre-mer, nous consacrons des efforts importants à la Nouvelle-Calédonie, à la Guadeloupe et à la Guyane, pour ne citer qu'elles.
J'en viens à l'accès au droit, que vous avez évoqué, monsieur Questel, dans la présentation de Mme Avia – je tiens d'ailleurs à saluer chaleureusement cette dernière. Je partage votre vision de la transformation numérique : c'est un vecteur de modernisation essentiel. Elle a été entamée avec le plan de transformation numérique, se poursuit et sera amplifiée dans le cadre du plan de relance.
Pour réussir cette transformation, il faut trois éléments.
Tout d'abord, il faut des crédits. Aussi proposons-nous d'inscrire 235 millions d'euros de crédits, en fonctionnement et en investissement, dans le programme 310 "Conduite et pilotage de la politique de la justice", soit 30 millions de plus en un an, correspondant à une augmentation de 13%.
M. Bruno Questel, rapporteur pour avis. Exactement !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Ensuite, il faut des hommes. C'est pourquoi, dans ce même programme, nous proposons le recrutement de 50 emplois supplémentaires.
Enfin, il faut de l'organisation, du management et du mode projet – les services du ministère s'y emploient, et j'y veille personnellement.
Permettez-moi de citer trois grandes réalisations que conduira le ministère de la justice en 2021, démontrant que nous agissons aussi bien pour le personnel que pour les justiciables et les détenus : le portail des juridictions accompagnera la réforme de la procédure civile dématérialisée ; le système d'information d'aide juridictionnelle contribuera à la modernisation, la simplification et la dématérialisation du dispositif d'aide juridictionnelle ; une expérimentation du portail des agents et des détenus débutera à la maison d'arrêt de Dijon au troisième semestre 2021.
Le projet de budget soutient d'autres réformes, dont une me tient particulièrement à coeur, madame Moutchou : la réforme de l'aide juridictionnelle. J'aurai l'occasion de présenter un amendement à ce sujet ; il montrera que sans attendre, le Gouvernement tire les enseignements des rapports Moutchou-Gosselin et Perben, après concertation dans le cadre du Conseil national de l'aide juridique. En guise de première étape, 50 millions d'euros seront mis sur la table dès le 1er janvier 2021, gage de crédibilité donné à la profession d'avocat, en vue d'enclencher le nécessaire travail de fond concernant l'avenir de ce métier.
Pour finir, et pour répondre aux attentes de M. Houbron et de Mmes Goulet et Untermaier, je partage votre souhait d'une justice proche et humaine, qui a le souci des plus faibles. Parce que la justice garantit le respect du droit dans la vie quotidienne, elle doit être accessible pour tous les justiciables : c'est tout le sens de la justice de proximité. Le projet de budget nous offre des moyens inédits pour déployer cette dernière, soit 200 millions d'euros et le fléchage de 1 100 emplois sur les 2 450 que j'ai annoncés. Ces recrutements profiteront aussi bien aux services judiciaires qu'à l'administration pénitentiaire et à la protection judiciaire de la jeunesse.
La justice de proximité, ce sont des moyens massifs pour rendre une justice plus rapide et de qualité, pour mettre plus rapidement les peines à exécution, pour mieux prendre en charge les établissements pénitentiaires, pour mieux accompagner les mineurs délinquants afin d'éviter la récidive.
Je vous remercie, madame Buffet, pour vos paroles qui démontrent à l'évidence qu'au-delà des clivages, nous pouvons nous entendre sur un certain nombre de choses essentielles – et la justice en fait partie.
Nous devons améliorer le fonctionnement de la justice en général. C'est le sens profond de cette mission budgétaire, puisque tous les maillons de la chaîne judiciaire vont être renforcés pour atteindre les mêmes objectifs : mieux accueillir le justiciable, juger plus vite, mieux exécuter les peines. Voilà ce que les Français attendent de leur justice, et c'est ce que je vous propose de faire en adoptant les crédits de la mission « Justice ». (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)
M. le président. Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée de chaque question et de chaque réponse ne peut excéder deux minutes.
La parole est à M. Pascal Brindeau.
M. Pascal Brindeau. Monsieur le garde des sceaux, je vous pose cette question au nom de ma collègue Sophie Auconie, qui ne peut être présente dans notre hémicycle aujourd'hui. Vous savez que la lutte contre les violences faites aux femmes est un sujet qui lui tient particulièrement à coeur – elle a montré à maintes reprises son engagement sur cette question. Aujourd'hui, elle souhaiterait donc vous interroger sur plusieurs points qui dépendent du budget de votre ministère, en lien avec la lutte contre les violences faites aux femmes.
Nous avons voté de nombreux dispositifs nouveaux, auxquels des moyens financiers doivent désormais être associés afin de s'assurer de l'effectivité du nouvel arsenal juridique.
Ainsi, qu'en est-il exactement du déploiement des bracelets anti-rapprochement ? Vous budgétez aujourd'hui 4,7 millions d'euros ; or l'Espagne, par exemple, en prévoit 6 millions, tandis que le Gouvernement avait initialement annoncé plus de 5 millions. La somme prévue dans le budget pour 2021 est-elle suffisante ? Pensez-vous flécher de nouveaux crédits vers ce dispositif en vue de sa généralisation ?
En outre, les nouveautés législatives comme le bracelet anti-rapprochement, la consécration de la notion d'emprise ou la création de la circonstance aggravante de suicide forcé entraînent un besoin de formation accrue de tous les acteurs concernés. Aussi, des crédits sont-ils prévus pour la formation des magistrats et autres personnels de la justice ?
Enfin, quels sont les moyens destinés au dispositif de soins et de prise en charge des auteurs de violences ?
Nous souhaitons être éclairés sur toutes ces questions, dont dépendent une meilleure prise en charge des victimes et une meilleure prévention des violences faites aux femmes.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. La lutte contre les violences faites aux femmes est une préoccupation majeure pour le Gouvernement et pour le garde des sceaux en particulier.
Je me suis rendu dernièrement à Pontoise à l'occasion de la pose du premier bracelet anti-rapprochement – vous avez pu lire dans la presse, ou dans les gazettes, comme dirait M. le rapporteur spécial, que les premiers bracelets ont été posés récemment. Nous envisageons dès à présent d'y consacrer 5 millions d'euros supplémentaires, que nous avons déjà provisionnés, contrairement à ce qu'affirmait tout à l'heure M. Savignat qui m'interrogeait à ce sujet.
Par ailleurs, 1 750 téléphones grave danger seront prochainement disponibles – vous n'en avez pas parlé, mais je tenais à vous apporter cette précision parce que cet outil permet de lutter efficacement contre les violences faites aux femmes.
Vous savez que notre engagement sur cette question est total. Dans le cadre des bonnes pratiques que j'ai évoquées tout à l'heure, je suis d'ailleurs en train d'étendre un dispositif qui permet à la victime de violences conjugales d'être immédiatement et totalement prise en charge, tant sur le plan médical que sur les plans judiciaire, psychologique et social. Nous sommes en train d'y travailler. J'aurai sans aucun doute l'honneur et le plaisir d'évoquer ces questions prochainement car, je le répète, tout ce qui peut être fait pour lutter contre les violences faites aux femmes constitue une priorité pour le Gouvernement, dont l'engagement est total. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Caroline Abadie.
Mme Caroline Abadie. Je veux moi aussi saluer le travail remarquable des personnels pénitentiaires, de la PJJ et, plus généralement, de la justice qui, au cours de cette difficile année 2020, a permis de contenir le covid-19 et de réduire la surpopulation carcérale.
Ma question porte plus particulièrement sur le pénitentiaire.
Parallèlement à la poursuite de la politique d'améliorations catégorielles – plus de 29 millions d'euros supplémentaires seront consacrés à ces mesures en 2021 –, 5 314 places seront livrées ou en cours de travaux en 2022. Voilà donc une promesse qui se réalise ! Ces efforts exceptionnels permettront à coup sûr une amélioration non seulement des conditions de travail des agents, mais également des conditions de détention.
Toutefois, même si l'acquisition du foncier est sécurisée pour 73% des places, il faut continuer à inviter les collectivités territoriales à travailler avec le ministère de la justice pour poursuivre cet effort pénitentiaire. Nous devons sans doute trouver des leviers supplémentaires qui permettraient d'inciter encore davantage les collectivités territoriales. Je vous soumets une piste, que je défendrai par voie d'amendement lors de l'examen des crédits de la mission « Cohésion des territoires » : je propose de prendre en compte les nouvelles places de prison dans le cadre des obligations fixées aux communes en matière de logement social.
Enfin, il est difficile de ne pas vous interroger sur la poursuite de l'activité judiciaire pendant ce deuxième confinement. Nous craignons beaucoup que le retard pris au premier semestre ne puisse être rattrapé, ou pas assez rapidement. On sait que le télétravail est possible pour de nombreux personnels de la justice, mais pas pour tous – je pense en particulier aux greffiers. Or la justice a montré, s'il était besoin, qu'elle est de ces services publics qui ne peuvent pas se confiner, a fortiori quand le pays traverse une telle crise. Ma deuxième question est donc simple, monsieur le garde des sceaux : quelles mesures mettez-vous en oeuvre pour augmenter la résilience sanitaire de la justice ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
M. Aurélien Pradié. La résilience sanitaire ? Quel concept ! Je me demande ce que cela peut vouloir dire !
M. Bruno Questel, rapporteur pour avis. Vous avez bien fait de venir, monsieur Pradié !
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je tiens tout d'abord à saluer moi aussi le travail, le sérieux et le professionnalisme des services du ministère de la justice, et notamment de l'administration pénitentiaire. Compte tenu des conditions dans lesquelles le premier confinement a été appliqué, nous pouvons nous féliciter qu'il n'y ait pas eu d'incident majeur dans nos prisons, contrairement à ce qui est arrivé malheureusement dans d'autres pays. Dans les semaines qui viennent, les personnels vont encore une fois devoir redoubler d'efforts. Je suis sûr que la représentation nationale s'associe à mes remerciements pour les mois passés et à mes encouragements pour les semaines à venir.
Pour la nouvelle période qui commence, l'ensemble du ministère va bien sûr se mobiliser, cherchant à mieux concilier le maintien de l'activité avec le strict respect des règles sanitaires, au travers de cinq grands principes.
Le premier est le maintien de l'activité, qui est d'une importance capitale. Contrairement à ce qui s'est passé lors du premier confinement, les juridictions seront ouvertes et accueilleront les justiciables ; de même, les parloirs des établissements pénitentiaires seront maintenus. C'est ce que j'ai annoncé aux 84 000 agents du ministère.
Le deuxième principe est le développement massif du télétravail, lorsqu'il est possible, évidemment. Nous veillerons à ce qu'une dotation importante de matériel soit mise à disposition des personnels. Plus de 4 000 ordinateurs seront déployés dans l'administration pénitentiaire, ce qui permettra aux agents de télétravailler – je pense en particulier aux CPIP, les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation, qui exercent en milieu ouvert.
Troisièmement, nous allons assurer la présence des cadres pour accompagner les agents de catégories C et B devant les juridictions et les services.
Quatrièmement, nous allons adapter le fonctionnement des juridictions pour éviter aux agents de circuler aux heures de pointe dans les grandes métropoles et dans les transports en commun.
Enfin, nous assurerons la protection des usagers et des agents en accueillant les personnes extérieures dans des espaces permettant de respecter les règles de distanciation et les gestes barrières. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Breton.
M. Xavier Breton. Je poserai une première question d'ordre général puis une seconde question sur un point plus particulier, qui concerne l'aide aux victimes.
En 2018, la Cour des comptes a mené une enquête sur la gestion des crédits de votre ministère, à la demande du président de la commission des finances de notre assemblée. La conclusion en était que la gestion des crédits devait être profondément revue. La Cour des comptes évoquait en effet des insuffisances dans la mesure de l'activité des juridictions ainsi que dans la répartition des moyens ; elle préconisait l'utilisation d'un outil de pilotage intégré. Qu'en est-il aujourd'hui de cette préconisation, alors que le ministère de la justice est l'un des rares à ne pas avoir de comptabilité analytique ? D'autres propositions ont été faites en vue de permettre une vision budgétaire plus fine – par exemple, doter chaque cour d'appel d'un budget opérationnel de programme. On le voit, il est nécessaire d'assurer un pilotage plus fin de la gestion des crédits.
Nous vous avons entendu, monsieur le garde des sceaux, souligner l'augmentation des crédits de votre ministère, mais nous avons également entendu le rapporteur spécial, Patrick Hetzel, expliquer qu'il s'agissait surtout d'un rattrapage par rapport à la loi de programmation de la justice. Au-delà des chiffres, allez-vous donc mettre en place un outil de gestion plus fine des crédits du ministère de la justice, dont nous savons toute l'importance, a fortiori dans le contexte actuel ?
Ma deuxième question porte sur l'aide aux victimes, une politique visant à améliorer la prise en charge des victimes en leur apportant un soutien matériel et psychologique. Je veux insister sur le travail formidable effectué par les associations d'aide aux victimes. Or le budget que vous proposez prévoit 28,8 millions d'euros pour l'aide aux victimes en 2021, soit une hausse de 1,7% par rapport à 2020. Certes, il y a bien une progression, mais quand on la compare aux autres augmentations, qui sont supérieures et dont le taux est parfois de deux chiffres, on voit bien que l'aide aux victimes n'est pas une priorité pour l'année prochaine. Que comptez-vous faire pour renforcer votre soutien aux associations d'aide aux victimes, dont le travail est formidable ?
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Monsieur Breton, je ne sais pas si vous étiez déjà là en 2018, mais moi, j'étais loin de la chancellerie. J'ai pris connaissance du rapport de la Cour des comptes et je puis vous indiquer que nous travaillons à une comptabilité analytique – je pense que cela va satisfaire votre curiosité légitime et votre inquiétude. Je suis d'ailleurs tout à fait prêt à vous associer à ces travaux : franchissez ma porte, et vous verrez que sommes en train de travailler en vue de pallier la difficulté évoquée par la Cour des comptes. Cela me paraît très important : les comptes doivent évidemment être parfaitement transparents. Votre question va dans le bon sens, et je pense que ma réponse vous satisfera.
S'agissant de l'aide aux victimes, les crédits augmentent depuis plus de cinq ans, et c'est encore le cas cette année. Je vous rappelle que nous mettons en place un certain nombre d'outils en la matière, notamment le bracelet anti-rapprochement. Je ne puis que vous rassurer sur cette question qui, là encore, est tout à fait légitime ; je comprends que le sujet vous préoccupe, mais sachez qu'il préoccupe tout autant le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Aurélien Pradié.
M. Aurélien Pradié. La question des violences intrafamiliales est capitale, pour de nombreuses années et singulièrement dans la période que nous traversons. Vous le savez aussi bien que nous, monsieur le garde des sceaux : les derniers chiffres sont très mauvais et ce qui s'annonce est tout à fait alarmant. Nous aurons l'occasion de revenir sur la question du financement du bracelet anti-rapprochement.
Vous comprendrez, monsieur le garde des sceaux, que la représentation nationale soit aussi exigeante que vous sur ces sujets, et que nous attendions de votre part des réponses précises. Il y a justement une question précise à laquelle vous n'avez pas répondu tout à l'heure ; je la repose donc maintenant.
À l'issue du Grenelle des violences conjugales, le Premier ministre de l'époque, M. Édouard Philippe, avait annoncé que deux centres d'accueil des auteurs de violences seraient ouverts dans chaque région de France. Aujourd'hui, nous en sommes très loin : seule une petite poignée de centres existent à l'échelle du pays. Le budget que vous avez présenté ne comporte pas de financement fléché vers cet objectif en vue d'ouvrir, au minimum, un centre d'accueil par région, le mieux étant d'en ouvrir deux conformément aux annonces faites à l'issue du Grenelle. Ma question est donc simple : monsieur le garde des sceaux, pouvez-vous nous dire quel budget sera consacré à la réalisation de cette annonce politique, de cette promesse qui devrait être tenue dans l'année à venir ?
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je suis très surpris, monsieur le député, que vous me posiez la question en ces termes. Vous devriez en effet savoir que ces centres sont financés par le truchement d'associations et que 20 millions d'euros y sont consacrés dans le budget. C'est aussi simple que cela.
M. le président. La parole est à Mme Maina Sage.
Mme Maina Sage. Je profite de l'examen de ce budget, monsieur le garde des sceaux, pour vous sensibiliser aux conditions d'exercice de la justice outre-mer. Je vous félicite pour les moyens exceptionnels qui seront déployés dans les années à venir, mais je souhaite qu'ils puissent aussi bénéficier aux territoires ultramarins.
Dans son récent rapport, le bâtonnier de Guyane, Patrick Lingibé, dénonce justement des carences en matière de services et d'accès au droit. Je rappelle que le taux de pauvreté est quatre à huit fois supérieur en outre-mer, et que le coût de la vie y est supérieur de 40% environ. Compte tenu, de surcroît, du nombre plus faible d'avocats, les inégalités d'accès au droit s'en trouvent accrues.
Je sais qu'un décret relatif à l'aide juridique et juridictionnelle est en cours d'élaboration. Pouvez-vous préciser quels moyens spécifiques seront octroyés pour renforcer l'accès au droit dans les territoires ultramarins ?
J'en viens au cas plus particulier de la Polynésie. Vous le savez, il a fallu quinze ans pour créer le tribunal foncier de Papeete, dont l'établissement a été voté ici même en 2014, suite à quoi il a fallu encore trois ans pour lui donner corps ; deux autres années ont été nécessaires pour faire aboutir la réforme du code civil visant à l'adapter aux spécificités du territoire. Or il faut pérenniser les moyens et les postes – magistrats, assesseurs, greffiers. À l'heure actuelle, deux greffiers sont temporairement redéployés dans d'autres chambres. D'autre part, pouvez-vous confirmer le lancement d'un concours d'entrée dans le corps de l'État pour l'administration de la Polynésie française – le CEAPF – afin de recruter une dizaine de greffiers ? Les postes des deux magistrats affectés au tribunal foncier seront-ils pérennisés ?
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Le ministère de la justice a investi massivement en outre-mer, comme je l'ai rappelé lors de mon intervention liminaire.
Le rapport sur la justice en outre-mer du bâtonnier Lingibé présente notamment des pistes de réforme en matière d'accès au droit, et j'y suis évidemment très sensible, qu'il s'agisse de la prise en considération des différences sociales, de l'éloignement géographique ou de l'importance de l'aide juridictionnelle en faveur des territoires ultramarins. Je tiens à vous rassurer, madame Sage : la justice de proximité que je défends concernera pleinement les territoires ultramarins – c'est une évidence, mais encore faut-il la rappeler.
Pour remédier à la dispersion des services judiciaires et à la suroccupation du palais de justice actuel, la livraison de la cité judiciaire à Papeete est prévue en 2025 pour un montant estimé à 30 millions d'euros. Le financement de cette opération est bien prévu dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice.
S'agissant enfin du lancement du concours de greffier, je rappelle que les greffiers affectés à Papeete relèvent d'un corps spécifique dont la faible volumétrie – 48 emplois en 2020 – explique que des concours ne sont pas organisés chaque année. Toutefois, il est bien prévu d'organiser un concours en 2021. Nous travaillons actuellement à modifier l'arrêté fixant son organisation générale, la nature et le programme des épreuves ainsi que la composition du jury.
M. le président. La parole est à M. Nicolas Meizonnet.
M. Nicolas Meizonnet. Les crédits de la justice pour 2021 sont en hausse et il faut s'en réjouir, bien qu'ils ne suffisent pas à combler le retard accumulé depuis des années concernant les moyens de la justice. Oui au recrutement de magistrats, de greffiers et autres agents dans les tribunaux et dans l'administration pénitentiaire, oui à la justice de proximité. Tout cela peut aller dans le bon sens, à une condition : la justice doit être rendue au nom du peuple et il ne vous a pas échappé que le peuple, lui, ne croyait plus en la justice de ce pays, et pour cause ! La délinquance et la criminalité ont augmenté de façon fulgurante. Le terrorisme prospère inexorablement et, bien que nos forces de police accomplissent sur le terrain un travail remarquable, la justice n'est pas au rendez-vous pour assurer la sécurité des personnes et des biens. Faute de moyens, peut-être ? Partiellement ! C'est aussi la faute à une idéologie, à un laxisme qui renforce le sentiment d'impunité des criminels et des délinquants qui pourrissent la vie des citoyens honnêtes.
L'insécurité, monsieur le garde des sceaux, n'est pas un sentiment ; elle est réelle et se mesure chaque jour. Les Français ne font plus confiance aux magistrats et ne vous font plus confiance non plus – pas seulement à cause de vos formules comme « la France n'est pas un coupe-gorge » ou de votre partie de baby-foot, mais parce qu'ils constatent l'inapplication et l'inadéquation des peines. Ils voient bien que les multirécidivistes aux casiers judiciaires longs comme le bras sont libres de sévir encore et encore, et que rien n'est fait. Ils voient bien qu'on libère des centaines d'islamistes. Ils voient bien que dans ce pays, la perpétuité réelle n'existe pas, même pour les pires ordures. Où sont les sanctions ? C'est tout cela qui est parfaitement insupportable pour les Français – et on les comprend.
Ma question est simple, monsieur le ministre : cette augmentation budgétaire, c'est très bien, mais allez-vous changer vous-même de logiciel ? Allez-vous vous placer du côté des victimes plutôt que de celui des voyous ? Allez-vous enfin prendre des mesures sérieuses pour que les délinquants,…
M. Bruno Fuchs. Oh là là…
M. Nicolas Meizonnet. …les criminels, les terroristes, les islamistes et tous ceux qui contreviennent à nos lois soient réellement condamnés et mis hors d'état de nuire ?
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Vous vous trompez de jour, monsieur le député. Attendez la séance des questions au Gouvernement pour me poser cette question et vous aurez une réponse bien ferme ! Aujourd'hui, nous parlons du budget. C'est sans doute pour vous l'occasion – télévisée – de nous livrer une fois de plus vos vieilles recettes, vos vieilles lunes.
Mme Naïma Moutchou. Il a raison !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. L'insécurité existe en effet et j'ai émis l'idée qu'il ne fallait pas y ajouter un sentiment d'insécurité – voilà les propos que j'ai tenus. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.) Quant au coupe-gorge, c'est dans un tout autre contexte que j'en ai parlé, mais avec l'opportunisme, le cynisme, la démagogie qui vous caractérisent,…
M. Bruno Questel, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. …vous avez repris ce mot pour le plaquer sur les malheureux attentats terroristes que nous connaissons ! Voilà ma réponse : nous parlons aujourd'hui de budget ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)
M. Bruno Questel. Bravo !
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 6 novembre 2020