Déclaration de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi relatif au parquet européen et à la justice pénale spécialisée, à l'Assemblée nationale le 8 décembre 2020.

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Circonstance : Discussion à l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée,

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi, adopté par le Sénat, relatif au parquet européen et à la justice pénale spécialisée (nos 2731, 3592).
Présentation

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Le projet de loi relatif au parquet européen et à la justice pénale spécialisée que nous examinons aujourd'hui traite en particulier de l'Europe et de l'environnement. Ce sont des sujets particulièrement chers à ce gouvernement et vous comprendrez le plaisir qui est le mien d'être devant vous pour présenter ces réformes importantes, à la fois opérationnelles et fortes en symboles.

Il s'agit d'intégrer dans notre droit la création d'une nouvelle institution européenne qui constitue une rupture conceptuelle pour l'espace judiciaire européen, évolution dans laquelle la France peut s'enorgueillir d'avoir joué, depuis le début, un rôle moteur.

Rupture conceptuelle car, pour la première fois, une structure européenne, le nouveau parquet européen, sera compétent pour exercer directement l'action publique partout sur le territoire des vingt-deux États membres participants.

Mécanisme équilibré aussi car tout en actant cette nouvelle compétence européenne, le parquet européen respecte pleinement notre système judiciaire, dans lequel il s'intègre de façon harmonieuse.

De quoi s'agit-il au fond ? Ce nouveau parquet européen aura pour mission de combattre les fraudes au budget de l'Union européenne. Ce budget est le principal levier d'action de l'Union européenne : il finance toutes les politiques communes ; c'est en quelque sorte notre bien commun. Ce sera donc désormais au niveau européen que les fraudes européennes, dont la nature est souvent transnationale, pourront être poursuivies. Entre 2010 et 2019, l'Office européen de lutte anti-fraude – OLAF – a recommandé le recouvrement de plus de 7,3 milliards d'euros. En 2018, d'après la Commission européenne, les fraudes à la taxe sur la valeur ajoutée – TVA – ont représenté 140 milliards d'euros de manque pour le budget des États membres, et il y a lieu de craindre que ce chiffre soit plus élevé en 2020.

En cette période difficile où l'Europe, à travers un plan de relance sans précédent, se mobilise pour faire repartir nos économies, la lutte contre la fraude aux financements européens est impérative. C'est une question de crédibilité pour l'Union et un devoir vis-à-vis des contribuables européens. C'est précisément pour mettre un terme à ces agissements pour lesquels l'action au niveau national n'est pas suffisante qu'a été pensé le parquet européen.

Je me réjouis du large consensus qui a présidé à l'adoption par le Sénat, puis par votre commission des lois, des dispositions modifiant le code de procédure pénale, le code de l'organisation judiciaire et le code des douanes qui garantiront le fonctionnement du parquet européen.

Ce projet de loi permet, d'une part, d'assurer l'indépendance statutaire des procureurs européens requise par le règlement européen et, d'autre part, d'organiser les modalités selon lesquelles ils pourront conduire leurs investigations et exercer leurs poursuites devant les juridictions françaises. Ils disposeront ainsi des mêmes prérogatives que le procureur de la République mais aussi, ce qui est beaucoup plus novateur, de certaines prérogatives des juges d'instruction, le cas échéant, sous le contrôle du juge des libertés et de la détention – JLD –, lorsqu'ils seront amenés, pour les besoins de l'enquête, à porter atteinte aux libertés individuelles.

Sans anticiper sur nos débats, et comme je l'ai déjà dit devant la commission des lois, je tiens dès à présent à apaiser des craintes de deux ordres.

À ceux qui voient une atteinte à notre souveraineté, je rappelle que cette question a été tranchée par le Conseil d'État, qui a indiqué que l'insertion de cette nouvelle institution dans notre système judiciaire n'appelait pas de nouvelle révision constitutionnelle. J'ajoute d'ailleurs que les procureurs européens délégués – PED – appliqueront la procédure française ainsi aménagée en se reposant sur les services d'enquête nationaux et en exerçant les poursuites devant le tribunal judiciaire de Paris. Celui-ci se voit d'ailleurs doter d'une compétence exclusive pour l'ensemble des matières relevant de la compétence du parquet européen.

À ceux qui craignent que ce nouveau parquet soit un premier pas vers la remise en cause du juge d'instruction français, je veux dire qu'il n'en est rien : l'organisation judiciaire de droit commun restera ce qu'elle est.

Je souhaite ensuite évoquer l'autre volet de ce texte, celui relatif à la justice pénale spécialisée.

Le projet de loi renforce significativement l'efficacité et la cohérence des dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, la délinquance économique et financière ainsi qu'aux atteintes à l'environnement. À cette fin, il facilite l'exercice des compétences des parquets spécialisés, dont l'expertise est désormais reconnue. Leur action sur notre territoire doit être coordonnée au mieux pour permettre une meilleure réponse pénale dans des domaines souvent complexes.

De même, le parquet national antiterroriste verra ses compétences élargies, en particulier en matière d'entraide avec la Cour pénale internationale, dont il devient l'interlocuteur privilégié. Les travaux de la commission des lois, qui ont enrichi ces dispositions, vont aussi lui permettre de bénéficier de l'appui précieux d'assistants spécialisés en matière de terrorisme.

Le renforcement de l'efficacité de la justice en matière environnementale est le troisième grand axe de ce projet de loi. Je serai d'ailleurs favorable à l'amendement de Mme Naïma Moutchou, rapporteure de la commission des lois, qui vise à inclure cette dimension dans son intitulé même. Permettez-moi de profiter de cet instant pour adresser des remerciements appuyés à Mme la rapporteure, ainsi qu'à Didier Paris, pour leur implication et pour leur travail d'une très grande qualité. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.)

La protection de l'environnement est certainement le combat de cette génération et de celle qui vient. Et je vous le dis en tant que garde des sceaux, mais aussi en tant que citoyen, la justice doit bien évidemment y prendre toute sa part. Il nous faut progresser substantiellement dans cette matière.

Un rapport conjoint de l'inspection des services judiciaires et du Conseil général de l'environnement et du développement durable – CGEDD – l'année dernière a mis en lumière les difficultés et les insuffisances en ce domaine. Quantitativement, le contentieux environnemental représente seulement 1% des condamnations pénales, contre 2% dans les années quatre-vingt-dix. En matière civile, le constat est pire encore, puisqu'il ne représente que 0,5% des décisions prononcées. En 2017, seules 139 personnes morales ont été condamnées à une amende pour une infraction de nature environnementale. Qualitativement, ensuite, les peines prononcées sont faibles : en 2017, la peine d'amende ferme moyenne était de seulement 27 000 euros.

Ces quelques chiffres témoignent à l'évidence de l'inadaptation de la réponse pénale, qui n'est plus à la hauteur des attentes de nos concitoyens, et nous ne pouvons l'accepter. Face à des enjeux globaux de préservation de l'environnement, la réponse se doit elle aussi d'être globale. Si le texte améliore d'une manière indispensable le cadre procédural, il sera complété par des dispositions de droit pénal matériel qui seront intégrées dans la loi "Convention citoyenne pour le climat", laquelle comportera un titre dédié à la justice environnementale.

Nous proposons ici d'étendre le mécanisme de la convention judiciaire d'intérêt public au domaine de l'environnement afin de favoriser la remise en l'état, sous le contrôle du juge, lorsque des dégradations à l'environnement ont eu lieu. Nous prévoyons aussi la création, dans chaque cour d'appel, d'une juridiction spécialisée dans le domaine de l'environnement. Le travail de la commission des lois a d'ailleurs permis de l'étendre au domaine civil, pour que le même juge puisse connaître des aspects civils et des aspects pénaux de cette matière très spécifique.

Le texte propose aussi, grâce à une nouvelle amélioration de la commission des lois soutenue par vos rapporteurs, de conférer le statut d'officier de police judiciaire – OPJ – aux inspecteurs de l'Office français de la biodiversité – OFB.

Je tiens à remercier l'ensemble des membres de la commission du développement durable, dont le travail a permis, là encore, de perfectionner le texte que nous vous présentons. Par la voix de sa rapporteure pour avis, Souad Zitouni, a notamment été actée la création d'assistants spécialisés en matière d'environnement rattachés aux nouveaux pôles environnementaux qui seront les véritables chevilles ouvrières de la justice environnementale que nous appelons de nos voeux.

Enfin, permettez-moi de saluer le travail de la rapporteure pour observation de la commission des affaires européennes, Liliana Tanguy, qui a permis d'accompagner la mise en place de cette nouvelle institution européenne tant attendue.

Vous l'aurez compris, le texte que nous examinons cet après-midi répond à plusieurs des engagements forts de ce quinquennat : l'engagement pour l'Europe, d'abord, qui fait l'identité même de cette majorité qui, depuis 2017, oeuvre, je le sais, aux côtés du Président de la République à poursuivre cet idéal européen qui porte en lui les réponses aux défis d'aujourd'hui et de demain ; l'engagement écologique, ensuite, né de l'indiscutable urgence d'agir pour préserver notre environnement en mettant en branle toutes nos institutions.

C'est mon rôle en tant que garde des sceaux que d'assurer la pleine mobilisation de la justice pour participer à ce défi majeur. Ce texte en est la première étape indispensable et je suis heureux, très heureux devrais-je dire, d'en débattre avec vous. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem. – M. Jean Lassalle applaudit aussi.)


source http://www.assemblee-nationale.fr, le 11 décembre 2020