Déclaration de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, sur les politiques de lutte contre la pauvreté, les propositions et les recommandations, Assemblée générale le 12 janvier 2021.

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M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur les politiques de lutte contre la pauvreté.

La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties : dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le ministre des solidarités et de la santé. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Pierre Cordier. Ministre des vaccins !

M. Fabien Di Filippo. Ministre de la logistique !

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Je voudrais d'abord vous remercier, en particulier vous, monsieur Pradié, pour l'inscription à l'ordre du jour de ce débat sur la question des politiques publiques de lutte contre la pauvreté. Je vous remercie parce que c'est le rôle du Parlement de s'exprimer sur ce sujet, de faire un diagnostic, de le partager, mais aussi d'émettre des propositions et des recommandations.

M. Olivier Véran, ministre. Je ne suis pas venu livrer un discours sur la pauvreté qui ferait date, avec de grands mots et des citations, même s'il est important de se référer à l'histoire. Je ne suis pas venu devant vous pour un autosatisfecit ou pour réciter une longue liste à la Prévert des mesures mises en place montrant que nous aurions fait mieux que nos prédécesseurs…

M. Jean-Paul Lecoq. Ça n'aurait pas été crédible !

M. Olivier Véran, ministre. Je suis venu devant vous pour débattre, discuter, échanger. Quel que soit notre bord politique, nous partageons évidemment le constat et la volonté de lutter contre la pauvreté, voire de l'éradiquer un jour. Nous pouvons avoir chacun l'esprit ouvert, sans nous renvoyer la balle. Pas un gouvernement, pas une majorité quelle qu'elle soit, au cours des dernières décennies, ne peut s'enorgueillir d'avoir fait véritablement reculer, de façon massive, la pauvreté. Sinon, nous n'en serions pas là et le débat de ce soir ne porterait pas sur les politiques publiques de lutte contre la pauvreté. Une fois que nous sommes dit cela, nous pouvons sans doute trouver le moyen de travailler ensemble.

M. Olivier Véran, ministre. Je m'excuse pour l'analogie, vous allez dire que cela m'obsède – ce n'est pas totalement faux –, mais, je définirai la pauvreté, ou plutôt la misère, un peu comme une pandémie. Cette pandémie touche toutes les sociétés, tous les pays du monde y font face, pas uniquement la France, sans que nous ayons identifié de vaccin. Le constat est clair et, à la différence d'un virus, la misère ne se transmet ni par les mains ni par la salive, elle se transmet par le destin, l'héritage. Certains ont dit que la pauvreté pouvait être héréditaire : c'est un déterminisme qui est absolument insupportable. Elle se transmet aussi par des accidents de la vie, de nombreuses familles se retrouvent dans ces situations. Je le répète, nous avons affaire à une forme de déterminisme insupportable que nous devons combattre de toutes nos forces.

M. Olivier Véran, ministre. Je vais essayer de décliner mon raisonnement en bon médecin, traitant d'abord du diagnostic, avant d'évoquer les différents moyens que nous pourrions trouver ensemble pour lutter avec plus d'efficacité contre la misère.

Pour poser le diagnostic, demandons-nous quelle est dans notre pays la première raison d'entrée dans la pauvreté : c'est la perte de son emploi. Les associations le confirment. J'ai d'ailleurs eu l'honneur de présider, aux côtés de la présidente du Secours catholique, un des ateliers organisés dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté. Les associations indiquent que l'une des raisons principales, c'est aussi la séparation au sein des couples. Il ne s'agit pas de les dissuader de se séparer, mais un divorce, un nouveau départ dans la vie, ne devrait pas s'accompagner de la mise en danger de son propre patrimoine et donc de celui de ses enfants actuels ou à venir.

Il y a bien d'autres facteurs dont nous pourrions débattre : je pense aux situations sanitaires, qui peuvent compliquer singulièrement les choses. Je tiens toutefois à souligner l'importance du déterminisme de la naissance : j'ai été marqué d'apprendre que si vous naissez dans une famille pauvre, il faut en moyenne quatre à six générations pour que l'un de vos descendants sorte de la pauvreté. Ce déterminisme très fort, la perte de l'emploi comme la difficulté d'en trouver un, ainsi que les séparations, tels sont les principaux facteurs de la pauvreté.

M. Jean-Paul Lecoq. Les salaires de misère existent aussi !

M. Olivier Véran, ministre. Vous avez raison, monsieur le député, bien sûr que les travailleurs pauvres existent, que des gens ne vivent pas correctement de leur métier, je l'ai dit plus qu'à mon tour. Prenons l'exemple des aides à domicile ou des auxiliaires de vie scolaire, qui pratiquent des métiers ô combien importants pour la société, voire irremplaçables : le confinement a montré que le pays ne pouvait pas tourner sans les personnes qui aident les Françaises et les Français au quotidien. On se rend compte de l'importance des aides à domicile quand on est une personne vulnérable : nous ne devrions pas l'ignorer même quand nous ne le sommes pas. Soutenons celles et ceux qui font que la société tourne, je suis d'accord avec vous.

Quant aux salaires trop faibles des travailleurs pauvres,  je suis très fier de ce point de vue de l'augmentation de la prime d'activité, un vrai gain de pouvoir d'achat pour des centaines de milliers de Français : ce n'est pas moi qui l'affirme, mais l'INSEE. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.) Il est possible de partager le diagnostic, tout en considérant que notre stratégie de lutte contre la pauvreté demeure insuffisante, mais il est possible également de considérer que, parmi les mesures prises, certaines vont dans le bon sens. Car si nous ne parvenons pas à nous mettre d'accord au moins sur le constat, reconnaissant que certaines mesures ont permis de lutter contre la pauvreté, voire de la faire régresser, comment voulez-vous, mesdames, messieurs les députés, que nous ayons une chance de trouver ensemble une solution qui permette d'aller plus avant encore dans la recherche des moyens de lutter plus efficacement contre la misère ?

M. Jean-Paul Lecoq. L'augmentation des salaires, c'est mieux !

M. Olivier Véran, ministre. Ensuite, il y a la question des traitements, qu'ils soient préventifs, curatifs ou palliatifs.

Les traitements préventifs visent à faire échapper à la pauvreté une personne qui a des facteurs de risque d'y tomber ou de s'y maintenir. Boris Cyrulnik a remis à Adrien Taquet et à moi-même un rapport du comité scientifique qu'il présidait sur les 1 000 premiers jours de l'enfant, composé de gens très biens – de tous bords politiques, je vous rassure. Ce rapport formule des mesures très intéressantes, visant à lutter contre ce déterminisme, que j'ai évoqué, qui fait que, si vous êtes né dans une famille pauvre, vous aurez beaucoup plus de mal à vous en sortir dans la vie – si vous ne l'avez pas lu, je vous invite à le faire. Vous en avez voté une : le développement du congé paternité, qui permet aux pères d'être constamment présents auprès de l'enfant dans les premières semaines et d'éviter ainsi aux mères des ruptures professionnelles trop longues, ruptures qui leur rend plus difficile encore la possibilité de trouver de bons emplois dans la société française d'aujourd'hui.

Parmi les autres mesures de prévention auxquelles je crois fondamentalement, il y en a une autre, que votre assemblée a également votée : le dédoublement des classes de CP et de CE1 en zones REP et REP+ – réseau d'éducation prioritaire. Un tel dédoublement est efficace car n'être que douze dans une classe facilite l'apprentissage de la lecture et de l'écriture pour les élèves issus d'un milieu social précaire et vivant dans un contexte particulièrement fragile. Vous avez tous assisté à des rentrées scolaires : vos circonscriptions sont bariolées, elles sont toutes composées de communes aisées et d'autres qui le sont moins. A côté d'établissements où 100 % des effectifs sont présents le premier jour, le père et la mère assistant parfois ensemble aux réunions de parents d'élèves, il y en a d'autres, où la rentrée est plus difficile. Il faut mettre le paquet sur ces écoles-là.

À cet égard, rendre la scolarité obligatoire dès l'âge de 3 ans et jusqu'à 18 ans, c'est refuser l'idée de laisser des enfants au bord du chemin et décider de les accompagner. Je me souviens d'une très bonne mesure mise en place à Grenoble par un maire socialiste : des classes passerelles permettant d'intégrer des petits dès l'âge de 2 ans dans le milieu scolaire pour leur donner plus de chances de surmonter les inégalités liées au milieu familial. Je crois, pour ma part, à tous ces moyens de prévention de la pauvreté.

Quant aux traitements curatifs, le premier d'entre eux est l'accès à l'emploi, lequel est, dans notre pays, la première des solidarités. L'emploi fait sortir de la misère, puisque la personne peut alors, grâce au revenu de son travail, faire régulièrement ses courses, élever ses enfants dans de bonnes conditions, acheter les moyens de se déplacer, éventuellement voyager, communiquer, au moins se loger et se nourrir. Les gouvernements qui conduisent des politiques en faveur de l'emploi – ceux qui nous ont précédés, celui-ci comme ceux qui nous suivront – ont toujours à l'esprit le fait que l'emploi est le premier moyen de sortir de la misère, et que le perdre représente le principal risque d'y tomber.

Le Gouvernement a pris, pendant le confinement, des mesures de chômage partiel pour permettre, « quoi qu'il en coûte », aux Français empêchés, de fait, de travailler, de continuer à vivre en percevant toujours une rémunération : ne croyez-vous pas qu'il a fait ce choix afin de limiter la pauvreté dans notre pays ?  Souvenez-vous de la crise économique de 2008 qui a frappé l'Europe : les amortisseurs sociaux ont permis à la France d'avoir trois fois moins de nouveaux pauvres qu'en Allemagne. On compare souvent l'Allemagne et la France dans de nombreux domaines : or je n'ai jamais entendu rappeler ce fait. N'oublions donc pas les amortisseurs sociaux que nous avons mis en place, non seulement le chômage partiel, mais aussi l'accompagnement des artisans, des commerçants et des autres indépendants.

Ceux d'entre vous qui soulignent que la misère s'est développée dans ces milieux professionnels, jusqu'ici relativement épargnés, ont raison, d'autant que ces professionnels, déjà touchés dans leurs sources de revenus, mettent également en jeu leur patrimoine personnel – le commerce est souvent possédé en fonds propres. C'est l'honneur de l'État français de soutenir comme il le fait l'ensemble de ces professions, montrant ainsi à tous nos concitoyens que personne ne restera sur le bord du chemin. L'obligation de formation et la prime d'activité sont, eux aussi, des outils très efficaces pour lutter contre la pauvreté.

Enfin, quand toutes ces mesures n'ont pas suffi, quand les outils de prévention n'ont pas été suffisamment développés, quand les dispositions visant le maintien dans l'emploi n'ont pas atteint leurs objectifs, quand les publics concernés ne sont pas suffisamment accessibles, il y a, alors, les traitement palliatifs – le terme n'est en rien péjoratif : les amortisseurs sociaux. Il s'agit des prestations sociales. Bien sûr qu'il en faut et qu'elles coûtent, mais elles sont tout aussi vitales. Cette majorité a voté une augmentation très importante, de 100 euros nets par mois, de plusieurs prestations : je pense non seulement à l'allocation de solidarité aux personnes âgées, l'ASPA, destinées à celles qui ne peuvent pas bénéficier d'une retraite, alors qu'elles ont travaillé toute leur vie, mais également à l'allocation aux adultes handicapés et au reste à charge zéro appliqué depuis le 1er janvier.

Je suis certain que vous avez reçu, comme moi lorsque j'étais député, des habitants de votre circonscription pour lesquels s'appareiller pour bien entendre coûtait trop cher, puisque le reste à charge par oreille s'élevait à 2 000 euros. Vous avez également croisé, comme moi, des personnes qui n'avaient pas assez d'argent pour se payer des prothèses dentaires dignes de ce nom, ou encore des personnes qui avait cassé leur lunettes et vous demandaient comment percevoir une aide sociale pour pouvoir les remplacer. Le reste à charge zéro, c'est l'assurance que personne ne sera désormais privée de tous ces soins essentiels par manque de moyens financiers.

Je rappelle également la création de la complémentaire santé solidaire, qui complète les dispositifs antérieurs. Les amortisseurs sociaux progressent année après année, gouvernement après gouvernement. Quant au plan 1 jeune, 1 solution, il s'inscrit dans la même logique. Vous avez évoqué, monsieur Mélenchon, les jeunes attirés par la rapine ou par les commerces souterrains, parce qu'aucune autre possibilité ne s'offre à eux. Mais quel est le meilleur moyen de s'adresser à eux aujourd'hui ? Certes, faisons en sorte, grâce à l'éducation et aux moyens mis en place pour gommer les inégalités de départ, qu'ils soient moins nombreux demain, mais proposons-leur, dès aujourd'hui, des solutions. La garantie jeunes fonctionne, de même que les stages, la formation professionnelle, l'intégration sur le poste de travail, l'apprentissage : aucun jeune qui souhaite bénéficier d'une de ces solutions n'en sera privé. Nous faisons également les démarches nécessaires pour aller les chercher là où ils sont et leur proposer ces solutions. Je crois à cette politique ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

Et puis, outre le diagnostic et les traitements, il y a les effecteurs de la lutte contre la pauvreté : rencontrez vos commissaires régionaux de lutte contre la pauvreté – il en existe dans toutes les régions. Je les réunis très régulièrement au ministère pour discuter avec eux de toutes les actions entreprises dans les territoires – probablement ne sont-elles pas assez visibles. Allez à leur rencontre, car ils ont aussi besoin de votre appui partout où ils conduisent ces politiques de lutte contre la misère. Il ne convient pas non plus d'oublier, bien sûr, les CCAS.

Mon dernier mot sera pour les associations. Sans associations, il n'y a pas de système de lutte contre la pauvreté qui tienne debout. Elles sont vitales pour notre pays, aujourd'hui comme hier, et elles le seront demain, car ce sont elles qui permettent à des Français de ne pas mourir de faim. Je pense aux banques alimentaires, aux Restos du coeur, à toutes ces associations qui accomplissent ces petits miracles du quotidien permettant aux familles à la rue de trouver plus facilement un hébergement ou de joindre les deux bouts, alors qu'elles se sentent dépourvues de toute solution. Je sais que vous allez à leur rencontre et je le fais aussi. J'ai participé à une maraude du SAMU social il y a quelques semaines, ce qui m'a permis de rencontrer des personnes qui vivent à la rue. J'ai pu observer l'action menée au quotidien par ces associations en participant, moi aussi, à des distributions des Restos du coeur dans les rues de Paris, le soir. Je me suis rendu compte, comme vous l'avez souligné avec raison, qu'un nouveau public demande désormais à bénéficier de l'aide alimentaire : des chauffeurs, des livreurs, des indépendants ou, encore, des étudiants qui ne peuvent plus effectuer le job qui leur permettait de survivre dans des conditions décentes.

M. Michel Herbillon. Ils sont de plus en plus nombreux !

M. Olivier Véran, ministre. C'est bien pourquoi nous avons mis en place, depuis le début de la crise, des mesures d'urgence. Vous me direz que 3 milliards d'euros, c'est à la fois peu et beaucoup, mais ils permettront aux familles en situation de précarité, notamment celles avec enfants, ainsi qu'aux étudiants, de s'en sortir durant cette période. Nous pourrons ainsi limiter au maximum l'augmentation, du fait de cette crise, du nombre de nouveaux pauvres.

Le lien entre pauvreté et crise sanitaire est évident. Lorsque les associations ont effectué très précocement, au début de la première vague, des opérations de dépistage et se sont démenées pour mettre à l'abri des personnes précaires dans des centres d'hébergement d'urgence et dans des foyers de travailleurs pauvres, que ce soit en Île-de-France ou ailleurs, nous avons été heureusement surpris de constater que très peu de ces personnes étaient positives au coronavirus. Mais, quelques mois plus tard, lorsque nous avons pu procéder à des tests sérologiques, nous nous sommes rendu compte alors que beaucoup avaient en réalité eu le covid-19, mais sans doute avant les autres, parce que les  personnes les plus pauvres sont aussi les plus exposées aux risques sanitaires. Cette double peine est insupportable. Nous sommes tous ici pour en débattre et trouver des solutions. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM, Dem et Agir ens.)

M. le président. Nous en venons aux questions. Je rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est strictement limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

La parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur la situation de la jeunesse qui subit, elle aussi de plein fouet, les conséquences économiques et sociales de la crise. Alors que les jeunes ont l'âge de tous les possibles, celui où l'on souhaite quitter le cocon familial, où l'on perçoit son premier salaire, où l'on souhaite voyager à travers le monde, la réalité vécue par notre jeunesse depuis un an est, hélas, bien différente. Leur entrée dans la vie d'adulte est placée sous le signe de la précarité financière pour les apprentis et pour les étudiants, qui ne peuvent même plus trouver de petits boulots pour financer leurs études et leur vie quotidienne. Leur confiance en l'avenir s'assombrit tant ils peinent à trouver un premier stage, un contrat en alternance ou un emploi à la fin de leurs études. Et que dire de la détresse sociale et psychologique qui s'abat sur eux, une vie sociale et affective réduite à la portion congrue, des cours à distance pas toujours simples à suivre, avec parfois même l'impossibilité d'accéder au numérique et le sentiment de vivre coincé entre quatre murs ?

Ce qui devrait être des années de rencontres et de plaisirs, avec une certaine insouciance, s'est transformé en une vie bridée, une vie de solitude sans perspective, qui pèse sur leur moral. L'ensemble des acteurs, collectivités territoriales, missions locales, banques alimentaires, associations caritatives, tirent la sonnette d'alarme car ils voient de plus en plus de jeunes sombrer dans la pauvreté. Ils appellent tous à une mobilisation générale pour éviter qu'une génération ne soit sacrifiée. Monsieur le ministre, allez-vous prendre de nouvelles initiatives pour répondre dans la durée à cette crise profonde, à cette grande détresse qui représente un immense défi pour notre société ?

Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé, et c'est une bonne chose, l'accroissement du nombre de bénéficiaires de la garantie jeunes. Ce dispositif a fait la preuve de son efficacité, car il a permis à de très nombreux jeunes de trouver un emploi. Mais vous évoquez désormais autre chose : une garantie jeunes universelle, avec la suppression de la plupart des critères d'accès. Comment allez-vous alors concilier l'accroissement considérable du nombre de bénéficiaires avec la nécessité de maintenir pour chaque jeune le lien avec la recherche d'emploi ? Comment allez-vous éviter le risque d'enfermer les jeunes dans l'assistanat au lieu de les sortir de la pauvreté et de la précarité par l'emploi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Nous entrons à présent dans le concret. Vous m'interrogez sur la pauvreté des jeunes. En effet, d'après l'INSEE, sur 5,4 millions de jeunes adultes, environ 1,3 million seraient pauvres. La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, je le disais, ciblait initialement les jeunes. Or la crise, très clairement, a bouleversé la donne. Reste qu'elle nous a incités à aller beaucoup plus avant en ce qui concerne les dispositifs déjà mis en place par ce gouvernement et par d'autres pour permettre l'insertion professionnelle des jeunes et leur donner un projet.

Si vous examinez dans le détail le plan 1 jeune, 1 solution, ce que j'ai fait, vous verrez que chaque jeune se voit vraiment proposer une solution. Encore une fois, tout l'enjeu est de faire sortir de leur logique ceux qui se disent : « Ce n'est pas pour moi, je n'y arriverai pas. » Il faut aussi aller les chercher là où ils sont pour leur faire des propositions. Il peut s'agir d'une aide exceptionnelle de 5 000 euros pour recruter en entreprise un alternant de moins de 18 ans ou d'une aide de 8 000 euros s'il a plus de 18 ans. C'est beaucoup, en tout cas bien plus que ce qui était prévu auparavant.

Je pense également à la compensation de charges de 4 000 euros pour tout jeune recruté entre août 2020 et janvier 2021, mais encore aux 100 000 nouvelles formations pré-qualifiantes ou qualifiantes proposées aux jeunes en situation d'échec dans l'enseignement supérieur ou quand ils sont dépourvus de qualification. Sont en outre prévues, en lien avec les régions, des formations dans le secteur du soin : nous en avons besoin car nous voulons former plus d'aides-soignants, d'infirmiers, de brancardiers. C'est enfin l'accompagnement des jeunes éloignés de l'emploi avec la construction de 300 000 parcours d'insertion sur mesure.

Nous allons nous servir de tout ce qui existe. Nous augmentons les moyens alloués au dispositif garantie jeunes et nous les augmenterons encore s'il y a plus de candidats parce qu'il fonctionne. Je pense au parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie – PACEA –, au parcours emploi compétences – le fameux PEC –, aux contrats initiative emploi – CEI –, sans oublier les aides monétaires qui sont certes indispensables aux jeunes pour survivre. Je crois vraiment à tous les dispositifs que nous mettons en place et qui représentent plusieurs milliards d'euros par an, monsieur le député. Ils permettent, encore une fois, d'offrir une solution professionnelle, et un avenir, à chacun. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

M. Michel Herbillon. Ce n'est pas qu'une question d'argent !

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Kuster.

Mme Brigitte Kuster. Vous avez évoqué le rôle des associations, monsieur le ministre. Je souhaite braquer le projecteur sur ces dernières puisque ce sont souvent elles qui tirent la sonnette d'alarme et qui nous expliquent la situation vécue au quotidien. Les députés du groupe Les Républicains ont souhaité ce débat sur la pauvreté car les chiffres donnent le vertige : nous avons dépassé la barre des 10 millions de pauvres, soit près d'un Français sur six ! Or ce sont les associations caritatives qui sont en première ligne et je souhaite ici leur rendre hommage ainsi qu'à leurs dizaines de milliers de bénévoles. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. Michel Herbillon. Très bien !

Mme Brigitte Kuster. En 2020, pour aller se nourrir, 6 millions de Français ont poussé la porte d'une structure associative ou territoriale, puisque les collectivités prennent le relais, soit 10 % de plus que l'année précédente. Les associations tirent le signal d'alarme, s'agissant de l'arrivée de  nouveaux publics : les jeunes, les autoentrepreneurs, parfois, certains professionnels libéraux – à la surprise, peut-être, de certains –, des intérimaires, des travailleurs intermittents ou bien encore des travailleurs saisonniers. Tous étaient autrefois préservés. Désormais, avoir un emploi ne protège plus de la précarité, cela a été rappelé. Et face à cette pandémie sociale, si la lutte pour l'emploi est primordiale, compte tenu de la situation économique, elle ne peut cependant être l'unique réponse.

C'est pourquoi les associations ont davantage besoin d'être soutenues. L'aide financière de 100 millions d'euros qui leur est destinée est insuffisante. J'en veux pour preuve que de nombreuses collectivités doivent la compléter par le biais de subventions. Si la solidarité devrait pouvoir, d'après les associations, passer l'hiver, à moyen terme la situation, c'est évident, va se dégrader.

Aussi, monsieur le ministre, quelles mesures entendez-vous prendre pour éviter que la crise sociale ne conduise au débordement, voire à l'explosion du nombre de demandes ? Vous l'avez rappelé tout à l'heure : c'est vraiment grâce aux associations que nous pourrons nous en sortir et apporter ce complément. Quel est le geste que le Gouvernement va faire à leur attention ? Elles vous attendent. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Je pourrais vous répondre sobrement que 100 millions d'euros d'appui avec un appel à projets aux associations, cela n'a jamais été fait auparavant, ce que vous constaterez si vous vous reportez aux archives.

Mme Brigitte Kuster. La situation est hors normes !

M. Olivier Véran, ministre. Nous sommes bien d'accord sur le fait que la situation est hors normes, mais quand vous affirmez que rien n'est fait ou que l'action du Gouvernement est insuffisante, « quand on se compare, on se console », comme on dit. Ce qui invite à la modestie car, en l'occurrence, nous devons tous être modestes.

M. Michel Herbillon. Nous ne disons pas que rien n'est fait, mais vous dressez la liste des dispositifs en vigueur pendant que la pauvreté augmente.

M. Olivier Véran, ministre. Au-delà du soutien aux associations, qui sont précieuses pour les territoires, je pense que nous devons changer le regard que nous portons sur elles pour mener une politique d'évaluation de ce qui fonctionne ou de ce qui est innovant. Je connais d'innombrables associations qui ont mis en place des innovations qui marchent du tonnerre dans leur territoire et qui sont financées à titre expérimental pour un an, deux ans, trois ans, après quoi tout s'arrête faute d'argent. On ne généralise pas ce qui fonctionne et parfois on continue de financer des dispositifs qui fonctionnent moins bien. Les Anglo-saxons appellent « What Works » une méthodologie permettant l'évaluation des projets des associations. (M. Aurélien Pradié et plusieurs autres députés du groupe LR s'exclament.)

M. le président. Monsieur Pradié…

M. Olivier Véran, ministre. Détendez-vous, monsieur Pradié, tout va bien se passer.

J'ai découvert qu'il était moins coûteux pour une famille d'acquérir une voiture électrique neuve, donc non polluante, par le biais d'un microcrédit proposé par des associations, que de conserver un vieux diesel qui sera beaucoup plus cher à l'entretien.

Mme Brigitte Kuster. Quel est le rapport avec le sujet ?

M. Olivier Véran, ministre. Les associations ont plein d'idées.

Mme Stella Dupont. Tout à fait !

M. Olivier Véran, ministre. Elles lancent plein d'innovations et elles nous ont souvent poussés au train, d'ailleurs. Elles nous demandent de les aider en fonction de critères sectoriels : ainsi du relèvement à 1 000 euros du plafond des dons, défiscalisés à 75 %, pour les associations qui oeuvrent dans le domaine de l'aide alimentaire, la fameuse mesure Coluche, que le Gouvernement a décidé de proroger en 2021. Nous sommes à l'écoute des associations quand elles défendent des projets et qu'elles ont besoin que l'État soit à leurs côtés. Encore une fois, on peut toujours faire mieux, madame la députée, et nous ferons en sorte de faire mieux. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

M. Michel Herbillon. Ce qui serait mieux, c'est que vous répondiez aux questions que nous vous posons !

M. le président. La parole est à Mme Sophie Mette.

Mme Sophie Mette. J'adresse tout d'abord mes remerciements aux députés du groupe Les Républicains pour la mise à l'ordre du jour du présent débat sur la lutte contre la pauvreté, sujet qui nous touche tous, sujet certes bien large mais d'une importance capitale aux yeux de tous ici. La pauvreté est malheureusement d'actualité. L'Observatoire des inégalités a rendu la deuxième édition de son rapport sur la pauvreté, lequel montre malheureusement qu'elle progresse. Une partie est consacrée à la situation des jeunes et le constat est édifiant : le taux de pauvreté, pour la tranche des 18-29 ans, a progressé de 50 % entre 2002 et 2018.

Nous avons tous le devoir d'avancer aussi dans un esprit de coconstruction, car la crise de la covid-19 est la plus grave crise que la France ait connue depuis l'avènement de la Ve République. Elle accentue l'exposition des populations précaires, comme l'indique Anne Brunner, directrice d'études de l'Observatoire. En matière de soutien financier comme d'accès à l'emploi, le Gouvernement met en place des mesures fortes depuis le début de la législature.

Avant la crise du coronavirus le chômage diminuait. Comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, depuis plusieurs mois le virus a tout changé. La stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, inaugurée par le Président de la République dès le mois de septembre 2018, regroupe des décisions inédites pour lutter contre la précarité. Cette stratégie prend désormais tout son sens et c'est sur elle que porte ma question, plus particulièrement sur la ruralité. Dans ma circonscription, dans le sud de la Gironde, certains de nos concitoyens souffrent de problèmes de précarité propres à nos campagnes : manque d'activités, de qualifications, de logements et de moyens de transport. En ce début d'année 2021, quel premier bilan dressez-vous de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté et quels sont ses effets, notamment en zone rurale ? (M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Vous avez raison de souligner que la pauvreté a des spécificités encore plus marquées parfois dans les territoires ruraux : les gens y sont moins mobiles, il y a moins d'emploi, donc plus de chômage, il y a cette culture consistant à cacher ce qui ne va pas – on dit souvent que les gens, dans le monde rural, sont plus durs à la douleur, or ils le sont aussi à la pauvreté –, il y a toutes les difficultés du quotidien comme le manque de places de crèches, le manque de moyens pour faire garder son enfant… C'est pourquoi la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté comporte un volet destiné aux territoires ruraux.

Ainsi, pour ce qui est de l'alimentation des enfants – nous en avons peu parlé mais cela compte énormément –, la tarification sociale des cantines scolaires avec un repas à moins de 1 euro est proposée avec une montée en charge progressive du dispositif pendant les deux prochaines années. Quelque 10 000 communes rurales vont dès lors pouvoir proposer une telle tarification.

En outre, le Premier ministre a annoncé, le 24 octobre dernier, une aide à la mobilité pour 100 000 demandeurs d'emploi supplémentaires avec le développement de nouvelles plateformes de mobilité et des dispositifs de microcrédit solidaire, que j'ai évoqués tout à l'heure et auxquels je crois énormément.

Je pense également à l'accueil social, avec un objectif fixé par le Président de la République : qu'on ne puisse se trouver à plus de trente minutes du premier point d'accueil social. Or j'ai observé que, déjà début 2020, la plupart des départements assuraient une couverture de structures de premier accueil.

Enfin, l'enjeu, pour la ruralité, c'est que, tout en conservant ses particularités – si bien que parfois on va la rechercher parce qu'on en a marre de la ville –, on puisse aussi y développer des bassins d'emploi et on ait, grâce à la numérisation, accès aux mêmes services et aux mêmes moyens de développement de l'industrialisation. Pourquoi ces territoires ne créeraient-ils pas des emplois, de la richesse ? Il n'y a aucune raison de ne pas y parvenir. (M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.)

M. Pierre Dharréville. Vous oubliez le rôle des services publics.

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Tolmont.

Mme Sylvie Tolmont. La crise du coronavirus touche la jeunesse de plein fouet. Elle a révélé la fragilité de la condition étudiante, structurellement précaire pour sa plus grande part. Dans mon département, la Sarthe, comme dans tout le pays, les associations tirent la sonnette d'alarme. Nombreux, trop nombreux sont les moins de 25 ans plongés dans la misère et les besoins en aide alimentaire, sociale, informatique vont grandissant. Il y a donc urgence à agir. Contrairement à la commission d'enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse, aux associations de lutte contre la pauvreté et aux organisations syndicales, qui préconisent l'ouverture du revenu de solidarité active, le RSA, aux 18-25 ans, vous souhaitez généraliser le principe de l'accompagnement de la garantie jeunes créée sous le quinquennat de François Hollande, faut-il le rappeler. Ce dispositif s'est en effet révélé performant et nous nous en réjouissons grandement.

Mais en vous limitant à l'insertion professionnelle, ce qui est louable mais problématique dans la situation actuelle, vous ne pouvez pas répondre, quantitativement, à la massification structurelle de la précarité des jeunes. En annonçant, dans le Journal du Dimanche, 200 000 bénéficiaires attendus de la garantie jeunes universelle avec une rémunération de 500 euros par mois, en réalité 282 euros en moyenne, votre réponse reste très en deçà des besoins d'environ 1,5 million de jeunes en difficulté – selon les chiffres de la commission d'enquête et ceux de l'Observatoire des inégalités.

Le groupe Socialistes et apparentés propose, pour sa part, de créer un minimum jeunesse comme il existe un minimum vieillesse, avec un montant à la fois familiarisé et non conditionné à des démarches de recherche d'emploi. Nous avons d'ailleurs inscrit notre proposition de loi relative à la création d'une aide individuelle à l'émancipation solidaire, à l'ordre du jour de nos débats en février prochain. Avec le dispositif que vous préconisez, le flou demeure. Aussi, comment allez-vous garantir le principe d'universalité à l'ensemble des jeunes qui en ont besoin, y compris les étudiants, et leur permettre de sortir de la précarité ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Le débat sur les revenus sociaux des jeunes de 18 à 25 ans est tout à fait légitime. Faut-il instaurer un RSA jeunes, un revenu universel d'activité – RUA – jeunes ? Le RSA jeunes consisterait à donner une allocation à tous les jeunes et, bon an mal an, on tentera de les accompagner dans un parcours professionnel ou de leur proposer une solution pour sortir du RSA aussitôt que possible, car vous comprendrez qu'une vie au RSA, surtout si elle commence à l'âge de 18 ans, n'est pas de celles qu'on peut leur souhaiter. (M. Pierre Cordier s'exclame.)

Si vous examinez attentivement la philosophie de nos propositions, nous renversons cette logique. Nous donnons l'équivalent du RSA et même un peu plus mais en le corrélant à une solution – c'est, si j'ose dire, fromage et dessert. Avec cette prestation monétaire, nous donnons une solution, une formation, l'accès à l'apprentissage ou à l'alternance, l'accès à l'école de la deuxième chance pour les décrocheurs. Ils seront accompagnés financièrement pour cela. (M. Pierre Dharréville et Mme Sylvie Tolmont s'exclament.) C'est ce dont nous avons rêvé pendant des années quand nous siégions sur les mêmes bancs, madame la députée… Nous avons alors lancé la garantie jeunes et la présente majorité continue de la déployer. C'est une des solutions prévues par le plan 1 jeune, 1 solution.

M. Michel Herbillon. Il faut maintenir le lien avec l'emploi !

M. Olivier Véran, ministre. Engager des milliards pour permettre aux jeunes de trouver cette solution dans l'entreprise, dans la formation, dans l'école et, en plus, leur allouer une aide monétaire vitale pour eux, c'est, je crois, beaucoup plus efficace que l'inverse. Nous faisons la même chose que ce que vous préconisez mais, je le répète, de manière plus efficace en renversant votre logique. Quand on a 18 ou 25 ans, l'emploi ou la formation ne sont pas un supplément d'âme mais l'avenir, que nous finançons et accompagnons. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Olivier Becht.

M. Olivier Becht. Je tiens à saluer votre présence, monsieur le ministre, alors même que la crise sanitaire vous accapare. Je trouve remarquable que vous participiez à ce débat sur la pauvreté.

Il est vrai que 172 ans après le discours du 9 juillet 1849 de Victor Hugo sur la destruction de la misère, nous pouvons avoir l'impression que nous n'avons pas beaucoup avancé, même si de nombreux progrès ont été faits. S'il est vrai que 10 millions de Français, cela a été rappelé, vivent sous le seuil de pauvreté, il faut préciser que, sur ces 10 millions, un sur trois est un enfant. C'est un drame car l'avenir devrait leur appartenir.

Nous devons donc faire plus et faire aussi en sorte que la crise que nous vivons ne soit pas simplement un malheur, mais également l'occasion d'inventer un nouveau modèle économique, social et environnemental.

La question que le groupe Agir ensemble souhaite poser ce soir au Gouvernement est au fond très simple : quelle est sa position sur le revenu universel que notre groupe appelle de ses voeux sous le nom de « socle citoyen » ? Nous devons impérativement avancer aujourd'hui dans l'identification de solutions nouvelles en faveur d'une société plus juste. Pour cela, nous proposons de nouveaux outils, tels que le CDI unique qui, avec le socle citoyen, permettra à ceux qui en sont privés de retrouver un emploi.  Quelle est la position du Gouvernement sur ces différentes propositions ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Je vous remercie de vos aimables paroles, monsieur Becht ! Je suis ministre chargé non seulement de la santé, mais aussi des solidarités. C'est donc mon rôle que de me trouver ce soir à l'Assemblée. J'ai toujours dit que je voulais le tenir pleinement et je m'y tiens.

Un député LR. C'est normal !

M. Olivier Véran, ministre. S'agissant du revenu universel, vous proposez, pour sa mise en place, des modalités différentes de celles proposées par un ancien député candidat à l'élection présidentielle. J'ai décrit tout à l'heure le plan 1 jeune, 1 solution à Mme Tolmont. Nous sommes d'accord, je crois, sur la logique et sur l'objectif : comme vous, nous voulons permettre aux gens d'avoir une activité et d'en vivre. Reste à préciser l'articulation entre les différents dispositifs. En tout état de cause, corréler l'activité, l'insertion et la formation au revenu semble salutaire, alors que, dans notre société, il arrive trop souvent que l'on dise à quelqu'un : « Je suis désolé, je n'ai rien à te proposer, mais on va te faire un chèque. » La personne est alors trop éloignée de l'emploi et a besoin qu'on l'aide à sortir de la misère en la tirant vers le haut.

Jusqu'à présent, nous avions contingenté les mesures de soutien et d'aide destinées aux Français : elles étaient insuffisantes par rapport à la demande. Aujourd'hui, pour la première fois, nous nous trouvons dans une situation totalement différente – la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, Élisabeth Borne, l'expliquerait bien mieux que moi : nous avons autant de solutions à proposer qu'il existe de potentiels bénéficiaires. Dès lors, l'objectif est de favoriser les démarches « d'aller vers » pour identifier les bénéficiaires potentiels et les diriger vers des mesures adaptées à leur situation et financées dans la durée. Il faut également vérifier que ces mesures sont suivies d'effet. Ce n'est pas simple, mais ensemble nous y arriverons !

M. Michel Herbillon. Ça ressemble un peu à un voeu pieux !

M. le président. La parole est à Mme Valérie Six.

Mme Valérie Six. La pauvreté provoque un cumul de difficultés : je veux profiter de cette intervention pour appeler votre attention sur la question de l'accès aux soins. Le rapport de la mission interministérielle de juin 2019 sur l'efficacité des politiques publiques mises en oeuvre à Roubaix, dans ma circonscription, a mis en lumière l'existence d'un lien très clair entre la pauvreté et la surmortalité prématurée. Ce rapport fait état d'une surconsommation des soins de premier recours, d'une sous-consommation des soins spécialisés et d'un moindre recours à la prévention. L'offre de soins est globalement satisfaisante à Roubaix, mais c'est le recours tardif, le renoncement ou encore l'absence de perception du besoin de soins qui seraient à l'origine de cet accès incomplet.

Selon le rapport, cette situation serait liée aux caractéristiques sociales de la population : isolement, précarité financière, problèmes de logement, rapport distant aux services publics. Ces mêmes éléments ont également été identifiés cette année comme l'une des causes des contaminations records au coronavirus dans la ville, avec des taux ayant atteint 1 135 cas pour 100 000 habitants. Une vaste campagne de dépistage, à laquelle je participe, a lieu cette semaine et nous espérons qu'elle permettra de ralentir la propagation du virus et d'identifier les éventuels porteurs du variant anglais.

Monsieur le ministre, la régionalisation de notre système de santé, telle que le groupe UDI et indépendants la préconise, permettrait de renforcer l'efficacité de nos politiques de lutte contre la pauvreté grâce à une offre de soins au plus près de nos concitoyens. Les agences régionales de santé – ARS – et les collectivités doivent pouvoir encourager les initiatives locales, car les professionnels de santé sont en première ligne pour identifier et mettre en place des solutions adaptées au plus près des besoins des habitants. Que compte faire le Gouvernement en ce sens ?

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. S'il existe un dispositif qui fonctionne bien et qui est plébiscité par les Français, c'est celui de l'assurance maladie universelle, héritée du Conseil national de la résistance, créée après la seconde guerre mondiale et grâce à laquelle chaque Français cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins – c'est la minute Ambroise Croizat, cher à nos camarades communistes !

L'universalité de la politique sanitaire et la gestion du risque par l'État au moyen de politiques déconcentrées dans les agences régionales de santé et de politiques de santé publique en partie décentralisées et confiées aux élus locaux : tels sont les fondements de notre système de santé, qui fonctionne et dont nous n'avons pas à rougir – les résultats de notre politique sanitaire le prouvent !

Je refuse que la prise en charge d'un cancer fasse demain l'objet d'un traitement différencié selon que l'on habite la région Bourgogne-Franche-Comté ou la région Occitanie. Il est fondamental que nous préservions l'unité nationale qui fonde notre système et qui explique l'adhésion des Français à la cotisation sociale, à laquelle vous êtes sans doute comme moi très attachée, madame la députée.

Je ne suis pas entièrement certain d'avoir compris le sens de votre question et je m'en excuse. Le lien entre la santé et les solidarités doit en effet être établi car ces deux domaines recouvrent des enjeux communs, mais je ne partage pas votre analyse s'agissant de la régionalisation des politiques de lutte contre la pauvreté. Une fois encore, je vous invite à rencontrer vos commissaires régionaux à la lutte contre la pauvreté. Ce sont des gens très engagés, dévoués et motivés, qui sauront tout vous expliquer des politiques déconcentrées et décentralisées mises en place par l'État et des moyens qu'ils mettent en oeuvre pour renforcer les politiques de lutte contre la pauvreté dans les territoires.

M. le président. La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Jean-Hugues Ratenon. Force est de constater que le plan de lutte contre la pauvreté a échoué. Entre les belles intentions et les actes, l'écart est grand et la pauvreté s'aggrave dans le pays. Des millions de personnes vivent avec peu, dont un nombre trop important de jeunes et de parents isolés. En outre-mer, selon l'Observatoire des inégalités, le taux de pauvreté est trois fois plus élevé que dans le reste de la France. Sur les vingt communes de 20 000 habitants dans lesquelles le taux de pauvreté est le plus élevé, neuf sont situées à La Réunion. C'est un triste record. Mais que faites-vous monsieur le ministre ?

Autre indication affolante : le nombre de bénéficiaires des minima sociaux explose partout en France. Mais pour être sûrs que les chiffres ne révéleront pas votre échec, vous avez supprimé en novembre 2019 l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale – ONPES. La crise sanitaire n'est pas responsable de cette situation, mais elle contribue à l'aggraver. Pourtant, rien dans les orientations prises par le Gouvernement ne permettra aux plus démunis de voir leurs conditions de vie s'améliorer.

Monsieur le ministre, avez-vous songé à réviser votre politique pour abolir la pauvreté en France ? La généralisation sur l'ensemble du territoire de l'expérimentation territoires zéro chômeur de longue durée n'aurait-elle pas constitué une solution pour sortir les gens de la pauvreté ? Pourquoi ne l'avez-vous pas proposée lors du vote du dispositif en décembre dernier ?  

Par ailleurs, comment ne pas aborder la situation des personnes âgées, malmenées par vos politiques et qui vivent de revenus de misère ? Êtes-vous favorable à une augmentation significative de tous les revenus, afin que pas un seul ne soit situé sous le seuil de pauvreté ?

Enfin, que pensez-vous du droit opposable à l'emploi, c'est-à-dire de l'État employeur en dernier ressort ? Il permettrait de sortir des milliers de personnes du chômage et donc de la pauvreté. Au-delà de l'aide directe aux personnes, ne croyez-vous pas qu'une telle mesure participerait aussi à la relance de l'économie ? (M. Ugo Bernalicis applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Le fonctionnement du marché du travail tel qu'il existe aujourd'hui a, certes, des effets pervers et des défauts, il peut en outre engendrer la paupérisation, mais il n'est pas le pire des systèmes pour permettre à chacun de s'épanouir dans son activité professionnelle et subvenir à ses besoins par son travail. Je ne crois pas du tout que 100 % d'emplois publics, ce soit la panacée ou une perspective réaliste pour un État et ses citoyens.

M. Ugo Bernalicis. C'est en dernier ressort, enfin !

M. Olivier Véran, ministre. Je ne sais pas ce que « le dernier ressort » veut dire, monsieur le député. S'il y a 3 millions de chômeurs et qu'il faille créer 3 millions d'emplois publics, c'est que la promesse a été faite en l'air puisqu'elle est impossible à financer. Il suffit de regarder les comptes publics pour s'en convaincre !

M. Ugo Bernalicis. Laissez-nous la place : nous nous en chargerons !

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas. Ça va !

M. Olivier Véran, ministre. En ce qui concerne le dispositif territoires zéro chômeur de longue durée, l'expérimentation a été adoptée à l'unanimité par le Parlement il y a quelques semaines et va bientôt commencer. J'ai moi-même participé aux travaux menés à l'initiative de mon ancien camarade le député Laurent Grandguillaume. Ce dispositif est très intéressant.

M. Ugo Bernalicis. Il fallait l'élargir !

M. Olivier Véran, ministre. Nous le suivrons de très près.

M. Ugo Bernalicis. Ce n'est pas vrai.

M. Olivier Véran, ministre. Monsieur le député, il est vingt-deux heures trente : pourrions-nous terminer calmement ce débat ? Nous pourrons reprendre la discussion après si vous le souhaitez.

M. Ugo Bernalicis. Non !

M. Olivier Véran, ministre. L'ONPES a été non pas supprimé mais transféré au sein du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale – CNLE –, dont je suis personnellement à l'initiative et qui est présidé par votre collègue Fiona Lazaar. Interrogez-la, elle vous dira que cette structure est très active et certainement plus efficace que la multitude d'organismes qui prévalaient auparavant. La multiplicité des interlocuteurs ne garantit nullement une plus grande efficacité. L'ONPES a été transformé : comme on dit, « rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme » ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

M. Ugo Bernalicis. Quelle médiocrité ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)

M. le président. Je vous en prie, monsieur Bernalicis ! Arrêtez !

M. Ugo Bernalicis. La pauvreté a de beaux jours devant elle !

M. le président. La parole est à M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani. Il n'est pas très original de souligner que la crise sanitaire a malheureusement contribué à une forte augmentation de la précarité, celle-ci ayant déjà atteint un niveau particulièrement élevé au cours de la période précédente. Si elle était bien antérieure à la crise, la montée de la pauvreté s'aggrave donc inéluctablement avec les difficultés de l'heure. On l'a dit à plusieurs reprises, ce sont aujourd'hui des millions de personnes qui vivent avec moins de 1 000 euros par mois, dont plus de la moitié sont âgées de moins trente ans. Ce n'est pas le député de Corse que je suis qui pourrait ignorer les dégâts des avanies sociales : près d'un cinquième de la population de l'île vit sous le seuil de pauvreté.

Je veux tout particulièrement insister sur la situation préoccupante que connaissent tant de jeunes de nos jours. On sait que les raisons sont multiples, à commencer par les difficultés en matière de formation ou d'insertion dans un monde du travail déprimé. Cette déshérence économique, outre les dégâts et l'isolement qu'elle engendre, crée les conditions d'un décrochage catastrophique et porte les germes de fortes tensions sociales. Dans ce contexte, c'est un véritable plan Marshall qu'il conviendrait de mettre en place. Or le Gouvernement a déjà annoncé l'extension de la garantie jeunes, ainsi qu'une aide exceptionnelle aux jeunes bénéficiaires des APL et aux étudiants boursiers. On ne peut que se féliciter de ces mesures, bien qu'elles restent insuffisantes.

Le groupe Libertés et territoires souhaite vous poser deux questions, monsieur le ministre. D'abord, pourquoi le Gouvernement persiste-t-il à refuser l'extension du RSA aux 18-25 ans ? Vous avez déjà répondu en partie sur le sujet. Ensuite, êtes-vous disposé à envisager d'autres solutions, comme l'instauration d'une allocation étudiante universelle, dont les modalités de financement seraient bien entendu à discuter ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. J'ai déjà répondu à la première question en effet, mais je n'ai pas précisé l'enveloppe dont sera doté le plan 1 jeune, 1 solution. Vous avez évoqué le plan Marshall : le plan 1 jeune, 1 solution bénéficiera d'un financement de 7 milliards d'euros, ce qui est loin d'être négligeable, vous en conviendrez. Aucun plan adopté en France en faveur de l'emploi des jeunes n'a jamais été doté d'une telle enveloppe budgétaire. Vous pouvez chercher : 7 milliards d'euros, ce n'est jamais arrivé !

M. Aurélien Pradié. Ce n'est pas le sujet !

M. Olivier Véran, ministre. C'est précisément le sujet, monsieur le député ! Ou bien nous nous contentons de partager un constat, nous nous quittons bons copains (Exclamations sur les bancs du groupe LR), vous dites que le Gouvernement ne fait rien, nous disons que nous faisons tout, et cela ne fait pas avancer le schmilblick ; ou bien nous constatons ensemble que des mesures sont proposées et nous discutons ensemble de leur efficacité.

M. Aurélien Pradié. Un Français sur six est dans la pauvreté : vous le comprenez, ça ?

M. Olivier Véran, ministre. Le budget du plan 1 jeune, 1 solution a été débloqué : 7 milliards d'euros ont été prévus pour ce seul dispositif, ce qui est absolument inédit. Les solutions, leur philosophie, les acteurs qui les feront vivre sont identifiés.

M. Aurélien Pradié. Dix millions de pauvres, c'est énorme ! 

M. Olivier Véran, ministre. Reste désormais à préciser les modalités de fonctionnement de ce plan, à l'améliorer en cas de difficultés et à avancer collectivement dans l'intérêt de tous.

M. le président. Monsieur Pradié, je vous en prie !

M. Olivier Véran, ministre. Sept milliards d'euros pour un plan destiné aux jeunes, c'est beaucoup, monsieur le député.

M. Aurélien Pradié. Tout va bien !

M. Olivier Véran, ministre. Vous savez très bien qu'un tel plan n'est pas l'alpha et l'oméga des politiques de solidarité. La branche famille représente plus de 40 milliards d'euros de prestations versées chaque année. Je le redis : 7 milliards pour un plan à destination des jeunes, c'est la première fois et c'est beaucoup. En tout état de cause, cela ne devrait pas vous ennuyer. Si, réellement, vous êtes animés par les intentions que vous affichez – et je vous crois sincère –, vous devriez reconnaître qu'il s'agit là d'un effort colossal de l'État et chercher à le faire fructifier dans les territoires. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)

M. le président. La parole est à Mme Karine Lebon.

Mme Karine Lebon. Dans le triste palmarès de la pauvreté en France, les outre-mer occupent, et de loin, les premières places. C'est ce qui ressort du dernier rapport de l'Observatoire des inégalités de novembre dernier. La Réunion, où le quart de la population vit – ou plutôt survit – avec moins de 900 euros par mois, est classée numéro un, tandis que la Martinique arrive en deuxième place, avec un taux de pauvreté de près de 19 %.

Déjà en juillet, en harmonisant pour la première fois le calcul des taux de pauvreté, l'INSEE avait publié des résultats édifiants et montré que La Réunion comptait trois fois plus de personnes vivant sous le seuil de pauvreté que la France continentale. Quand on sait que ces données ne prennent pas encore en compte les effets de la crise sanitaire de la covid-19, pas plus que la cherté de la vie dans les outre-mer, il est facile d'imaginer à quel point la situation est alarmante

La pauvreté se transmet souvent de génération en génération. Elle n'épargne ni les enfants, ni les jeunes durement frappés par le chômage, et les personnes âgées en souffrent terriblement, surtout lorsqu'elles sont isolées. Les mécanismes et le cumul d'obstacles qui font basculer dans la pauvreté sont connus, tout comme le sont les dispositifs et les mesures censés en atténuer les effets. Il est à craindre, toutefois, qu'ils ne soient plus à la dimension de la crise que vivent et qui menace tant de familles dans les outre-mer, et la solidarité familiale, encore si présente, risque de s'essouffler face à l'ampleur des difficultés.

Déjà qualifiée de « hors normes », la situation réunionnaise devient périlleuse. C'est pourquoi il est indispensable de redimensionner les politiques publiques en matière d'éducation, d'emploi, de santé et de petites retraites, et urgent d'amplifier le plan pauvreté et de l'adapter à cette crise inédite.

C'est pourquoi, de façon plus immédiate et plus modeste, nous demandons au Gouvernement de retenir parmi les territoires zéro chômeur de longue durée la candidature de la commune du Port qui, de toutes les communes de plus de 20 000 habitants que compte la France, est la plus pauvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Madame la députée, je retiens votre soutien au dispositif territoires zéro chômeur de longue durée, et je m'en félicite. J'ai dit tout à l'heure que j'y avais été très favorable, y compris avant d'être ministre. Cette expérimentation a été prolongée, étendue, et je crois que vous l'avez votée, puisqu'elle l'a été à l'unanimité.

J'ai donc bien retenu votre candidature pour la commune du Port : j'en parlerai à mes collègues Élisabeth Borne et Brigitte Klinkert, qui sont chargées de ce dossier, pour voir avec elles comment vous aider et comment apporter un appui à la commune, afin d'expérimenter, le cas échéant, ce dispositif sur ce territoire. Je crois qu'il fait partie des bonnes modalités, qui sont susceptibles de fonctionner.

Mme Karine Lebon. Vous ne l'avez pas généralisé !

M. Olivier Véran, ministre. Quand on parle de l'expérimenter, cela signifie par définition que nous n'allons pas le généraliser d'emblée, mais que nous allons d'abord l'évaluer. Évaluer quelque chose, c'est bien ! J'admire les gens qui ont des certitudes avant d'avoir commencé quelque chose. Je suis pour ma part très favorable aux territoires zéro chômeur de longue durée.

M. Ugo Bernalicis. Quand il s'agit de dispositions relatives au terrorisme, vous ne les expérimentez pas : vous les généralisez immédiatement !

M. le président. Mes chers collègues, il y a des règles qui s'imposent à nous. On écoute l'orateur qui pose des questions, puis le ministre répond et on l'écoute. Ensuite, la vie politique suivra son cours.

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. Olivier Véran, ministre. Instinctivement, je pense que ce dispositif sera fonctionnel et qu'il apportera beaucoup à nos territoires ; c'est pour cela que j'y suis favorable. Mais je me dis aussi qu'avant de le lancer partout, il n'est pas complètement délirant de l'expérimenter un certain temps sur des zones plus larges, afin de constater si ses effets se font sentir ou non. S'il fonctionne, tant mieux ! Il sera temps de le généraliser. Encore une fois, je note la candidature de votre commune du Port et je vous promets de la relayer.

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Chassaing.

M. Philippe Chassaing. Je voudrais aborder la question de l'accompagnement des personnes fragilisées par la crise économique, notamment par les associations d'utilité sociale dont vous avez parlé tout à l'heure.

La récession économique a immanquablement un effet sur le niveau de pauvreté dans le pays. S'il faut saluer les mesures de soutien prises par le Gouvernement, certaines populations et certains secteurs d'activité demeurent plus exposés à la crise et donc plus vulnérables à ses conséquences. Je pense notamment aux indépendants, aux étudiants ayant un job d'appoint, aux petits commerçants, ainsi qu'à certains publics caractérisés par des problèmes sociaux spécifiques, en particulier les familles monoparentales et les jeunes en décrochage.

Si les ambitions du Gouvernement sont réelles, je m'inquiète en revanche de la détection des populations fragiles. En effet, pendant les différentes périodes de confinement que nous avons connues, de nombreuses associations, qu'elles soient sociales, culturelles ou sportives, ont été contraintes d'annuler leurs manifestations et leurs traditionnelles levées de fonds ou ont vu leur fonctionnement bouleversé et leurs ressources financières s'amoindrir.

Pourtant, alors que les effets sociaux de la crise économique risquent de s'aggraver, je crois que nous avons encore besoin de leur vigilance accrue. Elles contribuent à l'identification des populations en situation de fragilité. L'assignation à résidence de ces publics ne résulte pas seulement d'un manque d'opportunités : elle est aussi – il ne faut pas l'oublier – la conséquence d'un isolement géographique et intellectuel ou d'un manque de reconnaissance qui finissent par enraciner les individus dans la pauvreté.

Or ce sont précisément ces processus invisibles et ces schémas mentaux sur lesquels agissent aujourd'hui nos associations d'utilité sociale. C'est pourquoi nous devons veiller à les préserver au mieux dans cette période. Aussi, monsieur le ministre, je souhaiterais savoir ce que le Gouvernement compte entreprendre pour soutenir ces associations, ces structures associatives essentielles à la cohésion sociale. Quels sont également les leviers que vous pourriez actionner pour faire en sorte que les collectivités locales participent aussi à cet effort ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Merci de souligner le rôle prééminent des associations dans la lutte contre la pauvreté. Je l'ai dit tout à l'heure et cela a été rappelé par d'autres parlementaires : c'est vrai, je le répète et je le revendique, nous leur avons apporté un soutien financier structurel et organisationnel inédit par son ampleur – 100 millions d'euros investis dans le cadre d'un appel à projets visant aussi à moderniser et numériser les associations qui le souhaitent.

Rien que dans le domaine de l'aide alimentaire, ce sont 94 millions d'euros supplémentaires qui ont été apportés aux associations. J'ai évoqué tout à l'heure l'accord donné aux Restos du Coeur qui souhaitaient que la mesure dite « Coluche », qui monte à 1 000 euros le plafond de la défiscalisation de 75 % pour les dons faits aux associations de l'aide alimentaire, soit prolongée. S'y ajoute, dans le cadre du plan France relance, le plan de soutien destiné à l'ensemble du secteur associatif.

Vous m'interrogez notamment sur la question des points conseil budget – PCB –, que j'avais découverts pendant les travaux préparatoires au lancement de la stratégie de lutte contre la pauvreté. Nous avons souhaité les décliner sur l'ensemble du territoire car ce dispositif fonctionne : les PCB sont très utiles et précieux, et je peux vous confirmer ce soir que 250 structures supplémentaires ont été labellisées en 2020 – une labellisation correspond à 15 000 euros de soutien apportés à chaque point conseil budget. L'objectif est donc plus que rempli et nous allons poursuivre en ce sens.

Quant au rôle des collectivités locales, il est évidemment fondamental pour soutenir les associations, notamment leur faciliter l'existence au quotidien, par exemple en leur fournissant un local, un support logistique ou un financement ou en travaillant en lien avec le CCAS. Nous continuerons à les y encourager avec vous. (Mme Stella Dupont et M. Brahim Hammouche applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Florence Morlighem.

Mme Florence Morlighem. En 2019 en France, selon l'INSEE, le taux de pauvreté a diminué de 0,3 point pour s'élever à 14,5 % de la population contre 14,8 % en 2018. Entre 2018 et 2019, 210 000 personnes sont sorties de ce que l'INSEE appelle la « pauvreté monétaire ». Ces chiffres montrent que la stratégie gouvernementale de prévention et de lutte contre la pauvreté, lancée en 2018 et soutenue par notre majorité, commence à porter ses fruits.

Il est utile de rappeler à nos oppositions que, toujours selon une étude de l'INSEE publiée en octobre dernier, entre 2008 et 2017, les chances de sortie de la pauvreté s'étaient réduites. La pauvreté ne doit pas être une peine à perpétuité. La baisse du chômage observée en 2019 par rapport à 2018 a permis à des femmes et à des hommes vivant en situation de pauvreté d'en sortir, précisément grâce au retour à l'emploi. C'est pourquoi la politique de lutte contre la pauvreté est axée sur cet objectif.

L'indicateur du taux de pauvreté ne rend qu'imparfaitement compte de l'ensemble de l'action du Gouvernement pour lutter contre ce fléau. Notre majorité est fière d'avoir voté des mesures qui améliorent concrètement le quotidien des personnes les plus fragiles : la création et la pérennisation de places d'hébergement pour les sans-abri, la création fin 2019 de la complémentaire santé solidaire et la mise en oeuvre progressive du 100 % santé par la prise en charge à 100 % des soins optiques, dentaires et auditifs.

Notre majorité est fière d'avoir voté l'accès pour les enfants les plus défavorisés à la cantine à 1 euro, à un petit-déjeuner gratuit à l'école ; fière aussi d'avoir permis aux parents de faire garder leurs enfants pour aller travailler sans faire l'avance de frais, et d'avoir soutenu le renforcement de l'accès aux crèches des familles les plus modestes. La mise en place du service public des pensions alimentaires, garantissant aux familles monoparentales leur juste versement, est une nouvelle illustration de la lutte concrète et quotidienne du Gouvernement et de sa majorité contre la pauvreté. La crise sanitaire que nous traversons est inédite et, malheureusement, les classes populaires sont les plus touchées…

M. le président. Il faut conclure, madame la députée.

Mme Florence Morlighem. …, comme je peux le constater dans la onzième circonscription du Nord.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous rappeler les mesures d'urgence prévues et nous confirmer que l'orientation de la stratégie… (M. le président coupe le micro de l'oratrice.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Le rapport de l'INSEE publié il y a trois semaines ou un mois – pardon, je me perds un peu dans les dates en ce moment – faisait un retour sur la situation en 2019. Cela peut paraître complètement en décalage par rapport au constat actuel lié à la crise sanitaire et à son impact, mais ce rapport montre de manière assez intéressante qu'en 2019, pour la première fois depuis longtemps, la courbe de la pauvreté s'était inversée : 200 000 personnes en étaient sorties en France.

Encore une fois, cela paraît en décalage avec la situation actuelle ; cela semble être il y a vingt ans, tant la crise sanitaire emporte de conséquences sur le niveau de vie des Français et sur le nombre de pauvres ou de personnes en situation de précarité ou de fragilité dans notre pays.

Si l'on continue à suivre une démarche rigoureuse d'évaluation, on se rend compte que ce qui a bien fonctionné, c'est la prime d'activité. Elle a même très bien fonctionné. Sa hausse – souvenez-vous, c'est la mesure qui avait été votée dans le paquet dit « gilets jaunes » – avait permis dès 2019 à 200 000 Français de sortir de la pauvreté. Cela montre bien, et vous avez raison de le souligner dans votre question, que le lien entre l'accès à l'emploi et la sortie de la pauvreté est réel.

Je crois donc que nous devons poursuivre en ce sens. Qu'il soit question du plan 1 jeune, 1 solution pour les jeunes, que j'évoquais tout à l'heure,…

M. Michel Herbillon. Vous voulez faire la garantie jeune universelle !

M. Olivier Véran, ministre. …ou de tous les dispositifs qui sont considérés par certains comme des cadeaux aux entreprises mais qui permettent en fait de leur donner les moyens de conserver leurs salariés et de créer des postes et des emplois, c'est là que se trouve la source de la richesse dans notre système.

M. Thierry Benoit. Très bien !

M. Olivier Véran, ministre. On peut décider de changer tout le système : certains pays l'ont fait, leur économie ne s'en est pas mieux portée, les personnes en situation de pauvreté non plus, et la démocratie encore moins. Nous continuons donc sur cette ligne et nous renforçons tous les amortisseurs sociaux pendant cette période.

M. le président. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard. Nous avons eu l'occasion de le rappeler ce soir : en France, 8,3 % de la population vit avec 885 euros par mois ou moins, 1,9 million de ménages touchent le RSA et, malheureusement, un enfant sur dix grandit dans une famille dite pauvre. À Béziers, le taux de pauvreté est de 35 % et le revenu médian s'élève à 15 680 euros par an ; ces chiffres de pauvreté sont bien supérieurs à ceux de notre département et de notre région et même aux chiffres nationaux.

Depuis maintenant des décennies, les réponses des pouvoirs publics consistent à dispenser toujours davantage d'aides financières, soit directement, soit par le biais d'associations que l'on mandate en ce sens. Force est de constater que cette politique n'a pas porté ses fruits. Seules l'éducation, la formation et la relance économique permettront, si on les conjugue, de faire baisser ces chiffres terrifiants.

Pour lutter contre la pauvreté, la commune de Béziers propose, quant à elle, des mesures innovantes : une sorte de donnant-donnant bénéfique non seulement pour la personne qui reçoit l'aide mais aussi pour la ville. À titre d'exemple, nous conditionnons l'attribution des aides financières les plus élevées – jusqu'à 1 000 euros – à une contribution volontaire du bénéficiaire. La personne aidée participe donc à certains travaux – par exemple peinture, nettoyage de la voie publique ou entretien des espaces verts –, et toutes les personnes à qui nous proposons ce mécanisme sont enthousiastes à l'idée d'en bénéficier et évidemment très fières de leur mission accomplie.

Autre exemple : les étudiants destinataires de ces aides facultatives doivent, quant à eux, donner un peu de leur temps comme bénévoles au profit d'associations. Tout cela est l'objet d'une convention entre les parties et chacun est mis à contribution en fonction de ses compétences. Bref, il s'agit de vraies réponses mais qui sont compliquées à mettre en oeuvre car les règles qui les encadrent sont très rigides.

Monsieur le ministre, vous avez dit durant la discussion générale que le premier moyen de lutte contre la pauvreté est l'emploi. Vous avez raison. Ma question est simple : pourquoi ne pas simplifier ces règles, afin de remettre beaucoup plus rapidement sur les rails de l'emploi les milliers de personnes qui subissent la pauvreté ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Olivier Véran, ministre. Je ne suis pas certain, madame la députée, de comprendre quelles sont les règles que vous voulez que nous simplifiions pour permettre l'accès à l'emploi. Ce qui est certain, c'est que nous mettons à celui-ci les moyens nécessaires : l'État investit énormément en ce sens, et les collectivités territoriales peuvent le faire également. Mais on choisit de ne pas imposer à telle ou telle famille localement des contraintes qui n'existent pas dans le droit commun, car qui en déterminerait les critères et en fonction de quoi ?

De la même manière, je n'approuve pas les communes qui ont mis en place des politiques d'aides sociales conditionnées au comportement de tel ou tel membre de la famille : je ne me sens pas solidaire de tels dispositifs.

M. Michel Herbillon. Très bien !

M. Olivier Véran, ministre. En revanche, permettre à des gens qui en sont très éloignés de s'intégrer à l'emploi, de commencer une première activité, parfois d'adopter un agenda quotidien qui va rythmer leur journée et les aider à obtenir des résultats, cela peut avoir une véritable importance.

Je ne suis pas sûr de comprendre le sens de votre question, madame la députée ; je serai donc bien en peine d'y apporter une réponse factuelle et encore moins une réponse légistique ou en termes de droit. Néanmoins, sachez que nous sommes véritablement déterminés à permettre à chacun de trouver un emploi, une formation et ainsi de sortir de la pauvreté.

J'en profite pour remercier l'ensemble des parlementaires présents, monsieur le président, pour ce débat qui m'a paru intéressant, pour vous dire que la porte de mon ministère des solidarités et de la santé est ouverte à toute contribution qui permettra collectivement de faire régresser la pauvreté, et pour vous inviter une dernière fois – ce sera la troisième, mais elle n'est pas de trop – à contacter vos commissaires régionaux à la lutte contre la pauvreté dans vos territoires. Ils ont besoin de vous et vous verrez que vous avez aussi besoin d'eux. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)

M. le président. Le débat est clos.


Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 14 janvier 2021