Interview de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, à France 2 le 28 janvier 2021, sur la possibilité d'un nouveau confinement, la situation dans les cantines et l'importance de maintenir les écoles ouvertes.

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Texte intégral

CAROLINE ROUX
Bonjour Jean-Michel BLANQUER.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Bonjour.

CAROLINE ROUX
Merci d'être notre invité ce matin. Donc sur le bureau du président, il y a des scenarii de reconfinement ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Il y a des scenarii, bien sûr, il y a, depuis le début de la crise épidémique, à chaque fois, on raisonne à partir de différents scenarii. Et donc, en effet, ils sont sur la table du président.

CAROLINE ROUX
Y compris un reconfinement strict ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Je crois qu'il ne faut jamais s'interdire aucun scénario justement, et donc celui-ci en fait partie, mais ce n'est pas évidemment celui qu'on privilégie a priori.

CAROLINE ROUX
On vient de voir dans le journal de 7h30 un restaurateur niçois, et il y en a d'autres sur les réseaux sociaux qui disent : cette fois-ci, nous ne nous reconfinerons pas, nous ne fermerons pas. Est-ce que vous craignez, et dans la prise de décision, est-ce que ça rentre en compte l'idée que les Français disent non, qu'il y ait une espèce de fronde, de colère qui s'exprime ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Ce qu'on prend en compte, c'est évidemment la situation générale de la population, il est évident qu'il faut à la fois mettre en balance les enjeux sanitaires, et puis, l'ensemble des enjeux de la société, et on peut comprendre la fatigue, la lassitude…

CAROLINE ROUX
Vous la reprenez la colère ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
On comprend le désarroi, bien entendu, c'est normal quand vous avez un commerce et que vous êtes obligé de le fermer pendant des semaines, et s'agissant des restaurants, c'est pire, puisqu'on sait très bien qu'on ne pourra pas les rouvrir dans les temps immédiats, donc c'est quelque chose de très dur à vivre, et ça, on le perçoit évidemment, c'est vrai dans tous les pays du monde, bien entendu, donc c'est pour ça qu'il y a eu des mesures d'accompagnement très volontaristes, pour éviter les faillites, pour éviter les drames. Et c'est ce qui va continuer à être fait, bien sûr, pour, tout simplement, qu'on puisse rebondir dès que ce sera possible.

CAROLINE ROUX
Et on apprend à la Une du Parisien ce matin que 3 jeunes sur 10 ont des pensées suicidaires. Ça aussi, ça pèse dans la prise de décision…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr, ça pèse totalement dans ma prise de décision, par exemple, la jeunesse doit être notre priorité absolue, c'est vrai du gouvernement, mais c'est vrai, je dirais, de la société, de nos responsabilités que nous avons tous, les uns, les autres, à nous projeter positivement dans le futur, à construire des actions, c'est pour ça qu'on a fait le plan « 1 jeune 1 solution », pour favoriser l'emploi des jeunes, en particulier, c'est comme ça qu'on a plus d'apprentis en 2020 qu'en 2019, donc il y a des mesures qui sont prises. Mais il faut aller plus loin et être extrêmement bienveillant pour cette génération.

CAROLINE ROUX
Alors vous disiez le 19 janvier, c'était sur France Info : on n'est pas dans une situation explosive de contagion, le variant anglais est passé par-là Jean-Michel BLANQUER, est-ce qu'un scénario strict pour les écoles, c'est-à-dire une fermeture comme au mois de mars est encore exclu ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, tout est… rien n'est jamais exclu, donc on doit toujours commencer par cette phrase, néanmoins, vous le savez, mon option, c'est vraiment :'ouverture autant que possible…

CAROLINE ROUX
Mais c'est encore possible, c'est ça la question ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, le chiffre d'hier par exemple, voyez, c'est 2.000 contaminations par jour, c'est un chiffre qui reste par exemple inférieur à des contaminations quotidiennes que l'on avait au mois de novembre. Je répète qu'il n'est pas du tout démontré qu'on se contamine davantage en milieu scolaire qu'en dehors du milieu scolaire ; quand un enfant n'est pas à l'école, il est ailleurs, et dans cet ailleurs, souvent, il se contamine d'avant.

CAROLINE ROUX
Arnaud FONTANET, épidémiologiste, il dit : l'école joue un rôle amplificateur, et lui, il propose de fermer les collèges et les lycées ; en Irlande, tant qu'ils ont gardé les écoles ouvertes avec les variants, ils n'ont pas réussi à contrôler l'épidémie.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, mais, écoutez, il y a des avis scientifiques de différents ordres, il y a encore une étude américaine hier qui dit qu'il n'y a pas d'accélération de la contamination à partir d'études sur les écoles, donc c'est important, si vous voulez, de se caler sur quelques points de repère scientifiques, il n'en faut pas 50, parce que les scientifiques qui s'expriment tous les jours, ça brouille un peu les cartes, moi, j'en ai 3, j'ai le Conseil scientifique, j'ai le Haut Conseil de la santé publique, j'ai la société française de pédiatrie…

CAROLINE ROUX
Et eux, ils vous disent : c'est bon ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Hier encore, la société française de pédiatrie dit, ce que je dis depuis le début, c'est-à-dire, on est obligé de faire un rapport : où avantages, et les inconvénients pour les enfants de ne pas aller à l'école sont énormes, donc on ne doit pas brader l'école, et les gens qui vont sur les plateaux pour très facilement brader l'école font plus de mal que de bien, si vous voulez, c'est normal qu'on regarde objectivement la situation, je m'appuie notamment sur la société française de pédiatrie pour dire : les enfants ont besoin d'aller à l'école, ils ont besoin de sociabilité, ils ont besoin d'apprendre, ils ont besoin aussi de se nourrir, dans tous les sens du terme, et donc, je suis évidemment au maximum le garant de cela.

CAROLINE ROUX
Il y a tout un tas effectivement de spécialistes qui viennent sur les plateaux de télé pour vous faire des propositions. Alors, il y en a qui vous disent : eh bien, vous n'avez qu'à rallonger d'une semaine, ça, c'est le professeur DELFRAISSY, le président du Conseil scientifique, qui dit : eh bien, vous n'avez qu'à rallonger d'une semaine les vacances scolaires, ça, ce serait une option qui serait plus confortable pour le ministre que vous êtes ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Qui fait partie des… eh bien, si vous voulez, si je choisissais les options parce qu'elles sont confortables, je n'aurais pas pris un certain nombre de décisions depuis plusieurs mois, j'ai à chaque fois pris les décisions les plus inconfortables pour moi, mais je les prends, parce que je pense que l'intérêt général, c'est que les enfants aillent à l'école…

CAROLINE ROUX
Alors, plus confortable pour les Français alors, disons, parce que ça rentre dans le cadre des vacances scolaires ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, disons que ce serait un moindre mal, mais encore faut-il démontrer que les vacances sont moins contaminantes comme période que la période scolaire.

CAROLINE ROUX
Ce n'est pas acquis ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Eh bien, ce n'est pas acquis, moi, je constate qu'au retour des vacances de la Toussaint comme au retour des vacances de Noël, vous avez une courbe épidémique qui monte dans les 10 jours qui suivent, et qui montre que c'est plutôt pendant la période extra-scolaire que pendant la période scolaire que l'on s'est contaminé. Ce que ce que l'on voit souvent quand on fait nos tests dans les établissements, c'est que les contaminations, elles sont venues dans le milieu familial, dans la vie sociale, beaucoup plus qu'à l'intérieur de l'école ; donc il faut, je crois, être très attentif à ces enjeux, bien entendu, ce qui est très important, c'est qu'on soit extrêmement rigoureux sur les gestes barrières, et tout ce que nous faisons pour les protocoles sanitaires à l'intérieur des écoles, et maintenir cette chose qui est vitale pour l'enfant et l'adolescent, qui est la vie scolaire.

CAROLINE ROUX
Ce que j'entends avec ce que vous nous expliquez ce matin, c'est que, au fond, nous ne nous trouvons pas dans la situation du mois de mars, pourtant, malgré les variants anglais ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, alors ce qui est certain, c'est que, là, ce qu'il faut évidemment dire, c'est que la question du variant anglais ou sud-africain, comme on les appelle, ça crée un élément d'incertitude sur le futur, et qu'on sait bien que ça peut créer parfois des formes d'explosion épidémique, et on voit que dans certaines écoles ou établissements, quand c'est probablement ce variant qui arrive, ça crée en effet une accélération. Donc c'est pour ça qu'on isole, qu'on teste, on isole…

CAROLINE ROUX
Et que vous ne fermez pas…

JEAN-MICHEL BLANQUER
On applique notre stratégie qui, entre parenthèses, a bien marché en 2020, tester, isoler, protéger a marché entre l'Education nationale et les autorités de santé, on en a peu parlé, parce que ça marche, mais ça a marché, donc on continue cela, bien entendu, s'il devait y avoir quelque chose qui explosait dans les temps qui viennent, que ce soit sur le plan local ou à l'échelle d'un établissement, on prend les mesures nécessaires, d'ailleurs, nous fermons des établissements en permanence…

CAROLINE ROUX
Combien sont fermés ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Aujourd'hui, c'est environ 70, c'est très peu sur 60.000 établissements français.

CAROLINE ROUX
Vous avez fait une campagne de tests dans les écoles, est-ce que vous voyez arriver justement ces variants ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, on fait une campagne de tests donc de deux ordres, on a d'une part les tests que nous faisons chaque fois que nous repérons un cas. Et puis, il y a maintenant des tests plus aléatoires faits avec les autorités de santé, on rencontre un problème, c'est qu'il y a un pourcentage encore trop faible de volontaires, puisqu'il faut être volontaire pour faire le test. Et donc mon appel, c'est : soyez volontaire quand les tests vous sont proposés, ils le sont de plus en plus, on s'est mis en mesure de faire un million de tests par mois, mais même un million et demi, et donc il faut évidemment se faire tester, c'est clef pour rompre les chaînes de contamination.

CAROLINE ROUX
Combien d'élèves des lycées sont aujourd'hui en présentiel et en distanciel, comme on dit ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Vous avez les deux tiers des lycées qui sont dans en mode hybride, et donc à moitié en présence, je vous dis, et à moitié à distance. Et pour le tiers restant, ça tient souvent à la configuration des lieux, ils ont pu se maintenir en présence, et je préconise que les élèves de terminale puissent être autant que possible en présence.

CAROLINE ROUX
Entre la fermeture totale, version au mois de mars, et la situation statu quo, telle qu'elle est aujourd'hui, est-ce qu'il y a une solution qui serait transitoire ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, il y a évidemment plusieurs gradients, si vous voulez, en novembre, le deuxième confinement était un confinement avec les écoles ouvertes, et a eu d'ailleurs de bons résultats, si aujourd'hui la France est dans une situation plutôt favorable par rapport à de nombreux voisins, en termes de contamination, c'est parce que le président a pris les bonnes décisions au moins de novembre sur le réglage du confinement. Donc on peut toujours imaginer différents gradients, comme nous l'avons fait depuis septembre en particulier, en faisant évoluer le curseur.

CAROLINE ROUX
C'est-à-dire, comment est-ce qu'on peut encore faire évoluer le curseur ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Eh bien, par exemple, en novembre dernier, on a fait justement les lycées hybrides, on peut aller plus loin dans l'hybridation par exemple.

CAROLINE ROUX
D'accord, c'est-à-dire avec plus de lycéens qui seraient amenés à rester chez eux pour faire…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Voire des classes de collège, mais on n'en est pas encore là…

CAROLINE ROUX
Est-ce que les cantines restent le maillon faible dans les établissements scolaires ? Est-ce que vous avez été amenée à fermer des cantines qui ne pouvaient pas, pour des raisons parfois matérielles, respecter les protocoles ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Oui, c'est une décision qui se prend dans ces cas-là avec les collectivités locales qui sont responsables en la matière, c'est évident que les cantines sont éventuellement un maillon faible, puisque c'est le moment où on se nourrit, où on enlève son masque, donc on est extrêmement prudent, mais en même temps, on a besoin des cantines, c'est un enjeu de société aussi pour les enfants, et un enjeu, parfois, c'est le seul moment de la journée où un enfant a un vrai repas bien équilibré.

CAROLINE ROUX
Vous avez plusieurs fois demandé publiquement que la vaccination des enseignants ait lieu en mars ; est-ce que vous avez obtenu gain de cause, on apprend dans L'Express ce matin que le président vous a dit non ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Non, ce n'est pas… j'ai lu ce que vous me dites, mais ce n'est pas tout à fait comme ça que ça se passe, c'est : vous avez des populations prioritaires qui sont définies, donc aujourd'hui, vous le savez, c'est les personnes les plus âgées et les personnes vulnérables, nous savons qu'à un moment donné arrivera la population active, donc quand arrivera la population active, il y a un certain nombre de professions qui sont plus concernées que les autres, les soignants évidemment, et donc, à ce moment-là, se détermineront l'ordre dans lequel… se déterminera l'ordre dans lequel se feront les choses, et ce sera autour du mois de mars sans doute.

CAROLINE ROUX
Est-ce que vous devez batailler au quotidien, Jean-Michel BLANQUER, pour garder les écoles ouvertes, et est-ce que vous le vivriez comme un échec de devoir les refermer ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
Eh bien, ce serait un échec pour le pays, aujourd'hui, c'est une victoire pour le pays que de les avoir ouvertes, que de les garder ouvertes, la France est un des pays qui en 2020 aura sauvegardé le plus de jours de classe pour les enfants, et dans la situation grave, à l'échelle mondiale, actuelle, de déscolarisation de grand nombre d'enfants, du fait de l'épidémie, ce qui aura des conséquences graves pour l'avenir du monde, la France se détache positivement. Donc nous devons être fiers collectivement de ce qui se passe, on doit évidemment être vigilant sur le plan sanitaire. A ce stade, encore une fois, les contaminations n'explosent pas en milieu scolaire, et donc nous devons évidemment maintenir les écoles ouvertes autant que nous ne pouvons.

CAROLINE ROUX
Et vous dites aux gens qui vous regardent ce matin que les vacances se dérouleront comme prévu avec un calendrier prévu ?

JEAN-MICHEL BLANQUER
En tout cas, je fais mon maximum pour qu'il en soit ainsi, ça peut encore changer, bien sûr.

CAROLINE ROUX
Ça peut encore changer.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Bien sûr, mais le calendrier… il est important de préserver les calendriers autant qu'on peut.

LAURENT BIGNOLAS
Vous avez raison de le préciser, de le faire préciser à monsieur le Ministre, parce qu'à 7h43, j'ai eu peur, j'ai cru que vous alliez proposer d'annuler les vacances pour…

JEAN-MICHEL BLANQUER
Pour rattraper…

LAURENT BIGNOLAS
Pour diminuer les risques de contamination. Voilà, bon, merci à tous les deux. Passez une bonne journée. Alors cette période de Vendée Globe a été et est encore aujourd'hui un sacré bol d'air pour les élèves, compte tenu de la crise sanitaire.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Je féliciterai le vainqueur tout à l'heure en tant que ministre des Sports.

LAURENT BIGNOLAS
Eh bien, voilà, et puis, c'est vrai que l'on rendra hommage la semaine prochaine à tous ces enfants qui ont suivi ces courses et qui continuent de les suivre, et aux enseignants qui leur permettent d'avoir ce bol d'air iodé, bien sûr, et de découvrir aussi les valeurs de l'aventure, de la solidarité, et de l'héroïsme, pourquoi pas.

JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci aux professeurs qui font tout ce travail en ce moment.

LAURENT BIGNOLAS
Sacré boulot !

JEAN-MICHEL BLANQUER
Merci.

LAURENT BIGNOLAS
Merci à vous. Bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 janvier 2021