Interview de Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, à France Info le 11 février 2021, sur le télétravail (maintien, non-recours de certaines entreprise, coût du télétravail pour le salarié) et l'accueil des stagiaires.

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Média : France Info

Texte intégral

MARC FAUVELLE
Bonjour Elisabeth BORNE.

ELISABETH BORNE
Bonjour.

MARC FAUVELLE
Il existe un chemin pour éviter le reconfinement, a dit hier votre collègue, le porte-parole du gouvernement, Gabriel ATTAL, est-ce que vous le voyez, vous aussi, ce chemin ?

ELISABETH BORNE
Mais on voit que, effectivement, la situation est préoccupante, mais on est plutôt sur un plateau, on n'a pas la flambée d'épidémie qui a pu y avoir chez un certain nombre de nos voisins et qui nous était annoncée. Donc évidemment, on reste très vigilant. Mais pour l'instant, on a effectivement ce plateau de l'ordre de 20.000 cas par jour.

MARC FAUVELLE
Il faut se féliciter collectivement du respect des consignes, du couvre-feu, des gestes barrières.

ELISABETH BORNE
Eh bien, je pense que traduit effectivement le fait que tous les Français sont mobilisés pour limiter la diffusion du virus, qu'on applique bien les gestes barrières, et on voit que ça porte ses fruits.

SALHIA BRAKHLIA
Alors, on se félicite, mais il y a quand même un petit signe de relâchement, Madame la Ministre, c'est le télétravail, vous avez demandé aux entreprises d'y recourir massivement, partout où c'est possible, vous l'avez dit au début de l'année, sauf que, visiblement, votre message n'a pas été entendu, car selon une enquête d'Humanis, le taux de salariés en télétravail en décembre dernier, par exemple, a été le même qu'en décembre 2019, quand on n'était pas en crise sanitaire. C'est vraiment que vous n'êtes pas entendue ?

ELISABETH BORNE
Non, je pense que moi, je ne partage pas du tout les chiffres de cette enquête qui ne sont pas du tout cohérents avec ceux qu'on peut avoir par ailleurs.

SALHIA BRAKHLIA
Quels sont vos chiffres alors ?

ELISABETH BORNE
En fait, on a plus d'un tiers des postes de travail qui sont facilement travaillables, on sait qu'au mois de novembre, il y avait 70 % des salariés qui pouvaient facilement télétravailler, qui étaient en télétravail, et récemment, on avait baissé de 6 points, mais il y avait encore 64 % des salariés qui peuvent facilement télétravailler qui le faisaient…

MARC FAUVELLE
Mais ça baisse…

ELISABETH BORNE
Moi, je ne me satisfais pas de cette érosion, c'est bien pour ça que j'ai appelé à une remobilisation, qu'on a beaucoup d'échanges avec les organisations patronales et syndicales, que j'ai vu des branches professionnelles dans lesquelles on avait justement vu une érosion plus forte…

SALHIA BRAKHLIA
Alors lesquelles justement ?

ELISABETH BORNE
Eh bien, c'est notamment les secteurs… alors, ils n'aiment pas qu‘on les cite, mais c'est tout de même les secteurs des banques, de l'assurance, de l'ingénierie, le conseil, enfin, de ce sont des secteurs qui de fait sont à un niveau élevé de télétravail, et vous savez, je pense que les…

SALHIA BRAKHLIA
Mais qui n'en font pas assez…

ELISABETH BORNE
Je pense que les millions de salariés qui sont en télétravail depuis des mois ne partagent pas le fait que personne ne télétravaille en France…

MARC FAUVELLE
On n'a pas dit ça, on a dit : ça baisse…

ELISABETH BORNE
Non, non, mais donc du coup, il faut se remobiliser, on sait que c'est un très bon outil pour lutter contre justement la propagation du virus, on a des études qui nous montrent que c'est entre 20 et 30 % de risque de moins quand on est en télétravail, donc il faut se remobiliser, c'est bien ce que, moi, je suis en train de faire en appelant, effectivement, en échangeant avec des entreprises, avec des DRH, on a aussi remobilisé les services de mon ministère, notamment l'Inspection du travail, qui intervient beaucoup en entreprises pour accompagner…

SALHIA BRAKHLIA
Qui fait des contrôles…

ELISABETH BORNE
Pour conseiller, pour contrôler, le cas échéant, pour sanctionner.

MARC FAUVELLE
Au-delà du dialogue, justement, vous disposez de quels outils ?

ELISABETH BORNE
Alors, je dispose d'outils qui sont les sanctions le cas échéant, mais je vous dis…

MARC FAUVELLE
Il y a déjà eu des entreprises en France sanctionnées pour non-recours au télétravail. ?

ELISABETH BORNE
Oui, oui, effectivement, c'est des référés judiciaires, si vraiment les règles ne sont pas du tout respectées, mais d'ores et déjà, quand on a un service qui est… enfin, une entreprise, pardon, qui est visitée par mes services, qu'on rappelle les règles, que le cas échéant, on accompagne aussi l'entreprise, parce que vous savez, dans les TPE, PME, elles ne sont pas forcément armées, qu'on va jusqu'à des mises en demeure, dans 90 % des cas, la situation revient dans les clous…

SALHIA BRAKHLIA
Oui, parce que là, vous donniez l'exemple du secteur bancaire, qu'est-ce que vous répondez à ceux qui disent : eh bien, on a des injections (sic), des injonctions – pardon – contradictoires, d'un côté, on a Bercy qui…

MARC FAUVELLE
On a des injections aussi, mais c'est autre chose…

SALHIA BRAKHLIA
Du vaccin. Donc on a des injonctions contradictoires, d'un côté, Bercy nous dit : il faut rester ouvert, et le ministère du Travail nous dit : eh bien, il faut fermer l'agence et passer en télétravail. Sauf que les agences de banques justement, elles doivent recevoir du public.

ELISABETH BORNE
Non, mais ceux qui disent ça n'ont pas bien compris le message, ce à quoi je m'attache, c'est d'abord que les sièges des entreprises, les sièges des banques, le back-office, soient au maximum en télétravail, on sait qu'ils peuvent l'être à 80, 90 %, évidemment, c'est plus compliqué en agence, les réseaux qui se sont bien mobilisés sont à 20 % en agence, il y en a qui n'y sont pas du tout, donc ils vont pouvoir faire plus.

MARC FAUVELLE
Il y a également la question du coût du télétravail pour ceux qui y sont parfois depuis des mois et des mois, une autre étude, vous nous direz ce que vous en pensez, parue, il y a quelques jours, chiffre ce coût entre 13 et 174 euros par mois, évidemment, il y a des situations très différentes, que ce soit le chauffage, la consommation, l'abonnement Internet, l'accord, qui a été signé avec les partenaires sociaux, il y a quelques semaines sur le télétravail, n'indique pas précisément ce qui doit être pris en charge par les entreprises, quelle est la règle aujourd'hui sur le terrain ?

ELISABETH BORNE
La règle, elle est très simple et elle est rappelée dans l'accord effectivement qui a été signé entre les partenaires sociaux, il y a quelques semaines, c'est que le télétravail ne doit pas être un coût pour le salarié. Donc il faut qu'il y ait une discussion dans l'entreprise pour voir comment l'entreprise compense les éventuels surcoûts pour le salarié…

MARC FAUVELLE
Il faut une discussion, il faut la signature d'un accord, majoritaire avec les syndicats, ou les représentants du personnel, et sinon ?

ELISABETH BORNE
Non, non, mais vous savez, enfin, moi, je vous dis, j'échange beaucoup avec des entreprises, avec des DRH aussi, avec des organisations syndicales, dans beaucoup de cas, ça se passe très bien, il y a une prise en charge de l'équipement informatique par exemple, et puis, il y a une prise en charge aussi, souvent, on maintient la compensation qui correspond à la restauration collective qui n'existe plus…

MARC FAUVELLE
Ce n'est pas toujours le cas, chez SFR notamment, ces derniers jours, plusieurs milliers de salariés qui sont en télétravail disent que…

SALHIA BRAKHLIA
Depuis le mois de mars…

MARC FAUVELLE
Depuis le mois de mars, c'est-à-dire depuis quasiment un an, disent qu'ils ne reçoivent plus les Tickets-restos, quelle est la règle, là encore, précisément, quand on est en télétravail imposé, entre guillemets, par son employeur, est-ce qu'on doit les garder ou pas ?

ELISABETH BORNE
Enfin, moi, je ne vais pas répondre sur chaque entreprise, je vous dis…

MARC FAUVELLE
La règle générale…

ELISABETH BORNE
La règle générale, c'est que ça ne doit pas être une pénalisation pour celui qui est en télétravail, ça ne doit pas lui coûter plus cher, il ne doit pas avoir moins d'aides que ce qu'il a d'habitude, donc c'est simple…

SALHIA BRAKHLIA
Oui, mais concrètement, parce que vous savez que…

ELISABETH BORNE
Eh bien, concrètement…

SALHIA BRAKHLIA
D'une entreprise à une autre, c'est à géométrie variable…

ELISABETH BORNE
Oui, non, non, mais vous savez, concrètement, beaucoup d'entreprises avec lesquelles j'ai discuté donnent à leurs salariés l'équivalent de la subvention qu'on a dans le repas dans la restauration collective. Donc je pense que ça, c'est une bonne pratique.

SALHIA BRAKHLIA
L'idée de la CFDT, c'est aussi de demander une indemnité d'occupation du domicile à des fins personnelles, vous êtes pour, vous ?

ELISABETH BORNE
Enfin, moi, j'ai entendu Laurent BERGER, je ne l'ai pas entendu dire que ça devait être une règle générale, je vous dis : principe, il est simple, ça ne doit pas coûter aux salariés, les discussions, elles se mènent dans l'entreprise pour trouver les bonnes modalités, ça peut être une indemnité forfaitaire, ça peut être une indemnité correspondant à un certain nombre de frais, les discussions, elles doivent avoir lieu dans les entre.

MARC FAUVELLE
Avant d'en venir dans quelques instants à une question importante, c'est celle du chômage, chômage partiel, chômage tout court, chômage des jeunes, une autre question pratique, Elisabeth BORNE, beaucoup d'élèves se demandent tout simplement s'ils ont le droit en ce moment de faire leur stage en entreprise, y compris, alors que de nombreux salariés sont en télétravail, est-ce qu'il y a une règle claire, aujourd'hui, est-ce que les entreprises peuvent continuer à les accueillir ?

ELISABETH BORNE
Bien sûr, les entreprises peuvent continuer à les accueillir, c'est vrai que c'est plus compliqué, quand on demande aux entreprises de télétravailler au maximum, c'est plus compliqué d'accueillir un stagiaire, c'est compliqué d'encadrer le stagiaire. On sait que sur le deuxième et le troisième trimestre, il y a eu 20 % d'entrées en stage de moins, on aura bientôt les chiffres du quatrième trimestre, donc c'est difficile, effectivement, c'est plus difficile aujourd'hui d'avoir un stage en entreprise ; c'est pour ça que Frédérique VIDAL réfléchit à la possibilité…

MARC FAUVELLE
La ministre de l'Enseignement supérieur…

ELISABETH BORNE
A la possibilité de décaler les stages quand vous êtes dans un cursus où vous avez un stage pour valider votre diplôme, et puis, ça ne répondra peut-être pas à toutes les situations, donc, moi, je discute aussi avec les entreprises de la façon dont…

SALHIA BRAKHLIA
Vous dites aux entreprises : prenez des stagiaires ?

ELISABETH BORNE
Eh bien, je dis aux entreprises : continuez à accueillir des stagiaires, mais dans le même temps, il faut aussi qu'on assouplisse les règles sur les stages obligatoires dans les diplômes, pour permettre aussi que ces stages se fassent à un moment où la situation sanitaire et économique sera meilleure.

SALHIA BRAKHLIA
Toujours avec Elisabeth BORNE, la ministre du Travail. Quels sont les derniers chiffres dont vous disposez sur le chômage partiel ? Est-ce que beaucoup de personnes y ont recours en ce moment ?

ELISABETH BORNE
Alors on a été, vous savez, jusqu'à près de 9 millions de salariés dont la rémunération a été prise en charge par l'Etat au travers du chômage partiel au printemps. On est remonté à 3,1 million – ça avait bien sûr pendant l'été on est remonté à 3,1 million de salariés en novembre et on était encore à 2,4 millions en décembre. C'est un outil qui fonctionne massivement pour protéger les emplois dans les entreprises. Et évidemment, on va continuer à accompagner les entreprises tant que ce sera nécessaire.

MARC FAUVELLE
On a vu plusieurs exemples récents, Elisabeth BORNE, de fraude au chômage partiel. Parfois des fraudes très organisées avec des mafias qui créent des coquilles vides, des entreprises qui n'existaient pas pour toucher les aides parce qu'elles sont relativement simples à obtenir. Est-ce que vous avez des chiffres aujourd'hui sur le nombre de fraudes constatées au chômage partiel ?

ELISABETH BORNE
Alors d'abord, je voudrais dire qu'il y a beaucoup de contrôles. Vous savez, on a fait plus de 600 000 contrôles.

SALHIA BRAKHLIA
Depuis quand ?

ELISABETH BORNE
Depuis qu'on a mis en place l'activité partielle. Plus de 600 000 contrôles qui sont très efficaces. Il y a eu à peu près 200 millions de fraudes ou de suspicions de fraude et on a soit bloqué, soit récupéré 90 % de ces sommes.

MARC FAUVELLE
Sur ces 600 000 contrôles, combien d'entreprises avaient effectivement fraudé ?

ELISABETH BORNE
Alors on a eu 10 000 suspicions de fraude.

MARC FAUVELLE
Ce qui est beaucoup.

ELISABETH BORNE
Il y a eu 1 000 procédures pénales mais, je vous, il y a eu 200 millions de fraudes suspectées et avérées et on a bloqué. Evidemment on ne verse pas l'argent quand on se rend compte qu'on a une fraude. Donc on en a bloqué ou récupéré 90 %.

SALHIA BRAKHLIA
Face à la fermeture des remontées mécaniques, Elisabeth BORNE, vous avez proposé aux employeurs du secteur de la montagne d'embaucher des saisonniers, quitte à les mettre en chômage partiel ensuite. Quelle est la logique ?

ELISABETH BORNE
Oui. Alors je me rends bien compte que ça n'est pas forcément très clair.

SALHIA BRAKHLIA
Oui, oui.

ELISABETH BORNE
Pourquoi je dis ça ? Parce que vous savez, les saisonniers évidemment les trois, quatre mois qu'ils peuvent faire pendant l'hiver, par exemple à la montagne, c'est très important : c'est une part très importante de leurs revenus de l'année. Et s'ils ne sont pas embauchés, ça veut dire qu'ils sont demandeurs d'emploi et ils peuvent épuiser leurs droits à l'allocation chômage. S'ils sont embauchés par l'entreprise et placés en activité partielle, alors non seulement ils sont indemnisés au titre de l'activité partielle mais, du coup, ils rechargent leurs droits à l'assurance chômage. Donc ça peut paraître curieux mais moi, je me préoccupe effectivement de ce qui va se passer pour ces saisonniers maintenant et aussi dans les prochains mois.

SALHIA BRAKHLIA
Là aussi il n'y a pas de risque de fraude puisque justement c'est des emplois saisonniers et donc il n'y a pas de continuité avec l'entreprise ?

ELISABETH BORNE
En fait la règle, elle est très claire. Parmi ces saisonniers, vous en avez beaucoup qui ont des contrats qui sont renouvelés automatiquement d'une année à l'autre. Dans ce cas-là, c'est dans le contrat de travail, dans la convention collective du secteur et donc il faut que ses salariés soient embauchés et placés en chômage partiel. Vous avez aussi des saisonniers qui avaient des promesses d'embauche, il faut les mettre en oeuvre. Donc je vous dis, ça permet aux saisonniers, aux salariés d'avoir une rémunération maintenant et aussi d'avoir des droits à l'allocation chômage.

SALHIA BRAKHLIA
Bien sûr.

MARC FAUVELLE
L'économie française est aujourd'hui - une partie en tout cas - encore largement sous perfusion des aides publiques, Elisabeth BORNE. Le chômage, malgré ces aides, a augmenté assez fortement l'année dernière 3 millions 600 000 chômeurs fin 2020 si on inclut uniquement la catégorie A qui sert traditionnellement de baromètre. Est-ce que vous savez jusqu'à quand va augmenter le chômage ? Et est-ce que le gouvernement se fixe un objectif d'ici à la fin du quinquennat ?

ELISABETH BORNE
On a contenu l'impact quand même de la crise sur l'emploi, notamment grâce au dispositif d'activité partielle et puis aussi le plan de relance qui vise à faire repartir notre économie.

MARC FAUVELLE
Le pire n'est pas venir au moment où on va enlever la seringue ?

ELISABETH BORNE
On est évidemment très vigilant dans la façon dont on accompagne les entreprises pour ne pas débrancher des aides trop rapidement, pour s'assurer qu'on accompagne bien les entreprises jusqu'à ce que l'activité reparte. C'est pour ça par exemple que toutes les entreprises qui sont fermées, aussi longtemps qu'elles auront effectivement ces restrictions sanitaires, alors elles bénéficieront d'une prise en charge à 100 % de l'activité partielle. Et de fait ça a contenu l'augmentation du chômage : vous savez que le chômage a augmenté de 290 000 demandeurs d'emploi supplémentaires. C'est un peu plus de 8 %. Il faut se souvenir que dans la crise de 2008-2009, ça avait été 25 % des demandeurs d'emploi de plus.

MARC FAUVELLE
Mais à l'époque, on n'avait pas mis en place de tels dispositifs. On est un peu aveugle aujourd'hui sur la réalité du chômage en France.

ELISABETH BORNE
A l'époque, on n'avait pas mis en place…

MARC FAUVELLE
On est un peu aveugle.

ELISABETH BORNE
Je peux vous assurer que je regarde ça très attentivement.

MARC FAUVELLE
Parce qu'on ne sait pas combien d'entreprises, une fois que les aides vont s'arrêter, ne pourront pas se relever tout simplement.

ELISABETH BORNE
On est attentif au risque de faillite et donc c'est pour ça aussi que Bruno LE MAIRE regarde très attentivement le fonds de solidarité, les prêts garantis par l'Etat pour pouvoir les étaler suffisamment longtemps. Que pour ma part j'invite les entreprises à se protéger dans la durée, et c'est notamment l'objet de l'activité partielle de longue durée. Vous savez que vous pouvez avoir des aides jusqu'à deux ans en activité partielle de longue durée. Ça permet d'avoir des discussions au sein d'une entreprise pour partager l'activité entre tous les salariés. Et ce qui est aussi important, c'est que pendant le temps où vous ne travaillez pas, vous pouvez vous former. On a mobilisé un milliard d'euros sur le FNE formation pour permettre aux salariés qui ne travaillent pas de se former et donc d'avoir renforcé leurs compétences pour que les entreprises soient plus fortes en sortie de crise.

SALHIA BRAKHLIA
Juste une question d'actualité, Elisabeth BORNE. Comment vous avez réagi vous quand vous avez su que SANOFI allait licencier 400 personnes, allait supprimer 400 postes dans la recherche, alors qu'en parallèle 4 milliards d'euros vont être reversés à ses actionnaires ?

ELISABETH BORNE
Moi, ce n'est jamais une bonne nouvelle, vous savez, quand on a des entreprises qui annoncent des plans sociaux dans la période actuelle. Je pense qu'il y a… Enfin moi, j'en appelle aussi à la responsabilité des entreprises alors qu'on sait…

SALHIA BRAKHLIA
Mais là pour SANOFI, 4 milliards d'euros reversés aux actionnaires.

ELISABETH BORNE
Oui. Non, je vous dis, mes services, mes équipes regardent très attentivement les projets de PSE, de plan social que peuvent faire les entreprises. On s'assure évidemment qu'il y ait un dialogue social dans l'entreprise, que les salariés sont accompagnés, qu'on limite au maximum les suppressions d'emplois quand on est face à une entreprise qui est en difficulté évidemment si elle distribue des dividendes. On est très vigilant à ce que le…

SALHIA BRAKHLIA
Mais ça vous a choquée dans le cas de SANOFI ?

ELISABETH BORNE
Ecoutez, moi ça me choque forcément d'avoir une entreprise qui n'est pas en difficulté financière…

MARC FAUVELLE
Qui est même florissante. 12 milliards d'euros de bénéfices.

ELISABETH BORNE
Et qui néanmoins procède à des licenciements. Ensuite les entreprises peuvent être amenées à s'adapter. Ce que je leur demande dans ce cas-là, c'est d'être exemplaires dans l'accompagnement des salariés pour les aider à rebondir, s'assurer qu'ils ont des formations pour retrouver un emploi.

MARC FAUVELLE
SANOFI, 12 milliards d'euros de bénéfices, 4 milliards versés aux actionnaires qui bénéficie chaque année de 150 millions d'euros publics au titre du crédit d'impôt recherche. Quand vous voyez simplement, vous mettez côte à côte ces deux chiffres : 12 milliards de bénéfices, 150 millions d'euros d'argent public, est-ce qu'il ne faudrait pas imaginer qu'on module ces aides publiques dans le cas où des groupes font d'immenses profits ? Quelque part l'argent du contribuable versé à SANOFI, il va servir à remercier les actionnaires du groupe.

ELISABETH BORNE
Enfin vous savez, on est très attentif dans les outils qu'on met en place. Par exemple si vous avez un prêt garanti par l'Etat, vous n'avez pas le droit de procéder à un plan social.

MARC FAUVELLE
Ce n'est pas le cas de SANOFI.

ELISABETH BORNE
Si vous signez un accord d'activité partielle de longue durée, donc vous êtes accompagné, là aussi ça fait partie des sujets qui doivent être pris en compte dans le cadre de l'accord qui doit être majoritaire avec les salariés…

SALHIA BRAKHLIA
Mais là dans ce que dit Marc, c'est que SANOFI a profité de ce crédit impôt recherche pendant plusieurs années et pourtant ils vont licencier 400 personnes.

ELISABETH BORNE
Oui. Je vous dis…

SALHIA BRAKHLIA
Donc dans ces cas-là, à part être attentif comme vous le dites, qu'est-ce que vous pouvez faire de plus ?

ELISABETH BORNE
On est très exigeant quand on est amené à valider un plan social à ce que les entreprises qui en ont les moyens soient exemplaires dans l'accompagnement des salariés pour leur permettre de retrouver un emploi.

MARC FAUVELLE
On va parler plus spécifiquement du chômage des jeunes dans quelques instants, Elisabeth BORNE. D'abord le fil info puisqu'il est 8 heures 50 avec Mélanie DELAUNAY.
Elisabeth BORNE, un million de jeunes en ce moment en France, de jeunes de 16 à 25 ans, ne font pas ou plus d'études, n'ont pas de travail et ne sont pas en formation, à ce million-là, vous dites quoi ?

ELISABETH BORNE
Je leur dis que c'est précisément pour eux que dès juillet dernier, on a mis en place le plan « 1 jeune 1 solution », c'est des moyens inédits, 7 milliards d'euros, précisément pour apporter une solution adaptée à la situation de chaque jeune, un emploi, une formation, un accompagnement vers l'emploi. Et de fait, ce plan, il porte ses fruits, vous savez que d'août à décembre, on a eu 1,2 million de jeunes recrutés en CDI ou en CDD de plus de 3 mois, grâce en particulier aux primes qu'on a mises en place, 4.000 euros si vous recrutez un jeune en CDI ou en CDD de plus de 3 mois, 5.000 à 8.000 euros si vous signez un contrat d'apprentissage, et manifestement, ça a marché, on a aussi eu 500.000 jeunes qui sont entrés en apprentissage ; c'est un record historique, c'est 140.000 de plus que ce qu'on avait eu en 2019, qui était déjà une très bonne année. Et puis, il faut aussi s'occuper des jeunes qui sont plus éloignés de l'emploi, donc on multiplie les réponses pour accompagner ces jeunes qui sont éloignés de l'emploi, par exemple, la Garantie Jeunes, qui est un dispositif proposé par les missions locales, qui marche très bien, dans lequel, on propose à la fois des ateliers…

SALHIA BRAKHLIA
500.000 jeunes comparés au million qu'a évoqué Marc…

ELISABETH BORNE
Non, non, on a plus d'un million de solutions d'accompagnement de ce type qu'on va mettre en place en 2021, en 2021, on va proposer plus de 2 millions de solutions, accompagnement, formation pour les jeunes. Donc je pense qu'on a un plan qui est à la hauteur, qui permet à chaque jeune d'avoir une réponse adaptée à sa situation. L'enjeu, c'est aussi d'aller chercher les jeunes, ceux qui n'ont pas l'habitude de pousser la porte de leur mission locale, moi, je dis à chaque jeune : n'hésitez pas, poussez la porte de votre mission locale, de Pôle emploi, il y a des conseillers qui sont là pour vous accompagner, qui peuvent aussi vous donner une aide financière, jusqu'à 500 euros par mois, si vous en avez besoin, donc voilà, il faut que les jeunes puissent bénéficier de cet accompagnement et de ces aides, cet accompagnement qui doit leur permettre de trouver un emploi.

SALHIA BRAKHLIA
Justement, Elisabeth BORNE, malgré vos dispositifs, on voit ces images d'étudiants qui vivent dans la détresse, des jeunes qui vivent dans la détresse en faisant justement la queue dans les banques alimentaires. Alors, face à la situation, Anne HIDALGO, la maire de Paris, vous lance un appel, elle était notre invitée lundi, écoutez.

ANNE HIDALGO, MAIRE DE PARIS
Il faut mettre en place une aide, cette aide, ça doit être une aide d'urgence, une aide exceptionnelle qui doit…

MARC FAUVELLE
Universelle ?

ANNE HIDALGO
Universelle, et je pense qu'il faut cette aide-là, qu'on se donne au moins trois ans, parce que cette crise va durer, il va falloir accompagner nos jeunes.

SALHIA BRAKHLIA
Elle propose une aide exceptionnelle de 500 euros par mois pendant trois ans pour les jeunes qui le demandent. Vous, vous répondez quoi ?

ELISABETH BORNE
Enfin, moi, je n'ai pas attendu l'appel d'Anne HIDALGO, vous savez, quand on propose une sorte de Garantie Jeunes universelle, c'est-à-dire que tout jeune qui en a besoin peut être accompagné pour aller vers l'emploi et avoir…

SALHIA BRAKHLIA
Avec une formation, c'est ce que vous dites…

ELISABETH BORNE
Et avoir une aide financière. Mais voyez, je pense qu'on fait plus que ce que propose Anne HIDALGO avec simplement une allocation. Ce que je pense très important, c'est de répondre aux difficultés du jeune maintenant, avec une aide financière quand c'est nécessaire, mais aussi d'accompagner le jeune pour qu'il puisse trouver un emploi, pour qu'il puisse d'abord bâtir son projet professionnel et le mettre en oeuvre, pour qu'il gagne son autonomie, parce qu'il aura trouvé un emploi.

MARC FAUVELLE
Martin HIRSCH, le patron de l'AP-HP, les Hôpitaux de Paris, qui est l'inventeur du RSA en France, propose, lui, autre chose, il souhaite une dotation pour tous les jeunes de 18 ans, en fonction des revenus des parents.

ELISABETH BORNE
Non, mais chacun peut avoir son idée, je pense que le dispositif qu'on propose qui dit : chaque jeune, quelle que soit sa situation, a droit à un accompagnement de la mission locale, de Pôle emploi, pour l'aider à arriver à un emploi, et quand il en a besoin…

SALHIA BRAKHLIA
Vous dites non à une allocation seule, c'est ça, fait ?

ELISABETH BORNE
Eh bien, moi, je dis qu'il faut les deux, qu'il faut évidemment aider financièrement les jeunes qui sont en difficulté, mais que ça ne suffit pas, qu'il faut aussi les accompagner pour qu'ils puissent avoir une réponse durable en trouvant un emploi qui leur convient.

MARC FAUVELLE
L'Allemagne vient de voter une loi qui prévoit d'imposer des quotas de femmes au sein des comités de direction des entreprises ; en France, aujourd'hui, une seule grande entreprise du CAC 40 est dirigée par une femme, 18 % seulement de femmes dans les comités de direction de ces grandes entreprises. Est-ce que ce sont des chiffres qui vous interpellent vous aussi ?

ELISABETH BORNE
Alors, d'abord, ce qui a été voté en Allemagne, ce n'est pas exactement ça, c'est assez proche de ce qu'on a voté, il y a 10 ans, en France, la loi Copé-Zimmermann, qui impose au moins 40 % du sexe le moins représenté dans les conseils d'administration, ce sont souvent les femmes…

MARC FAUVELLE
Mais pas dans les comités de direction…

ELISABETH BORNE
Moi, je pense qu'il faut aussi maintenant passer aux dirigeants opérationnels dans les entreprises, je pense que si on veut le faire, il faut penser à une cible plus large, qui sont les cadres dirigeants, c'est-à-dire les futurs membres des comités de direction, des comités exécutifs, et moi, je suis favorable à ce qu'on étende, vous savez l'index égalité pro, l'égalité professionnelle, qui permet de mesurer les écarts de rémunération et d'obliger les entreprises à les résorber, qu'on complète aussi en obligeant les entreprises à réduire les écarts sur la représentation des femmes et des hommes parmi des cadres dirigeants.

SALHIA BRAKHLIA
Donc vous voulez mettre en place des quotas ?

ELISABETH BORNE
Je veux mettre en place, enfin, on peut parler de quotas ou pas de quotas, ce que je vous dis, c'est qu'il faut qu'on arrive à avoir des objectifs…

SALHIA BRAKHLIA
Non, mais pour qu'on comprenne clairement…

ELISABETH BORNE
Non, mais des objectifs de parité dans les cadres dirigeants, et c'est comme ça qu'on pourra demain avoir des comités de direction et des comités exécutifs qui soient plus équilibrés.

ELISABETH BORNE
Ce n'est pas le mot de quotas, ce n'est pas la bonne définition que donne Salhia…

ELISABETH BORNE
Enfin, ça peut s'appeler quotas…

MARC FAUVELLE
Fixer des objectifs…

ELISABETH BORNE
Oui, mais ça peut s'appeler quotas, si vous voulez, c'est effectivement d'arriver à avoir une représentation équilibrée parmi les cadres dirigeants, vous savez, l'index égalité professionnelle, il marche très bien, c'est des obligations pour les entreprises, là, sur la rémunération…

SALHIA BRAKHLIA
Et là, par exemple, pour les quotas, pour l'instauration des quotas, on les oblige comment, on passe par la loi, il faut faire une proposition de loi, et là, on oblige à instaurer des quotas ?

ELISABETH BORNE
Ça passera forcément par la loi d'avoir ces objectifs de parité parmi les cadres dirigeants, et donc, ce qui permettra d'avoir cet équilibre dans les comités de direction, ça passe par la loi, sur le modèle de l'index égalité pro, vous savez, on fixe des objectifs sur la rémunération, quand ça n'est pas atteint, il y a des sanctions financières qui peuvent représenter 1 % de la masse salariale. Donc ça n'est pas rien.

SALHIA BRAKHLIA
Et la loi, c'est pour quand ?

ELISABETH BORNE
Il y a des députés qui travaillent sur des propositions de loi, je pense qu'elles pourront être déposées prochainement.

MARC FAUVELLE
Merci à vous Elisabeth BORNE. Et bonne journée.

ELISABETH BORNE
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 février 2021