Texte intégral
CHRISTOPHE BARBIER
Emmanuelle WARGON, bonjour.
EMMANUELLE WARGON
Bonjour Christophe !
CHRISTOPHE BARBIER
Vous êtes en charge du Logement au sein du gouvernement de Jean CASTEX. Alors, bonne nouvelle, pas de confinement en Ile-de-France pour l'instant le week-end, néanmoins, les chiffres sont inquiétants. Quel est le sens du gouvernement ? C'est un pari ou c'est reconnaître que si on impose un confinement en Ile-de-France, on aura une population très en colère ?
EMMANUELLE WARGON
On est à la fois très vigilant pour lutter contre l'épidémie et très volontariste pour éviter tout ce qui ressemble à un confinement généralisé parce que bien sûr, ce sont des mesures qui sont difficiles à accepter. Le Premier ministre a dit qu'il n'y avait pas d'augmentation exponentielle de l'épidémie, y compris en Ile-de-France. Du coup, ce sont des mesures vraiment ciblées (fermeture des centres commerciaux au-dessus de 10 000 m², interdiction des rassemblements dans les lieux dans lesquels on a beaucoup de population, je pense aux quais de Seine par exemple) mais pas de confinement le week-end en Ile-de-France pour l'instant. Evidemment, tout ceci dépend de l'évolution de la situation. On est aussi très vigilant et très réactif si la situation devenait plus explosive, la question serait reposée.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors, être confiné, quand on a une maison à la campagne ou qu'on a un petit appartement en banlieue, ce n'est pas la même chose. Est-ce qu'en tant que ministre du Logement, vous ne seriez pas prête à porter une politique de souplesse, qu'on soit plus tolérant avec ceux qui dans les quartiers difficiles ont besoin de s'aérer et peut-être aussi de se regrouper au soleil ?
EMMANUELLE WARGON
Alors en tant que ministre du Logement, je suis très consciente du fait qu'il y a des inégalités fortes de logements en France et que le confinement les a exacerbées parce que, effectivement, quand vous êtes confiné dans un appartement petit, pas très lumineux, exigu, ce n'est pas la même chose que d'être confiné dans des biens immobiliers beaucoup plus agréables. Donc la question de l'accès de tous à un logement de qualité, c'est encore plus une question en période de Covid et après. Et moi, mon rôle, c'est de préparer ça, c'est-à-dire d'avoir une politique du logement suffisamment volontariste, ambitieuse, pour permettre l'amélioration du logement des Français. Je vais prendre un exemple : on a perdu en moyenne un peu plus de 10m² en surface moyenne sur les quelques dernières années, décennies. C'est-à-dire qu'un logement avec deux chambres faisait avant 60,65m² ; maintenant, il en fait plutôt 50. Ça ne fait pas vraiment la même chose quand vous y habitez au quotidien.
CHRISTOPHE BARBIER
Et quand on est confiné, c'est encore pire !
EMMANUELLE WARGON
Et quand on est confiné, c'est encore pire ! Donc j'ai lancé des travaux avec un urbaniste et un architecte pour voir si on peut produire un référentiel de qualité de production des logements pour les promoteurs, y compris pour les bailleurs sociaux pour dire : attention, arrêtons la réduction toujours plus grande des m², remettons sur le marché des logements plus grands. Donc pour moi, la question, elle n'est pas seulement aiguë au moment de cette période et j'espère bien qu'on sortira progressivement au fur et à mesure de la vaccination de ces épisodes de confinement mais elle est générale, c'est tout notre mode de vie qui est en train de changer. Et puis, enfin, il y a eu aspiration vraiment forte pour retour vers des villes moyennes ou campagne avec près de 4 millions de Français qui disent aujourd'hui qu'ils envisagent de déménager. Donc c'est énorme. Il faut aussi qu'on s'organise pour accueillir ces citadins dans des villes moyennes ou dans des espaces de ruralité, par exemple en développant les tiers lieux qui sont des endroits où vous pouvez télétravailler, vous pouvez aussi remettre des cafés à la campagne, etc. Donc il y a des choses à faire aussi en aménagement du territoire pour que chacun vive comme il le souhaite.
CHRISTOPHE BARBIER
Avec comme conséquence un marché de l'immobilier qui va être chamboulé. Le Parisien fait sa Une ce matin sur la baisse des prix à Paris parce qu'on veut quitter Paris, et il y a des endroits où les prix flambent !
EMMANUELLE WARGON
D'abord que les prix se tassent ou baissent un peu dans les zones dites sur-tendues, là où ils ont augmenté de façon très, très forte dans les quelques dernières années, ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle. On avait des marchés qui devenaient vraiment spéculatifs avec des bulles dans lesquelles le prix du foncier devenait toujours plus cher et donc le prix de sortie toujours plus cher. Si finalement, le prix à Paris stagne ou baisse un peu, ça permet aussi de redonner de l'oxygène aux acheteurs. Après si ça permet une répartition finalement plus ouverte et plus harmonieuse des Français partout sur territoire et si ça augmente un peu dans des métropoles périphériques, sachant que moi mon objectif aussi, c'est de lutter contre ce qui s'appelle l'étalement urbain, c'est-à-dire que tout ceci ne mène pas à toujours plus de lotissements toujours plus loin qui consomment toujours plus de terres naturelles. Donc c'est cet équilibre qu'il faut qu'on trouve.
CHRISTOPHE BARBIER
Avec le retour des tours pour certaines grandes villes, qui permettent d'éviter d'artificialiser les sols et de s'étendre ?
EMMANUELLE WARGON
Alors, ce n'est pas un gros mot, la tour, l'immeuble en hauteur, ce n'est pas un gros mot. Vous pouvez avoir vraiment des constructions en hauteur. Il y a quelques tours, il y en a relativement peu. Il y a un projet que je trouve intéressant, qui est à Toulouse, au-dessus de la gare Matabiau mais ce projet de tour où il doit y avoir une quinzaine ou une vingtaine d'étages, il se fait à côté d'un endroit où il y a 5 hectares en pleine terre qui vont permettre d'avoir un grand jardin. Donc la construction en hauteur, ça peut aussi vouloir dire terrasses, balcons. Ca peut vouloir dire construction de bonne qualité, en bois, en matériau bio-sourcé. J'étais justement à Toulouse dans un autre quartier il ya quelques jours. Les façades maintenant sont en terre cuite et en bois. Donc ça ne donne pas vraiment la même impression que quand on est sur des matériaux plus traditionnels. On peut trouver le bon équilibre entre construire en hauteur, avoir des espaces verts de proximité, avoir de l'espace, avoir de la lumière, avoir des espaces extérieurs.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors, je reviens à l'épidémie. Est-ce que vous souhaitez que dans les départements les moins touchés, on donne un peu plus de souplesse ? Les jours rallongent, repoussons le couvre-feu à 20 heures ou 21 heures en Bretagne !
EMMANUELLE WARGON
Alors, tout le monde évidemment souhaite plus de souplesse. Tout le monde trouve que le couvre-feu à 18 heures, c'est extrêmement contraignant. Après, la ligne de crête sur laquelle on est, c'est des mesures de restriction qui permettent de limiter la propagation de l'épidémie en évitant le confinement généralisé et on a trois nouveaux départements qui sont en vigilance renforcée qui sont plutôt des départements ruraux : les Alpes de Haute-Provence, l'Aube, l'Aisne. Donc pour l'instant, le virus circule moins dans l'Ouest de la France, on a aussi des moments où tout d'un coup on voit le virus augmenter donc c'est beaucoup trop tôt pour avoir des mesures de relâchement de ce qu'on fait aujourd'hui. En revanche, nous avons donné une perspective. A partir de mi-avril, on espère pouvoir retrouver quelque chose qui ressemble plus au cours normal de nos existences. Je crois que c'est ça la bonne perspective.
CHRISTOPHE BARBIER
Le Gouvernement met l'accent sur la vaccination avec une inquiétude : trop peu de soignants se font vacciner. Alors vous partagez la vie d'un soignant éminent et médiatique, Mathias WARGON…
EMMANUELLE WARGON
Et vacciné !
CHRISTOPHE BARBIER
Et vacciné. Est-ce qu'il ne faut pas rendre obligatoire cette vaccination comme un devoir professionnel ? Un médecin disait : les soignants, ils mettent une charlotte, ils mettent une blouse, ils doivent se faire vacciner. C'est le complément.
EMMANUELLE WARGON
Pour l'instant, notre objectif c'est de convaincre les soignants. C'est ce qu'a dit Olivier VERAN ; il va d'ailleurs écrire à tous les soignants. D'abord aussi pour les remercier et pour rendre hommage au travail qu'ils font parce que les soignants sont vraiment en première ligne. C'est eux qui voient les malades, c'est-à-dire tous ceux qui nous disent : ah mais finalement, on peut accepter d'avoir des malades du Covid, ce n'est pas si grave, ce ne sont pas les soignants qui eux reçoivent des personnes en grande difficulté dont certains vont être gravement malades, intubés et puis certains vont mourir. Et donc les soignants, eux, ils sont confrontés à la réalité de cette épidémie. Pour l'instant, je pense qu'on est au stade de la conviction, c'est-à-dire montrer que le vaccin arrive, que les effets secondaires sont des effets secondaires d'un vaccin classique. Le vaccin contre la grippe aussi a ce genre d'effets secondaires. Et donc dans une politique de conviction et d'entraînement des soignants.
CHRISTOPHE BARBIER
C'est curieux qu'on soit obligé de convaincre de l'efficacité des vaccins des personnels soignants qui sont au coeur de ce moment scientifique.
EMMANUELLE WARGON
Mais c'est aussi, je pense, notre vision et notre politique d'aller à des obligations que lorsqu'on n'a pas d'autre alternative pour l'instant. Je pense qu'il est possible de mobiliser les soignants sur la vaccination et c'est plutôt comme ça qu'on souhaite le faire.
CHRISTOPHE BARBIER
Etrange peur quand même que celle des soignants face au vaccin. Comme si les pompiers avaient peur de l'eau !
EMMANUELLE WARGON
Ce sont des vaccins pour lesquels ni la France ni l'Union Européenne ni aucun autre Etat dans le monde n'a de recul par définition, donc il y a aussi une appropriation et je pense qu'elle est en cours.
CHRISTOPHE BARBIER
Alors la loi climat va concerner aussi votre domaine du logement. Elle ne prévoit pas d'obliger les propriétaires de ce qu'on appelle les passoires thermiques à rénover leur logement. Il leur sera simplement interdit de louer ces logements passoires thermiques après 2028. C'est un peu timide comme politique.
EMMANUELLE WARGON
Alors pas du tout. Ce n'est pas du tout timide parce qu'on a 1,8 million de logements locatifs privés qui sont aujourd'hui des passoires thermiques, c'est-à-dire des logements avec des étiquettes énergétiques très mauvaises, F et G. 1,8 million, c'est énorme. Et donc on a interdit à la location en 2028 - c'est dans pas très longtemps 2028 – 1,8 million de logements. Déjà comme ça, on a un énorme défi d'aller convaincre un par un 1,8 million de propriétaires de 1,8 million de logements de faire des travaux. Parce que moi mon objectif, ce n'est pas de sortir des logements du marché, c'est que ces logements soient de qualité décente et que donc les travaux soient faits. Donc dire : c'est timide d'interdire 1,8 million de logements à la location, non, ce n'est pas timide. Au contraire, c'est très ambitieux et c'est difficile d'accompagner tous ces propriétaires. Les propriétaires occupants, c'est un peu la même question sur les obligations. Nous avons fait le choix de considérer que c'est l'incitation qui fonctionnerait. Parce qu'un propriétaire occupant, c'est la première victime de la passoire thermique. C'est-à-dire vous habitez dans un logement qui est mal isolé, très difficile à chauffer, dans lequel vous n'êtes pas très bien et ça vous coûte cher. Donc notre point de départ, c'est que quand on a suffisamment amélioré les aides, quand il y a suffisamment d'argent pour accompagner ces propriétaires et que l'accompagnement s'est encore simplifié, amélioré et que c'est vraiment très facile de trouver la bonne personne pour vous guider et faire les travaux, les propriétaires s'en empareront. On a ouvert MaPrimeRénov que pour les ménages modestes l'année dernière et nous avons fait 200 000 dossiers d'aide. On a ouvert à tous les ménages à compter du 1e janvier 2021 en deux mois 115 000 dossiers déposés. Notre objectif était 400 000 à 500 000 dans l'année, on est au-dessus et encore, on n'a pas ouvert le guichet pour les propriétaires bailleurs. On l'ouvre en juillet. Donc ça veut vraiment dire que quand il y a possibilité de faire, les gens y vont spontanément.
CHRISTOPHE BARBIER
Vous souhaitez que la France construise 250 000 logements sociaux en deux ans, soit 25% de plus que la moyenne au bas mot. L'Etat va tout payer ?
EMMANUELLE WARGON
On le fait avec Action Logement. Alors d'abord, là aussi c'est un défi difficile et ce n'est pas un truc où on claque des doigts et hop ! c'est bon, c'est réglé. On a agréé 90 000 logements sociaux l'année dernière ; mon objectif, c'est 250 000 en deux ans donc c'est vraiment plus que ce qu'on fait. C'est avec de l'argent de l'Etat, avec de l'argent de la Caisse des Dépôts, avec de l'argent d'Action Logement et je remercie les partenaires sociaux d'avoir accepté ce défi puisqu'ils remettent 450 millions d'euros pour financer cet accroissement de logement social. Après le logement social, c'est en partie une question de financement mais c'est aussi beaucoup une question de permis de construire, d'où la nécessité absolue que les élus acceptent, s'en emparent. Je pense aux maires, aux présidents de métropoles, aux présidents de communautés de communes. Pour qu'ils acceptent de l'idée, de signer les permis de construire des programmes immobiliers qui, pour l'instant, sont en cours d'examen. Là j'ai eu une discussion aujourd'hui avec le président de la métropole de Lyon pour faire le point avec lui sur les perspectives en matière de logement social. Que faut-il aussi pour que ça se débloque mais à un moment, ça veut dire accepter de construire et donc accepter d'accueillir des nouveaux habitants.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce que vous ne pouvez pas exiger 30% de logements sociaux comme le réclame par exemple Yannick JADOT avec des pénalités financières très lourdes pour ceux qui ne jouent pas le jeu ?
EMMANUELLE WARGON
Yannick JADOT, moi j'aimerais beaucoup qu'il discute avec les maires écolos. Ce serait déjà très bien que ces maires écolos acceptent de faire les 25%. Donc pour l'instant, 25% c'est un bon objectif. On a 1 000 communes qui n'y sont pas aujourd'hui. Les principaux maires Verts élus lors des dernières municipales sont très réticents sur la construction de logement social ou de logement tout court. Je trouve qu'il y a une énorme contradiction entre une demande nationale de la part d'Europe Écologie-les Verts et le fait qu'au quotidien à Bordeaux, à Strasbourg, dans une moindre mesure à Lyon, les permis de construire ne sortent pas. Et donc discutons-en avec ces élus mais à un moment, il faut accepter de loger les Français qui en ont besoin et on peut loger les Français tout en respectant des contraintes écologiques. Donc ça, il faut que les maires nous suivent.
CHRISTOPHE BARBIER
Dernière question. Vous serez dans la bataille des régionales en Ile-de-France. Est-ce que La République en Marche doit s'allier à terme avec Valérie PECRESSE pour éviter que la gauche et les écologistes prennent cette région ?
EMMANUELLE WARGON
Alors cette campagne qui va être menée par Laurent SAINT-MARTIN et qui sera une campagne majorité présidentielle, nous sommes là pour exprimer un projet, une voix pour la région Ile-de-France. Donc nous y allons parce que nous pensons que nous avons quelque chose à dire, quelque chose à proposer qui n'est pas ce que fait Valérie PECRESSE aujourd'hui. Donc ce sera une campagne de premier et de deuxième tours avec notre projet et on ne part pas en se disant : on y va mais on n'y va pas pour rester dans la campagne.
CHRISTOPHE BARBIER
Emmanuelle WARGON, merci et bonne journée.
EMMANUELLE WARGON
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 mars 2021