Déclaration de M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports, sur la situation et les perspectives des compagnies aériennes en temps de Covid-19, à l'Assemblée nationale le 3 mars 2021.

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Circonstance : Débat sur le thème des nécessaires mutations du secteur aérien face aux défis économique et écologique, à l'Assemblée nationale le 3 mars 2021

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur les nécessaires mutations du secteur aérien face aux défis économique et écologique.

La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties : dans un premier temps nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué chargé des transports. Vous l'avez dit, mesdames et messieurs les députés : depuis un an, le secteur aérien et aéronautique fait face à une crise profonde, sans précédent, au caractère durable. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Durant le premier confinement, qui correspondait au pic de la crise, le trafic a chuté de 95%. On dénombrait dix vols Air France par jour contre mille habituellement. Dix-sept aéroports français, dont Orly, ont dû fermer. Dans l'industrie aéronautique, des chaînes de production entières ont été mises en difficulté. La mécanique est implacable : si les passagers ne prennent pas l'avion, les compagnies ne renouvellent pas leurs flottes et les constructeurs doivent adapter leurs cadences de production ; vous l'avez souligné, cette situation a de graves répercussions sur les chaînes de sous-traitance, en particulier sur les équipementiers des PME et des ETI, partout dans le territoire.

Or le secteur aéronautique est stratégique, à plus d'un titre. Il est stratégique pour notre économie car il représente plus d'un million d'emplois directs et indirects et constitue notre premier secteur d'exportations. Il est stratégique pour notre industrie, donc pour notre souveraineté. Il est stratégique pour notre mobilité, donc pour notre liberté. Il est stratégique aussi pour la cohésion des territoires, au sein de l'hexagone et avec les outre-mer. Pour toutes ces raisons, nous l'avons massivement soutenu et nous continuerons de le soutenir. Le retour à la normale n'étant pas prévu avant quelques années, je serai clair : les dispositifs d'urgence seront adaptés autant qu'il le faudra. Les pertes ont été colossales. Les aides sont inédites et à la hauteur de l'enjeu.

Le secteur a bien évidemment bénéficié des aides de droit commun, en particulier du dispositif de chômage partiel, de l'activité partielle de longue durée, des prêts garantis par l'État et du fonds de solidarité. Le secteur s'en est pleinement emparé : en avril dernier, 70 à 90% des personnels navigants étaient au chômage partiel, tout comme près de 35% des effectifs de l'industrie aéronautique. Au total, le dispositif a concerné plus de 560 sites et 110 000 salariés.

Le secteur a aussi bénéficié d'aides spécifiques. Nous avons reporté un certain nombre de taxes, en faveur du pavillon français, et nous avons avancé 550 millions d'euros aux exploitants d'aéroport pour les aider à prendre en charge leurs dépenses de sûreté et de sécurité. Par ailleurs, nous avons consenti un soutien de 7 milliards à Air France avec des contreparties fortes : l'accélération du renouvellement de la flotte, pour qu'elle soit plus moderne et plus efficace sur le plan environnemental ; la restructuration du réseau domestique ; une meilleure articulation entre l'avion et le train, la priorité étant donnée au train pour les trajets de moins de deux heures trente.

On parle souvent d'Air France, mais nous avons aussi accompagné toutes les compagnies aériennes françaises qui en ont fait la demande – j'y reviendrai sans doute. Surtout, le secteur a bénéficié d'un plan de soutien d'une ampleur inédite, de 15 milliards, construit autour de trois priorités. La première est de protéger les salariés, tel est le sens du dispositif d'activité partielle que j'ai évoqué. La deuxième est d'investir dans nos PME et dans nos ETI, ce qui est essentiel pour nous prémunir de stratégies d'acquisition hostiles. Permettez-moi de préciser, à ce propos, que deux tiers des crédits du fonds de modernisation et diversification de la filière aéronautique ont d'ores et déjà été engagés et que les PME, notamment d'Occitanie, en ont été les premières bénéficiaires. Les 244 projets lauréats représentent près de 431 millions d'investissements. La troisième priorité, soulignée par nombre d'entre vous, est d'accélérer la transition énergétique du transport aérien. Car l'ambition de la relance n'est pas seulement de redresser notre économie, elle est de préparer l'avenir du pays. Le monde que nous voulons n'est pas un monde sans avions, mais un monde neutre en émissions de gaz à effet de serre. Or le meilleur moyen de sortir l'industrie aéronautique de la crise n'est pas de la mettre à bas, comme le voudraient certains esprits malthusiens, mais d'investir, d'innover et d'inventer la future génération d'avions sobres en carbone. Nous en sommes capables ! Ces avions permettront de réduire les émissions non seulement en France, mais dans l'ensemble de la planète, la flotte mondiale étant pour une bonne moitié équipée par Airbus et par Safran.

Grâce au plan de relance, nous investissons 1,6 milliard sur deux ans en R&D. En outre, la stratégie hydrogène, dotée d'une enveloppe de 7 milliards, nous permet d'investir massivement pour développer la production d'hydrogène décarbonée. Nous avons lancé une filière française de biocarburants l'année dernière à Toulouse : elle sera opérationnelle à compter du mois prochain. Notre objectif est simple : incorporer le plus possible de biocarburants dans la gamme de moteurs existants. Vous l'avez souligné, les possibilités sont considérables.

Cette transition énergétique, nous en sommes capables. Toute la filière est mobilisée, des constructeurs aux exploitants aéroportuaires en passant par les compagnies. Air France s'est engagée à réduire de 50% les émissions de gaz à effet de serre au passager par kilomètre d'ici à 2030. Nous irons encore plus loin avec le projet de loi issu des propositions de la convention citoyenne pour le climat, qui vise aussi à accroître l'intermodalité. Je ne vous l'apprends pas : la réalité de nos territoires est telle qu'ils ont besoin, pour être desservis correctement, de modes de transport multiples et complémentaires.

C'est pourquoi nous renforcerons le ferroviaire. La SNCF lancera prochainement, en partenariat avec des compagnies aériennes, des offres combinées train et avion au départ de dix-huit villes, sur le modèle de ce qui avait été engagé en décembre avec le trajet Bordeaux-Orly via Massy. Nous allons également aider les régions à trouver les meilleures synergies entre leurs aéroports régionaux, souvent nombreux et au modèle économique fragile.

Agir pour la complémentarité des modes de transport, c'est aussi sécuriser les lignes d'aménagement du territoire, essentielles car elles participent au désenclavement des villes moyennes. Agir pour la complémentarité des modes de transport, c'est privilégier la connectivité des aéroports par rapport à des projets qui ont perdu leur pertinence au regard du contexte économique, social et environnemental. L'arrêt des projets de Notre-Dame-des-Landes et du terminal 4 de Roissy est un choix politique de notre gouvernement. Il est la preuve que l'écologie n'est pas le monopole d'un parti.

Moins d'émissions de gaz à effet de serre, plus d'intermodalité, plus de régulation politique : voilà l'avion de demain. C'est au niveau européen que le dumping social et fiscal a prospéré au cours des quinze dernières années ; c'est donc principalement au niveau européen qu'il faut le combattre. Nous devons en finir avec les zones grises du droit européen, dont profitent certaines compagnies low cost depuis des années. Un billet à 5 euros, ça n'existe pas ; quand ça existe, c'est que quelqu'un paie le différentiel de prix. Or ce sont souvent les collectivités, mises en concurrence par les opérateurs. Nous sommes d'ores et déjà huit pays européens à défendre une meilleure régulation. Celle-ci est non seulement possible, mais indispensable. Nous y travaillons au niveau français et au niveau européen. La présidence française de l'Union européenne sera, j'en suis convaincu, l'occasion d'obtenir des avancées décisives.

En parallèle, mais cela participe du même combat, nous poursuivons nos échanges avec la Commission européenne pour le groupe Air France-KLM. Ces échanges se poursuivront aussi longtemps que nécessaire. Air France est une compagnie aérienne systémique, essentielle pour l'emploi, la connectivité de nos territoires et le rayonnement de la France à l'étranger. Je serai donc très attentif à ce que l'accord final avec la Commission soit équitable et je veillerai à ce qu'il ne fragilise ni le plan de réorganisation d'Air France, ni l'emploi aérien en France.

Certains prétendent que la seule réponse possible au défi écologique serait de réduire drastiquement nos déplacements, de revenir en arrière et de créer une nouvelle forme d'assignation à résidence. Cela diminuerait assurément les émissions de gaz à effet de serre, mais cela enclaverait encore davantage nos territoires, nous isolerait, nous enfermerait. Ce serait finalement faire le choix de la décroissance, de la restriction de nos libertés, d'un déclassement qui frapperait d'abord les classes moyennes, et de l'impuissance industrielle de notre pays. Tel n'est pas le projet pour lequel nous avons été élus. Telle n'est pas la société que nous voulons.

Antoine de Saint-Exupéry, aviateur et humaniste, disait qu'"être homme, c'est être responsable. […] C'est sentir, en posant sa pierre, que l'on contribue à bâtir le monde." Le bâtir, plutôt que le détruire ; permettre l'avenir, plutôt que l'empêcher ; inventer, plutôt qu'interdire ; concilier l'exercice de nos libertés et la préservation de notre environnement. Voilà le sens de notre action. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.)


M. le président. Mes chers collègues, nous en venons aux questions. Je vous rappelle que leur durée, comme celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

La parole est à M. Fabien Lainé, pour le groupe Mouvement démocrate (MODEM) et démocrates apparentés.

M. Fabien Lainé. Avant même cette crise sanitaire sans précédent, nous étions déjà engagés dans une course contre la montre sur le plan environnemental. L'épidémie de la covid-19 mobilise actuellement toutes les énergies de notre pays et c'est dans ce cadre que le Gouvernement a mis en place un plan de relance de 15 milliards pour soutenir cette filière d'excellence française qu'est l'aéronautique. Au sein de cette enveloppe, 1,5 milliard est consacré à la R&D, au coeur de ma question.

Je salue, au nom de notre groupe, la qualité du plan de soutien massif qui permettra de préparer cette filière stratégique à la reprise économique mondiale tout en accélérant sa transition écologique. De nouveaux avions apparaissent déjà, beaucoup moins gourmands en kérosène, tels l'Airbus A320neo. Les industriels travaillent à de futurs aéronefs à propulsion hybride associant kérosène et électricité, à l'expérimentation de plans de vol en V et sur le fuselage des appareils – je pense notamment au projet d'aile volante d'Airbus.

De véritables ruptures technologiques se profilent donc à l'horizon. La première certification par l'Agence européenne de la sécurité aérienne d'un avion biplace 100% électrique de la société slovène Pipistrel Aircraft en est un superbe exemple. L'utilisation de nouveaux carburants comme l'hydrogène liquide, vertueux lorsqu'il est issu de l'hydrolyse de l'eau par l'électricité verte, est un autre axe de R&D, mais elle soulève différentes interrogations, s'agissant, en particulier, de la stabilité de l'hydrogène en vol, du rejet de vapeur d'eau à proximité de la troposphère et du rejet d'oxydes d'azote – NOx – dans les zones aéroportuaires.

Quelle est, selon vous, la source d'énergie la plus prometteuse pour atteindre l'objectif de futurs vols commerciaux zéro émission à l'horizon de 2035 ? Les industriels français et européens prennent-ils correctement le virage technologique pour s'imposer dans la concurrence mondiale ? Doit-on abandonner le projet d'avion hypersonique à nos concurrents américains et chinois au seul profit de l'avion durable ? Enfin, comment l'État stratège peut-il accompagner ces mutations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. Votre question est complexe, mais je vais essayer d'y répondre. Vous l'avez souligné, le secteur a d'ores et déjà engagé sa transition – les chiffres mentionnés précédemment sont éloquents. Nous travaillons en outre sur un continuum de mesures, parmi lesquelles l'optimisation des trajectoires et l'utilisation de matériaux toujours plus légers, certifiés et résistants, sources de gains précieux du point de vue de l'efficacité aérodynamique et énergétique.

Ensuite, vous l'avez souligné, nous avons ouvert un très grand chantier autour de la performance énergétique, notamment s'agissant des carburants – biocarburants et carburants synthétiques d'avenir. À ce sujet, nous avons lancé l'année dernière à Toulouse la filière des biocarburants d'aviation durables ; elle va prendre pleinement son essor cette année. Quatre sites ont été sélectionnés en France et seront consacrés à ce type de production. Le taux d'incorporation de ces biocarburants est actuellement calculé de manière assez conservatrice, puisque nous prévoyons qu'il s'élève à 1% en 2022, à 2% en 2025 et à 5% en 2030, mais je crois que nous pouvons aller plus loin – cela fait d'ailleurs l'objet d'un consensus européen –, par exemple en faisant appliquer des mandats d'emport de façon plus volontariste et en nous appuyant sur les capacités technologiques dont nous disposons déjà pour incorporer des volumes de biocarburants plus importants dans les moteurs existants, comme l'a précisé Pierre Cabaré.

Nous travaillons par ailleurs à l'hybridation électrique, que vous avez évoquée, afin de développer des démonstrateurs à l'horizon 2027, plutôt sur des trajets courts, à l'échelle régionale.

Enfin, nous travaillons au grand saut vers les carburants synthétiques, notamment l'hydrogène. L'ensemble de la filière est mobilisé et nous avons investi 1,6 milliard d'euros sur trois ans – de 2020 à 2022 – pour soutenir les industriels. Notre action porte en particulier sur trois sujets : la sécurité de l'exploitation, qui doit bénéficier de sauts technologiques – vous avez évoqué quelques-uns de ces enjeux ; la question de la production française, qui doit profiter d'un mix énergétique très largement décarboné et de l'ambition que nous nourrissons en matière de développement des énergies renouvelables ; la viabilité de la filière, qui est liée notamment au prix de ces carburants et qui passera à la fois par des soutiens publics, par la massification de l'offre et par la capacité de nos entreprises à investir.

La filière et le Gouvernement sont donc pleinement mobilisés pour relever ce défi qui est tout à fait titanesque mais demeure à notre portée.

M. le président. La parole est à M. Alain David, pour le groupe Socialistes et apparentés.

M. Alain David. À compter du printemps 2022, il n'y aura plus de liaisons domestiques pour les communes situées à moins de deux heures trente de Paris en train. Quelles dispositions concrètes avez-vous arrêtées pour permettre à des passagers venus de province de se rendre à Orly ou à Roissy de façon convenable, confortable et écologique ?

Vous avez renoncé à la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes pour favoriser une modernisation et une extension de l'actuel aéroport de Nantes-Atlantique. Mais l'article 37 du projet de loi "climat et résilience" vise à interdire les projets d'extension des zones aéroportuaires. Comment comptez-vous honorer votre engagement à l'égard des élus de Bretagne et des Pays de la Loire tout en inscrivant dans la loi une telle interdiction ?

Ensuite, lorsqu'il est question d'avions propres, on pense aussi à l'avion à hydrogène. Or son développement suppose des investissements lourds et tout le monde s'accorde à dire qu'il nécessiterait une extension d'un quart à un tiers des zones aéroportuaires existantes. Comment comptez-vous procéder pour y parvenir, puisque vous prévoyez d'interdire les extensions ?

Enfin, pourquoi avoir substitué à Air France sa filiale Transavia, qui vole exclusivement sur Boeing sans recourir à un seul Airbus ? Selon vous, l'emploi est-il plus important à Seattle qu'en Occitanie ou en Aquitaine ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, GDR et FI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. Vous avez vous aussi posé beaucoup de questions et je vais essayer d'y répondre de façon synthétique.

La règle des deux heures trente, d'abord, constitue un engagement présidentiel pris devant la convention citoyenne pour le climat ; elle a évidemment fait l'objet d'une concertation,…

M. David Habib. Avec qui ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. …puisque j'ai animé il y a encore quelques semaines un conseil ministériel consacré à la desserte des territoires,…

M. David Habib. On a été concertés, nous ?

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. …qui vise à mettre sur la table le plan de restructuration du réseau domestique d'Air France et à envisager les solutions ferroviaires de rechange. Je rappelle d'ailleurs que, depuis 2017, nous nous sommes saisis du sujet afin de renforcer très largement la robustesse du système ferroviaire ; nous avons repris et assaini la dette de la SNCF et nous avons réalisé des investissements massifs et inédits, y compris sur les lignes de desserte fine du territoire. Nous voulons qu'au lieu d'être concurrents, les différents modes de transport soient complémentaires, comme dans le cadre de l'offre "TGV Air", que j'ai évoquée précédemment.

Ensuite, le projet de réaménagement de l'aéroport de Nantes-Atlantique est maintenu tel qu'il a été présenté aux élus. Il vise à permettre l'accueil des augmentations de trafic tout en se limitant à une extension foncière très sobre et en travaillant sur les trajectoires aériennes de manière à minimiser le survol des populations, donc la pollution sonore.

S'agissant de l'hydrogène et plus largement de la transition énergétique, je rappelle que le projet initial de construction du terminal 4 de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle a été abandonné ; nous avons demandé à ADP – Aéroports de Paris – de revoir intégralement sa copie pour l'orienter davantage vers l'accueil de la future génération d'avions décarbonés. Cet exemple illustre assez bien la philosophie du Gouvernement, qui doit conduire le pays à se diriger vers cette nouvelle transition énergétique pour en être pleinement partie prenante, en particulier autour des aéroports qui sont aussi souvent de grands pôles logistiques et d'aménagement.

Enfin, concernant Transavia et le groupe Air France-KLM, l'histoire de Transavia s'est en effet nouée autour du Boeing 737. Vous le savez, il n'est pas sain, pour une compagnie aérienne, de disposer d'une flotte trop hétérogène. Par ailleurs, Boeing est un très gros investisseur en France, y compris à travers sa filière de sous-traitance qui comprend des entreprises françaises et représente donc des emplois localisés sur le territoire national.

M. David Habib. Ça dépend des villes ! Pour Nice ou Montpellier, c'est vrai.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. Il ne me paraît donc pas pertinent de dire que par sa politique d'acquisition d'aéronefs, le groupe Air France-KLM est en défaut : il a choisi ceux qui, au moment où ils étaient produits, étaient les mieux adaptés au marché concerné.

M. le président. La parole est à M. M'jid El Guerrab, pour le groupe Agir ensemble.

M. M'jid El Guerrab. Depuis maintenant presque un an, le transport aérien est quasiment à l'arrêt. Les compagnies aériennes subissent de plein fouet la résurgence de l'épidémie de covid-19 et l'apparition de ses nombreux variants. Beaucoup d'entre elles risquent de disparaître et les États ne peuvent continuer à toutes les aider. Selon Eurocontrol, l'organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne, le 27 janvier dernier, le trafic était en baisse de 66% par rapport à 2019, dernier exercice "normal". Pour le secteur, la perspective de retrouver son niveau d'activité d'avant-crise s'éloigne toujours davantage.

Or dans le même temps de nombreuses contraintes pèsent de plus en plus sur nos compatriotes installés à l'étranger. Leur expérience de la pandémie ne ressemble en rien à celles de nos concitoyens vivant sur le territoire national. Ainsi, les récentes interdictions de circuler ne font qu'accroître leurs difficultés financières, professionnelles et familiales. Je pense notamment aux milliers de couples séparés de part et d'autre de la Méditerranée et dont les espoirs de retrouvailles à court terme s'amenuisent de jour en jour.

Je voudrais à ce propos rendre hommage à Pierre Muracciole, le directeur général d'Air France au Maroc, et au dévouement de toutes ses équipes qui a permis de rapatrier des dizaines de milliers de Français – résidents ou de passage – au moment de la suspension des vols vers ce pays. Cette situation inédite nous a amenés à réfléchir à la question d'un droit au rapatriement. Alors que nous espérons voir très prochainement le bout de ce drame sanitaire qui nous affecte tous, il nous apparaît urgent d'imaginer des dispositifs d'aide tarifaire qui pourraient être créés auprès des compagnies aériennes, afin de soutenir à la fois les Français qui résident à l'étranger et sont soumis à l'achat de billets au prix exorbitant, mais aussi le secteur touristique, qui emploie énormément de nos compatriotes de l'autre côté de la Méditerranée.

Ainsi, monsieur le ministre délégué, ne pourrions-nous pas réfléchir, par exemple sous la forme d'une mission d'information, à la création d'un droit au rapatriement pour tous les Français, où qu'ils se trouvent à travers le monde ? Cette question se pose avec une acuité toute particulière depuis quelques mois.


(À dix-neuf heures vingt-cinq, Mme Annie Genevard remplace M. Sylvain Waserman au fauteuil de la présidence.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. Vous avez évoqué dans un premier temps les effets de la crise. Je rappellerai à ce propos qu'au moment le plus aigu de la crise, nous avons travaillé selon trois axes prioritaires.

Nous avons d'abord instauré des protocoles sanitaires afin d'assurer la continuité d'un trafic certes modeste mais qui continuait d'exister. Il était en effet hors de question que les opérateurs, leurs salariés et les passagers soient pris en tenaille entre des difficultés pratiques et un protocole sanitaire qui n'aurait pas été satisfaisant. Nous l'avons fait à l'échelle européenne, ce qui a permis d'assurer une continuité des déplacements aériens depuis le début de la crise, grâce à un protocole de très haut niveau.

Nous avons ensuite – je l'ai dit et certains d'entre vous l'ont souligné – amorti les effets immédiats de la crise en soutenant l'ensemble des opérateurs, compagnies aériennes, exploitants aéroportuaires et industries aéronautiques, grâce à des investissements financiers considérables.

Enfin, nous avons engagé, avec le ministre des affaires étrangères, un grand chantier visant à rapatrier nos compatriotes – plus de 180 000 d'entre eux, répartis dans plus de 140 pays, étaient concernés au moment du premier confinement. Pour cela, nous avons affrété 145 vols depuis des régions dont certaines étaient parmi les plus éloignées du monde. En quelque sorte, le droit au rapatriement que vous appelez de vos voeux a de fait été très largement mis en pratique. À condition que cette notion soit clarifiée, je suis disposé à y travailler avec vous, afin de voir comment les choses peuvent être encore améliorées pour préserver la liberté de circulation et accompagner la reprise du secteur aérien.

Mme la présidente. La parole est à M. Grégory Labille, pour le groupe UDI et indépendants.

M. Grégory Labille. IATA, l'association internationale du transport aérien, évalue à 65,9% la chute du transport aérien mondial en 2020 et à 118 milliards d'euros la perte de revenu pour le secteur aérien. La reprise du trafic ne sera pas rapide, puisque le retour à un niveau d'avant-crise n'est attendu que pour 2024.

Les effets sur l'emploi sont déjà visibles. Lufthansa a supprimé 22 000 emplois, soit 16% de son effectif total, et Airbus a annoncé la suppression de 5 000 emplois en France. Ces derniers ont fait l'objet d'une intervention rapide du Gouvernement, qui a investi 7 milliards d'euros sous forme d'avance en compte courant d'actionnaire et de prêts bancaires garantis à 90%, assortis de conditions – intégrées dans le PLF pour 2021 – d'amélioration de la compétitivité et d'atteinte d'objectifs environnementaux.

Toutefois, je souhaite également vous alerter sur les effets invisibles de cette chute drastique du secteur aérien, qui est susceptible d'engendrer un effet d'hystérèse sur l'emploi de personnel qualifié par les filiales des constructeurs aéronautiques. Vous avez évoqué les PME de l'Occitanie. Or justement, il existe dans mon territoire de la Somme un bassin d'emploi que vous connaissez bien, monsieur le ministre délégué, pour en avoir parlé avec le sénateur Stéphane Demilly – qui vous salue –, celui d'Albert-Méaulte, où plus de 60% des habitants vivent directement ou indirectement de ce secteur. Au-delà de la perte d'emplois, qui devrait concerner entre 700 et 1 000 personnes, soit une grande partie de la population de la commune, une perte de savoir-faire définitive et la délocalisation irrémédiable de l'activité risquent de survenir si aucune solution temporaire n'est trouvée.

Xavier Bertrand, président des Hauts-de-France, avait proposé au mois de novembre 2020 d'affréter des trains gratuitement pour permettre aux salariés du site de Méaulte de se rendre dans la ville de Crespin pour y être employés par Bombardier, afin que leur savoir-faire ne disparaisse pas avec la crise, qui risque de durer. Compte tenu de ce que propose la région, je voudrais savoir comment le Gouvernement prévoit de lutter contre le risque de voir définitivement disparaître ces emplois qualifiés ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. Je vous remercie d'avoir salué les efforts très importants consentis par le Gouvernement pour amortir les effets immédiats de la crise. Vous avez eu raison de dire que le soutien massif apporté aux entreprises, grands groupes, PME ou ETI, a permis de maintenir les compétences critiques en leur sein. Vous le savez, l'industrie aéronautique est duale, puisqu'elle est en partie tournée vers les besoins militaires de la défense ; par conséquent, le maintien de ces compétences critiques est un acte de résistance économique mais aussi de souveraineté.

Je connais bien, en effet, le bassin d'activité que vous représentez, mais d'autres territoires industriels aéronautiques ont été évoqués, notamment celui d'Aubert et Duval en Auvergne. Je voudrais en profiter pour mentionner quelques-uns des fonds et des dispositifs que nous avons créés, car ils sont essentiels pour réaliser cet acte décisif de résistance.

Nous avons ainsi créé Aerofund, qui permet de faciliter les rapprochements au sein de la filière et de la consolider ; il était très attendu et concerne notamment les PME du secteur. Des PGE – prêts garantis par l'État – "Aéro" répondent aux besoins de trésorerie liés au ralentissement des cadences de production, évoqué précédemment. Nous avons aussi proposé des garanties à l'exportation pour un volume d'environ 6 milliards d'euros et deux autres fonds ont été lancés en juin : un fonds pour la consolidation des entreprises qui intervient par apport en fonds propres, et un fonds de modernisation et de diversification de la filière aéronautique, doté de 300 millions sur trois ans – cela répondra peut-être à la dernière partie de votre question.

Par ailleurs, et c'est fondamental, nous avons renforcé le cadre de contrôle des investissements étrangers en France de manière à nous prémunir contre des stratégies d'acquisition hostiles, ce à quoi j'ai fait allusion dans mon intervention liminaire.

L'ensemble de ces mesures doit nous permettre d'abord d'amortir les effets de la crise mais aussi de relancer un secteur tout en préservant les compétences et les métiers qualifiés partout dans le territoire. Il s'agit donc d'un acte de résistance et de conquête très français.

Mme la présidente. La parole est à Mme Bénédicte Taurine, pour le groupe La France insoumise.

Mme Bénédicte Taurine. Mme Pompili l'a redit il y a une quinzaine de jours, l'objectif est de développer un avion fonctionnant avec d'autres carburants. En janvier 2020, Élisabeth Borne et vous-même avez dans cette perspective lancé un appel à manifestation d'intérêt pour la production d'agrocarburants aéronautiques. Ceux-ci ne pourraient constituer une solution, j'y insiste, que si leur fabrication repose sur l'utilisation de sous-produits agricoles et non sur des cultures dédiées. Leur production est toutefois si faible à ce jour que la stratégie nationale bas-carbone ne prévoit d'en incorporer que 2% dans le kérosène en 2025 et 5% en 2030.

Quant à l'avion à hydrogène, il est synonyme d'une explosion des besoins en électricité. Pour faire voler avec cette énergie tous les avions à destination ou en provenance de Charles-de-Gaulle, il a été établi qu'il aurait fallu, en 2018, l'équivalent de 5 000 kilomètres carrés d'éoliennes, 1 000 kilomètres carrés de panneaux photovoltaïques ou seize réacteurs nucléaires. Pour son plan hydrogène, la Commission européenne a missionné un partenariat public-privé selon lequel l'enjeu est de créer pour les compagnies pétrolières, gazières et les équipementiers un marché de 130 milliards d'euros à l'horizon 2030 et 820 milliards à l'horizon 2050, préoccupations qui nous semblent davantage économiques qu'écologiques.

Faire voler les avions avec les agrocarburants n'est pas la panacée, nous l'avons vu, et les avions à hydrogène nécessitent de lourds investissements qu'il s'agisse des infrastructures de production et d'acheminement ou de la restructuration de l'ensemble des aéroports par lesquels ils transiteraient. Ayons aussi à l'esprit l'échec de l'A380, qu'il importe de ne pas reproduire.

Pour nous, la solution passe bien évidemment par une transformation du secteur aérien, par des améliorations technologiques, mais aussi par la réduction du trafic. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire exactement à quoi ressemblera l'avion en 2050 et surtout avec quel carburant il serait susceptible de voler ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. Je reviendrai essentiellement sur les sujets énergétiques.  Vous avez eu raison de rappeler que nous avons lancé une filière de biocarburants durables pour l'aviation l'année dernière. Mes services ont analysé de nombreuses offres, aussi bien en termes de volumes que de qualité, de manière à massifier leur production partout sur le territoire. Nous avons fixé un mandat d'incorporation de 1% en 2022, de 2% en 2025 et de 5% en 2030, objectifs que nous pouvons rendre plus ambitieux à la faveur, notamment, de discussions européennes. Je rappelle que les moteurs actuels peuvent incorporer jusqu'à 50% de biocarburant certifié "aviation durable", voire 100%. Il s'agit non seulement de massifier la production pour disposer des volumes nécessaires à l'exploitation mais aussi de mener une action politique volontaire à travers le mandat d'incorporation.

Différents travaux de recherche sont menés pour aboutir à des sauts technologiques s'agissant des carburants synthétiques et de la filière hydrogène. Pour cette dernière, se pose, vous l'avez souligné, la question des infrastructures mais aussi de la massification de l'offre et du soutien public en matière de prix.

L'ensemble de ces dossiers est sur la table. Les investissements publics sont considérables, je le redis : 1,6 milliard d'euros sur trois ans dans le cadre du plan de relance. Le leadership français et européen est tout à fait exemplaire en ce domaine.

Mme la présidente. La parole est à M. Benoit Simian pour le groupe Libertés et territoires.

M. Benoit Simian. Il y a un an, je vous aurais parlé de l'hydrogène, sujet auquel vous me savez très attaché, mais aujourd'hui l'aéronautique connaît une crise économique sans précédent que je qualifierai de dramatique. En 2019, il était notre fierté : il était source d'excédents extraordinaires, de plus de 29 milliards d'euros, pour notre balance commerciale. Avec la crise, 193 aéroports européens régionaux vont être confrontés à l'insolvabilité dans les prochains mois. Si le trafic ne reprend pas très vite, les pertes, déjà évaluées pour 2020 à 836 millions, ne feront que s'alourdir. La perfusion financière de l'État, c'est le commissaire aux finances que je suis qui le dit, n'est pas une solution de long terme. Nos territoires restent enclavés et nos concitoyens sont privés de leur liberté de circuler, qui est pourtant une liberté constitutionnelle. Cette situation nous paraît contestable, mais sans doute ne sommes-nous pas assez intelligents pour comprendre tout cela. Monsieur le ministre, je vous sais très attaché à l'échelon régional et j'insiste sur le fait que nos aéroports régionaux ne survivront pas à cette crise, alors que leur activité est réduite à quelques vols intérieurs.

J'aurai deux questions. La première, c'est le cheminot que je suis qui vous la pose : comment envisagez-vous d'allier nécessaire reprise économique à travers le redéploiement du trafic et remplacement des vols intérieurs de moins de deux heures et demie par des trajets en train ? Je fais référence à la mesure du fameux projet de loi "climat", …

M. David Habib. Très mauvais !

M. Benoit Simian. …triste symbole, je le dis, d'une démagogie écologique. Actuellement, le conducteur d'une voiture consomme plus que le passager d'un avion : 5 litres au 100 contre 2,7 litres, vous le savez. Allons-nous pour autant interdire la voiture dans notre pays ? Je ne le crois pas.

Ma seconde question porte sur les sous-traitants. Le directeur d'une entreprise de sous-traitance aéronautique qui fabrique des sièges pour des avions commerciaux, située à Salaunes dans ma circonscription, me disait tout à l'heure qu'il avait subi une baisse de 50% de son chiffre d'affaires. Comment allez-vous les aider à se reconvertir puisque vous nous dites que cette crise est durable et qu'il faut investir dans la R&D, notamment pour développer l'avion à hydrogène ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. Je vous sais effectivement très attentif à ces sujets, notamment à la filière hydrogène et je répondrai en même temps à Mme Pinel qui me demandait combien de projets avaient d'ores et déjà été financés. Nous avons provisionné 1,6 milliard d'euros, 376 millions ont déjà été investis dans soixante-deux projets qui portent sur la filière hydrogène dans l'aviation mais aussi plus largement sur des travaux relatifs à l'optimisation des trajectoires et des matériaux, avec pour objectif un avion plus efficace sur le plan énergétique et produisant moins de traînées aérodynamiques.

Quant aux aéroports régionaux, la crise a exacerbé les difficultés qu'ils connaissaient avant qu'elle ne survienne. Présents dans de nombreux territoires, ils reposent sur un modèle économique fragile. J'ai donc proposé aux régions, il y a de cela environ un mois et demi, de les aider à trouver soit des vocations différenciées pour leurs aéroports, car ils ont conservé des vocations un peu généralistes, soit des synergies entre eux, de manière à renforcer le modèle économique tout en organisant une régulation sociale du secteur, condition à mes yeux essentielle. Ces quinze dernières années, les aéroports régionaux, situés parfois à quelques quinzaines de kilomètres les uns des autres, ont été mis en concurrence par des opérateurs ultra low-cost qui s'arrangeaient souvent d'ailleurs pour faire de l'optimisation sociale et fiscale. Dans ce moment de crise particulièrement aiguë que nous vivons, une régulation du secteur doit s'organiser au niveau européen. La France y prendra évidemment toute sa part, y compris au niveau national, afin de concourir à la mise en place d'un cercle beaucoup plus vertueux.

S'agissant de la concurrence et de la complémentarité des modes de transport, je soulignerai qu'à chaque fois qu'une ligne ferroviaire à grande vitesse a été créée en France, elle a contribué à assécher le trafic aérien entre les villes qu'elle relie. Entre Strasbourg et Paris, il n'y quasiment plus de trafic aérien et très peu entre Bordeaux et Paris. Mais il faut maintenir le trafic en correspondance. Dans ces aéroports régionaux, notamment dans les villes que j'ai citées, le trafic en correspondance vers Roissy atteint plus de 80%. L'objectif, ce n'est pas la concurrence entre les modes de transport mais leur complémentarité et, bien sûr, la connectivité par l'intermédiaire du hub de correspondances de Paris.

Enfin, au sujet de la sous-traitance, j'ai répondu assez largement, notamment en revenant sur les dispositifs de soutien aux PME.

Mme la présidente. La parole est à M. André Chassaigne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

M. André Chassaigne. Ma question porte sur le démantèlement de la filiale Hop! d'Air France et le retrait de la demande d'homologation du plan de départ volontaire et du plan de sauvegarde de l'emploi – PSE.

En août dernier, l'annonce par Air France de la suppression de plus de 1 000 postes chez Hop!, soit près de la moitié de l'effectif total, a montré qu'il s'agissait d'un véritable plan de démantèlement de l'entreprise sans lien direct avec les difficultés nées de la crise sanitaire. Celle-ci n'a servi que de prétexte car cette liquidation était programmée bien avant. Dès le mois de mai 2020, j'avais questionné le ministre de l'économie sans obtenir de réponse de fond. Et quand j'ai envoyé un courrier au ministère en septembre, j'ai reçu une réponse sans réel rapport avec les demandes précises que j'avais formulées, portant sur le fait que Hop! serait dans l'incapacité de continuer son activité de transport comme de maintenance. Le 15 février dernier, à la suite de la présentation de la demande d'homologation du plan de sauvegarde de l'entreprise, la DIRECCTE – direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi – a prévenu du caractère illégal des dispositifs prévus en matière de reclassement la direction de Hop!, ce qui l'a conduite à annoncer, lors d'un comité social et économique extraordinaire, le retrait de sa demande d'homologation.  

Dans le même temps, le groupe Air France, en pleine crise, alors qu'il bénéficie du prêt de 4 milliards de l'État et de tous les dispositifs de prise en charge du chômage partiel, a procédé au recrutement externe de 116 pilotes de ligne. La manœuvre est grossière et les représentants syndicaux des personnels ne sont pas dupes de la volonté de mettre la pression sur les salariés, les pilotes et les personnels navigants en faisant du chantage aux reclassements au sein du groupe Air France, selon des conditions salariales ne respectant ni le statut, ni l'ancienneté ni la grille salariale.

Ma question est donc simple, monsieur le ministre : la direction du groupe Air France serait-elle au-dessus des lois ? Pouvez-vous prendre l'engagement de faire respecter les droits des salariés et les engagements de reclassement des salariés de Hop! ? (Mme Bénédicte Taurine et M. Alain David applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. Monsieur le président Chassaigne, à question simple, réponse simple : le groupe Air France n'est pas au-dessus des lois ; il respecte le droit, notamment le droit du travail et des salariés. Hop! n'est pas démantelée mais restructurée alors que son activité, vous le savez, était très largement déficitaire, et ce de façon structurelle puisque la filiale enregistrait 200 millions d'euros de pertes avant la crise. Celle-ci a évidemment exacerbé ses difficultés et elle a rendu nécessaires à la fois une réorganisation et un plan de soutien massif de 7 milliards d'euros au groupe Air France-KLM, lequel a permis aussi de préserver les emplois de la filiale Hop!.

S'agissant du PSE, je vous confirme que les échanges se poursuivent en vue d'un accord et que j'ai demandé aux dirigeants d'Air France de travailler à la notion d'ancienneté intragroupe, ce qui me paraît tout à fait essentiel. Le dialogue social va continuer selon ces termes. J'espère vous avoir rassuré sur ce sujet au moins.

Mme la présidente. La parole est à M. Mickaël Nogal, pour le groupe La République en marche.

M. Mickaël Nogal. À la veille de l'examen du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique, nous pouvons dire que la filière aéronautique est plus que jamais au coeur de défis écologiques et économiques de demain. Elle traverse la plus lourde crise de son histoire et tous les spécialistes s'accordent à dire qu'un retour à la normale n'est pas espéré avant 2024. Pourtant, en seulement trente ans, le transport aérien a déjà su diminuer de 50% ses émissions de CO2, preuve de l'engagement écologique de longue date des industriels. Nous avons pu le constater ensemble, monsieur le ministre, il y a quelques jours chez Safran qui a d'ailleurs été la première entreprise en France à ouvrir ses portes à la Convention citoyenne pour le climat. Cette ambition est partagée par l'ensemble des donneurs d'ordre, Airbus, Thales, Dassault qui, dans le cadre du Conseil pour la recherche aéronautique civile, mobilisent l'ensemble de la filière.

C'est pourquoi nous ne devons pas sacrifier sur l'autel de l'écologie punitive l'avenir de notre industrie et de notre souveraineté nationale. Pourquoi, au nom d'une certaine idéologie dogmatique, affaiblirions-nous un fleuron français, qui représente près d'un million d'emplois directs et indirects sur nos territoires, qui innove et investit massivement dans la R&D, notamment en matière écologique, et qui est à l'origine de moins de 3% des émissions de CO2 au niveau national ?

La crise actuelle doit inciter la France à aboutir au plus tôt à l'avion vert, sans oublier la consolidation de notre chaîne de production, cruciale pour la compétitivité de la filière face à la concurrence étrangère, qu'elle soit américaine ou chinoise. Tout cela passe par un engagement financier de l'État, par la nécessaire augmentation du fonds d'accompagnement de nos TPE et PME pour les faire évoluer vers l'industrie 4.0 ou en faire des ETI capables d'innover, d'investir industriellement dans nos territoires afin de conquérir des marchés internationaux.

Je tiens par ailleurs à rappeler les centaines et les centaines de milliers de visages que compte ce secteur, ouvriers, salariés, ingénieurs, chefs d'entreprise, qui font notre fierté chaque jour.

M. David Habib. Bravo !

M. Mickaël Nogal. Nous nous devons de conserver ces emplois à haute valeur ajoutée, car ne nous y trompons pas : si la France tourne le dos à l'aéronautique, d'autres ne seront pas aussi intransigeants que nous.

M. David Habib. Exactement !

M. Mickaël Nogal. Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour cette filière d'excellence, au-delà du plan France relance qui court jusqu'en 2022 ? (M. Jean-Luc Lagleize applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. Je vous remercie de votre soutien et de votre action. Nous étions, il y a quelques jours, en visite chez Safran et vous avez très bien décrit ce que nous y avons vu, c'est-à-dire des compétences très pointues, un savoir-faire industriel, les projets d'envergure mondiale que le groupe entreprend, avec potentiellement des effets sur la décarbonation du secteur. Vous avez posé, ce faisant, les bons piliers de notre réflexion commune.

Il faut bien évidemment consolider la filière aéronautique. Vous êtes attentif aux ETI et aux PME partout dans le territoire, et c'est important. J'ai présenté les différents dispositifs de soutien. Bien sûr, il s'agit d'accélérer encore la transition énergétique du secteur pour mettre en place l'avion vert, mais aussi, plus largement, pour organiser industriellement cette évolution, faire naître les compétences nouvelles, les savoir-faire et continuer à rayonner au niveau international grâce à notre industrie aéronautique.

Au-delà de cette filière, je voudrais dire que c'est l'ensemble du secteur des transports qui est très largement touché et j'ai pu vérifier, que ce soit dans les ports, les aéroports, à la SNCF, à quel point les salariés, les entrepreneurs concernés, les Français sont engagés, compétents, patriotes et ont la volonté de faire de cette crise une chance. J'en profite pour saluer ces efforts collectifs. (M. Mickaël Nogal applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Zivka Park, pour le groupe La République en marche.

Mme Zivka Park. J'associe ma collègue du Val-d'Oise, Naïma Moutchou, à ma question. La crise sanitaire que nous traversons ne nous laisse pas d'autre choix que de faire opérer un sérieux virage au transport aérien, qui l'avait d'ailleurs entamé de lui-même. La demande de l'État d'abandonner le projet de construction d'un nouveau terminal 4 à Roissy-Charles-de-Gaulle, tel qu'il avait été conçu, va dans ce sens. Mais prendre le virage trop vite risque de mettre le secteur encore davantage en difficulté. Nous devons créer les conditions d'une accélération de la transition écologique du secteur aérien, sans l'étouffer, et améliorer son acceptabilité sur les territoires concernés. C'est en ce sens que l'État demande au groupe ADP – Aéroports de Paris – de présenter des aménagements contribuant à la transition énergétique de l'aéroport, pour pouvoir accueillir notamment les futurs avions à hydrogène.

La transition énergétique de Roissy-Charles-de-Gaulle, de l'ensemble des infrastructures aéroportuaires et les premiers efforts des acteurs du transport aérien créeront de nouveaux emplois. La crise sanitaire entraînera malheureusement la disparition de nombreux postes dans les prochains mois, affectant notamment certains de mes concitoyens qui travaillent dans le bassin économique de Roissy. Nous devons tout faire pour former dès aujourd'hui et accompagner l'ensemble de ces personnes vers les nouveaux emplois de la transition énergétique du transport aérien.

Nous devons aussi investir dans une politique industrielle d'avenir. Notre plan de soutien à l'aéronautique y contribue, en investissant massivement en faveur de l'avion vert, qui sera plus respectueux de l'environnement et qui permettra de diminuer les nuisances sonores et environnementales subies par les riverains d'aéroports ; c'est l'un de mes combats depuis quatre ans.

Nous nous fixons des objectifs ambitieux mais pas inaccessibles si nous nous donnons collectivement les moyens. Il convient de continuer à identifier des projets d'investissements productifs dans les territoires, contribuant à la transition énergétique du secteur du transport aérien. Vous avez détaillé votre action dans le cadre de la transformation du secteur. Quelle est votre méthode de consultation et comment entendez-vous engager l'ensemble des acteurs du secteur afin, notamment, de réduire l'impact sonore et environnemental de l'aviation ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. Merci de votre engagement, qui ne s'est pas démenti depuis 2017 sur ces sujets très importants dans votre circonscription. Vous avez évoqué les vicissitudes de l'histoire et l'arrêt récent du projet de construction du terminal 4. Je vous remercie pour les propositions que vous avez formulées, dont nous nous sommes très largement inspirés.

Je veux dire un mot de la philosophie de notre politique, à la fois sur ce sujet territorial précis et, au-delà, sur le soutien au secteur, que j'ai largement évoqué devant vous : nous voulons, notamment sur la plaque parisienne, de nouveaux projets aéroportuaires capables d'accueillir la nouvelle génération d'avions sobres en carbone. Nous aurons besoin à cet effet d'infrastructures, de nouvelles compétences, de nouveaux écosystèmes tournés vers la transition énergétique.

Les nouveaux projets devront également renforcer l'intermodalité entre l'avion et le train, pour répondre à cette fameuse logique de complémentarité plutôt que de concurrence. Ils devront être innovants en matière technologique, environnementale au sens large, pour garantir un haut niveau de performance environnementale.

Pour ce qui concerne la méthode, nous avons instauré, et vous y avez été conviée, un conseil ministériel pour le développement et l'innovation dans les transports, qui permettra une approche à la fois globale et secteur par secteur, parfois thématique – nous parlons notamment de desserte territoriale avec les aéroports et le secteur ferroviaire –, et de réunir l'ensemble des exploitants, des industriels du secteur et des élus concernés pour discuter très concrètement des projets de territoire et déterminer comment concilier développement et performance environnementale.

Mme la présidente. La parole est à Mme Emmanuelle Anthoine, pour le groupe Les Républicains.

Mme Emmanuelle Anthoine. La crise de la covid-19 a profondément déstabilisé le secteur de l'aéronautique, domaine d'excellence économique de la France. Derrière les grands constructeurs aéronautiques, ce sont des milliers de sous-traitants qui sont affectés en cascade et, avec eux, des centaines de milliers d'emplois. Les conséquences des mesures sanitaires sont dramatiques pour les compagnies aériennes qui voient leur activité s'effondrer. Elles se retrouvent ainsi en grande fragilité financière, ce qui complique d'autant leur capacité à faire face aux nouvelles contraintes de compensation des émissions carbone que le projet de loi climat et résilience entend leur imposer dans les prochaines années, mais également à l'augmentation du prix du carbone et à l'interdiction d'exploiter certaines lignes intérieures, conformément aux souhaits de la convention citoyenne pour le climat.

Si le groupe Air France a été soutenu par l'État, la Commission européenne, au nom des règles de la concurrence, impose que la compagnie cède vingt-quatre de ses slots – créneaux horaires – à l'aéroport d'Orly.  Cela aura pour conséquence d'affaiblir encore une compagnie en difficulté, au profit de compagnies low-cost dont les pratiques sociales font l'objet de critiques.

Or seules les grandes compagnies aériennes sont à même d'avoir la capacité financière pour offrir de premiers débouchés aux avions propres du futur. Les fragiliser revient à fragiliser l'ensemble du secteur aéronautique, à un moment où celui-ci doit être en mesure d'engager les lourds investissements que nécessitent les innovations vers des appareils plus propres. Au-delà des mesures punitives, l'État doit donc proposer un réel accompagnement du secteur pour lui permettre d'effectuer sa mue vers un modèle plus respectueux de l'environnement ; et ce soutien doit s'opérer sans les mesures de rétorsion imposées par Bruxelles.

Le Gouvernement entend-il défendre le secteur face aux règles européennes absurdes, plutôt que de lui porter le coup de grâce en ne lui offrant pour seul horizon que des mesures punitives ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Jean-Baptiste Djebbari, ministre délégué. Vous posez de nombreuses questions auxquelles je tâcherai de répondre de façon synthétique. Je ne reviens pas sur les mesures de soutien économique qui ont été largement débattues et qui font l'objet, je crois, d'une forme de consensus quant à leur caractère inédit et à leur efficacité, à ce moment de la crise.

Les mesures sanitaires mises en application doivent nous permettre de continuer à exploiter les aéroports de façon sécurisée et d'envisager la suite, au gré d'ailleurs des progrès de la vaccination et des traitements ; il s'agit, et nous avons déjà très largement progressé, de pérenniser des mesures en matière de nettoyage, de désinfection, de port du masque ou encore de désengorgement des files d'attente.

Vous savez que des initiatives ont été lancées au niveau de l'IATA et reprises au niveau européen, en faveur de ce qu'on appelle le Travel Pass ou pass sanitaire. Ce sont des mesures importantes, qui permettront de donner de la visibilité aux opérateurs et de la confiance aux usagers. Nous continuerons donc à œuvrer ces prochaines semaines, à l'échelle française et européenne, sur ces sujets.

Vous avez parlé de concurrence et vous avez raison. Nous avons mis en place des dispositifs essentiels, le plus important étant destiné au groupe Air France-KLM qui a bénéficié d'une aide de 7 milliards d'euros côté français et de 3 milliards côté néerlandais. Ces compagnies aériennes sont des compagnies systémiques nécessaires pour la connectivité de nos territoires, pour le rayonnement de la France et pour les compétences qu'elles regroupent.

Orly, contrairement aux aéroports allemands de Francfort et Munich, est saturé ; la valeur des créneaux horaires n'y est par conséquent pas identique à celle des aéroports allemands sur lesquels la Commission européenne a porté un regard différencié.

Enfin, la régulation du secteur passe aussi par une remise à plat des conditions sociales : il faut notamment, je l'ai évoqué, mettre fin à ce qu'on appelle l'emploi atypique, trop longtemps utilisé aux marges grises du droit européen par certains opérateurs ultra low cost qui, ces dernières années, ont contribué à fragiliser le pavillon français et qui, aujourd'hui, obéreraient une reprise équitable sur le plan concurrentiel.

La régulation politique qui doit être menée dans le secteur est donc une régulation économique, sociale, environnementale et c'est la philosophie défendue par le Gouvernement dans ses discussions exigeantes avec la Commission européenne.

Mme la présidente. Merci, monsieur le ministre délégué. Le débat est clos.


Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 5 mars 2021