Déclaration de M. Cédric O, secrétaire d'Etat à la transition numérique et aux communications électroniques, sur le déploiement du très haut débit, à Paris le 11 mai 2021.

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  • Cédric O - Secrétaire d'Etat à la transition numérique et aux communications électroniques

Circonstance : AVICCA TRIP printemps 2021

Texte intégral

Patrick CHAIZE, Président - Avicca
Merci pour cette présentation très intéressante de l'Observatoire du THD qui laisse beaucoup de positif et d'espoir pour ce grand projet du plan France Très haut débit.

J'ai le plaisir d'accueillir Cédric O, Secrétaire d'État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, Laure de La Raudière qui intervient pour la première fois en tant que présidente de l'Arcep dans une manifestation de l'Avicca, l'Arcep qui est un partenaire important des collectivités et joue un rôle essentiel pour les déploiements et la régulation du secteur ; Antoine Troesch, directeur de l'investissement de la Banque des Territoires ; et Étienne Dugas, président d'InfraNum.

Monsieur le Ministre, merci d'honorer de votre présence ce colloque, je suis très heureux de vous retrouver pour un des événements annuels de notre association. C'est aussi un rendez-vous important du monde du numérique puisqu'il rassemble de nombreux acteurs et que je sais que ces rendez-vous de l'Avicca permettent de donner des signaux et d'apporter des effets de cliquet dans l'avancée des dossiers. Je voudrais vous dire combien j'apprécie votre présence, votre écoute et votre implication dans le dossier du numérique. Nous avons souvent l'occasion de nous rencontrer et c'est chaque fois avec beaucoup de franchise, d'intensité et de sérieux que nous pouvons travailler. Certes, nous ne gagnerons pas toutes les batailles, certaines se préparent dans les semaines qui viennent, mais je sais que par votre volonté et votre proximité au terrain, les collectivités locales sont écoutées et c'est déjà beaucoup pour nous. Sans plus tarder, je vous laisse la parole en préambule à cette table ronde.

Cédric O, Secrétaire d'État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques
Merci pour cette invitation à participer au TRIP en distanciel. Le plaisir est partagé de travailler avec vous et avec l'ensemble des acteurs. Les télécoms étaient un sujet que je connaissais mal il y a environ un an et demi, mais c'est un domaine très attachant de par les enjeux qui sont à la fois extrêmement quotidiens pour nos concitoyens et à la croisée des questions de la souveraineté, du progrès technologique et de l'avenir de la France, mais aussi de par la relation avec les élus locaux. Il y a parfois des débats entre les élus et le gouvernement mais, sur ce sujet, cela fait plusieurs années que nous tirons tous dans le même sens et avec le même objectif, nous avons tous de grandes ambitions, et c'est toujours un plaisir renouvelé de se retrouver.

Les chiffres de l'Observatoire du THD sont cette année encore extrêmement bons, mais il ne faut pas s'en satisfaire, il faut continuer car il y a encore de très grands défis devant nous, particulièrement après la période du confinement.

J'en profite pour saluer la participation de Laure de La Raudière à ce premier TRIP en tant que présidente de l'Arcep.

Entrons dans le détail de ce plan de déploiement qui est vraiment un gros sujet, qui dépasse l'aménagement du territoire, car derrière la réduction de la fracture numérique, que ce soit infrastructurel ou dans les usages, il y a des sujets de vivre-ensemble, de démocratie, d'économie et tout cela est très interconnecté.

Ariel TURPIN, Délégué général - Avicca
Merci Monsieur le Ministre pour ce propos liminaire. Nous démarrons sans plus attendre la table ronde par une série de questions sur les bons chiffres du FttH d'un point de vue quantitatif. Quel regard porte le gouvernement sur les chiffres de construction de prises FttH passés et pour 2021 et 2022, ainsi que sur les chiffres de l'emploi associé à ces niveaux records de production ? Il existe toujours un souci important concernant le recrutement massif de personnes formées, comment mieux communiquer sur les métiers de la fibre pour lutter contre la pénurie persistante de certains profils, en particulier celui des raccordeurs ?

Cédric O
Sur le plan quantitatif, nous pouvons nous en féliciter, nous sommes à la fois le pays le mieux fibré d'Europe et celui qui déploie le plus vite la fibre. Il faut continuer ce travail collectif des collectivités, des associations, des industriels, des institutions - notamment du régulateur et de l'État.

Il y a trois points de tension sur lesquels il faut vraiment concentrer nos efforts. Le premier, c'est la transition cuivre/fibre avec des difficultés actuelles dans un certain nombre de territoires sur l'entretien d'une infrastructure qui n'a pas d'avenir, et la nécessité de maintenir une qualité pour tous les Français qui, aujourd'hui, n'ont que le cuivre et n'auront que le cuivre pour encore quelque temps. Nous avons des discussions avec le groupe Orange et l'Arcep sur la qualité du cuivre et j'espère que, dans les jours qui viennent, nous aurons l'occasion de communiquer à ce sujet.

Le deuxième défi essentiel, c'est la qualité des raccordements. Nous avons eu souvent l'occasion d'en parler, à la fois avec Laure de La Raudière et avec Patrick Chaize, et je me suis déjà exprimé extrêmement clairement sur ce sujet. Comme le montre l'Observatoire du THD, la situation actuelle n'est pas satisfaisante - et c'est un euphémisme ! 20% de taux d'échec, parfois beaucoup plus dans certains départements, c'est inacceptable. Philosophiquement, on peut comprendre qu'il y ait un échauffement sur cette question parce qu'on n'a jamais déployé aussi vite, mais il faut résoudre le problème. Je lis parfois dans certaines interviews que « c'est inévitable quand on déploie aussi vite », mais personne n'oblige à déployer aussi vite ! Les opérateurs ont pris des engagements, des contrats ont été signés et ils doivent être respectés dans la qualité. Cela doit être indépassable. Nous menons des travaux avec Laure de La Raudière et Patrick Chaize et, si les chiffres ne s'améliorent pas, je pense qu'il faudra tout mette sur la table, car la situation actuelle est inacceptable. Je ne vais pas me « suicider » sur l'autel de la concurrence, il faut montrer que l'on peut faire des choses intéressantes sans qu'il y ait besoin de revenir sur ces principes, et il est indispensable que la qualité des raccordements s'améliore. Dernier élément, la tension qui existe entre une année qui sera encore une année record en 2021 et une année qui risque d'être celle du « record du record » en 2022, et ensuite une décrue.

Il faut donc à la fois recruter plus pour cette échéance et évidemment préparer l'avenir parce qu'on ne peut pas considérer que l'on va embaucher et qu'ensuite on laissera les entreprises, les collectivités, les personnes, devant une infrastructure dont le rythme de déploiement va décroître mécaniquement puisqu'on va passer le pic qui est attendu en 2022. C'est pour cela qu'un nouvel EDHEC Infrastructure numérique est entré en service en mars 2021, qui fait suite à l'EDHEC Fibre optique. Dans le premier, l'État prenait à sa charge 800 000 euros sur un peu moins de 3 millions d'euros d'enveloppe totale. Dans le nouvel EDHEC, l'État prendra en charge la moitié de l'enveloppe, soit 1,3 million d'euros. C'est absolument indispensable pour mieux communiquer à la fois sur les besoins de recrutement et commencer la transition vers l'après-pic du déploiement de la fibre optique, et pour accompagner l'ensemble des professionnels concernés.

Je signale par ailleurs que nous discutons actuellement au sein du gouvernement d'une campagne de communication sur les questions du numérique du quotidien et du raccordement, qui à mon sens doit avoir aussi cette dimension de recrutement dans tous les territoires puisque l'objectif est bien de pouvoir continuer à déployer au bon rythme.

Ariel TURPIN
Merci Monsieur le Secrétaire d'État.

Quelles sont les actions de l'Arcep pour assurer la complétude des déploiements FttH ? On voit que les volumes sont là et que l'on va atteindre des pics de déploiement mais, localement, y compris en zone très dense, il existe toujours un sujet prégnant de complétude. Comme l'a rappelé le ministre, les opérateurs ont pris des engagements et savaient ce à quoi ils s'exposaient… Pourriez-vous également faire un focus sur ce qu'il conviendrait de faire en zone très dense pour assurer la complétude des déploiements ?

Laure de LA RAUDIÈRE, Présidente de l'Arcep
Je remercie le président de l'Avicca de m'associer à ce TRIP. C'est une première pour moi en tant que nouvelle présidente de l'Arcep, mais je connais bien vos travaux et je vous félicite des engagements qui sont pris pour la couverture numérique du territoire et de l'ensemble des Français - vous savez que j'y suis extrêmement attachée.

Je voudrais aussi saluer et remercier Monsieur le Ministre de son action par rapport à cet objectif.

Il est très heureux que le gouvernement ait pu afficher « la fibre pour tous d'ici 2025 » et que le plan de relance ait aussi pu accompagner cet objectif. Je salue également la Banque des Territoires qui est un acteur majeur sur ses enjeux de couverture numérique du territoire.

Vous m'interrogez sur la complétude du déploiement de la fibre. L'Arcep a mis en place un cadre réglementaire symétrique pour inciter les opérateurs à investir et, objectivement, c'est une réussite. Quand cela a été mis en place, cela n'a pas forcément été bien vu de tout le monde, mais finalement au fil des années de stabilité du cadre réglementaire, on voit que le niveau de déploiement de la fibre est extrêmement important et que la France est maintenant le premier pays d'Europe en nombre de locaux raccordables et de déploiements annuels - nous avons donc à la fois le stock et la dynamique.

La complétude est aussi un enjeu majeur. Dans les zones moyennement denses, nous avons mis en place des obligations de complétude fixées par zone de point de mutualisation, que l'Arcep contrôle. Nous menons ces contrôles et nous avons à coeur d'avoir un examen progressif de la complétude des déploiements réalisés en zones moyennement denses et d'utiliser le pouvoir réglementaire qui est le nôtre pour l'assurer. C'est important car l'engagement est que l'ensemble des locaux puissent être couverts.

Par rapport à cela, s'articulent les engagements volontaires pris par les opérateurs dans les zones AMII et rendus opposables par le gouvernement. Là aussi, l'Arcep assure un suivi et un contrôle, mais comme ces engagements ont été pris avec le gouvernement, nous trouvons normal que ce soit au gouvernement d'actionner l'Arcep en fonction de l'ensemble des équilibres, et notamment si, au regard de l'état des lieux factuel régulièrement publié par l'autorité, il estime que « le compte n'y est pas »..

Pour fin 2020, les opérateurs avaient aussi pris un engagement en matière de raccordement à la demande. C'est un élément important du débat parce que cela permettrait de garantir rapidement une éligibilité à la fibre optique de tous les habitants concernés dans les zones AMII.

Au regard du lancement de cette offre par les opérateurs, si elle est commercialisée et si elle est suffisamment ambitieuse, nous pourrions naturellement en tenir compte dans nos appréciations de tenue des objectifs, l'idée étant de poursuivre l'incitation à l'investissement des opérateurs dans la fibre et à satisfaire la demande des Français dans le raccordement à la demande, en articulant les deux au mieux.

Concernant les zones très denses, dans le cadre réglementaire actuel, cette zone est celle de la concurrence par les infrastructures et il n'y a pas eu d'engagements de complétude ni d'objectifs de complétude parce qu'on était dans ce cadre de liberté du jeu concurrentiel. Quand les zonages ont été faits, les opérateurs ont pris des engagements collectifs en disant : « ces zones nous intéressent, nous allons les couvrir et les raccorder complètement ». Nous mettrons donc toute la pression nécessaire, et nous comptons aussi sur la puissance publique et politique pour le faire, afin que les opérateurs couvrent complètement cette zone. En 2020, nous avons vu que les opérateurs ont privilégié la couverture en zone AMII plutôt que la zone très dense. En zone très dense, il faut naturellement qu'ils complètent la couverture ! Les outils à notre disposition ne peuvent pas tout, mais nous les utiliserons pleinement pour que les demandes de raccordement des clients puissent être satisfaites.

Ariel TURPIN
Merci Madame la Présidente. Je note votre remarque sur les raccordements à la demande. Avons-nous une date où les offres commerciales doivent être disponibles ?

Laure de LA RAUDIÈRE
Aujourd'hui, nous n'avons pas de date.

Ariel TURPIN
Monsieur le Secrétaire d'État, que faut-il imaginer pour garantir la complétude de la zone très dense quand on voit le retard, par exemple, sur Lille qui est à moins de 50%, sur Clermont-Ferrand, Marseille, Strasbourg… Ne serait-il pas temps d'imaginer lancer un nouvel AMII sur ces zones ? Au-delà de la zone très dense, s'agissant des solutions pour traiter les raccordements complexes, c'est-à-dire ceux qui pourraient être faits mais qui posent des soucis techniques ou financiers, notamment en zone d'initiative publique, existe-t-il des embryons de solution imaginés par l'État ?

Cédric O
Il y a trois sujets. Concernant la zone très dense, j'entends les tensions qu'il peut y avoir sur les effets de vases communicants entre la zone RIP et la zone très dense concernant la disponibilité de la main-d'oeuvre. De toute évidence, au fur et à mesure que les zones RIP et AMII avancent, cet argument est de moins en moins valable. Laure de La Raudière a été extrêmement claire : la situation actuelle, avec des taux de couverture bas dans certaines villes, y compris en zone très dense, n'est pas acceptable et on doit trouver une solution.

Le deuxième élément, c'est l'offre de commercialisation. Dans une réunion avec les collectivités territoriales, Orange et SFR s'étaient engagés à faire cette offre de commercialisation d'ici fin 2021, ce qui était une excellente nouvelle. Il s'agit maintenant de la part des deux opérateurs de se mettre en capacité de concrétiser ce qui a été évoqué, c'est-à-dire l'annonce auprès des collectivités territoriales de lancer fin 2021 une offre de commercialisation sur l'ensemble des 3 500 communes de la zone AMII, de manière à généraliser l'accès à la fibre.

Il y a ensuite la question des zones RIP et des raccordements dits complexes, sur laquelle nous travaillons en lien avec l'Arcep. Je rappelle qu'il y a, sur les 570 millions du plan de relance, 150 millions d'euros qui sont prévus. Nous devrions communiquer dans les semaines qui viennent sur les critères permettant de postuler à cette enveloppe dédiée aux raccordements complexes afin de finaliser la couverture et de raccorder les quelques pourcents qui manquent pour aller vers la généralisation de la fibre sur tout le territoire d'ici 2025. Je sais qu'il y a une forme d'impatience dans un certain nombre de territoires concernant l'ouverture de cet appel à manifestation d'intérêt sur ces 150 millions d'euros… Il arrive, il n'y a plus très longtemps à attendre, mais ce n'est pas très simple car il faut pouvoir toucher tous les cas qui nous intéressent.

Ariel TURPIN
Merci Monsieur le Ministre.

La Banque des Territoires, dont on connaît l'action sur la transformation numérique de la France tous secteurs confondus, a compris depuis longtemps que les collectivités étaient la première brique de la transformation numérique. Antoine Troesch, comment voyez-vous les actions à mettre en oeuvre pour aller à coup sûr vers le 100% raccordable sur l'ensemble du territoire ?

Antoine TROESCH, Directeur de l'investissement - Banque des Territoires / Groupe CDC En effet, la Banque des Territoires ne serait pas à sa place si elle n'adressait pas la question de la complétude. Une phrase est inscrite en lettres d'or dans le livret de la Banque des territoires : « permettre à chacun, en tout point du territoire, d'avoir accès à une bonne connexion numérique ». Nous sommes donc obligés d'être sur le sujet de la complétude.

Pour rebondir sur les 150 millions d'euros évoquées par Monsieur le Ministre, la Banque des Territoires a prévu dans le plan de relance 120 millions d'euros de fonds propres pour les 500 000 raccordements complexes. C'est cette équation de fonds propres prévus par la Banque des Territoires, de financements par l'État dans le cadre du plan de relance, et une capacité d'attraction d'investisseurs privés et de financeurs en dette qui permettra de faire ces 500 000 raccordements longs. Comme cela a été rappelé dans la présentation de l'Observatoire du THD, ces raccordements s'insèrent dans quelques millions de lignes non planifiées. Au bout du bout, les dernières lignes, les plus compliquées seront à 2 000 ou 3 000 euros : il va donc falloir sortir l'équation économique.

À la Banque des Territoires, grâce à un accompagnement depuis 15 ans (1,4 milliard d'euros en financement, que ce soit en investissement et en prêt), nous avons aujourd'hui une très bonne rentabilité de ces actifs et cela nous permet de faire de la péréquation, c'est-à-dire d'avoir une attente de rentabilité qui permettra à l'équation économique d'exister pour les 120 millions à venir pour les raccordements longs. Évidemment, tout le monde est dans les starting-blocks, nous attendons que l'appel à projets démarre. L'échéance visée est en septembre, mais si cela pouvait être plus tôt, nous en serions ravis – les équipes de la Banque des Territoires piaffent d'impatience.

Je voudrais revenir sur un point peu évoqué en matière de complétude, ce sont les conséquences financières de la crise Covid. Aujourd'hui, on parle de ce qu'il reste à faire dans ce qui est non planifié mais, dans ce qui est planifié, au-delà du sujet de la qualité, il y a aussi le sujet de l'équation économique. Actuellement dans la zone RIP, il y a des discussions assez intenses entre les syndicats, les collectivités, les délégataires, les investisseurs privés, les opérateurs... Je souhaite souligner le fait que les régions, les départements et l'ensemble des collectivités jouent le jeu à travers les avenants Covid. De notre poste d'observateur privilégié à vos côtés, nous voyons peu d'endroits où les exécutifs ne jouent pas le jeu. Finalement, ils sont prêts à remettre encore de l'argent pour permettre de maintenir l'équation économique dans laquelle étaient entrés des investisseurs avant la crise Covid. Par conséquent, les plannings ont été adaptés mais ils vont être tenus et c'est un formidable levier pour la qualité.

C'est dans les discussions actuelles sur les avenants que peut être glissée à nouveau la question de la qualité : il y a des plannings qui sont adaptés, des taux de rendement un peu revus à la baisse par les investisseurs pour tenir compte de la situation, des financements complémentaires sont apportées par les collectivités… Dans ces discussions, il faut mettre le sujet de la qualité tout en haut des priorités dans les avenants. Dans un certain nombre de territoires, cela a été bien discuté, mais dans d'autres ce n'est pas encore le cas… C'est un message aux collectivités qui ne se sont pas encore totalement saisies du sujet.

Pour résumer, il y a les raccordements longs pour aller à la complétude, mais il y a ce qui est planifié aujourd'hui, qui n'est pas encore fait et qui participera aussi à la complétude. Si l'on veut une complétude de qualité, les négociations en cours, qui sont âpres, sont le bon endroit pour mettre le sujet sur la table.

Ariel TURPIN
Les chiffres du déploiement sont très bons, les prévisions pour 2021 ont été très discutées entre l'Avicca, InfraNum et la Banque des Territoires dans le cadre de la préparation de l'Observatoire du THD. Ces chiffres nous semblent réalistes en termes volumétriques mais déployer une prise en zone RIP n'a rien à voir avec déployer une prise en zone d'initiative privée. Comment InfraNum apprécie le dimensionnement de la filière en termes d'emplois, de ressources, de formation et de mobilisation des équipes pour relever ce défi ? En quantitatif, on a l'impression que ce n'est pas beaucoup plus qu'en 2020, mais à exécuter, c'est quand même très différent ?

Étienne DUGAS, Président - InfraNum
Je remercie tout d'abord l'ensemble des équipes de l'Avicca, de la Banque des Territoires et d'InfraNum pour la réalisation de ce travail qui est toujours plus colossal chaque année, puisque vous avez constaté que l'Observatoire du THD traite de plus en plus de sujets et agrège de plus en plus de données. C'est le seul observatoire complet, avec des données sur le passé mais également des projections.

2020 est une année exceptionnelle s'il en est - je ne reviendrai pas sur le Covid. Il y a un an jour pour jour, peu de personnes auraient fait le pari de 5,8 millions de locaux raccordables en 2020.

Monsieur le Ministre, vous parliez d'un pic en 2022 ; dans nos projections nous avons imaginé le pic en 2021 - nous verrons qui de nous deux aura raison ! 2021 sera l'année du pic et l'année des RIP, mais sur les réseaux d'initiative publique, les prises sont plus longues à réaliser qu'en zone AMII et a fortiori qu'en zone très dense, et ce qui reste à faire sur la zone AMII est également plus compliqué que ce qui a déjà été fait…

Un chantier en avance, c'est quand même assez rare dans notre pays pour être noté ! Il s'agit en effet du premier chantier d'infrastructure qui finit en avance puisque 87% de locaux seront raccordables en 2022, quand l'engagement initial du plan France Très haut débit début 2012 était de 80%... C'est une réelle performance dont nous pouvons tous nous féliciter.

Autre chiffre, les raccordements en fibre optique vont dépasser les raccordements ADSL, ce qui est une victoire exceptionnelle. Quand nous en parlions il y a 20 ans, on nous regardait avec des yeux ronds !

L'emploi est évidemment aussi au rendez-vous. Les chiffres ont battu un record en termes de déploiements, mais également en termes d'emplois avec 9 500 équivalents temps plein de plus en 2020 qu'en 2019, c'est-à-dire quasiment deux fois plus que nos prévisions. Néanmoins, nous avons encore des difficultés à recruter, malgré les 190 organismes de formation présents dans le pays qui travaillent à la formation de nos collaborateurs dans le cadre du plan France Très haut débit, et malgré les 46 centres labellisés « objectif fibre », nous avons toujours des problèmes de sourcing. Ce sont principalement des soucis de communication, nous avons du mal à attirer sur nos métiers. Même si nous constatons une progression, il manque encore malgré tout de l'ordre de 5 500 collaborateurs pour pouvoir atteindre le fameux pic. Ce sont évidemment des profils de raccordeurs dont nous avons le plus besoin. Plus nous aurons de raccordeurs formés et bien formés, mieux nous résorberons nos problématiques de qualité.

Un mot sur l'EDHEC 2 qui n'est pas encore signé - nous attendons une date de signature de la part de la ministre. Il y a encore quelques ajustements avec les OPCO (Opérateurs de compétences) mais, une fois signé, il n'y aura plus qu'à le mettre en oeuvre. L'objet de cet EDHEC 2, c'est bien la suite, c'est-à-dire comment l'ensemble des emplois de la filière va-t-il être « transformé » pour la suite : la 5G mais aussi les smart territoires et l'export. Il est évidemment capital que, dans le cadre d'EDHEC 2, l'on puisse étudier toutes les possibilités de reclassement de l'ensemble de nos collaborateurs.

Ariel TURPIN
Une précision par rapport au volume de prises : le fait que les prises en zone RIP nécessitent 27 fois plus d'aérien et deux à trois fois plus de génie civil ne changera pas fondamentalement le problème de dimensionnement du côté de la filière ?

Étienne DUGAS
Les prises sont effectivement plus longues à réaliser, néanmoins nous sommes dans une phase où l'industrialisation bat son plein. Nous avons quand même essuyé les plâtres pendant quelques années. L'ensemble des modes de déploiements, qu'ils soient souterrains, dans les fourreaux d'Orange, que ce soit du génie civil neuf ou de l'aérien, sont maintenant parfaitement maîtrisés par l'ensemble des acteurs… Il sera de toute façon plus long de déployer une prise en zone RIP qu'en zone AMII, ce sera toujours vrai. Mais l'industrialisation fait que les volumes seront atteints.

Ariel TURPIN
Merci. L'aérien est un sujet très problématique de manière générale, mais il est 27 fois plus important en zone RIP. Il faut déployer sur les supports dits Enedis : sur 100 supports « Enedis », 20 sont déclarés en surcharge et, parmi eux, 17 sont déjà en surcharge avant même qu'on y déploie la fibre optique… C'est-à-dire qu'il n'y a que trois poteaux sur 100 qui seraient en surcharge du seul fait du rajout de la fibre optique. Je n'ai toujours pas compris comment étaient construits les poteaux en béton en France par rapport à ceux que l'on voit en Asie par exemple, et qui supportent des quantités énormes de câbles… Comment sortir par le haut de ce souci de déploiement sur les supports aériens « Enedis » ?

Patrick CHAIZE
Avant de dire comment, il faut dire qu'on en sorte vite ! C'est une urgence à ce moment du déploiement où nous avons besoin de solutions sur le sujet, comme je l'ai rappelé récemment à la FNCCR où j'ai eu l'honneur d'être nommé vice-président délégué au numérique.

Pour sortir de cette ornière, je crois qu'il faut que l'on fasse une loi 4D, il faut que l'on aide la décomplexification sur le sujet des appuis aériens. Aujourd'hui, les calculs de charge tels qu'ils sont réalisés répondent à des critères tout à fait théoriques : ils ont été construits à des époques où l'on sortait de tempêtes et où l'on a mis beaucoup de réserves sur le calcul des supports, ce qui pose une vraie difficulté aujourd'hui. Il faut donc que l'on se réunisse autour d'une table pour se reposer les bonnes questions de façon globale, afin d'être dans le pragmatisme plus que dans la théorie.

Que celui qui a vu un poteau de béton tomber après la pose d'un câble télécom me jette la première pierre ! C'est un risque très mesuré, cela n'existe pas. Je comprends les acteurs et notamment Enedis qui invoque l'arrêté technique et son respect, je comprends les différents ministères qui souhaitent être sûrs avant de modifier l'arrêté technique. Mais, pour reprendre l'expression d'un de vos prédécesseurs, Monsieur le Ministre, je crois que dans cette affaire il faut que « tout le monde se fasse un peu mal » ! Il faut que l'État, les collectivités, les opérateurs, chacun prenne sa part pour trouver une solution et que l'on sorte rapidement de cette situation. C'est un sujet qui me tient vraiment à coeur et j'espère que, dans les prochaines semaines, nous trouveront des pistes et surtout des solutions sur les conditions de calcul de charge, mais également sur les conditions liées aux redevances associées à l'utilisation de ces supports, de façon à obtenir un compromis intelligent qui permette de débloquer cette question technique, où chacun pourra retrouver sa place et ses équilibres financiers. C'est pour moi une priorité des priorités pour pouvoir utiliser ces supports et donner une dynamique supplémentaire à la desserte et aux raccordements

Ariel TURPIN
Madame la Présidente de l'Arcep, nous avons évoqué le mode STOC à plusieurs reprises, un nouveau contrat est en cours de signature entre les opérateurs commerciaux (OC) et les OI. Vous avez annoncé début avril, lors de la conférence des territoires connectés, que l'Arcep allait mesurer l'évolution de la mise en oeuvre du mode STOC, car c'est bien cela qui nous préoccupe le plus et pas le mode STOC en lui-même. Comment cela va-t-il se passer, quels seront les indicateurs, quand aurons-nous les premiers retours ?

Laure de LA RAUDIÈRE
En premier lieu, je voudrais dire que 2021 doit être l'année de la qualité de service et pas seulement du déploiement. Nous pouvons tous nous réjouir des efforts qui sont faits pour le déploiement mais cela ne doit pas se faire au détriment de la qualité de service, que ce soit sur la fibre ou sur les autres réseaux. On doit avoir une véritable amélioration cette année pour nos citoyens.

Concernant le mode STOC, je voudrais redire qu'il est difficilement compréhensible, alors que les feuilles de route entre les différents opérateurs ont été arrêtées en mars 2020 que, encore aujourd'hui, certains opérateurs ne les aient pas signées. Cela veut dire que l'enjeu de qualité de service n'est pas prioritaire pour les opérateurs, en tout cas c'est comme cela que je le comprends.

Je voudrais aussi redire que l'opérateur d'infrastructure, même si certains n'aiment pas l'entendre, est responsable de du bon fonctionnement et de la pérennité du réseau. Cette année, nous initions une campagne de mesures d'indicateurs. Nous avons pris des dispositions pour collecter les indicateurs auprès des opérateurs d'infrastructures, que ce soit au niveau du point de mutualisation ou au niveau du point de branchement optique, avec un détail par opérateur commercial, et nous allons également collecter les indicateurs auprès des opérateurs commerciaux. Nous partagerons l'ensemble des résultats recueillis dans nos groupes de travail avec les opérateurs afin d'identifier s'il existe de nouvelles bonnes pratiques à faire émerger, et surtout afin de pouvoir objectiver les discussions avec des indicateurs et de permettre à tout le monde de se mettre en ligne pour que la qualité de service soit au rendez-vous. Aujourd'hui, le nombre d'interventions de citoyens et d'élus à l'Arcep sur ce sujet n'est pas acceptable !

La consultation sur le raccordement final est terminée et les résultats sont en cours d'analyse.

Une partie de cette consultation publique nous amène déjà à envisager de mettre en place un groupe de travail afin de faire émerger les solutions manquantes pour réaliser les raccordements les plus compliqués.

Ariel TURPIN
Merci. Je propose d'aborder les autres nombreux sujets de l'Observatoire du THD et notamment celui de la souveraineté numérique, du marché professionnel, etc. À travers chaque édition de l'Observatoire du THD (c'est la 3ème que nous faisons ensemble avec InfraNum), nous essayons de lui donner une nouvelle dimension et nous avons souhaité suivre le sujet difficile de la souveraineté numérique en commençant modestement à l'aborder par la partie datacenters.

Ma première question sera pour le Secrétaire d'État. Comment appréciez-vous cette notion de souveraineté numérique et que recouvre-t-elle ? En matière de datacenters, quelles sont les ambitions de l'État pour la création d'un Cloud souverain et environnementalement respectueux ?

Cédric O
C'est une question à la fois essentielle et très complexe, aux multiples facettes. Si l'on doit définir la souveraineté, c'est le choix de ne pas être dépendant pour certaines parties technologiques, ou en tout cas certaines parties de la chaîne de valeur, de solutions uniquement étrangères c'est-à-dire non européennes.

Il faut d'abord replacer le sens du débat. Existe-t-il aujourd'hui dans le monde un seul pays totalement souverain numériquement ? Non, y compris les Américains. Sur un plan infrastructurel, les problèmes rencontrés par les Américains sur les semi-conducteurs et leur dépendance à TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company) sont extrêmement intéressants. Si l'on descend sur les couches les plus basses, tout le monde est dépendant des Taiwanais et des Coréens - qui eux-mêmes sont dépendants des Américains et des Européens sur les couches hautes… Sur un certain nombre de composants critiques, y compris dans les systèmes de défense, jusque dans les iPhones ou dans les portables Samsung, les Américains ont aussi besoin des puces de Sytec ou de composants qui sont, par exemple, fournis par Thalès ou Gemalto sur la cybersécurité. Dans le monde, aucun pays n'est souverain numériquement. Est-ce que la dépendance de l'Europe et de la France en matière de numérique est satisfaisante ? Non. Nous n'arriverons probablement jamais à une indépendance totale, les Américains non plus, mais la part de la chaîne de valeur qui est captée à différents niveaux par des entreprises non européennes est déraisonnable et c'est ce problème que nous devons résoudre.

Il y a donc deux sujets. Il y a d'abord la souveraineté de législation : une partie des outils (réseaux sociaux, etc.) que nous utilisons quotidiennement sont régis par des législations qui sont non européennes, pour de nombreuses raisons et notamment la manière dont fonctionne techniquement l'infrastructure du numérique. Nous devons donc reprendre la main et faire en sorte que la régulation qui s'applique soit bien une régulation européenne. C'est l'objectif des nombreux textes actuellement en discussion, que ce soit sur les données, la régulation des contenus, la régulation économique, la question des législations extra-territoriales américaines et la question du Cloud.

Je suis profondément persuadé que la première nécessité pour la souveraineté numérique est une nécessité industrielle : c'est parce que nous n'avons pas les acteurs de la même taille, de la même compétence et de la même puissance que les acteurs américains ou chinois que l'Europe est déclassée. C'est parce que toutes les entreprises qui dominent aujourd'hui le monde du numérique, et plus globalement le monde économique, sont des entreprises qui ont été créées dans les 20 ou 30 dernières années aux États-Unis et en Chine (il n'y en a quasiment aucune européenne ou française à quelques exceptions près), que nous nous retrouvons dans cette situation de dépendance technologique.

C'est pour cette raison que le gouvernement met autant d'énergie sur ce que l'on appelle en bon français la « start-up nation » : c'est la volonté déterminée de faire émerger de nouvelles forces économiques qui seront la base de notre force souveraine. Si Google et Facebook étaient français, on ne se poserait pas la question de notre souveraineté numérique de la même manière aujourd'hui.

On peut discuter de tout et de l'investissement du gouvernement, mais il faut rappeler que, à la base de notre dépendance technologique, il y a les niveaux d'investissement de ces entreprises.

Amazon à lui seul, c'est 22 milliards de dollars d'investissement par an. La France (gouvernement, entreprises privées, institutions de recherche…), c'est 60 milliards d'euros en investissement recherche et développement par an, en tout (biotechnologie, agriculture, numérique, etc.). C'est-à-dire qu'Amazon, tout seul sur un petit segment, fait un peu moins d'un tiers de ce que fait la France tout entière. Par conséquent, tant qu'on n'a pas d'Amazon ou de Google en Europe, oublions la souveraineté technologique. C'est pour cela qu'autant d'énergie est mise sur le sujet.

Maintenant, il faut avancer sur le sujet technologique c'est pourquoi nous investissons dans le quantique, l'intelligence artificielle, la cybersécurité, les semi-conducteurs -avec des discussions encore très récemment avec Thierry Breton. Il faut faire en sorte de dessiner les lois qui correspondent à notre espace de souveraineté et réussir cette émergence d'acteurs industriels qui est absolument indispensable. Le Cloud est un excellent sujet et nous aurons dans les jours qui viennent l'occasion de présenter la stratégie nationale française en la matière. Il faut réussir à résoudre la tension entre la volonté d'être indépendant et le fait que les trois ou quatre acteurs occidentaux majeurs du Cloud ne sont pas français ni européens, et qu'ils ont une taille ou une puissance financière qui n'a rien à voir avec celle des plus forts acteurs français. Il faut trouver la ligne de crête pour réussir à apporter à nos entreprises le bon niveau de qualité de service parce que le Cloud est une condition de la compétitivité de l'ensemble de l'économie, tout en faisant en sorte que nos acteurs industriels réussissent à grossir en taille.

Il n'y a pas d'horizon au-delà de cette question de la taille, la taille conditionne tout. Soit on est capable de faire émerger un écosystème numérique qui pèse des milliards voire des dizaines de milliards d'euros, soit il faut oublier toute ambition de souveraineté technologique parce que, dans le fond, en caricaturant un peu, c'est une course aux armements qui est conditionnée par l'argent qu'on y met aux niveaux français et européen.

Ariel TURPIN
Merci, c'est vraiment très clair et complet, c'est une belle introduction sur la souveraineté numérique. Nous allons bientôt connaître la stratégie française sur le Cloud, mais c'est un sujet sur lequel InfraNum et l'Avicca travaillent depuis un moment, en organisant notamment un événement commun le 6 juillet prochain. D'ici là, InfraNum aura sorti un nouveau guide…

Étienne DUGAS
Nous publions en effet le 2 juin un guide sur les datacenters de proximité. Par ailleurs, la semaine dernière, nous avons participé à une étude produite par KPMG aux côtés d'un certain nombre d'acteurs, et notamment OVH - acteur français du Cloud qui n'a certes pas les parts de marché d'Amazon. L'objet de l'étude qui a été réalisée auprès de décideurs français et allemands est de se demander ce qu'il faudrait faire pour que le marché du Cloud, qui finalement n'est autre que la virtualisation de l'infrastructure, se développe. Ainsi, après s'être occupé de l'infrastructure, InfraNum se tourne tout naturellement vers sa virtualisation.

Je citerai quelques chiffres : le montant du marché actuel du Cloud en Europe s'élève à 53 milliards d'euros et atteindra selon les projections de l'étude plus de 300 milliards en 2027, c'est-à-dire un marché supérieur à celui des telcos en Europe en 2020, avec 500 000 emplois. C'est colossal. Mais pour que l'Europe puisse présenter sa part de ce volume, en emplois pour ses entreprises et sur ses territoires, il y a quelques mesures à prendre. KPMG a élaboré cinq scénarios dans le cadre de cette étude, trois d'entre eux poussant vers une régulation plus importante du Cloud. C'est un sujet européen, mais c'est aussi un sujet franco-français. On sait que la régulation européenne sur la fibre s'est inspirée de la régulation française qui pourrait, pourquoi pas, être aussi en pointe en matière de régulation sur le Cloud.

Voilà notre position sur le Cloud et la souveraineté du Cloud en Europe, que vous retrouverez dans le guide qui sera publié dans le cadre de l'assemblée générale d'InfraNum le 2 juin et lors de l'événement conjoint organisé le 6 juillet prochain avec l'Avicca. Ce guide s'adresse principalement aux collectivités et aux acteurs privés du datacenter.

Selon les chiffres de l'observatoire, sur 100 datacenters, les deux tiers sont des datacenters de proximité. À titre d'exemple, mon entreprise vient de basculer dans le Cloud et cela semble incroyable pour une PME qui réalise 20 millions d'euros de chiffre d'affaires dans les TP, parce qu'il y avait un datacenter de proximité, l'opérateur Fingerprint qui appartient aujourd'hui à Adista. Je me sentais en sécurité parce qu'il y avait un datacenter de proximité et parce que je savais que mes données seraient hébergées chez quelqu'un que je connais, et pas chez Amazon, Google ou Microsoft.

Ariel TURPIN
Merci. Du coup, faut-il réguler les centres de données et les acteurs du Cloud en France et en Europe ? Par ailleurs, comme l'Arcep l'avait évoqué dans son rapport « Pour un numérique soutenable », faut-il réguler les datacenters en y intégrant aussi une dimension environnementale ?

Laure de LA RAUDIÈRE
Étienne Dugas vient de rappeler l'importance des datacenters pour les réseaux et les services de communication. En arrivant à l'Arcep, je me suis dit que le marché des services Cloud devait être le sujet de l'étude que nous mènerions en 2021, en regardant en particulier les prestations d'interconnexion pour voir si le marché est aussi fluide qu'il devrait l'être, ainsi que le marché des services d'hébergement. Nous souhaiterions disposer d'un état des lieux des pratiques, et le cas échéant de propositions sur ces marchés.

Dans le cadre d'échanges avec mes homologues européens, j'ai proposé le sujet d'une étude au niveau européen sur les services Cloud car les problèmes que nous rencontrons au niveau français doivent être exactement les mêmes dans les autres pays européens. Je ne sais pas encore si ce choix sera retenu par le BEREC l'année prochaine, mais l'Arcep pousse à ce qu'il y ait une étude sur ce sujet au niveau européen en matière de régulation.

Deuxième point, sur les questions liées à l'ouverture et à la liberté de choix des utilisateurs. Dans le cadre du règlement Internet ouvert, il y a la garantie de la liberté de choix pour les utilisateurs vis-à-vis de leur accès réseau, et comme les services de réseau et de communication embarquent de plus en plus les services virtualisés du Cloud, il nous semble important de pouvoir garantir la liberté de choix des utilisateurs et donc une transportabilité complète des données et une interopérabilité des services de Cloud. C'est un sujet que l'on peut aussi aborder dans le cadre des réflexions autour du DMA (Digital Markets Act) qui sont en cours au niveau européen.

Concernant la question plus spécifique du numérique soutenable, l'Arcep a mis en lumière (comme le rapport du Sénat réalisé par le Président Chaize) la part relative de chacun des secteurs du numérique dans la contribution à l'empreinte du numérique dans l'environnement : 5 % pour les réseaux, 81 % pour les terminaux et 14 % pour les centres de données. Les travaux réalisés par l'Arcep l'année dernière ont révélé qu'il y a un intérêt à mettre en place des codes de bonnes pratiques pour les acteurs du secteur du Cloud, voire un dispositif leur permettant de prendre des engagements contraignants. L'Arcep va continuer à creuser ces sujets dans le cadre des travaux menées sur les différents chantiers environnementaux, y compris dans le cadre de la feuille de route gouvernementale.

Ariel TURPIN
Revenons sur les chiffres impressionnants d'évolution du nombre de datacenters : on constate une explosion de la demande en datacenters, y compris sur des territoires de plus en plus ruraux. Comment la Banque des Territoires mesure-t-elle l'opportunité de faire ou de ne pas faire un datacenter de proximité ? Plus généralement, quelles sont les ambitions de la Banque des Territoires sur ce sujet des datacenters de proximité ?

Antoine TROESCH
Conscients des enjeux qui viennent d'être évoqués sur la souveraineté, dont les datacenters sont une brique, nous partons d'une envie de faire. Autant il est intéressant de constater le manque de moyens sur certains sujets, autant le financement n'est pas un sujet sur les datacenters, selon moi.

Quand on regarde ce que la Banque des Territoires a injecté en fonds propres sur le sujet des datacenters, cela reste microscopique par rapport à ce qui est fait chaque année. 1,7 milliard d'euros ont été injectés dans les territoires tous sujets confondus en 2020, pour financer près de 12 ou 14 milliards d'investissements dans le pays. Il y a une explosion de la demande mais pas encore du nombre de projets. Par rapport à la centaine de projets en France, la Banque des Territoires en étudie une petite quinzaine. Cela ne décolle peut-être pas à la vitesse à laquelle cela devrait décoller, surtout compte tenu des enjeux globaux de souveraineté et je rejoins parfaitement ce qui a été dit sur le manque global d'ambition.

Nous avons trois façons d'accompagner. Premièrement, en investissements dans des datacenters classiques de stockage et d'hébergement des données. Nous nous intéressons aussi à deux autres sujets qui, à mon avis doivent être accompagnés par les territoires et par le gouvernement : c'est le calcul de haute performance, avec un sujet de traitement massif des données, et le edge computing car il va devenir important de pouvoir faire du calcul en périphérie de réseau, que ce soit pour le développement de la smart city ou des objets connectés.

Au-delà des critères financiers, nous nous intéressons à ces 3 sujet avec 3 critères.

Le critère de l'efficacité énergétique, puisque l'on sait que le digital n'échappe pas au débat de ses émissions de dioxyde de carbone : nous utilisons le critère de Power usage effectiveness pour nos investissements.

Le critère du niveau de service qui est intimement lié à la souveraineté : de la même manière qu'on regarde le taux de disponibilité d'une centrale nucléaire, il faut regarder le taux de disponibilité d'un datacenter et le fameux indice du niveau de Tier qui doit être supérieur à trois.

Enfin, un critère essentiel est le fait que l'architecture soit de plus en plus modulaire dans les datacenters pour pouvoir s'adapter à l'évolution de la demande, soit parce qu'elle va plus vite que prévu, soit parce que l'on a été un peu trop ambitieux sur la commercialisation.

En conclusion, la Banque des Territoires accompagne effectivement les projets de datacenters de proximité et, dans une logique de solidarité entre les territoires, nous aimerions accompagner des datacenters plutôt périurbains et de moyenne dimension.

Le sujet de la souveraineté et de la faiblesse des moyens nous interpelle également. À titre personnel, en tant que président du conseil de Qwant, je suis confronté tous les jours à la faiblesse des moyens à disposition en face de la force des moyens des Amazon, Google et autres Gafa. Mais je salue la vision du Secrétaire d'État qui a permis le déploiement de ce moteur de recherche dans l'administration. Qwant est connu pour ne pas conserver les données mais un peu moins pour les exigences très fortes qui sont mises sur les sujets de cybersécurité.

Ariel TURPIN
Merci. Patrick Chaize, qu'est-ce que la souveraineté numérique selon vous, et qu'est-ce qu'elle n'est pas ?

Patrick CHAIZE
La question de la souveraineté, je crois qu'il est trop tard pour se la poser et je rejoins les propos de Cédric O qui a présenté avec beaucoup de réalisme l'état des lieux dans lequel nous nous trouvons. Comment faire en sorte d'avoir plus de souveraineté ? Tous les acteurs doivent jouer leur rôle. L'État doit jouer son rôle pour accompagner le développement d'acteurs industriels ou opérateurs sur nos territoires et pour leur permettre d'y rester. Pour cela, l'État a vraiment un rôle de coordination à jouer entre tous ces acteurs pour faire en sorte que les choses se passent au plus près de nos territoires, dans un esprit patriote.

Les collectivités ont aussi un rôle à jouer, et elles ont commencé à le faire en prenant certaines dispositions en termes de déploiement et d'action sur les usages. Les collectivités ont pu investir dans les réseaux, les exploiter même dans certains cas, et jouer le rôle d'autorité organisatrice des réseaux numériques sur leurs territoires. Il est important que l'on puisse accompagner par la législation, mais aussi par la régulation, la possibilité qui est donné aux collectivités d'intervenir pour garantir la souveraineté.

De leur côté, les opérateurs nationaux doivent être vigilants car rien n'empêche demain qu'ils soient rachetés et que des intervenants externes prennent le contrôle de ces grandes entreprises. Il faudra également que nous soyons vigilants, et je tiens à signaler une action qui est un bon signal et qui est plutôt rassurante, c'est le fait que l'actionnariat d'Orange Concessions ait été garanti 100 % français par une action de l'État, mais aussi par une compréhension des dirigeants de cette grande entreprise. On pourrait multiplier les exemples sur tous les acteurs qui gravitent autour du numérique.

Nous ne devons pas être trop prétentieux en la matière, la souveraineté numérique telle qu'on pourrait l'idéaliser n'est plus possible aujourd'hui en France. Il faut donc se battre pour faire en sorte d'aider ou de conforter l'ensemble des acteurs nationaux qui restent à construire. C'est une volonté politique commune que l'ensemble des acteurs de la chaîne doit avoir.

Ariel TURPIN
Cette crainte de voir des acteurs sortir du périmètre français ou européen a été exprimée dans le salon de discussion Slido, notamment par rapport à des initiatives de start-up qui pourrait être soutenues y compris par l'État, et qui une fois devenues très intéressantes pourraient se faire racheter par les géants existants.

Je voudrais aborder maintenant la question du marché professionnel. La présentation de l'Observatoire du THD a montré l'adoption de la fibre par les entreprises, avec une courbe qui a suivi une accélération très bienvenue, presque inespérée quand on voyait la tendance initiale…

S'agit-il d'une évolution conjoncturelle liée à la crise sanitaire qui a forcé tout le monde à accélérer sa transformation numérique, ou est-ce plus structurel ?

Avant la crise sanitaire et cette demande de fibre optique, nous avions déjà identifié le fait qu'il était souvent compliqué d'aller raccorder les entreprises, tout comme les écoles ou certains établissements administratifs. Comment surmonter l'obstacle du raccordement de certaines entreprises ?

Étienne DUGAS
Le décollage de la courbe est en effet très net. Nous étions à 20% en 2019 et on passe à 37% en 2020, soit plus d'un tiers d'entreprises raccordées à la fibre. Il est évident que la crise sanitaire a été un accélérateur bienvenu. Chacun peut constater autour de soi que l'ensemble du tissu économique du pays a profité de la crise sanitaire pour avancer sur la digitalisation de l'entreprise.

Monsieur le Ministre, vous avez, avec l'ensemble du gouvernement dans le cadre du plan de relance, mis l'accent sur la digitalisation de l'entreprise mais sur l'aspect logiciel et pas sur l'aspect infra. Or le raccordement physique des entreprises est très souvent complexe et ce sujet mériterait, de notre point de vue, un coup de pouce spécifique pour financer ces raccordements avec un peu d'argent public dans le cadre de France relance, afin d'avoir un effet de levier et raccorder plus rapidement les entreprises.

Ariel TURPIN
Monsieur de Secrétaire d'État, voulez-vous réagir ?

Cédric O
Il y a un sujet qui est lié, c'est le fonctionnement du marché pro qui n'est pas totalement indépendant de toutes ces discussions, mais je laisserai la présidente de l'autorité de régulation
s'exprimer dessus.

Je précise tout d'abord que les 150 millions d'euros dont on a parlé précédemment ont vocation à couvrir le marché individuel comme le marché entreprise. On a fait beaucoup sur la question des usages, mais le vrai sujet reste encore de convaincre tous les patrons de TPE-PME que la digitalisation est indispensable. Oui, le confinement a mis un coup d'accélérateur ; oui, il y a beaucoup plus de monde qui y va (notamment les commerces pour des raisons évidentes), mais il y a quand même une partie importante des entreprises pour lesquelles la question de la numérisation reste pour l'instant une « valise sans poignée ». Ensuite, il y a un sujet de raccordement et les 150 millions sont aussi là pour cela. On peut regarder de manière un peu plus détaillée ce qui pourrait être fait pour le raccordement entreprise, et si des choses pouvaient être faites de manière intelligente, je ne serais pas fermé. Mais le raccordement et les difficultés de raccordement physique ne semblent pas être la partie émergée de l'iceberg si on regarde le fonctionnement du marché et la volonté de numérisation des chefs d'entreprise.

Laure de LA RAUDIÈRE
Un mot sur le marché pro. On voit d'abord que la fibre devient le réseau de référence, que ce soit en premier lieu sur le marché grand public, il y a une maturité presque culturelle du raccordement : on veut avoir la fibre et cela se traduit aussi dans les chiffres. Cette tendance va avoir lieu aussi progressivement sur le marché entreprises.

Deuxièmement, on voit qu'il y a un marché plus dynamique avec Bouygues qui est plus présent qu'avant sur le marché entreprise, Free qui a lancé son offre sur la fibre, ce qui amène naturellement les entreprises à se positionner par rapport à un raccordement en fibre.

La volonté de l'Arcep a toujours été d'introduire de la concurrence sur le marché entreprise notamment sur le marché de gros de la fibre optique, y compris avec un marché dynamique d'offres de gros activées. Je me réjouis de voir que ce marché commence à mûrir un peu. Mais ce n'est pas le raccordement télécoms qui résout la question de la numérisation des PME, la numérisation est un processus beaucoup plus complet de transformation des entreprises.

Ariel TURPIN
Avec l'arrivée des offres de Free et de Bouygues, on parle surtout de l'offre professionnelle sur les réseaux mutualisés, mais il existe aussi des réseaux qui sont dédiés au marché professionnel, c'est ce que l'on appelle les RIP de première génération ou RIP 1G. Ces réseaux commencent à arriver progressivement à échéance ; ne faut-il pas commencer à investir pour les moderniser, les étendre, ou pour faire évoluer le niveau de services qui y est proposé ? Patrick Chaize, quel bilan faites-vous de ces réseaux de première génération et quel pourrait en être le futur ?

Patrick CHAIZE
Il faut tirer les enseignements des RIP 1G. Paradoxalement, sur les RIP 1G, les problèmes de raccordement ou autres sur le marché entreprise disparaissent… En fait, l'objectif est atteint et la concurrence se fait ; les solutions existent et les entreprises parviennent avoir une plus grande appétence pour la fibre. Je pense donc qu'il y a peut-être un problème ailleurs que sur la question exclusive des raccordements... Pour un grand nombre d'opérateurs, ce n'était pas une priorité d'aller capter des entreprises alors même que d'autres offres, peut-être plus alléchantes pour eux, existaient. Comme pour les zones très denses, les opérateurs ont priorisé certaines interventions au détriment d'autres.

Les RIP 1G démontrent tout l'intérêt de l'investissement mis par les collectivités dans ce secteur et rejoignent la question précédente. Je suis convaincu que les RIP 1G s'inscrivent dans les questions de souveraineté parce qu'ils permettent une régulation locale, une possibilité d'offrir le service attendu pour permettre aux entreprises d'accéder au numérique.

Nous devrons, dans les mois ou les années qui viennent, être très attentifs à ce sujet parce que la fibre devient le réseau de référence, le réseau attendu par l'ensemble des utilisateurs (qu'ils soient particuliers et surtout entreprises) qui veulent de la compétitivité, de la compétence et des services supplémentaires. Pour moi, le bilan des RIP 1G est très positif car ces réseaux ont ouvert la voie sur le développement de la fibre optique. Si aujourd'hui les chiffres sont tels, c'est aussi grâce à ces initiatives qui ont démontré tout l'intérêt et la pertinence des réseaux de fibre.

Aujourd'hui, il faut continuer à réfléchir à cette façon de voir les choses. Je constate qu'un grand nombre de collectivités réfléchissent à mettre en place des réseaux propres qui démontrent tout l'intérêt de cette organisation. Avec la Banque des Territoires, l'Avicca regardera cette question de très près dans les prochains mois.

Ariel TURPIN
Nous abordons la dernière partie de cette table ronde avec des questions plus ciblées. Madame la Présidente de l'Arcep, le sujet de la fermeture du cuivre été évoqué par le Secrétaire d'État dans son propos liminaire. Il y a quelques jours, un premier atelier a été organisé par l'Arcep sur la fermeture du cuivre, un atelier réservé aux collectivités qui a été très apprécié sur la forme et sur le fond. Pouvez-vous en dire un peu plus sur le calendrier du régulateur et les prochaines grandes échéances de ce dossier qui regroupe plusieurs thématiques de l'Observatoire du THD (complétude des raccordements, etc.) ?

Laure de LA RAUDIÈRE
Nous incitons Orange à avancer rapidement sur la fermeture du réseau cuivre. Il n'est pas supportable économiquement pour le secteur, d'imaginer garder les deux réseaux en parallèle. C'est aussi un enjeu vis-à-vis de l'environnement, car la fermeture du réseau cuivre aura un bénéfice environnemental. Nous demandons donc à Orange de nous présenter un calendrier détaillé de fermeture du cuivre, et nous insisterons naturellement pour que cette fermeture se déroule dans le bon ordre. En fait, l'Arcep se positionne en garant des bonnes procédures de fermeture de ce réseau.

Ce qui est en cours aujourd'hui et qui a été présenté aux collectivités dans le cadre de cet atelier, ce sont les expérimentations de fermeture du réseau cuivre. La première était celle de Lévis-Saint-Nom dont le réseau a été fermé le 31 mars. Orange a annoncé un certain nombre d'autres expérimentations à venir et nous serons associés à leur mise en oeuvre avec l'opérateur. L'idée d'Orange est de faire des expérimentations qui regrouperaient la plupart des cas de figures susceptibles d'être rencontrés au moment de la fermeture en grandeur nature. Orange a aussi annoncé les premières fermetures commerciales à l'adresse avec un premier lot de tests de fermeture à l'adresse de commercialisation de l'ADSL ou du réseau cuivre le 18 mai prochain. Là aussi, l'Arcep sera le garant du bon déroulement de cette phase et notamment du respect des enjeux concurrentiels. Nous avons bien prévu de continuer à associer les collectivités dans le cadre de réunions de travail. Nous considérons que les collectivités sont un partenaire important pour la bonne réussite de ce grand projet qu'est la fermeture du réseau cuivre.

Ariel TURPIN
Merci Madame la Présidente. L'Observatoire du THD a mis en exergue à la fois la hausse des attaques contre les systèmes d'information, publics et privés, et la prise de conscience par les acteurs publics de cette menace grandissante. Nous organisons dans le cadre de ce colloque une table ronde sur la cybersécurité avec l'ANSSI, l'IN.CRT, et trois collectivités qui témoigneront sur les attaques qu'elles ont subies et sur les actions à mener ensuite pour remettre la machine en route.

La Banque des Territoires accompagne les collectivités locales sur ce sujet et elle est déjà intervenue dans des ateliers à nos côtés. Antoine Troesch, pouvez-vous dire quelques mots sur vos actions ?

Antoine TROESCH
La cybersécurité est une question de vitesse : à quelle vitesse la menace avance et à quelle vitesse la protection se déploie. Aujourd'hui, la capacité de protection des collectivités territoriales est faible ou mesurée et notre but est d'accélérer la vitesse de déploiement de cette protection face à une vitesse quasiment infinie de déploiement de la menace.

En France, peu d'équipes d'investissement ont un pôle confiance numérique comme la Banque des Territoires a la chance d'en avoir un. Nous avons une capacité d'intervention et j'ai la chance de compter dans mes équipes plusieurs personnes qui sont de vrais spécialistes sur ce sujet.

Nous pensons que la protection des collectivités face à cette menace passe par un mix de solutions. Premièrement, il faut des solutions simples et maniables par des équipes non expertes. Une grande entreprise a les moyens de sa protection et dispose en général d'équipes expertes pour la protéger ; ce n'est pas le cas d'une petite collectivité territoriale. Deuxièmement, il faut des solutions accessibles aux budgets limités des collectivités territoriales en la matière, même si elles ont pris conscience du danger et qu'elles augmentent leurs budgets. Troisièmement, il faut évidemment des solutions qui soient mutualisables entre les acteurs territoriaux, car il y a énormément d'échanges de données entre les acteurs.

La Banque des Territoires utilise la totalité de ces outils. C'est une institution qui finance, mais aussi qui conseille et opère. La première chose que nous avons faite est de publier un guide de la cybersécurité à destination des collectivités territoriales (« Guide pratique pour une collectivité et un territoire numérique de confiance » disponible sur le site de la Banque des Territoires), et nous déployons ce travail de pédagogie auprès des collectivités territoriales.

Le coeur de notre métier est l'investissement et nous sommes prêts à y aller franco. Je pense à la start-up nation : nous déployons pas mal d'argent en corporate venture pour accompagner des acteurs nationaux sur le sujet.

Troisièmement, un mandat du PIA va bientôt concerner le sujet en 2021, et nous avons l'ambition de l'opérer : il s'appelle « cybersécuriser les territoires », avec un appel à manifestation d'intérêt qui sera lancé à la fin de l'année.

En conclusion, contrairement à d'autres sujets plus compliqués en matière d'attraction de financements, c'est un sujet qui a le vent en poupe - d'ailleurs les valorisations sont très élevées sur les sociétés de cybersécurité en ce moment. Je n'ai donc pas de doute sur le fait, que la Banque des Territoires, en tant que catalyseur d'investissements publics-privés, va pouvoir attirer des investisseurs à ses côtés sur ce sujet.

Ariel TURPIN
Monsieur le Secrétaire d'État, vous souhaitez réagir ?

Cédric O
Effectivement, la cybersécurité est une question clé et il faut que tout le monde s'en préoccupe.

C'est vrai des hôpitaux, des collectivités territoriales, des individus, des TPE-PME… Il ne se passe pas trois jours sans que je reçoive un mail de l'ANSSI me signalant que telle collectivité est attaquée, ou tel hôpital, telle entreprise… Cela ne finit pas toujours dans la presse, mais nous devons vraiment prendre tous conscience que tout le monde est concerné.

Concernant la campagne de communication que j'avais annoncée, il s'est passé depuis octobre dernier différents événements, l'espace médiatique n'est pas infini et la disponibilité de nos concitoyens en dehors de la crise sanitaire était restreinte. Si on veut lancer une campagne de communication sur le fait que les choses ont progressé, de façon à ce que tout le monde puisse en retirer les bénéfices (les collectivités qui ont agi, les institutions, le régulateur, les industriels, etc.), ce sera plutôt en septembre. Il faut sortir de la pandémie, et nous visons plutôt la rentrée pour cette campagne de communication.

Dernier élément, je regrette d'avoir peu de temps pour évoquer le sujet, c'est le rachat des pépites françaises. Il faut sortir du fantasme de l'écosystème franco-français. Un écosystème où il n'y a que les Français qui rachètent ou qui créent des entreprises, ça n'existe pas. Aujourd'hui, notre modèle, ce doit être Israël. Il y a une compétition mondiale pour attirer les financements étrangers. Dans le fond, en caricaturant, les États-Unis ont construit leur puissance économique sur les financements venant de l'épargne des Européens et les investissements des Moyen-orientaux et des Asiatiques. Nous avons besoin de faire la même chose, c'est-à-dire d'attirer des investisseurs étrangers en masse parce que nous n'avons pas l'argent pour investir nous-mêmes dans notre écosystème…

Si l'on veut que des investisseurs étrangers investissent en masse, je pense que le meilleur exemple est Israël. Proportionnellement, si on sait faire le même écosystème en France, ce n'est pas 5 milliards d'euros qui seront investis dans les entreprises du numérique en France chaque année, mais 20 ou peut-être même 30 milliards d'euros.

Nous avons besoin d'attirer beaucoup plus d'investisseurs étrangers, et si on veut les attirer il faut qu'ils rentrent dans leurs frais. Nous allons donc devoir vendre des start-up à ceux qui les achètent aujourd'hui, à savoir les très grands acteurs du numérique. Ce n'est pas vrai, dans aucun pays du monde, que ce sont les grandes entreprises traditionnelles qui rachètent les acteurs du numérique. Ceux qui rachètent les acteurs du numérique, c'est Facebook, Google, etc.

Des entreprises françaises rachèteront des acteurs du numérique le jour où Doctolib, Mirakl, Shift Technology ou Vestiare Collective, etc. pèseront non pas un milliard d'euros mais 15 milliards. Dans 2-3 ans, ce sera le cas, il y aura des fusions-acquisitions françaises mais, en attendant, il faut accepter qu'une partie de nos start-up soit rachetées par des acteurs étrangers.

Il ne faut évidemment pas vendre les start-up qui ont des savoir-faire technologiques liés à la défense nationale, mais tous ceux qui ont investi dans des entreprises qui valent aujourd'hui 100, 200, 500 millions, voire un milliard d'euros, il faut qu'ils rentrent dans leurs investissements. Quand Cegid rachète Talentsoft ou quand Legrand achète Netatmo, c'est une excellente nouvelle, mais en vérité les très grandes entreprises traditionnelles rachètent très peu.

Par conséquent, nous allons continuer à vendre une partie de nos start-up tant que nous n'aurons pas de très grands acteurs du numérique. Je le regrette, je préférerais que ce soit des Français qui fassent du M&A (merger & acquisition), mais je ne peux pas assumer la responsabilité de ce que nous avons abandonné sur Internet pendant 25 années.

Nous arrivons bientôt au moment où nous allons commencer à consolider cette souveraineté, mais il faut se rendre compte que nous sommes très en retard. Un rattrapage est en cours depuis 4-5 ans, mais nous avons 25 ans de retard… Nous devons donc nous comporter comme des gens qui ont 25 ans de retard avec la détermination qui est la nôtre et la nécessité de construire quelque chose. Encore une fois, si l'on veut être très fort et souverain, il faut être international, nous n'avons pas le choix. Il y a une compétition mondiale pour attirer les financements et c'est pour cela que les réformes fiscales sont indispensables : si nous voulons l'argent des Chinois, des Moyen-orientaux ou des Américains pour construire ici un écosystème avec des Gafa européens, il faut que, fiscalement, nous soyons au bon niveau de la compétition internationale.

Ariel TURPIN
Merci Monsieur le Secrétaire d'État.

Cédric O et Laure de La Raudière ont dû quitter la table ronde, mais il reste un sujet de l'Observatoire du THD que nous n'avons pas encore évoqué, c'est la thématique des territoires connectés.

Étienne DUGAS
L'objectif était d'interpeller le Secrétaire d'État sur le lancement d'un grand plan « France Territoires connectés et durables ». L'objectif est de se caler sur le plan France Très haut débit qui a très bien fonctionné, comme l'Observatoire du THD l'a montré, avec un État stratège, des collectivités territoriales maîtres d'ouvrage et des industriels à la manoeuvre.

Nous voyons fleurir un peu partout des projets plus ou moins industrialisables, et pour les industriels, il est important qu'il y ait un modèle afin que l'on puisse industrialiser toutes les briques de ces territoires connectés et durables. Pour cela, nous aurions vraiment besoin de l'État. L'étude PIPAME qui est en cours dans le cadre du contrat stratégique de filière arrivera à son terme durant l'été. J'espère que Cédric O pourra rebondir sur cette étude pour lancer, dans le cadre de France relance, un grand plan France Territoires connectés et durables.

Patrick CHAIZE
C'est un objectif auquel l'Avicca adhère pleinement. Pour pouvoir être pertinent, il faut de la coordination. Il existe une multiplicité d'appels à projets, tout le monde essaye de construire et d'apporter sa contribution sur le sujet de l'IoT. Si on veut être le plus efficace possible, la solution a été démontrée par le plan France Très haut débit et le plan France Mobile. L'idée serait de pouvoir monter un plan national France Territoires connectés pour répondre à cet objectif. Hormis la question financière qui peut peut-être poser des difficultés, tous les ingrédients sont réunis.

Comme le ministre l'a rappelé, il faut que nous puissions être présents, accompagner et montrer toute la puissance et l'intelligence de nos entreprises nationales sur ce secteur d'activité qui est un secteur d'avenir et de développement. Par conséquent, nous relaierons également auprès du ministre cette demande qui est partagée par l'ensemble de nos adhérents.

Antoine TROESCH
Dans les nombreuses discussions que nous avons avec le gouvernement sur un autre sujet qui est le déploiement des bornes de recharge pour véhicules électriques, il y a un nouveau plan d'infrastructure. On prend très souvent l'exemple de la réussite du plan France Très haut débit pour discuter et structurer les choses. Étienne Dugas parlait de la vision que vous aviez eue collectivement, il y a 20 ans ; sur le véhicule électrique, nous en sommes au début et nous essayons de structurer les choses de la même manière.

J'aime beaucoup la proposition qui est faite d'élargir le sujet. Territoires connectés, c'est l'infrastructure dont on est en train de s'occuper, avec encore beaucoup de sujets comme on l'a vu aujourd'hui. C'est aussi la digitalisation des services : une partie des 26 milliards d'euros du plan de relance de la Caisse des Dépôts est en fait dédiée à la digitalisation des services (ecommerce, e-santé, etc.). Nous avons mis une enveloppe importante sur ce sujet car il y a énormément de choses à faire. C'est également l'inclusion numérique : nous venons de signer avec le Secrétaire d'État le mandat « conseiller numérique » pour recruter 4 000 conseillers dans les territoires, lesquels devront s'occuper des 13 millions de Français éloignés du numérique. C'est enfin la souveraineté et la cybersécurité… S'il manque une de ces briques, l'édifice global ne tiendra pas.

Notre pays est excellent dans les infrastructures, ce plan le montre, mais il est moins bon dans le financement de l'innovation. Honnêtement, lorsque nous étudions les dossiers et les structures de financement, dès qu'il y a un EBITDA négatif, la porte se referme assez vite. Le positionnement culturel sur le financement de l'innovation est un sujet sur lequel nous devons travailler avec le gouvernement et l'ensemble des acteurs : ce n'est pas grave de perdre de l'argent pendant quelques années, c'était le cas des Gafa dans la décennie 2000, et même 2010. Nous devons opérer ce changement de culture, y compris avec l'Europe. La BEI nous accompagne sur des sujets difficiles et je souhaite saluer le changement de posture de la part des instances européennes sur le financement de l'innovation dans le secteur du digital et des télécoms.

Ariel TURPIN
Merci à tous les intervenants. Nous reparlerons des raccordements FttH lors de la dernière table ronde. Ce sujet nous a inspiré une petite vidéo dans la lignée de l'exposition Moodstoc que nous avions organisée au TRIP d'automne 2019. C'était à l'époque un peu un catalogue des horreurs du mode STOC pour sensibiliser l'écosystème aux problématiques que nous rencontrions sur le terrain, mais nous avons voulu montrer cette année qu'il y a aussi de très belles choses à voir, avec l'aide du syndicat mixte Val d'Oise Numérique que nous remercions.


Source https://www.avicca.org, le 7 juin 2021