Texte intégral
Mme a présidente.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure (nos 4387, 4442).
Présentation
Mme la présidente.
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice.
Je suis heureux de vous présenter le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, que j'ai le plaisir et l'honneur de défendre avec mes collègues Gérald Darmanin et Marlène Schiappa.
Le 14 avril dernier, un arrêt de la Cour de cassation a confirmé la déclaration d'irresponsabilité pénale du meurtrier de Mme Sarah Halimi en reconnaissant que l'auteur avait agi sous le coup de l'abolition de son discernement, tout en consacrant le caractère antisémite de ce crime. Cette décision a provoqué un sentiment légitime d'injustice. Il est pourtant nécessaire de rappeler que le droit a été respecté : aujourd'hui, lorsqu'un mis en cause a provoqué lui-même la perte de son discernement, il ne peut répondre devant les juges des actes qu'il a alors commis.
Cette affaire, comme l'a relevé à juste titre l'avocate générale près la Cour de cassation dans ses réquisitions, a mis au jour une faille dans notre droit : l'impossibilité pour le juge de distinguer les situations en fonction de l'origine de la perte de discernement. Face à l'incompréhension provoquée par ce vide juridique, le Président de la République m'a donné mandat pour faire évoluer le régime de l'irresponsabilité pénale en comblant ses lacunes.
Pour aboutir à ce texte, j'ai mené de larges consultations auprès des psychiatres, des magistrats, des avocats et des représentants des cultes. Je me suis également nourri des conclusions de la mission flash transpartisane conduite par Naïma Moutchou et Antoine Savignat, qui ont également souligné avec pertinence la nécessité de faire évoluer notre droit. Le consensus qui s'est ainsi dégagé reposait sur deux points : d'abord, la nécessité de modifier la loi pénale ; ensuite, l'extrême prudence dont il fallait faire preuve pour respecter nos exigences constitutionnelles. En démocratie, on ne juge pas les fous. En revanche, et c'est tout l'objet de nos débats, il nous faut pouvoir faire la distinction entre l'individu qui, atteint d'une pathologie psychiatrique, commet des faits répréhensibles et celui qui doit sa folie à la consommation volontaire de produits psychotropes.
J'ai lu à plusieurs reprises dans la presse que les dispositions de ce texte ne satisfaisaient totalement personne. Mais qu'aurions-nous entendu si nous avions proposé soit de juger les fous, soit des mesures totalement cosmétiques ? Nous avons au contraire réussi à trouver un subtil équilibre entre l'exigence de nos grands principes et la volonté exprimée par les Français. Car, je le rappelle, c'est la société qui fait le droit et non l'inverse.
Ainsi, ce projet de loi propose deux évolutions majeures.
Tout d'abord, il introduit une seule et unique dérogation au régime de l'irresponsabilité pénale, lorsque l'abolition du discernement résulte d'une intoxication volontaire pour se donner du courage. Lorsque le mis en cause se drogue ou s'alcoolise, il ne pourra plus faire l'objet d'une déclaration d'irresponsabilité pénale. Se donner les moyens d'un passage à l'acte parfaitement assumé ne devra plus permettre à son auteur d'échapper à sa responsabilité pénale. Il s'agit certes d'un cas tout à fait exceptionnel, mais il serait inconcevable, par exemple, que des terroristes qui s'intoxiquent au Captagon pour aller au bout de leur logique meurtrière ne puissent pas être jugés. Comme vous le savez, cette hypothèse n'était pas établie dans l'affaire Halimi.
Pour appréhender au mieux les situations similaires, deux nouvelles infractions seront créées. Ces infractions sanctionneront lourdement la consommation volontaire de psychotropes qui a provoqué l'état de folie sous l'empire duquel l'auteur a commis soit des violences, soit un homicide. Toutefois, comme l'a rappelé dans son avis le Conseil d'État, un délit doit également se caractériser par son intentionnalité. Il est donc nécessaire que l'individu qui commet ces actes après avoir pris des substances psychoactives ait eu conscience qu'il mettait alors délibérément autrui en danger. Les débats en commission nous ont permis d'arriver à un compromis qui préserve la constitutionnalité de la nouvelle infraction et appréhende plus largement les situations concernées. C'est cette solution qui vous sera proposée par la rapporteure Naïma Moutchou.
Les peines seront par ailleurs aggravées jusqu'à quinze ans de réclusion criminelle si l'homicide a été commis par une personne ayant déjà été déclarée irresponsable d'un homicide commis dans les mêmes circonstances.
Enfin, comme les travaux en commission l'ont montré, un certain nombre de délits n'étaient initialement pas couverts par ces nouvelles infractions autonomes, comme l'ont souligné vos collègues Avia et Mazars. Le Gouvernement sera donc favorable à l'extension des nouvelles infractions aux cas de viol, d'actes de torture et de barbarie, et d'incendie volontaire ayant entraîné la mort. Je tiens d'ailleurs à remercier les députés qui nous ont permis d'enrichir le texte en commission et qui apporteront de nouvelles améliorations lors des débats à venir : je pense tout particulièrement à Coralie Dubost et à Jean Terlier, mais également aux députés Blandine Brocard et Dimitri Houbron.
Ce projet de loi comporte par ailleurs des dispositions procédurales ayant pour objet de renforcer l'effectivité de la réponse pénale. Je pense en particulier aux cas où l'identité du mis en cause évolue au gré de l'enquête. En effet, sans identification précise et établie, la loi pénale ne peut s'appliquer. Trois enjeux majeurs et bien identifiés nous ont amenés à vouloir modifier la procédure. D'une part, des actes de délinquance restent impunis, et c'est incompréhensible pour les victimes. D'autre part, des majeurs peuvent se faire passer pour des mineurs, et ainsi bénéficier de dispositifs de protection qui devraient être réservés aux plus vulnérables. À l'inverse, des mineurs ne sont pas reconnus mineurs dans le cadre pénal et sont donc exclus des dispositifs de protection de l'enfance. Nous avons la responsabilité d'instaurer des outils efficaces de prise en charge de ces personnes afin de répondre aux attentes légitimes de tous les acteurs judiciaires et, surtout, de nos concitoyens.
Pour mettre en oeuvre une réponse judiciaire adaptée, il faut d'abord, comme les députés Eliaou et Savignat l'avaient suggéré dans leur rapport, se donner les moyens d'identifier avec précision le mis en cause. Identifier les mineurs délinquants est d'information, de plus, un moyen efficace pour lutter contre les réseaux qui contraignent les jeunes à refuser les prises d'empreintes. La prise d'empreintes, telle que prévue dans ce texte, sera évidemment assortie de garanties procédurales, d'ailleurs renforcées à l'égard des mineurs, pour être conforme, là encore, à nos exigences constitutionnelles.
Ce projet de loi permettra ensuite que soient gardés à la disposition de la justice des prévenus présentés devant une juridiction pénale qui s'est déclarée incompétente, du fait d'une erreur sur leur majorité ou leur minorité, le temps de les réorienter vers la juridiction compétente. C'est, là aussi, une proposition du rapport Eliaou-Savignat, et je tiens à les en remercier. En effet, cette disposition comblera une lacune, qui, en l'état du droit, laisse impunis de très nombreux actes de délinquance. Elle concerne deux situations précises.
Premièrement, certains jeunes délinquants initialement déclarés majeurs voient finalement leur minorité reconnue par le tribunal correctionnel ; il est impératif qu'ils soient pris en charge et non pas relâchés dans la rue, où ils risquent malheureusement de récidiver. Le recours à une courte détention devra être spécialement motivé et le mineur devra être présenté, dans un délai de vingt-quatre heures, devant une juridiction spécialisée qui ordonnera sa prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse et les services de la protection de l'enfance.
Deuxièmement, la mesure concernera les délinquants initialement déclarés mineurs qui voient leur majorité finalement reconnue par le tribunal pour enfants. Ceux-ci devront désormais nécessairement répondre de leurs actes devant le tribunal correctionnel, qui sera immédiatement saisi.
Enfin, comme l'avait indiqué le Premier ministre au printemps dernier, ce projet de loi crée des incriminations spécifiques, aggravant la répression des actes de violence commis à l'encontre de ceux qui assurent notre sécurité dans l'espace public. Il n'est en effet plus tolérable que leur engagement citoyen les érige en cibles. Je tiens à remercier le rapporteur Jean-Michel Mis de nous avoir permis de préciser le champ des agents concernés, grâce à l'ajout des pompiers et des douaniers, qui interviennent sur la voie publique et sont eux aussi particulièrement exposés. Le Gouvernement sera en outre favorable à l'ajout des gardes champêtres, car leurs missions rejoignent celles de la police municipale. (Mme Emmanuelle Ménard applaudit.)
Voilà les principales mesures dont nous serons amenés à débattre, s'agissant des articles qui ressortissent au ministère de la justice. Elles poursuivent toutes le même objectif : améliorer la réponse pénale pour répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem, LT et Agir ens.)
Mme la présidente.
La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur.
Après le garde des sceaux, qui est revenu sur les parties les plus essentielles du texte, il me revient d'évoquer quelques mesures qui peuvent paraître de moindre importance au regard des dispositions touchant à l'irresponsabilité pénale, mais qui, in concreto, amélioreront la sécurité de nos concitoyens en protégeant les forces de l'ordre dans leur action et en leur donnant des moyens supplémentaires pour assurer leur sécurité, en pleine cohérence avec les textes que vous avez très largement votés, notamment la proposition de loi relative à la sécurité globale. Ces mesures sont également en lien direct avec l'augmentation sans précédent des crédits de la mission Sécurités, dans le budget alloué au ministère de l'intérieur,…
M. Éric Ciotti.
L'augmentation de la délinquance aussi est sans précédent !
M. Gérald Darmanin, ministre.
…pour 1,7 milliard d'euros depuis quatre ans, qui sera suivie d'une nouvelle augmentation de 1,5 milliard d'euros dans le budget pour 2022 que j'aurai l'honneur défendre. Tout le monde devrait s'en réjouir : jamais nous n'avons mis autant de moyens dans la police, dans la justice, dans les armées, c'est-à-dire dans le réarmement régalien de la nation.
M. Ugo Bernalicis.
Après que Sarkozy les a diminués !
M. Gérald Darmanin, ministre.
Disons qu'il y a ceux qui en parlent, et ceux qui le font.
Ce texte vous offre la possibilité de renforcer le travail des forces de l'ordre sur quatre points. Premièrement, il s'agit de lutter contre les refus d'obtempérer, qui pourrissent la vie de nos concitoyens et des forces de l'ordre, puisque ces délits se produisent toutes les dix-sept minutes sur le territoire national et causent parfois la mort – celle, par exemple, de la gendarme Mélanie Lemée, âgée de 26 ans, sur les routes du Lot-et-Garonne ou celle du policier Éric Monroy, au Mans, après qu'un chauffard a refusé de s'arrêter pendant une intervention de nuit. Oui, un refus toutes les dix-sept minutes, cela cause évidemment de nombreux blessés, de nombreux morts parmi nos concitoyens.
Les délits routiers, ces agressions, prennent parfois une autre forme, celle des rodéos urbains. Les groupes parlementaires Les groupes LaREM, Dem et LR ont particulièrement travaillé pour améliorer les dispositifs en la matière – soit en imaginant des moyens juridiques supplémentaires, soit en étudiant l'application de la loi du 3 août 2018. Cette loi fonctionne. M. le garde des sceaux a eu l'occasion de présenter la réponse pénale, particulièrement renforcée depuis une année, puisqu'en 2020, près de 600 engins ont été détruits ; surtout, le nombre d'actions publiques et de condamnations liées aux rodéos urbains a été multiplié par cinq.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux.
Par dix, même !
M. Gérald Darmanin, ministre.
Cela ne suffit sans doute pas, car il manque des mesures conservatoires, demandées par les parlementaires dans le rapport d'information sur l'évaluation de l'impact de cette loi. Par ailleurs, le quantum des peines pour le refus d'obtempérer est actuellement trop petit ; nous le doublons, afin de permettre aux policiers, aux gendarmes, aux procureurs de la République et aux magistrats d'apporter une réponse à la hauteur de ces faits. Jusqu'à présent, ce délit n'était pas puni à la même hauteur que les autres délits routiers les plus graves.
Enfin, nous permettons une bien meilleure identification des auteurs de ces infractions – qui causent la mort, comme je l'ai répété plusieurs fois. Nous pourrons ainsi les retrouver. Ainsi, nous protégeons les forces de l'ordre et continuons la lutte contre la délinquance routière, comme il le faut, car elle très importante.
Deuxièmement, nous créons avec ce texte la réserve opérationnelle de la police nationale. Cette disposition, inscrite dans la proposition de loi relative à la sécurité globale déposée par M. Jean-Michel Fauvergue et Mme Alice Thourot, a été censurée par le Conseil constitutionnel pour des raisons non pas de fond mais de forme, le Conseil estimant qu'il s'agissait d'un cavalier législatif et invitant le Gouvernement à reprendre la mesure ab initio , dans un projet de loi. Dont acte.
C'est bien volontiers que nous vous présentons cette arme, qui permettra de renforcer le lien entre la police et la population – une mesure similaire a extrêmement bien fonctionné pour la gendarmerie nationale, comme vous l'avez vu, avec un doublement des effectifs de réserve. Le lien direct avec la population est très important pour les effectifs de la police nationale.
Cela permettra à nos concitoyens et concitoyennes qui le souhaitent d'entrer quelques jours par mois dans la police nationale, comme c'est déjà le cas dans la gendarmerie, et d'augmenter les effectifs présents sur le terrain dès l'entrée en application du budget pour 2022. Les interventions de nos concitoyens pourront sans doute être centrées sur des thèmes – on n'a pas toujours envie d'entrer dans la police ou la gendarmerie pour procéder à des contrôles routiers, lutter contre les stupéfiants ou mener un travail d'éducation dans les écoles. Certains ont une vocation particulière : je pense à la lutte contre les violences conjugales, à la protection des enfants ou à l'éducation routière. Nous proposerons donc qu'il soit possible à nos concitoyens de s'engager dans la réserve opérationnelle sans porter ni arme ni uniforme, et pour la thématique qu'ils auront choisie. C'est le sens du combat citoyen que beaucoup mènent, dans la police comme ailleurs.
Troisième sujet : l'image. Elle est partout, M. le garde des sceaux le sait bien. Elle nous permet de juger, de jauger, d'apprendre, de comprendre le monde numérique dans lequel nous vivons – y compris dans le domaine de la sécurité, donc de la justice. Trois types de dispositions sont concernés. Premièrement, concernant la vidéosurveillance des personnes en garde à vue, l'avis du Conseil constitutionnel, comme plusieurs rapports, rédigés par Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté ou par des députés, ont été pris en compte, et le travail mené en commission des lois sur ce point a été heureux. Il a abouti à un équilibre permettant à la fois de respecter la vie privée des personnes et, ne le cachons pas, de prévenir les suicides, les agressions ou les difficultés qui peuvent survenir dans les locaux de garde à vue. Le Gouvernement n'est pas favorable à ce que l'avocat de la personne gardée à vue soit prévenu, car cela alourdirait de manière inefficace la procédure alors que nous essayons de la simplifier – nous aurons l'occasion d'y revenir.
Concernant les drones, j'ai eu l'occasion de dire qu'en France, tout le monde pouvait en faire voler, sauf la police et la gendarmerie.
M. Ugo Bernalicis.
Ce n'est pas vrai !
M. Gérald Darmanin, ministre.
Il est donc normal de prévoir un cadre juridique le leur permettant. Je remercie le Conseil d'État de l'avoir validé et me réjouis de notre discussion sur les conditions administratives ou judiciaires d'un tel usage des drones et autres aéronefs permettant de filmer.
Enfin, les caméras embarquées dans les véhicules des forces de sécurité renforceront la sécurité de nos concitoyens. Dans des endroits dépourvus de vidéoprotection, ces caméras, orientées vers la route, permettront de sécuriser autant que possible les interventions de police et de gendarmerie et de retrouver les auteurs d'actes délictueux, en vue de les présenter à la justice.
J'en profite pour vous annoncer, mesdames et messieurs les députés, que les dispositions que vous avez votées concernant les caméras-piétons il y a seulement quelques semaines sont déjà appliquées : la flotte a été entièrement renouvelée avec des équipements d'une autonomie supérieure à douze heures, comme je m'y étais engagé. Chaque brigade de police et de gendarmerie pourra en bénéficier d'ici à la fin du mois d'octobre, car le déploiement a été extrêmement efficace, conformément aux annonces du Président de la République, que vous avez sans doute entendues.
Les images de ces caméras-piétons ne pourront être modifiées, conformément à la loi pour une sécurité globale préservant les libertés. Elles seront enregistrées par les policiers et les gendarmes lors de leurs interventions et pourront être consultées par ceux-ci pour écrire notamment les rapports destinés à la justice. C'est une grande avancée, dont je voulais rendre compte au Parlement.
Enfin, après la lutte contre les délits routiers et les rodéos, la création de la réserve opérationnelle de la police nationale et l'usage des images, j'en viens au contrôle des armes. Nous avons appris du drame d'Ambert, où trois gendarmes ont été lâchement assassinés l'hiver dernier ; de la multiplication des cas de violences intrafamiliales, où des forcenés font usage d'armes qu'ils n'ont pas déclarées ou qu'ils détiennent à cause de situations administratives complexes ; de l'augmentation de la présence des armes dans les trafics de drogue. Nous soumettons donc à votre approbation plusieurs dispositions de nature législative, visant notamment à améliorer et à renforcer le fichier national des interdits d'acquisition et de détention d'armes.
Ce texte donnera donc aux forces de l'ordre de nouveaux moyens de nous protéger. Il renforcera le lien entre les Français et leur police et donnera enfin un statut juridique, auquel nous réfléchissons depuis tant de mois, à la captation d'images. Enfin, il répond avec force et de manière intéressante à la multiplication des actes contre les personnes, notamment les violences intrafamiliales. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 28 septembre 2021