Texte intégral
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mon invitée, c'est Emmanuelle WARGON, la ministre chargée du Logement. Bonjour.
EMMANUELLE WARGON
Bonjour.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, c'est un peu l'heure du bilan maintenant, on arrive à la fin du quinquennat, en matière de politique de logement, il y a un constat, 200 000 logements qui manquent chaque année pour faire face à la demande, on n'a pas réussi quand même à doper effectivement cette production de logements et cette offre de logements. Alors, vous allez essayer encore une ultime fois de le faire dans le projet de loi de Finances 2022, dont vous défendez aujourd'hui, à partir d'aujourd'hui la partie, le volet logements. Ce constat quand même, de cette tension sur le marché du logement en France, vous l'expliquez comment, globalement, pourquoi est-ce qu'on n'arrive pas à faire face à la demande de logements ?
EMMANUELLE WARGON
On a à la fois besoin de logements neufs, et on a besoin que plus de logements existants vacants retournent sur le marché. Pour le neuf, on a quand même tous vécu la crise Covid, qui, pour la construction de logements, a été, si je peux dire, aggravée par le fait que les élections municipales se sont étalées toute l'année 2020, ce qui veut dire que, comme il y a toujours un trou dans les permis de construire, les maires octroient moins de permis juste avant les élections, et ça reprend doucement après les élections, on a vraiment une année dans laquelle on a eu moins de permis de construire, l'année 2020, ça repart pas mal en 2021…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça continue quand même, les promoteurs nous disent quand même qu'il y a toujours une réticence de certains élus locaux.
EMMANUELLE WARGON
Alors, ça repart plutôt bien quand on regarde les chiffres en 2021, on n'est pas très loin de là où on était en 2019, en 2021, un peu plus de 450 000 permis de construire octroyés, on a des réticences des maires néanmoins, notamment dans les zones déjà construites, notamment quand il s'agit de donner des permis de construire à des immeubles, dans les grandes villes, dans les grandes métropoles, or, on en a toujours besoin. Donc on continue avec des mesures fiscales favorables pour les élus, pour le logement social, et en général, avec d'ailleurs une contractualisation que nous avons prévue entre l'État et les maires, pour inciter les maires à construire, et contractualiser, et que l'État puisse aider, soit avec une aide directe aux maires, 1 500 euros par logement, soit aussi indirectement par exemple avec le fonds Friches qui permet de boucler des opérations sur des zones qui sont des friches, dans lesquelles il n'y a plus rien, et c'est très utile. Ça, c'est pour le neuf. Et pour le neuf toujours, nous continuons avec l'avantage fiscal Pinel, mais je pense qu'on y reviendra. Et puis après, il y a les logements existants, et on n'oppose vraiment pas les deux, on a besoin des logements existants, on a besoin de les rénover.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il y a encore beaucoup de logements vacants ?
EMMANUELLE WARGON
Alors, c'est difficile à dire, parce que tout le monde n'est pas d'accord sur les chiffres, au ministère, on considère qu'on a à peu près 1,6 million de logements vacants…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est beaucoup.
EMMANUELLE WARGON
Dont à peu près 200 à 300 000 vraiment vacants dans les zones dites tendues, c'est-à-dire, là où c'est vraiment difficile. Donc c'est aussi pour ça que j'arrive aujourd'hui avec une nouvelle aide fiscale, enfin, une amélioration, qui s‘appelle "Louer abordable", qui s'applique aux logements existants.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, on va parler de ces deux dispositifs, d'abord, vous le disiez, la reconduction, enfin, la réforme quand même du Pinel, qui va devenir quand même moins avantageux pour les investisseurs, en immobilier locatif, en tout cas, vous allez restreindre les conditions ; est-ce que c'était vraiment le bon moment pour restreindre les conditions d'accès au Pinel ?
EMMANUELLE WARGON
Alors, d'abord, on ne les restreint pas, maintenant, c'est une décision que nous avons prise l'année dernière, et en immobilier, je pense que vous m'accorderez que la visibilité et la lisibilité sont très importantes, les investisseurs ont besoin de savoir quel est le régime fiscal applicable, non seulement, maintenant, mais dans deux ans, dans trois ans. Donc pour le Pinel, nous avons annoncé qu'on baissait les taux d'aide, en 2023, puis, en 2024. Et ce que deviendra le régime Pinel après 2024 n'est pas décidé, vous savez qu'il y a aussi beaucoup de critiques notamment de l'Inspection des Finances, mais pas que, sur l'efficacité ou pas de ce dispositif. En période de crise, en période de tension, nous avons fait le choix de le maintenir, avec des taux qui baissent en 2023, puis 2024. Il y a une exception qui est le maintien de l'aide Pinel à taux plein dans un compartiment fiscal qu'on appelle le Pinel +, pour des logements qui sont exemplaires.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
A la fois sur le plan environnemental et sur le plan social, quelque part ?
EMMANUELLE WARGON
Exactement, exemplaire sur le plan environnemental, c'est-à-dire, allant un peu plus loin que la norme environnementale générale du neuf qui s'applique au 1er janvier prochain, et puis, qui va progresser, dont les jalons vont progresser. Mais surtout, ce qui est intéressant, et ça, c'est très nouveau, exemplaire en matière de ce qu'on appelle la qualité d'usage, derrière le mot qualité d'usage, il y a : est-ce qu'on est bien dans l'appartement en question. Et donc, on a plusieurs critères, une taille minimale, pour ne pas avoir des deux pièces toujours plus petits, des trois pièces toujours plus petits…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Un accès extérieur, j'ai vu…
EMMANUELLE WARGON
Un accès extérieur systématique, c'est le cas en gros de 80% du neuf, donc c'est une généralisation. Et à partir du trois pièces, un appartement traversant, c'est-à-dire, avec au moins deux expositions…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Double exposition…
EMMANUELLE WARGON
Deux expositions différentes. Et donc ça, ça permet d'être sûr qu'on met sur le marché des biens locatifs qui seront de bonne qualité pour l'utilisateur tout au long de la vie de l'immeuble.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et donc pour ces appartements…
EMMANUELLE WARGON
Les taux ne baissent pas…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Un maintien des critères, enfin, des avantages Pinel…
EMMANUELLE WARGON
Exactement, les taux d'aide qui dépendent de la durée de détention ne baissent pas, ni en 2023 ni en 2024.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, l'autre aspect, vous le disiez, c'est de libérer des… enfin, d'occuper des logements actuellement vacants, et il y a un dispositif qui existe depuis plusieurs années, je sais que vous l'aimez bien, mais peut-être qu'il ne marche pas suffisamment, expliquez-nous.
EMMANUELLE WARGON
Alors, je trouve l'idée super, et on est en train de l'améliorer, l'idée, c'est de dire : quand vous mettez sur le marché, quand vous louez, vous êtes un propriétaire, et vous faites un acte d'utilité sociale, parce qu'il faut vraiment le dire, un propriétaire qui loue à une famille qui cherche à se loger, c'est utile pour la société. Quand vous êtes propriétaire et que vous mettez sur le marché, soit, vous louez au prix du marché, c'est la fiscalité normale qui s'applique, soit, vous acceptez de louer en dessous du prix du marché, et là, c'est bien s'il y a une aide qui compense le fait que vous faites un effort, et que vous décidez de ne pas louer au maximum de ce que vous pourriez faire payer…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Qui compense entièrement ?
EMMANUELLE WARGON
Alors, dans l‘ancien dispositif, qui s'appelle "Louer abordable", qui date de 2017, ce n'était pas complètement au point, ça ne compensait pas intégralement, c'était assez compliqué. Donc là, on le simplifie, et on l'améliore très nettement. Alors simplifier, avant, c'était un loyer en fonction des zones, donc, ce n'était pas très facile de savoir quel était le loyer qui vous donnait droit à l'avantage. Là, c'est beaucoup plus simple, vous prenez le loyer du marché, il y a une carte sur le site du ministère qu'on va rendre encore plus lisible, qui vous donne les loyers de marché, commune par commune, donc, vous savez exactement quel est le loyer de marché de votre commune. Si vous louez 15% en dessous, vous avez un avantage, si vous louez 30% en dessous, vous avez un meilleur avantage. Donc vous savez que si le loyer de marché, c'est 1 000 euros pour l'appartement que vous voulez louer ou la maison, et que vous décidez de louer, soit à 850, soit à 700, vous pouvez calculer votre avantage.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est une alternative aux loyers encadrés, ça, quelque part, c'est une manière…
EMMANUELLE WARGON
C'est un choix personnel du propriétaire de dire : finalement, je ne vais pas forcément essayer de louer le plus cher possible, je vais louer moins cher que le prix du marché à des gens dont les ressources sont plafonnées, comme le Pinel, et je vais m'y retrouver fiscalement, et c'est la beauté de ce dispositif "Louer abordable".
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais ça ne va pas coûter trop cher à l'État tout ça ?
EMMANUELLE WARGON
J'y viens, on s'y retrouve fiscalement puisque vous avez une réduction d'impôts, qui vous permet de réduire l'impôt sur les revenus fonciers, mais en fait, tout votre impôt sur le revenu. Et cette réduction d'impôts, elle est de 15% si vous louez à moins 15%, et elle est de 35% si vous louez à moins 30% du prix du marché. Et donc quand on fait des simulations, vous avez un appartement ou une maison qui vaut 1 000 euros, si vous la louez 1 000 euros, une fois qu'on a fait une hypothèse de charges foncières et une hypothèse d'impôts sur le revenu et de CSG, enfin, ou CRDS, vous avez en gros 450 euros de revenus locatifs nets, dans l'hypothèse où vous êtes imposé à 30% sur l'impôt sur le revenu. Si vous louez à moins 15%, votre revenu net va monter, il sera autour de 500, si vous louez à moins 30%, votre revenu net va encore monter, il sera au tour de 540 ; donc en gros, vous y gagnez légèrement quand vous louez moins cher, et en fonction de votre taux marginal d'imposition, évidemment, et en fonction du choix que vous faites sur la baisse de loyer, et éventuellement l'accompagnement de personnes en difficulté, vous gagnez entre un demi mois de loyer et deux mois de loyers sur l'année en avantage net. Donc c'est vraiment l'amendement Coluche du logement, quoi, c'est-à-dire vous faites une bonne action, parce que c'est une bonne action de louer moins cher, et vous êtes récompensé pour cette bonne action.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que ça va suffire, vous croyez, pour faire rééquilibrer le marché immobilier, on voit en ce moment que, il y a beaucoup de transactions, on a battu des records, un million, cette année, on pensait peut-être faire 1,2 million de transactions sur le marché immobilier, sauf que, il y a des petits signes, des signaux faibles ou le risque que ça s'enraye, on voit que l'apport personnel demandé à ceux qui achètent est de plus en plus important, on voit que le nombre de prêts accordés, le nombre de refus augmente, est-ce que vous n'avez pas peur que le marché immobilier s'enraye ?
EMMANUELLE WARGON
Alors le marché reste très, très dynamique, parce que, un million de transactions, c'était le record toutes années confondues en 2019, on n'avait jamais fait autant, là, on va être au-dessus du million de transactions, donc le marché est très actif. Moi, "Louer abordable", je souhaite vraiment que ça serve à la fois à tous les propriétaires, mais notamment aux propriétaires de logements vacants, qui remettraient sur le marché des logements vacants en se disant : c'est intéressant fiscalement, ce qui est vrai, et ça marche sans avoir besoin de passer par un système spécialisé, et c'est une bonne action. Après, on a un marché donc encore très vivant, vivant non seulement dans les grandes villes, mais aussi dans les villes moyennes, et aussi dans la ruralité, ce qui est une très bonne nouvelle. Et les règles du Haut Conseil à la stabilité financière, elles sont juste là pour éviter que le marché s'emballe tellement…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et le surendettement.
EMMANUELLE WARGON
Et voilà, que ça mette des familles après dans la difficulté…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc pas d'inquiétude que ça casse la dynamique ?
EMMANUELLE WARGON
Pas à ce stade, et puis, on a aussi une aide d'Action logement que nous avons négociée avec Action logement, d'accession à la propriété, 10 000 euros pour des salariés primo-accédants à la propriété. Donc voilà, le système reste quand même assez souple.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Encore une question parce qu'elle a fait l'actualité, elle risque d'animer les débats que vous allez avoir à l'Assemblée nationale, c'est le CREDIT MUTUEL qui décide de supprimer le questionnaire santé pour l'assurance emprunteur, c'est-à-dire, on ne vous demande pas votre état de santé, on ne vous fait pas passer d'examens médicaux, il y a certains députés qui souhaiteraient que ce soit généralisé à l'ensemble de la place, est-ce que vous seriez d'accord ?
EMMANUELLE WARGON
Moi, je trouve que c'est une initiative intéressante, cette initiative du CREDIT MUTUEL. Et peut-être que ça vaut le coup de voir ce que ça donne avant d'en tirer des conclusions sur la totalité du marché. Evidemment, la question, c'est de savoir par si vous répercutez un risque sur la totalité des primes. Donc comment est-ce que les primes d'assurance pour tout le monde évoluent, parce que si ça fait monter la prime de tout le monde, je ne sais pas si c'est totalement une bonne nouvelle, ce n'est pas ce que le CREDIT MUTUEL souhaite faire, puisque…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ils disent qu'ils vont prendre à leur charge le 60 millions d'euros supplémentaire.
EMMANUELLE WARGON
Voilà. Le CREDIT MUTUEL a pris cet engagement. Donc en tout cas, je trouve que c'est dans une direction intéressante et à suivre.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc à tester avant de le généraliser. Merci beaucoup Emmanuelle WARGON, ministre chargée du Logement, d'avoir été l'invitée de Good Morning Business.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 novembre 2021