Déclaration de Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité, sur la politique de l'énergie de l'Union européenne, Assemblée nationale, 1er février 2022.

Prononcé le 1er février 2022

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Circonstance : Débat sur la stratégie de l'Union européenne pour la décarbonation de l'électricité et l'efficacité énergétique à l'horizon 2050, Assemblée nationale, 1er février 2022

Texte intégral

Mme la présidente.
L'ordre du jour appelle le débat sur la stratégie de l'Union européenne pour la décarbonation de l'électricité et l'efficacité énergétique à l'horizon 2050.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.

(...)

M. Jean-Paul Lecoq.
La modernité, c'est la nationalisation ! De l'audace, madame la secrétaire d'État !

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État chargée de la biodiversité.
Merci de nous inviter à réfléchir à la politique énergétique, qui a toujours été au cœur de la construction européenne, depuis la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, la CECA, en 1951 jusqu'au Pacte vert pour l'Europe, qui, aujourd'hui, nous trace la voie pour revoir en profondeur notre mix énergétique et arrêter progressivement l'usage des combustibles fossiles.

En somme, si l'énergie est restée, pour une majeure partie, une compétence aux mains des États membres, elle joue de longue date un rôle d'accélérateur du projet européen. C'est à nouveau le cas aujourd'hui : avec son ambition climatique renouvelée, l'Europe a l'opportunité de se réinventer en devenant le premier continent neutre en carbone à l'horizon 2050 et en assurant sa souveraineté énergétique, dont l'actualité récente nous montre toute l'importance, a fortiori au moment où la crise des prix de l'énergie, et en particulier du gaz, pose des questions lourdes, tant pour ce qui concerne, au quotidien, les citoyens, les entreprises et les acteurs publics, que pour ce qui touche à notre autonomie en termes d'approvisionnement.

Pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 55%, d'ici à 2030, nous devons faire évoluer notre secteur énergétique. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : aujourd'hui, la production et la consommation d'énergie représentent 75% des émissions de gaz à effet de serre européennes. Si, donc, nous voulons opérer cette transition énergétique ambitieuse, nous devons commencer par décarboner l'ensemble de notre économie.

Face à ce défi, l'Europe se dote d'une stratégie fondée sur deux mots d'ordre. Le premier est l'ambition car, pour atteindre nos objectifs climatiques, revus à la hausse, nous devons redoubler d'efforts et opérer une transformation systémique de notre politique énergétique. Le deuxième est la cohérence : en effet, dans la stratégie globale que nous souhaitons mettre en place, il nous faut actionner tous les leviers et faire en sorte que l'ensemble de nos politiques européennes soient en ligne avec nos objectifs énergétiques.

Cet équilibre, nous le recherchons à chaque instant, et la secrétaire d'État à la biodiversité en a parfaitement conscience, car le développement des différents types d'énergie doit toujours se faire en prenant en compte les conséquences environnementales.

C'est l'objet même du paquet législatif Fit for 55 – ajustement à l'objectif 55 –, proposé par la Commission européenne en juillet dernier : il concerne tous les secteurs producteurs et consommateurs d'énergie, l'idée étant que, puisqu'il n'existe pas de solution unique, tous les leviers doivent être actionnés, de la réglementation à la fiscalité, en passant par les systèmes d'échanges de quotas et les dispositifs d'incitation. Il englobe aussi l'ensemble des gaz effet de serre, comme le méthane ou les oxydes nitreux émis par l'agriculture, et traite des puits de carbone. Enfin, il comprend des propositions fortes en termes de financement.

On le voit, la démarche s'inscrit dans le souci de cohérence qui doit animer notre politique énergétique au travers des différents secteurs et des différentes filières.

Dans la perspective qui est la sienne, l'Union européenne a fait de l'efficacité énergétique la première de ses politiques, afin de réduire ses émissions, et d'atteindre, in fine , la neutralité carbone en 2050. En effet, l'énergie la moins polluante reste celle que l'on ne consomme pas.

Par ailleurs, l'efficacité énergétique est aussi un levier primordial pour réduire la facture énergétique de nos concitoyens et pour limiter notre dépendance aux marchés internationaux de l'énergie.

Afin de soutenir cette action de forte, une proposition de révision de la directive sur l'efficacité énergétique a été publiée le 14 juillet dernier par la Commission et est en cours de négociation au sein du Conseil de l'Union européenne. Ce projet est complété, entre autres, par un projet de directive sur la performance énergétique des bâtiments, rendu public en décembre dernier et dont nous commençons l'examen. Le texte a déjà fait l'objet d'échanges informels entre les ministres européens de l'énergie, réunis il y a une dizaine de jours à Amiens, et nous avons pour ambition, dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne (PFUE), d'atteindre un accord d'ici au mois de juin.

Parmi les autres leviers essentiels figurent notamment la codification du principe de primauté de l'efficacité énergétique, pour permettre la prise en compte systématique de cette dernière dans l'ensemble de nos politiques publiques, nationales et européennes ; un rehaussement de l'objectif d'efficacité énergétique pour 2030 inscrit dans la directive ; la mise en place d'obligations annuelles d'économies d'énergie, pour chaque État membre ; ou encore la réduction des dépenses d'énergie dans les bâtiments, dont la consommation représente 40% de l'énergie que nous utilisons en Europe, soit un tiers de nos émissions de gaz à effet de serre.

Dans cette optique, il est primordial d'accélérer le rythme de leur rénovation et de renforcer nos exigences de performance énergétique, comme l'a proposé en décembre la Commission.

À côté de la réduction de notre consommation d'énergie, la décarbonation de notre mix énergétique constitue le second pilier de la stratégie énergétique européenne. Cela passe, avant tout, par un développement ambitieux de nos énergies renouvelables, pour qu'elles se substituent progressivement aux énergies fossiles. Nous défendons également la possibilité pour les pays qui le souhaitent de pouvoir continuer de recourir à l'énergie nucléaire, qui restera pour la France un élément important dans les décennies à venir.

Conjuguer de manière équilibrée la sobriété, l'efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables et l'usage de l'énergie nucléaire est d'autant plus essentiel que la crise actuelle des prix de l'énergie nous rappelle la fragilité de l'Europe, dépendante d'énergies fossiles importées.
À terme, structurer des filières européennes, à la fois garantes d'une meilleure indépendance énergétique et créatrices d'emploi, sera donc primordial et d'autant plus opportun que le coût des énergies renouvelables ne cesse de baisser.

Dans ce contexte, l'Union européenne travaille actuellement à rehausser son ambition en matière de déploiement des énergies renouvelables. L'objectif actuel, vous le connaissez : c'est d'atteindre 32% de notre consommation énergétique finale issue de renouvelables d'ici à 2030. Or, pour que nous ayons toutes les chances de réussir à réduire nos émissions de 55% d'ici à 2030, la Commission européenne propose de relever cet objectif à 40%. Le Gouvernement soutient cette ambition renforcée, primordiale pour avancer plus vite dans la voie de la décarbonation.

Nous aurons donc à cœur de faire progresser les discussions sur le déploiement des énergies renouvelables et décarbonées pendant notre présidence du Conseil de l'Union européenne, au travers de textes comme la révision de la directive sur les énergies renouvelables, ou les projets de règlement sur les carburants pour l'aviation ou le secteur maritime.

Enfin, sans pouvoir tout aborder, je souhaite dire quelques mots sur un autre aspect de la stratégie de décarbonation de l'Union européenne, qui reposera sur une technologie d'avenir : l'hydrogène renouvelable et bas-carbone. En soutien aux énergies renouvelables, le recours à l'hydrogène sera en effet un atout majeur pour les secteurs les plus difficiles à décarboner, comme l'industrie ou la mobilité lourde.

En la matière, notre pays, avec, d'une part, sa stratégie de développement de l'hydrogène décarboné lancée en 2020, et, d'autre part, le plan d'investissement France 2030, est déjà en pointe.

Cela étant, le développement de la filière de l'hydrogène devra aussi et surtout se faire à l'échelle européenne, pour nous assurer de disposer d'une chaîne de valeur de l'hydrogène complète et souveraine. Pour ce faire, une législation est en préparation afin d'encourager le développement de l'hydrogène. La Commission européenne a ainsi publié, en 2020, sa propre stratégie, où elle prévoit que la part de l'hydrogène dans la consommation d'énergie européenne monte à 14% d'ici à 2050, contre une part infime aujourd'hui.

De même, la révision en cours de la directive relative aux énergies renouvelables, que j'évoquais tout à l'heure, prévoit des objectifs de développement de l'hydrogène renouvelable dans l'industrie et les transports.

La Commission européenne a également proposé, le 15 décembre dernier, un paquet législatif qui vise à mettre en place, à compter de 2030, un cadre complet de régulation du marché européen de l'hydrogène, renouvelable et bas-carbone, l'objectif étant d'élaborer un cadre flexible et adaptable aux évolutions à venir du marché de l'hydrogène, encore en développement, tout en garantissant la protection des consommateurs et l'attractivité du secteur pour les investisseurs.

Nous avons donc la lourde responsabilité, sous notre présidence du Conseil, d'entamer les discussions sur ce sujet.

Parallèlement à la construction de ce cadre législatif européen, l'Union européenne investit largement pour développer la filière hydrogène européenne. Ainsi, 800 millions d'euros de fonds européens sont consacrés chaque année à des projets relatifs à l'hydrogène ; pour aller plus loin, un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) a été constitué. Acté par le Conseil en décembre dernier, ce PIIEC devra permettre de construire des usines d'électrolyse tout en finançant la décarbonation de certaines industries. Cela sera un immense atout pour le développement d'une filière souveraine de l'hydrogène.

Je pourrais évidemment évoquer bien d'autres enjeux et leviers du paquet législatif Fit for 55 : les émissions des véhicules, les évolutions du système d'échange de quotas, la lutte contre les fuites de carbone ou encore la justice sociale, qui sont essentiels dans la transition énergétique et, plus globalement, environnementale. L'Union européenne est pleinement mobilisée, vous le voyez, pour mener à bien cette transition. Nous devons devenir le premier continent neutre en carbone d'ici à 2050, grâce à un cap et une vision d'ensemble, des économies d'énergie, des énergies renouvelables et des technologies nouvelles. Le Gouvernement est pleinement mobilisé, y compris dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, pour faire progresser rapidement cette ambition. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens.)

Mme la présidente.
Nous en venons aux questions. Je rappelle que leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Bruno Duvergé.

M. Bruno Duvergé (Dem).
L'Allemagne est en train d'arrêter ses dernières centrales nucléaires et a programmé l'arrêt de ses centrales au charbon et au lignite pour 2038, avec une possibilité d'accélérer ces fermetures. Pour compenser ces arrêts et répondre à la demande croissante d'électricité, elle continue de développer les énergies renouvelables avec l'éolien, qui est, comme on le sait, intermittent ; la méthanisation, qui est de plus en plus en concurrence avec les productions agricoles alimentaires ; les centrales au gaz naturel, qui sont certes plus performantes que les centrales au charbon, mais qui émettent toujours du CO2 et augmentent la dépendance énergétique de l'Europe vis-à-vis de la Russie.

Compte tenu de l'importance de l'Allemagne dans le mix énergétique de l'Union européenne, en production comme en consommation, pouvez-vous nous décrire quel impact cela aura sur la transition énergétique de la France ? Qu'attend l'Europe de la France en matière de production d'électricité nucléaire, en particulier dans sa stabilité de production pour pallier l'intermittence de certaines énergies renouvelables ? Sur qui pourra compter la France pour lui fournir de l'électricité lorsque ses centrales nucléaires seront en maintenance ? Quelle est la stratégie de l'Union européenne en matière d'interconnexion des réseaux de distribution, qui doivent de plus en plus être capables de transporter l'électricité d'un bout à l'autre de l'Europe ?

Enfin, Mme la ministre Barbara Pompili avait dévoilé il y a quelques mois l'arrivée d'une nouvelle technologie nucléaire basée sur de petits générateurs de 1 à 20 mégawatts. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'avenir de cette technologie ? Quelle part pourrait-elle prendre dans notre mix de production, et à quelle échéance ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
Vous avez posé de nombreuses questions, auxquelles je vais essayer de répondre dans le temps qui m'est imparti. D'abord, s'agissant de la complémentarité des mix électriques européens, nous devons être coordonnés et synchronisés. Vous le savez, avec notre parc nucléaire, nous sommes principalement exportateurs ; mais nous n'aurons pas la capacité de remplacer les centrales qui fermeront à l'étranger, notamment en hiver, lorsque nous sommes plutôt importateurs d'électricité, a priori venant d'Allemagne.

L'objectif doit être, d'abord à court terme, de reconquérir la disponibilité de notre parc nucléaire, d'avoir des marges de sécurité d'approvisionnement et d'augmenter nos capacités de production et de flexibilité. Le parc nucléaire et d'autres moyens de productions à forte disponibilité – l'éolien en mer notamment – seront nécessaires pour l'ensemble du système électrique. Afin d'être moins dépendants d'importations en cas de pointes de consommation, il nous faudra également économiser l'énergie, réduire la consommation et développer des flexibilités, comme le stockage et l'effacement de consommation en pointe. C'est ce que nous retrouvons dans les nouvelles projections de l'étude "Futurs énergétiques 2050" de RTE – Réseau de transport d'électricité –, qui propose de développer des capacités de production flexibles, comme les centrales à hydrogène que je viens d'évoquer.

De son côté, l'Allemagne prévoit une sortie du charbon dès 2030, sous réserve de sécurité d'approvisionnement, avec un objectif de sortie du nucléaire à la fin de 2022 qui n'est donc pas remis en question. Cette sortie est rendue possible par le développement massif des énergies renouvelables, qui doivent représenter 80% du mix électrique en 2030. Le gouvernement allemand annonce le développement de nouvelles centrales à gaz à titre transitoire, ce qui explique tous les débats que nous avons sur cette taxonomie.

Par ailleurs, vous m'interrogez sur les petits réacteurs nucléaires. Ce programme a effectivement été évoqué par le Président de la République et la ministre Pompili. J'y reviendrai dans l'une des questions à suivre.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault (SOC).
J'ai cinq questions très précises ; si vous voulez me répondre uniquement avec des chiffres, ce sera très bien. La première question concerne le tarif : le Gouvernement a demandé à EDF de continuer à vendre l'électricité à un tarif bradé ; cela coûterait 8 milliards d'euros à EDF. De combien seront diminués la participation et l'intéressement des agents d'EDF ?

Deuxième question : est-ce que les investisseurs privés, qui détiennent 16% du capital d'EDF, ont menacé d'attaquer l'État pour avoir fait chuter le résultat d'au moins 8 milliards cette année ?

Troisième question : combien coûte par an, en moyenne, l'ARENH ? Parle-t-on de 2 ou de 3 milliards par an ? Pouvez-vous nous donner, par exemple, le chiffre pour l'année 2021 – ou 2020, comme vous le souhaitez ?

Quatrième question : le prix de l'électricité est indexé sur celui du gaz, ce qui est quand même une aberration. Sur ce point, pouvez-vous nous donner quelques éléments de ce que la France va négocier au niveau européen, pour que le prix de l'électricité ne soit plus indexé sur celui du gaz ?

Cinquième question : dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2022 ont été votés des crédits pour 5,154 milliards, afin que les énergies renouvelables soient achetées à un prix correspondant à leur coût de production. Si ces énergies doivent être achetées à 70 euros le mégawattheure, dans la mesure où leur cote atteint aujourd'hui jusqu'à 300 ou 400 euros, l'enveloppe de 5,154 milliards ne sera pas utilisée. Dès lors, pouvez-vous nous dire s'il vous serait possible de la flécher, et le cas échéant vous engager à le faire, vers les ménages, qui subissent des hausses de factures énergétiques très élevées ? À ce stade, je le répète, elle ne sera pas utilisée.

Mme la présidente.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
Ce sont des questions très techniques,…

Mme Valérie Rabault.
C'est normal !

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
…et votre check-list appelle des réponses chiffrées au pied levé. Je ne pourrais évidemment pas y répondre de manière aussi précise que si j'avais pu les préparer.

Le prix de l'ARENH est de 42 euros le mégawattheure, et le volume global maximal affecté au dispositif est de 100 térawattheures par an. Les propositions sur les marchés de l'énergie doivent retrouver un équilibre. Cette mesure, si elle a pu déstabiliser EDF qui pensait pouvoir tirer quelques bénéfices des hausses de prix de l'énergie, participe à amortir, comme l'État le fait, le coût de l'énergie et les hausses actuelles pour nos concitoyens.

On ne peut pas imaginer qu'EDF se tienne loin de ce débat et de ses effets sur le prix de l'énergie pour les ménages, alors même que nous sommes dans une situation de crise particulière. Vous avez raison, cela réinterroge tout le modèle économique lié à notre mix énergétique. C'est d'ailleurs une réflexion qui animera le Parlement l'an prochain, puisqu'elle s'inscrira dans la nouvelle stratégie énergétique française, laquelle englobera également les réflexions sur les dépenses de l'État pour ces amortisseurs économiques du budget des ménages.

À toutes fins utiles, je vous redis que la prime spéciale inflation…

Mme Valérie Rabault.
Ce n'était pas la question !

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
Sans doute, mais c'est une actualité.

Mme Valérie Rabault.
Vous n'êtes pas capable de répondre !

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
Vous m'en voudriez d'avoir une réponse toute faite à un débat sur l'équilibre économique du mix énergétique français, alors même que ce débat doit avoir lieu au niveau parlementaire.

M. Anthony Cellier.
Ce n'est pas le débat, madame Rabault.

M. Charles de la Verpillière.
Dans ce cas, les débats ne servent à rien !

Mme la présidente.
La parole est à Mme Maina Sage.

Mme Maina Sage (Agir ens).
Ce débat nous interroge sur le rôle que la France jouera pour soutenir la stratégie européenne de décarbonation de l'électricité et d'efficacité énergétique à l'horizon 2050. Je souhaite rappeler à tous que l'Europe n'est pas que continentale ; les régions ultrapériphériques (RUP) et les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) peuvent et doivent s'inscrire aussi dans la stratégie européenne.

Ces territoires ont des ressources naturelles fortes en solaire, en éolien mais aussi, entre autres, en géothermie. Ma question est plutôt simple au regard de ce potentiel en énergies propres, de ces atouts intrinsèques, mais aussi de leur position géographique. En effet, les situations d'isolement font que les augmentations des tarifs des hydrocarbures que nous subissons en Europe peuvent être décuplées dans les territoires d'outre-mer. Les coûts de transport deviennent un sujet particulièrement inquiétant pour ces territoires, et pas uniquement en matière d'hydrocarbures.

Au regard de ces situations locales et du contexte international, comment la France inscrit-elle pleinement ses territoires d'outre-mer dans la stratégie européenne de décarbonation ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
La question des outre-mer impose une nécessaire programmation pluriannuelle de l'énergie adaptée aux besoins, mais aussi aux ressources et à ce que ces territoires peuvent mobiliser selon leurs spécificités. Une planification est absolument nécessaire ; le travail s'effectue entre l'État, la région ou la collectivité unique, suivant le territoire dont il est question.

L'élaboration des premières programmations pluriannuelles de l'énergie (PPE) remonte aux années 2017 et 2018. Elles sont aujourd'hui en cours de révision. Nous avons un nouveau regard sur ce que nous pourrions envisager pour décarboner le mix de production électrique dans ces territoires, en développant bien sûr les énergies renouvelables et en nous appuyant également sur les ressources propres. Vous l'avez dit, cela soulève de nombreuses difficultés ; il nous faut imaginer quelles pourront être les technologies à mobiliser pour convertir les centrales actuelles au fioul ou au charbon, avec des questions sur la durabilité de la biomasse et des bioliquides que l'on souhaite employer : autant de sujets qui doivent être vraiment étudiés au cas par cas, selon les territoires.

L'État soutient financièrement le développement des énergies renouvelables, avec 670 millions d'euros en 2022 pour les zones non interconnectées, et un accent mis depuis 2019 sur la maîtrise de la demande en électricité. C'est un levier puissant de décarbonation, auquel nous dédions 530 millions sur cinq ans dans le cadre du soutien aux zones non interconnectées (ZNI), touchant ainsi un tiers de clients précaires. Des dispositifs sont pleinement déployés en matière de décarbonation des transports routiers en particulier, pour améliorer ces consommations dans chaque territoire et les verdir.

Les compétences de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie en matière d'environnement et d'énergie relèvent du gouvernement local, mais des échanges et des collaborations intenses et très techniques s'établissent avec les services et les établissements publics de l'État, en particulier l'Agence de la transition écologique (ADEME). Ces collaborations nous permettent de dessiner le futur énergétique, notamment en Polynésie, où le Président de la République a annoncé en juillet la création d'un fonds de soutien au développement des énergies renouvelables, qui sera doté de 60 millions sur quatre ans.

Mme la présidente.
La parole est à M. Grégory Labille.

M. Grégory Labille (UDI-I).
Selon les estimations décrites dans le rapport 2022 de RTE, les perspectives d'évolution de la consommation d'électricité ont été revues à la hausse partout dans le monde et notamment en Europe, sous l'effet d'objectifs climatiques plus ambitieux, qui prévoient le remplacement de l'utilisation des énergies fossiles par des énergies renouvelables.

Précisément, la consommation d'électricité en France augmentera de 35% d'ici à 2050 et les analyses prévoient un futur équivalent pour les autres pays européens. L'une des caractéristiques du marché européen de l'électricité est son interconnexion dense. Si cela est utile en temps normal, cela rend également les systèmes électriques européens très dépendants entre eux.

L'une des forces du nucléaire français est qu'il offre à ses partenaires européens une production électrique qui n'est pas aussi fluctuante que celle issue des énergies renouvelables. Or l'augmentation de la part d'énergies renouvelables dans le mix énergétique français d'ici à 2030 intensifiera la fluctuation du stock d'électricité, ce qui nécessite de renforcer les capacités françaises de stockage d'énergie.

Cette augmentation est problématique, car les stockages d'énergie dans les barrages sont les seules technologies de stockage connues qui ne nécessitent pas de métaux rares, comme le lithium ou le cobalt. S'il est bénéfique que la part des énergies renouvelables augmente dans le mix énergétique, il ne faudrait pas que cet effort soit gâché par la nature polluante des technologies de stockage de l'électricité intermittente, qui extraient et transportent le lithium et le cobalt de manière très polluante. Somme toute, si l'on intègre la fabrication et le stockage, l'intensité carbone dans la production d'électricité risque d'augmenter et de nuire aux objectifs climatiques européens.

Ainsi, comment l'Europe peut-elle respecter ses engagements climatiques compte tenu de ses futurs besoins énergétiques à l'horizon 2050, alors que le stockage et la production de l'électricité issue des énergies renouvelables entraînent une hausse de l'intensité carbone au kilowattheure ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
Vous soulignez à très juste titre qu'on parle beaucoup aujourd'hui de cette souveraineté énergétique, qui repose en grande partie sur le stockage, lequel doit nous conduire à réfléchir au bilan carbone et à l'efficacité, donc aux solutions de stockage d'électricité ainsi qu'à notre dépendance à certains produits nécessaires pour les mettre en œuvre.

Cette question est d'autant plus importante que nos systèmes électriques auront de plus en plus besoin de ce stockage : nous devons donc monter en puissance et prévoir cette trajectoire.

Il existe différentes technologies de stockage, dont certaines sont aujourd'hui éprouvées, comme les stations de transfert d'énergie par pompage, les STEP, ou les batteries, dont les performances progressent très vite, tandis que d'autres, comme les volants d'inertie, sont en cours de développement et approchent seulement de la phase d'industrialisation.

Les choix en matière de stockage devront prendre en compte les contraintes propres à chaque technologie, au-delà de leur performance intrinsèque. On ne peut, par exemple, pas faire des STEP partout, même s'il existe un potentiel important, et les gros stockages à base de batteries nécessitent de l'espace. Ce sont là autant de considérations qui nous obligent à trouver la solution la plus adaptée aux besoins et au contexte.

L'efficacité en termes de coût par rapport à la capacité de stockage sera un critère du choix. Le bilan carbone devra également être un critère important, puisque nous intégrons, depuis plusieurs années, de tels critères dans les appels d'offres pour les ENR, les énergies renouvelables. La loi "énergie et climat" de 2019 rend désormais obligatoire de le faire, et ce sera également le cas pour le développement des capacités de stockage, pour lequel je vous rappelle que la loi "climat et résilience" de 2021 a introduit le principe d'appels d'offres. Nous nous situons en effet dans le cadre de cette projection et nous lui consacrons des moyens.

Il demeure toutefois difficile de comparer les performances intrinsèques des différentes technologies en termes de bilan carbone, compte tenu des rapides progrès technologiques et des nombreux facteurs en jeu, comme le contenu carbone. Nous devons soutenir, au niveau européen, un renforcement de l'exigence en matière de contenu carbone des batteries.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Stéphanie Kerbarh.

Mme Stéphanie Kerbarh (LT).
Si nous ne pouvons que louer les objectifs ambitieux de l'Union européenne en matière de décarbonation de l'électricité, force est de constater que les efforts fournis par les pays membres sont disparates. En novembre 2020, le think tank Amber indiquait que sept pays, sur les vingt-sept que compte l'Union européenne, recouraient largement au charbon et au gaz naturel, rendant ainsi impossibles à atteindre les objectifs de baisse des émissions de carbone fixés par la Commission européenne. Ces sept pays concentreront en 2030 près de 80% des émissions liées au secteur électrique. Parmi eux, on compte notamment l'Allemagne qui, en abandonnant le nucléaire au profit des énergies fossiles, contribue à la hausse globale du bilan carbone de l'Union.

La France, pour sa part, produit de l'électricité peu polluante, grâce notamment à ses centrales nucléaires, et aux investissements réalisés dans les énergies renouvelables. Loin de nous récompenser pour nos efforts, le marché européen de l'énergie contraint EDF à vendre à ses concurrents cette électricité en-dessous du coût de revient. En somme, certains pays paient cher leurs efforts en faveur de l'environnement, tandis que d'autres n'investissent pas et, pire encore, aggravent le bilan carbone de l'Union. Bruno Le Maire a qualifié le système actuel d'aberrant et d'obsolète.

J'aurai trois questions. Premièrement, allez-vous tirer profit de la présidence française de l'Union européenne pour corriger les dysfonctionnements du marché européen de l'électricité ? Deuxièmement, la création d'un mécanisme stabilisateur automatique du prix de l'électricité, permettant de transférer les gains que peut faire un producteur en cas de prix du marché élevé vers le fournisseur, qui les répercute ensuite vers le consommateur, est-elle encore sur la table ? Troisièmement, nous attendons toujours les avancées dans le contentieux qui nous oppose à la Commission européenne à propos de l'ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques. Vous comptiez, un temps, sur le projet Hercule pour régler ce conflit. Celui-ci ayant été fort heureusement écarté, quelles sont les pistes désormais explorées pour que la maintenance de nos barrages hydroélectriques soit préservée dans le giron des opérateurs historiques ?

Permettez-moi enfin de vous dire, en toute amitié, que j'ai été heurtée, tout à l'heure, lorsque vous avez sous-entendu qu'EDF pouvait éventuellement tirer profit de cette hausse de prix.

M. Jean-Paul Lecoq.
Il ne faut pas heurter Mme Kerbarh comme ça !

Mme la présidente.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
Nous avons tous constaté qu'EDF avait été un peu perturbé par ces annonces. Cette fragilité s'explique par le fait que le modèle a dû être reconsidéré, même si cette option concernant l'ARENH était sur la table et faisait l'objet de réflexions depuis un moment, me semble-t-il.

Il nous faut en effet, à l'échelle européenne, trouver ces équilibres, et ces complémentarités sont, comme vous le savez, déjà à l'œuvre. De fait, la France a parfois recours, à certains moments de pics, notamment hivernaux, à l'énergie allemande. Nous devons résoudre ces situations et des modèles qui, historiquement, ne reposaient pas sur le même mix dans les différents pays d'Europe, doivent aujourd'hui tous converger à la fois vers une forme de souveraineté, donc de sécurité d'approvisionnement, et, au-delà de la sortie des énergies fossiles, vers un verdissement global de ce mix.

Nous sommes donc confrontés à ce défi commun et, loin des caricatures, tous les pays européens y travaillent. Les débats sont parfois vifs, comme ils peuvent l'être au niveau national quand on entre dans de telles réflexions et qu'il nous faut construire ce chemin commun et ces équilibres, mais tout le monde y est engagé, avec un même objectif. Nous avons déjà un cadre commun qui nous fixe l'objectif de décarbonation qu'il nous faut tenir. Il y a un défi à relever et tous les pays font, chacun à sa façon, des efforts.

M. Jean-Paul Lecoq.
Surtout la France, qui a décidé de fermer ses centrales thermiques !

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
Nous devons donc nous garder de toute leçon et de toute caricature. L'idée de réguler le marché reste sur la table. Nous devons aussi préserver notre outil industriel français.

M. Jean-Paul Lecoq.
Ça se saurait !

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
C'est également ce qui a fait évoluer, au niveau national, nos réflexions quant à la part du nucléaire qui, si elle reste de 50% à l'horizon 2030, doit néanmoins permettre une évolution de notre outil industriel. Nous nous situons dans le temps long et devons assumer des choix qui concernent les décennies à venir.

Mme la présidente.
La parole est à M. Loïc Prud'homme.

M. Loïc Prud'homme (FI).
La France est le seul pays qui n'atteint pas ses objectifs de développement des énergies renouvelables. En 2020, en effet, celles-ci ne représentent que 19,1% de la consommation finale brute énergétique, pour un objectif affiché de 23%. Nous devrions pourtant nous fixer dès aujourd'hui un objectif de 100% de d'énergies renouvelables, couplé à une réduction de la consommation globale, et planifier la sortie du nucléaire, lequel comprend de nombreux risques, concourt à la dépendance de la France pour son approvisionnement en uranium et demeure sans solution pour les déchets nucléaires, comme l'a expliqué tout à l'heure ma collègue Mathilde Panot.

Pour ce qui concerne notamment le photovoltaïque, si l'on veut augmenter la capacité de production sans défricher ni bétonner des terres agricoles ou détruire des puits de carbone, comme c'est par exemple le cas, dans mon département de la Gironde, du projet Horizeo, qui prévoit de raser 2 000 hectares de forêts, il est urgent de repenser le maillage de l'infrastructure électrique du pays. Les projets photovoltaïques au sol, qui changent l'usage du foncier, doivent être limités à des unités de petite taille. Il faut donc privilégier le déploiement sur des surfaces déjà artificialisées et, pour cela, nous avons besoin d'un maillage fin à travers le territoire, qui demande une évolution de la structure actuelle du réseau.

Cela nécessite bien évidemment des investissements conséquents que votre marché ou votre toute-puissante concurrence ne fournira pas. Je me contenterai de rappeler que la concurrence dont vous nous rebattez les oreilles n'a pas produit un seul électron ni déroulé un seul mètre de câble. Seule la puissance publique peut penser et financer ce besoin en termes d'infrastructures.

Mes questions seront donc très simples et très claires. Quels investissements prévoyez-vous pour adapter le réseau à ces nouvelles sources de production d'électricité qui ont besoin d'être développées ? Envisagez-vous de refaire d'Enedis et de RTE une entreprise intégrée, condition indispensable au développement de ce réseau stratégique ? Enfin, quand allez-vous supprimer la CRE, la Commission de régulation de l'énergie, ou, au moins, lui redonner une mission, l'un de ses objectifs étant, aux termes de son plan stratégique, de "contribuer à la construction du marché intérieur européen de l'électricité". Or on constate aujourd'hui la faillite de cette logique de marché, où la concurrence est factice.

Mme la présidente.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
Ce sont là, à nouveau, de nombreuses questions pour une réponse en deux minutes ! Je suis cependant tout à fait d'accord avec vous quant à la nécessité d'adapter notre réseau, en particulier pour nous adapter à une évolution du système électrique qui est déjà forte et le sera encore plus à l'avenir.

Les enjeux sont multiples : raccorder les ENR, des grands parcs aux plus petits, et développer des interconnexions, comme vous l'avez dit, en intégrant plus de stockage dans le réseau – ce qui, d'ailleurs, nous évitera peut-être des lignes supplémentaires. Il nous faut également nous adapter au développement des bornes de recharge pour véhicules électriques à haute puissance sur les grands tronçons autoroutiers ou dans les parkings. Le dimensionnement doit donc être spécifique aux besoins et au tissu urbain.

Il faut également gérer différents moyens de flexibilité, peut-être en montant en puissance, pour les véhicules électriques, au moyen d'une injection dans le réseau en période de pointe. Il s'agit là de technologies en cours de développement, pour lesquelles il nous faut évoluer et trouver le bon modèle.

Nous avons également des atouts : deux gros opérateurs de réseaux, RTE et Enedis, ainsi que des entreprises locales de distribution et un budget d'investissement de plus de 5 milliards d'euros par an. De nombreux programmes de recherche et développement sont actuellement en cours pour assurer la nécessaire adaptation du réseau, qui est un autre aspect par rapport à la montée en puissance du mix électrique.

Pour répondre à votre question, RTE et Enedis ne peuvent être intégrés, car des directives nous interdisent d'imaginer ces évolutions plus larges.

M. Loïc Prud'homme.
Heureusement, nous désobéirons à partir d'avril prochain !

Mme la présidente.
La parole est à M. Hubert Wulfranc.

M. Hubert Wulfranc (GDR).
Comme l'ont suggéré mes collègues Duvergé et Kerbarh, débattre de la stratégie de décarbonation de l'électricité en Europe, c'est s'interroger sur le rôle de l'un des piliers de l'Union européenne, et pas des moindres : l'Allemagne. Or le super-ministre allemand de l'économie et de la transition écologique – excusez du peu – a confirmé l'objectif d'un mix énergétique porté à 80% d'énergies renouvelables en 2030, c'est-à-dire demain. En même temps, l'intermittence impliquant l'éolien et le solaire, déjà très développés en Allemagne, conduit ce pays à recourir massivement aux centrales à gaz et au lignite, qui assure aujourd'hui 25% de sa production électrique. Ainsi, l'Allemagne est devenue la plus grande soufflerie de CO2 à l'échelle du continent européen. Un exemple : le 25 janvier, l'organisation non gouvernementale (ONG) Electricity Map notait un rejet horaire de 418 grammes en Allemagne, contre 104 grammes en France, et ce mouvement va s'accroître avec la fermeture des derniers réacteurs nucléaires en Allemagne et la prédominance accrue du lignite, ce charbon primaire très polluant.

Si l'orientation du gouvernement allemand, qui va des libéraux de droite aux Verts libéraux, relève bien évidemment du choix souverain des électeurs de ce pays, n'y a-t-il pas là une imposture – ou, en termes plus choisis, une contradiction majeure – qui compromettra lourdement les engagements européens et, d'une certaine façon, taillera en pièces notre système électrique et son outil, EDF, à l'échelle du territoire national ? En disant cela, je vous interroge aussi, bien évidemment, sur la maîtrise de notre indépendance nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme la présidente.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
Les émissions de gaz à effet de serre par habitant sont certes plus importantes en Allemagne qu'en France, avec, en 2019, 10,1 tonnes de CO2 par habitant en Allemagne, contre 6,8 en France, ce qui s'explique, d'une part, par un secteur industriel plus important outre-Rhin et, d'autre part, par le fait que le mix énergétique français est décarboné à 90%, alors que l'Allemagne dépend encore largement du gaz et du charbon pour sa production d'électricité.

M. Jean-Paul Lecoq.
Et ça va durer !

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
Cela dit, l'Allemagne a tout de même pris des engagements. Les émissions du secteur électrique allemand ont sensiblement baissé au cours des dernières décennies. L'intensité carbone du mix électrique a ainsi été divisée par plus de deux entre 1991 et 2020 – c'est suffisamment notable pour être signalé. Le nouveau gouvernement allemand a dévoilé, au début de 2022, un programme climatique particulièrement ambitieux, puisque son objectif est de diminuer de 65% les émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990 et d'atteindre la neutralité carbone dès 2045.

Pour ce faire, il s'appuiera sur une transformation en profondeur de son système électrique avec l'annonce notamment d'une sortie du charbon dès 2030, sous réserve…

M. Jean-Paul Lecoq.
"Sous réserve" : c'est n'importe quoi !

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
…effectivement, que la sécurité d'approvisionnement soit garantie. On peut relever cette réserve, mais je pense que vous auriez la même exigence de la part du gouvernement français. Nous devons garantir, en cas de pic, cette autonomie et cette sécurité d'approvisionnement.

Le gouvernement allemand ne remet pas non plus en cause l'objectif de sortie du nucléaire à la fin de 2022. Nous avons donc toujours cet équilibre à construire, mais les termes en sont respectés. Il sera rendu possible principalement par un développement massif des énergies renouvelables, qui doivent représenter 80% du mix électrique en 2030. Des mesures très concrètes ont été annoncées pour renforcer le développement des ENR, comme une hausse du volume des appels d'offres, une loi sur l'éolien terrestre, un paquet solaire. Certes, le gouvernement allemand a également annoncé le développement de nouvelles centrales à gaz, à titre transitoire, mais nous devons avoir confiance dans sa capacité à atteindre l'équilibre que j'évoquais.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Huguette Tiegna.

Mme Huguette Tiegna (LaREM).
Depuis 2019, l'Union européenne mène une stratégie de neutralité climatique ambitieuse. Le Pacte vert pour l'Europe engage les États membres vers la réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre d'au moins 55% d'ici à 2030. Face à une urgence climatique précisément étudiée dans le premier volet du sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), il est essentiel de réduire les émissions afin de faire de l'Europe le premier continent à parvenir à la neutralité climatique d'ici à 2050.

La Commission européenne a adopté à cet effet des instruments législatifs visant à adapter les politiques de l'Union européenne en matière d'énergie, d'utilisation des terres, d'eau, de forêts, de transport et de fiscalité. Cette politique implique des transformations majeures dans le domaine de la production d'énergie, de transformation et de consommation, avec notamment l'enjeu de la substitution des hydrocarbures par des sources d'énergies décarbonées. La transition énergétique européenne fait toujours face à de nombreuses difficultés politiques, en particulier à la divergence des objectifs et des priorités entre les États membres. Ainsi, on peut s'interroger sur l'attribution des fonds européens et notamment le ciblage des investissements dans les pays membres. En effet, il existe une forte hétérogénéité sur l'origine des émissions de CO2 au sein de l'Union européenne, et la part des émissions de CO2 liée à la production d'électricité varie fortement en fonction des mix énergétiques de chaque État membre.

C'est pourquoi je vous interroge sur la mise en place d'une valeur tutélaire du carbone au sein de l'Union européenne : elle permettrait de donner une valeur monétaire aux réductions des émissions et de mieux flécher les investissements. Cette solution est-elle envisagée ? Dans le cas contraire, une autre solution est-elle étudiée ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
Vous nous posez la question importante de la valeur tutélaire du carbone, laquelle ne doit pas être confondue avec un montant de taxe carbone. Cette valeur tutélaire, qui guide l'action publique, est un outil précieux en ce qu'elle permet d'interroger la rentabilité, pour les collectivités, de certains investissements dans telle ou telle action favorable au climat – achat de véhicules électriques ou rénovation énergétique des bâtiments, par exemple, au regard des bénéfices attendus en matière d'émission de CO2. Elle ne correspond pas directement à la tarification du carbone et intègre un coût économique d'autres politiques, comme la réglementation ou les subventions. En France, c'est la commission Quinet qui a établi une trajectoire de la valeur tutélaire compatible avec la stratégie nationale bas-carbone. Ces réflexions éclairent vraiment nos décisions publiques en matière de politique climatique, mais la fixation de la valeur tutélaire du carbone n'est pas encore envisagée au niveau européen. À ce stade, elle serait effectivement très compliquée.

Dans une première étape, l'Union européenne privilégie le développement des systèmes d'échange de quotas européens, dits ETS, avec cet instrument de tarification du carbone, notamment pour les secteurs de l'industrie, de l'énergie et de l'aviation. La Commission européenne propose d'étendre ce marché au transport maritime, au chauffage de bâtiments et au transport routier et d'appliquer un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne pour certains produits industriels afin de préserver la compétitivité de nos entreprises.

Ce marché carbone européen permet d'établir un prix du carbone qui oriente les investissements des secteurs concernés. Ce prix a fortement augmenté pour atteindre jusqu'à 90 euros par tonne de CO2 à la suite des réformes et de l'adoption du nouvel objectif climatique de l'Europe. Les propositions de la Commission, à ce stade, apparaissent comme plutôt consensuelles sur l'ETS pour l'industrie, l'aviation, voire le secteur maritime et le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, mais elles nécessitent encore d'être affinées pour faire l'objet d'un accord.

S'agissant en revanche de l'extension aux consommations d'énergie des secteurs du bâtiment et du transport, nous pouvons craindre un impact extrêmement fort sur les ménages et les petites entreprises, ce qui suscite quelques réserves de ma part, et même des oppositions de la part d'États membres.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Danielle Brulebois.

Mme Danielle Brulebois (LaREM).
La feuille de route de l'Union européenne pour l'énergie à l'horizon 2050 envisage différents scénarios de décarbonation du système énergétique. Ces scénarios sont caractérisés par plusieurs éléments communs : réduction des importations de combustibles fossiles, augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique, modernisation des infrastructures européennes pour améliorer l'efficacité du marché intérieur de l'énergie.

Aux termes de cette feuille de route, une approche européenne plutôt que nationale augmentera la sécurité et la solidarité en abaissant les coûts, en créant un marché flexible et de plus grande taille pour de nouveaux produits et services. L'électricité jouera un rôle croissant, et tous les scénarios soulignent qu'elle occupera une part plus importante dans la demande énergétique finale et qu'elle devra contribuer à la décarbonation des transports et de l'industrie. Si l'électricité doit contribuer à la décarbonation de l'économie, le système de production d'électricité devrait subir des modifications structurelles importantes d'ici à 2030. Or, aujourd'hui, en matière de production d'électricité, la France présente le bilan carbone le plus faible d'Europe, avec le meilleur ratio production-émission de CO2, ratio que n'atteignent donc pas ses voisins.

Comment ces efforts vertueux de la France seront-ils pris en compte dans les exigences de la feuille de route européenne ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
L'enjeu climatique européen exige en effet des efforts importants de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre, de la part de tous les pays, même si nos positions de départ peuvent être très différentes. La France n'a pas à rougir puisqu'elle a l'une des meilleures intensités carbone de l'Union européenne pour l'électricité. En 2020, plus de 90% du mix électrique français était décarboné ; nos émissions territoriales de gaz à effet de serre par habitant sont également sensiblement inférieures à la moyenne européenne et elles sont assez proches de celles de l'Italie, par exemple, avec 6,8 tonnes par habitant et par an en France, pour 7,2 tonnes en Italie.

Une amélioration sensible de l'intensité carbone a été constatée en Allemagne, où elle a été divisée par plus de deux depuis 1991. Mais ce n'est pas suffisant pour atteindre nos objectifs, qui sont ambitieux. Il nous sera donc tout à fait nécessaire d'électrifier massivement l'économie, notamment le transport, le chauffage et l'industrie, afin de parvenir à un mix électrique presque complètement décarboné. Plusieurs outils ont été instaurés pour accélérer cette décarbonation, au premier rang desquels le marché européen du carbone, qui s'impose à la production d'énergie, l'industrie ou encore l'aviation dans toute l'Union européenne. Les producteurs d'électricité sont aussi tenus de restituer des quotas carbone pour chaque tonne de CO2 émise, ce qui crée une puissante incitation économique en faveur du développement des moyens décarbonés.

Enfin, d'autres mesures adoptées au niveau européen soit s'appliquent directement aux acteurs, comme le règlement sur les émissions de véhicules, soit fixent des objectifs pour les États qu'ils sont tenus d'atteindre, comme l'efficacité énergétique ou le développement des ENR. L'Union européenne a également déployé des dispositifs qui permettent de financer les investissements nécessaires à la transition et d'aider à la reconversion des régions et des secteurs les plus touchés. On pense, bien évidemment, au fonds pour une transition juste, au fonds pour l'innovation ou encore aux différents programmes du cadre financier pluriannuel.

Mme la présidente.
La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert (LR).
Je vais avoir le plaisir de vous poser deux questions, étant donné que notre collègue Dino Cinieri est malheureusement confiné.

Ma première question concerne la programmation pluriannuelle de l'énergie, la PPE. Au cours des cinq dernières années, on a assisté à une forme de politique en zigzag sur le nucléaire. À l'origine, il était prévu de fermer douze réacteurs, décision sur laquelle vous n'êtes pas revenue, puis on nous a annoncé la construction d'EPR, les réacteurs pressurisés européens, sans en préciser le nombre. Enfin, le Président de la République a quelque peu ouvert le spectre sur les petits réacteurs modulaires, les SMR – Small Modular Reactors . Ce faisant, il a donné une forme de visibilité sur le nucléaire mais, en même temps, il a arrêté le projet ASTRID, le réacteur rapide refroidi au sodium à visée industrielle, qui permet de résoudre le problème des déchets nucléaires. Du coup, on ne sait pas quel serait le nombre de réacteurs ni comment on règle le problème des futurs déchets nucléaires, si l'on conserve une filière nucléaire.

Il y a eu un zigzag sur le solaire puisque vous avez décidé, tout en soutenant fortement les énergies renouvelables dans la PPE, de revoir les tarifs de soutien à cette énergie, ce qui a fait grincer des dents.

Il y a eu un zigzag sur l'hydrogène puisque vous aviez annoncé qu'il pourrait être produit avec de l'électricité intermittente, avant de donner l'impression que c'était plutôt avec de l'électricité nucléaire.

Il y a eu un zigzag sur l'éolien puisque le Président de la République a donné quelques signaux en annonçant qu'il fallait peut-être restreindre cette industrie.

Il y a eu, enfin, un zigzag sur les hydrocarbures puisque vous avez commencé la législature en voulant les interdire, tandis que vous la terminez avec des centrales à charbon en surrégime.

Pour essayer de clarifier ces grands zigzags, ne faudrait-il pas tout simplement abroger la PPE et expliquer aux Français ce que vous voulez pour les années à venir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

Mme la présidente.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
Je vais devoir malheureusement faire des choix parmi les nombreuses questions que vous venez de poser. Je vais peut-être vous répondre sur le calendrier de réflexion, puisque c'est le cadre général dans lequel tous nos choix doivent s'inscrire.

La loi d'orientation doit aboutir en 2024 à cette nouvelle PPE. Des concertations sont déjà lancées dans le cadre de la nouvelle stratégie énergie-climat. Comme le montrent nos débats, cette réflexion a lieu depuis plusieurs mois déjà, et vous prouvez vous-même, ce soir, que le Parlement est fortement mobilisé sur ces questions. Il y a une part du nucléaire que nous n'avons pas réinterrogée ; nous avons même réaffirmé la nécessité de l'évolution de notre outil industriel dans un calendrier qui rend nécessaire une très forte montée en puissance des énergies renouvelables. Nous ne pouvons donc faire un choix radical en faveur de l'un ou de l'autre de ces moyens de production ; nous pouvons simplement faire évoluer notre outil industriel de manière à pouvoir répondre à nos objectifs dans le calendrier imparti.

S'agissant du projet ASTRID, qui n'a pas montré sa maturité au niveau industriel, nous avons préféré abandonner cette recherche au profit du fonctionnement du parc existant, de nouveaux réacteurs et d'un nouveau parc sur lequel je reviendrai avec votre question suivante.

Mme la présidente.
La parole est à M. Julien Aubert.

M. Julien Aubert (LR).
Au tout début de l'année 2022, les Français ont découvert un nouveau mot de vocabulaire qui vient de la Commission, celui de la fameuse "taxonomie", cette classification européenne pour aiguiller les financements vers les activités dites vertes. Le nucléaire en fait partie et les parlementaires Les Républicains, au Parlement français comme au Parlement européen, demandent depuis plusieurs années que le nucléaire soit inclus, et ce malgré une forte opposition à cette option en Allemagne. C'est là qu'est le problème car, sur un grand nombre de sujets, disons-le clairement, les Allemands, qui sont plutôt favorables au gaz, et qui sont en tout cas opposés au nucléaire, ont des intérêts clairement divergents des nôtres. S'agissant de la taxonomie, vous conviendrez qu'on s'est peut-être réjoui un peu rapidement de ce qui a été présenté comme un succès, puisque la coalition allemande a envoyé un signal plutôt négatif.

Certes, le nucléaire est bien présent, mais il est intégré dans la catégorie des énergies de transition et non des énergies renouvelables, avec des conditions très restrictives puisque, selon cette classification, les énergies de transition sont réexaminées tous les trois ans – c'est une épée de Damoclès. La construction de nouvelles centrales est exclue à partir de 2045, tout comme l'est la prolongation de centrales après 2040. Enfin, la taxonomie exclut d'office l'investissement dans des étapes indispensables à la production d'électricité, en amont comme en aval.

Tout cela est préoccupant pour l'avenir de la filière nucléaire française. C'est d'autant moins acceptable que les experts du Centre commun de recherche ont conclu que le nucléaire est durable et qu'il doit être reconnu comme tel.

Compte tenu des derniers signaux qui nous ont été envoyés par Berlin, ma question est simple. La France préside le Conseil de l'Union européenne depuis le 1er janvier. Allez-vous enfin défendre les intérêts français et engager un nécessaire bras de fer avec l'Allemagne sur ce sujet essentiel qu'est l'industrialisation du pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

M. Michel Herbillon.
Excellent !

Mme la présidente.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Bérangère Abba, secrétaire d'État.
Je crois que nous pouvons nous réjouir de cette taxonomie. Ce cadre était nécessaire et nous sommes aux avant-postes pour définir le cycle du combustible et permettre aux investisseurs de réorienter leurs choix en faveur d'entreprises plus durables, selon le mix que nous dessinons ensemble.

La version définitive de l'acte délégué du règlement doit nous être proposée dans les jours, peut-être les heures qui viennent. Une fois le texte établi, la procédure pourra se dérouler au cours des prochains mois, sous présidence française. Bien entendu, les dates de construction pourront être revues et le cycle du combustible, même s'il n'est pas mentionné, devra être pris en compte.

L'inclusion du nucléaire dans la taxonomie proposée par la Commission répond à une demande forte des autorités françaises. Cette énergie, en effet, est essentielle à la décarbonation de nos économies. De même, des critères stricts ont été définis concernant la contribution du gaz à la transition énergétique. Nous devions trouver cet équilibre pour accompagner la transition – avec le nucléaire en France, avec le gaz dans d'autres pays – et la sortie urgente des énergies fossiles les plus nocives.

La décision de retenir le nucléaire dans la taxonomie se fonde sur une analyse scientifique détaillée et indépendante. Cet éclairage, cette visibilité nous permettront de cheminer sereinement vers la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie – notamment du point de vue de l'outil industriel français.

Mme la présidente.
Le débat est clos.

Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 18 février 2022