Déclaration de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, sur le projet de loi "Évaluation de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel", à l'Assemblée nationale le 2 février 2022.

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Circonstance : Questions posées au Gouvernement "Évaluation de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel", Assemblée nationale le 2 février 2022

Texte intégral

Mme la présidente.
L'ordre du jour appelle le débat relatif au rapport de la commission des affaires sociales sur l'évaluation de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.

(...)

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.

Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Je remercie l'ensemble des groupes pour les interventions souvent constructives que nous venons d'entendre et le groupe La République en marche d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour dans le cadre de la semaine de contrôle. Je salue également les membres de la commission des affaires sociales, sa présidente, Fadila Khattabi, ainsi que les six rapporteurs de la mission d'évaluation, Mmes Catherine Fabre, Carole Grandjean et Michèle de Vaucouleurs, et MM. Gérard Cherpion, Sylvain Maillard et Joël Aviragnet. Leur rapport, de grande qualité, est le fruit de plus de six mois de travaux et de plusieurs dizaines d'auditions. Les recommandations qu'il contient complètent utilement l'évaluation des partenaires sociaux qui s'est traduite par un accord-cadre national sur la formation professionnelle et l'apprentissage.

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, défendue par Muriel Pénicaud, figure parmi les lois les plus structurantes du quinquennat. Naturellement, nous manquons encore de recul pour évaluer l'intégralité des nombreux dispositifs qu'elle a créés, mais elle donne déjà des résultats mesurables, ce dont le rapport rend fidèlement compte. Je suis certaine que cette loi continuera de produire ses effets à la faveur de la reprise vigoureuse de notre économie.

Dans son titre Ier, la loi réforme en profondeur le système d'alternance et de formation professionnelle, elle a déverrouillé l'apprentissage pour les jeunes comme pour les acteurs économiques et replacé ces derniers au coeur du dispositif. Les freins à la création de nouveaux centres de formation d'apprentis ont été levés, ce qui a permis la création de près de 2 000 nouveaux centres depuis 2018, alors que nous en comptions moins de 1 000 avant la réforme. La loi a posé le premier jalon du décollage sans précédent de l'apprentissage, que nous avons connu à partir de 2019.

Au moment où je vous parle, nous atteignons un nombre de contrats historique, 718 000 apprentis ayant débuté une formation en 2021. Contrairement à ce vous avez dit, monsieur Cherpion, aucune stagnation n'est constatée aux niveaux bac et infra-bac. Au contraire, une progression de 50 % du nombre d'apprentis a été enregistrée à ces niveaux de qualification depuis 2017, progression qui s'est accélérée, il est vrai, entre 2020 et 2021. Le nombre des contrats de professionnalisation a par ailleurs augmenté de plus de 20 % entre 2020 et 2021. Incontestablement, cette loi a permis de changer l'image de l'apprentissage auprès des familles et des jeunes. L'apprentissage est désormais considéré pour ce qu'il est : une voie d'excellence en vue d'une insertion durable dans l'emploi.

Vous soulignez, avec raison, la nécessité de ne pas casser la dynamique créée par la loi et par les aides exceptionnelles instaurées dans le cadre du plan de relance. En ce qui concerne la question essentielle de l'orientation des élèves, Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, a récemment développé plusieurs initiatives, dont la création d'un point d'entrée unique dans les rectorats pour aider les branches à mettre en place des actions de communication permettant d'attirer les jeunes vers les formations en apprentissage, notamment dans les secteurs en tension.

La loi a également concrétisé le droit individuel à la formation, en rénovant le compte personnel de formation. Aujourd'hui, chacun a la possibilité de choisir librement sa formation pour adapter ses compétences et faire évoluer son parcours professionnel. Avec plus de 2 millions d'inscriptions en formation au cours de l'année 2021, contre 630 000 en 2019, le succès du CPF est incontestable. Nous avons véritablement démocratisé l'accès à la formation : toutes les catégories socioprofessionnelles y recourent davantage et l'on observe un rattrapage chez les ouvriers et les employés, lesquels accédaient moins à la formation professionnelle auparavant.

Le rapport souligne que le CPF a « rencontré son public » et propose certaines améliorations que nous approuvons et qui rejoignent le constat des partenaires sociaux. Plusieurs actions ont d'ailleurs déjà été déployées en 2021 : la certification Qualiopi, obligatoire depuis le 1er janvier 2022 et dont vous saluez « l'accueil positif », permet de vérifier que les organismes de formation satisfont certains critères en matière de qualité. Le site moncompteformation.gouv.fr s'attache à rendre plus visible le dispositif du conseil en évolution professionnelle, qui permet à chacun d'être accompagné dans ses choix de formation. Nous considérons, comme vous, qu'il est absolument nécessaire de lutter contre les phénomènes de fraude et de démarchage abusif. Nous travaillons activement pour faire cesser ces abus.

Le double succès de l'apprentissage et du CPF a pesé fortement sur l'équilibre financier de France compétences. Comme le souligne le rapport, les recettes se sont contractées sous l'effet de la crise tandis que les dépenses ont fortement augmenté. Cette évolution traduit le succès du CPF, mais aussi la dynamique exceptionnelle de l'apprentissage. Je tiens à rappeler, à cet égard, que nous avons pris nos responsabilités en prévoyant le versement d'une subvention globale de 2,75 milliards d'euros pour 2021. En 2022, l'État et les partenaires sociaux devront définir les modalités d'une trajectoire soutenable pour l'opérateur.

Ainsi, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a donné des leviers aux jeunes et aux actifs pour mieux s'insérer dans la vie professionnelle et devenir les acteurs de leur parcours tout au long de la vie.

Dans son titre II, la loi fait tendre le système d'assurance chômage vers plus d'équité. La réforme du système, pleinement entrée en vigueur depuis le 1er décembre dernier, a instauré un nouveau régime, qui encourage le travail. Par les nouvelles règles de calcul qu'elle instaure, elle incite les salariés à travailler davantage et les employeurs à proposer des contrats plus longs. Ainsi, si la gouvernance rénovée, avec l'établissement d'un document de cadrage, n'a pas pu déboucher sur un accord négocié par les partenaires sociaux, cette réforme essentielle a pu être menée à son terme. Les économies générées contribueront, en outre, au retour à l'équilibre financier de l'UNEDIC dès 2022 – une première depuis 2008. C'est une bonne nouvelle pour la pérennité du système de protection sociale.

La loi a par ailleurs instauré un nouveau droit à l'assurance chômage pour les salariés démissionnaires. Il s'agit d'une avancée importante, qui permet à chacun de prendre son risque et de sécuriser son projet d'évolution ou de reconversion. Comme le relève le rapport, la montée en charge de ce nouveau droit est plus modeste que celle que nous avions anticipée, ce qui s'explique notamment par le contexte sanitaire, peu favorable aux démissions. Nous devons donner encore un peu de temps à ce nouveau droit pour apprécier si ses critères doivent évoluer.

Cette loi ouvre également un droit d'accès à l'assurance chômage, sous certaines conditions, aux travailleurs indépendants. La montée en charge de cette allocation est également plus modeste que nous ne l'avions anticipée. Les mesures de soutien prises pendant la crise, qui ont limité les défaillances d'entreprises, sont un facteur d'explication. Le projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante prévoit d'assouplir les conditions d'accès à ce nouveau droit. Permettez-moi, à ce sujet, de saluer les travaux de votre collègue Dominique Da Silva.

Enfin, le titre III vise à améliorer la qualité de l'emploi, notamment pour les publics fragiles. C'est une nouvelle étape vers une société plus inclusive. Bien qu'il soit trop tôt pour mesurer les effets de la réforme de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH), l'emploi des personnes en situation de handicap progresse : le nombre de demandeurs d'emploi en situation de handicap baisse de manière constante depuis août 2018. La loi a rendu obligatoire la création de référents handicap dans les CFA et dans les entreprises de plus de 250 salariés. Le nombre d'apprentis en situation de handicap a par ailleurs augmenté de près de 80 % entre 2019 et 2021. Cette loi a aussi permis d'offrir des trajectoires professionnelles aux personnes en situation de handicap en réformant le cadre des entreprises adaptées (EA) : 40 % d'entre elles ont adopté le dispositif du « CDD tremplin » pour faciliter les transitions professionnelles de ces personnes.

La loi a ensuite renforcé les outils de lutte contre les abus liés au détachement des travailleurs. Ces outils complètent l'arsenal juridique dont dispose l'Inspection du travail pour s'assurer du respect des règles d'une concurrence loyale.

Enfin, ce texte a créé l'index de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, qui permettra, à terme, de garantir l'égalité de rémunération entre les sexes. Cet index, désormais entré dans les moeurs, est unanimement salué, tant par les partenaires sociaux que par les chefs d'entreprise, les directeurs des ressources humaines et les salariés. Il produit de bons résultats si l'on en croit la hausse régulière du niveau des notes et du nombre d'entreprises déclarantes. Nous prenons acte des recommandations du rapport visant à renforcer la portée et la pertinence de certains indicateurs. Ces évolutions pourront être intégrées aux échanges avec les partenaires sociaux, dans un souci constant d'amélioration de l'index, ainsi qu'aux réflexions menées au niveau européen sur le projet de directive sur la transparence salariale. La loi du 24 décembre 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle a renforcé les obligations liées à l'index de l'égalité professionnelle. Je salue, à ce titre, le travail remarquable mené par votre collègue Marie-Pierre Rixain.

Mesdames et messieurs les députés, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel est une grande et belle loi, qui a permis une transformation profonde de notre appareil de formation et de notre modèle social et qui donne à chacun l'occasion de s'émanciper par son travail en concrétisant ses souhaits d'évolution professionnelle. Il nous faut bien sûr poursuivre cet élan et certains dispositifs évolueront peut-être pour nous permettre d'aller plus loin, ce que vous soulignez à juste raison – je pense à la promotion par alternance (Pro-A) et surtout à la VAE, à laquelle je crois beaucoup. Au fond, cette loi continue de nous inspirer. Notre démarche, depuis près de cinq ans, est de donner aux actifs la capacité de rester libres dans leur parcours professionnel, tout en étant orientés et accompagnés dans leurs choix, en disposant des moyens pour progresser. Le travail et la formation sont des leviers puissants d'émancipation individuelle, de mobilité sociale et de cohésion nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

Mme la présidente.
Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Laurence Vanceunebrock.

Mme Laurence Vanceunebrock (LaREM).
Tenant compte des évolutions – des révolutions – numériques et robotiques qui touchent de plein fouet le monde professionnel, nous avons voulu, par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, construire une société de compétences en améliorant la formation professionnelle. Grâce au rapport très complet réalisé par nos collègues, que je remercie, nous pouvons dès à présent étudier ses effets.

Si les avancées concernant l'offre de formation sont exceptionnelles – la rénovation du CPF est un réel succès –, les bilans de compétences et la VAE devraient faire l'objet d'une attention particulière. Ils constituent des outils indispensables pour permettre aux salariés mais aussi à l'entreprise de s'assurer d'une formation cohérente et utile. Il s'agit notamment de pouvoir profiter des compétences et de l'expérience des salariés dont le secteur a beaucoup évolué, afin de les aider à se former pour la suite de leur carrière.

C'est un sujet majeur pour ma circonscription de Montluçon, une zone qui était fortement industrialisée et qui cherche aujourd'hui à se réinventer. Plus précisément, depuis quinze ans, le nombre de salariés du secteur industriel a baissé de 20 %. Or on ne peut proposer aux personnes concernées de se former à des métiers nouveaux sans valoriser les compétences indéniables qu'elles ont développées dans l'industrie ; et pour cela, il faut davantage ouvrir l'accès au bilan de compétences.

En ce qui concerne la VAE, je suis de l'avis formulé par nos collègues dans leur rapport : je suis certaine qu'elle permet de fluidifier les parcours de carrière. Je pense aussi qu'elle peut permettre de soutenir une personne qui choisit d'interrompre sa carrière pour participer à la vie de la cité, en s'impliquant par exemple dans l'humanitaire ou dans l'écologie. Il faut alors que l'expérience acquise de façon moins académique puisse être mieux reconnue car elle sera un atout en vue d'un retour dans le monde professionnel.

Aussi, madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer comment mieux valoriser les expériences et les compétences de nos concitoyens ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre.
Le bilan de compétences et la validation des acquis de l'expérience sont deux dispositifs qui sont bien reconnus par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Ils font partie des actions qui contribuent au développement des compétences des salariés et des demandeurs d'emploi. Ils peuvent être financés par le CPF ou par le plan de développement des compétences, quand c'est le choix de l'entreprise. Le bilan de compétences n'est pas une fin en soi : c'est un outil tremplin, qui sert à celui qui l'accomplit à identifier ses besoins – une formation par exemple – ou à entreprendre une démarche de VAE.

Depuis le 1er janvier 2022, les organismes proposant le bilan de compétences doivent être certifiés Qualiopi, ce qui est une garantie nouvelle pour les actifs qui le mobilisent. L'entretien professionnel ou le conseil en évolution professionnelle (CEP) sont certainement des leviers qui pourraient permettre d'y recourir davantage.

La VAE est une voie d'accès à la certification qui reste encore trop modeste, vingt ans après sa création. Le constat est unanime : la procédure administrative est lourde, les acteurs trop nombreux et les délais de tenue des jurys excessivement longs. Je suis pourtant convaincue que la VAE est une bonne réponse pour permettre à certains actifs d'accéder à la qualification afin de sécuriser leur parcours.

M. Gérard Cherpion.
C'est vrai !

Mme Élisabeth Borne, ministre.
La loi a ouvert des champs d'expérimentation, par exemple sur la VAE par blocs de compétences. La crise sanitaire n'a pas permis de les développer comme nous l'espérions mais j'ai lancé une expérimentation visant à simplifier les procédures et l'accompagnement, spécifiquement dans le secteur du grand âge et de l'autonomie. Nous allons poursuivre ces expérimentations pour qu'elles alimentent une prochaine grande réforme de la VAE, qui me semble nécessaire.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Carole Grandjean.

Mme Carole Grandjean (LaREM).
La crise sanitaire ainsi que la relance économique ont renforcé la validité du diagnostic établi en 2018 par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel : nous vivons une révolution des compétences, à tous les niveaux de qualifications et partout en France. La démocratisation de la formation continue, notamment à travers le compte personnel de formation, profite désormais – et cela constitue une remarquable évolution – à celles et ceux qui en ont le plus besoin. Le CPF est en effet mobilisé à 50 % par des femmes, plus enclines à travailler à temps partiel, et son utilisation a augmenté de 74 % chez les ouvriers et les employés, et de manière très importante chez les demandeurs d'emploi – plus d'un million de dossiers de formation ont été acceptés depuis juillet 2020.

L'accompagnement des transitions professionnelles est une préoccupation majeure. D'un point de vue social, il s'agit de bâtir des solutions pour chaque salarié ou demandeur d'emploi ; mais il s'agit aussi de construire une réponse pour chaque territoire, afin de préserver le dynamisme de certains bassins de vie. Dès le vote de la loi, des dispositifs destinés à accompagner au mieux ces transitions ont été instaurés. Le conseil en évolution professionnelle et le compte personnel d'activité (CPA), qui organise l'interface entre le compte personnel de formation, le passeport compétences et, bientôt, le passeport de prévention, sont des exemples d'outils créés pour mieux articuler l'ensemble des actions de transition professionnelle.

La Pro-A, dispositif de reconversion ou d'alternance, permet aux salariés de réaliser leur évolution ou leur promotion professionnelle à travers un parcours de formation par l'alternance. J'insiste sur le fait que cette solution s'adresse en priorité aux salariés dont le niveau de qualification est inférieur au niveau licence, et que 270 millions d'euros lui ont été consacrés dans le cadre du plan de relance.

Ainsi, madame la ministre, quelles sont les pistes envisagées pour rendre les dispositifs en vigueur plus efficaces et mieux ancrés dans les territoires, afin de former au mieux les salariés et les demandeurs d'emploi, en particulier dans les secteurs en tension ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre.
En effet, madame la députée, nous nous trouvons dans une situation paradoxale bien connue : alors que de nombreuses entreprises cherchent à recruter, il reste beaucoup de demandeurs d'emploi. C'est pourquoi le plan de réduction des tensions de recrutement, que le Premier ministre et moi-même avons lancé fin septembre, vise à compléter l'effort d'investissement dans les compétences des demandeurs d'emploi – le PIC représente une dépense de 15 milliards d'euros depuis le début du quinquennat : 1,4 milliard d'euros supplémentaires sont mobilisés d'une part pour renforcer les compétences des salariés, les adapter aux transformations profondes de notre économie, cela pour une somme de 600 millions d'euros, et d'autre part pour renforcer la formation des demandeurs d'emploi en privilégiant des formations en situation de travail associées à des promesses d'embauche.

Vous soulignez à juste raison la nécessité de territorialiser notre action. Le plan de réduction des tensions de recrutement est ainsi décliné dans chaque bassin d'emploi ; j'ai demandé aux sous-préfets d'arrondissement de travailler avec tous les acteurs à des solutions efficaces pour faire face aux difficultés de recrutement, et j'organiserai prochainement un webinaire auquel participeront l'ensemble des acteurs concernés, pour faire un point sur l'application des feuilles de route locales et pour partager les bonnes pratiques.

Enfin, je rappellerai qu'il existe des aides spécifiques pour favoriser l'accès des demandeurs d'emploi de longue durée aux secteurs en tension, notamment une aide de 1 000 euros visant à lever les freins financiers à la reprise d'une activité et en particulier d'une formation, quand un demandeur d'emploi se forme vers un métier en tension, ainsi qu'une aide de 8 000 euros pour les entreprises qui recrutent en contrat de professionnalisation des demandeurs d'emploi de longue durée.

Nous avons donc là tous les outils qui doivent permettre à un maximum de demandeurs d'emploi de retourner vers l'emploi, tout en répondant aux besoins des entreprises. (Mme Carole Grandjean applaudit.)

Mme la présidente.
La parole est à M. Bernard Perrut.

M. Bernard Perrut (LR).
Je souhaite évoquer la place des régions dans l'architecture globale de l'alternance car si la réforme a donné une place importante à France compétences, aux branches et aux opérateurs de compétences, les régions, jusqu'alors régulatrices et qui assuraient une part importante du financement, ont le sentiment d'être mises sur le banc de touche.

Ainsi, madame la ministre, quelles actions pourriez-vous mettre en oeuvre afin d'encourager les régions à faire perdurer leurs investissements, malgré la perte de cette compétence, et de demeurer des acteurs toujours essentiels dans les territoires, qu'elles connaissent bien ?

Par ailleurs, l'essor de l'apprentissage ne devrait pas se réaliser au détriment des contrats de professionnalisation. Afin de pérenniser ce dispositif qui démontre son utilité et qui est un levier d'insertion professionnelle, mais également eu égard aux recommandations des partenaires sociaux, ne serait-il pas opportun d'effectuer une clarification entre le contrat d'apprentissage et le contrat de professionnalisation, afin de les recentrer sur leurs objectifs respectifs en matière de formation initiale et de formation continue ?

Enfin, ma dernière question rejoint une de celles qui ont déjà été posées, s'agissant des appels par courriel ou par texto concernant le compte personnel de formation. Une proposition de loi a été déposée, mais pourquoi une telle initiative n'émane-t-elle pas du Gouvernement, alors que le problème est connu depuis de nombreux mois ? Le dispositif qui en découlera sera-t-il réellement efficace, ou consistera-t-il en un énième article de loi voté mais jamais appliqué, à l'instar de la loi visant à encadrer le démarchage téléphonique dans le secteur de la rénovation énergétique ? Il faut mettre fin, madame la ministre, à toutes ces arnaques qui nous touchent quotidiennement.

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre.
Vous évoquez de nombreux sujets, à commencer par la place des régions. Elles constituent évidemment des partenaires essentiels dès lors qu'on traite de développement économique, de formation et d'emploi. Nous continuons à travailler main dans la main avec elles : vous savez que, dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences, notamment, nous avons signé, avec la quasi-totalité des régions, des pactes régionaux d'investissement dans les compétences (PRIC), dans lesquels nous nous sommes assurés que les régions maintiennent leur effort de formation des demandeurs d'emploi – l'État double quasiment cet effort.

Nous échangeons régulièrement avec les régions pour réorienter leur action en la matière. Nous avions eu l'occasion de le faire au moment de mettre en oeuvre le plan de relance : nous avions alors obtenu un avenant aux PRIC, à la fois pour éventuellement réorienter des formations vers les secteurs en développement, et pour intégrer dans le même temps les 100 000 formations supplémentaires proposées dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », et qui doivent permettre de former les jeunes aux métiers d'avenir.

Les régions restent également des partenaires importants pour ce qui est de l'apprentissage. Vous le savez, elles continuent à bénéficier de deux enveloppes financières : l'une, de 180 millions d'euros, consacrée à certains investissements des CFA, ceux qui ne sont pas pris en compte dans les coûts contrats, soit les projets d'investissement plus lourds ; l'autre, de 135 millions d'euros, pour le fonctionnement des CFA, vise à soutenir, le cas échéant, ceux qui connaîtraient des difficultés – des CFA d'aménagement du territoire, pour ainsi dire. Les régions ont pu constater que les CFA ne rencontraient pas de difficultés ; elles ont donc souhaité qu'une certaine fongibilité soit possible entre ces enveloppes – et nous l'avons permis –, afin de pouvoir consacrer plus d'argent au développement et aux investissements des CFA.

Ensuite, comme j'ai eu l'occasion de le dire, le développement de l'apprentissage, entre 2020 et 2021, ne se fait pas au détriment des contrats de professionnalisation qui augmentent de 20 % ; c'est une nouvelle tendance dont je me réjouis. Vous avez l'air d'en douter, monsieur le député,…

M. Gérard Cherpion.
Non, non !

Mme Élisabeth Borne, ministre.
Le service de statistique de mon ministère pourra vous transmettre les chiffres en question. Je peux en tout cas vous assurer que les contrats de professionnalisation progressent de 20 %.

Enfin, s'agissant du démarchage téléphonique, il faut distinguer deux problèmes. Il y a d'abord la fraude et les escroqueries, et nous travaillons main dans la main avec Olivier Dussopt afin de disposer d'un véritable plan d'action permettant de lutter contre elles. Quant au démarchage abusif, je me réjouis pour ma part de la proposition de loi visant à l'encadrer. Vous me demandez pourquoi nous ne l'avons pas fait plus tôt : nous avons voulu intégrer un amendement à ce sujet dans le PLF, mais le rejet du texte par le Sénat ne nous a pas permis d'aller au bout de notre démarche. (Mmes Catherine Fabre et Carole Grandjean applaudissent.)

Mme la présidente.
La parole est à Mme Laurence Trastour-Isnart.

Mme Laurence Trastour-Isnart (LR).
Chaque citoyen doit pouvoir bénéficier d'une formation de qualité et surtout de choix et d'orientations quant à son avenir professionnel. Choisir un métier est une décision importante, qui aura des effets toute la vie. Il faudrait améliorer l'information que reçoivent nos jeunes au sein des établissements scolaires, et aussi lors des stages qu'ils effectuent. Faire un seul stage en troisième ne permet pas de bien connaître les différents métiers ; souvent, ces stages sont d'ailleurs réalisés dans le territoire de proximité du jeune, proche de sa famille, de ses parents. Cela l'empêche de connaître des métiers différents, notamment ceux qui sont en tension. Peut-être faudrait-il que les entreprises proposent elles-mêmes des stages au sein des établissements scolaires, pour que les jeunes puissent découvrir ces nouveaux métiers ?

Lorsqu'ils sont orientés vers l'apprentissage, les jeunes entendent encore trop souvent que c'est une voie de garage : il n'est pas suffisamment valorisé. Certes, il l'est dans les lycées en vue de l'après baccalauréat, et il faut poursuivre cet effort ; mais nos jeunes qui sont en troisième et qui voudraient choisir des filières d'apprentissage ont souvent peu de choix. Je vais caricaturer mais pour avoir travaillé longtemps dans le secteur de la petite enfance, je peux vous le dire : on conseille souvent aux jeunes filles qui sont en troisième de faire un CAP petite enfance. C'est dommage, car il y a de nombreux métiers en tension, pour lesquels on a besoin de main-d'oeuvre.

Il faudrait envoyer ces jeunes vers des métiers novateurs comme ceux des nouvelles technologies qui ont besoin de compétences. Nos jeunes ont des compétences à valoriser, mais ils ne connaissent pas toutes ces filières. Dans ce domaine, il faut vraiment que l'État, les régions, les entreprises et l'éducation nationale coordonnent leurs actions, afin de mettre en valeur ce choix.

Quelles mesures comptez-vous prendre en termes d'accompagnement de nos jeunes afin qu'ils puissent s'ouvrir à tous les métiers, notamment à ceux des filières d'avenir ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre.
Vous soulevez une question si importante que je ne suis pas sûre de pouvoir y répondre en deux minutes : l'orientation des jeunes. Vous soulignez à juste titre qu'il existe beaucoup de beaux métiers insuffisamment connus.

Pour avoir eu l'occasion de rencontrer énormément de jeunes dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », je suis frappée de constater que les métiers de l'industrie ne sont absolument pas reconnus pour ce qu'ils sont. Nombre de jeunes et de parents en sont restés à l'image de ce que l'industrie a pu être au XIXe siècle. Quand je visite des centres de formation d'apprentis, je suis également frappée de la passion que les jeunes peuvent avoir pour les métiers de bouche ou du bâtiment, par exemple, qui sont insuffisamment connus.

Selon le partage de responsabilités entre l'État et les régions décidé lors des réformes, l'information sur les métiers relève des régions. D'importantes plages horaires ont été prévues dans les parcours scolaires pour que les jeunes puissent y accéder.

Plus récemment, Jean-Michel Blanquer a pris l'initiative de créer un point d'entrée unique dans chaque rectorat, afin d'aider les branches à mettre en place des actions de communication et à informer les jeunes sur ces métiers en tension.

Enfin, les formations par l'apprentissage sont désormais reconnues et visibles dans AFFELNET (affectation des élèves par le net) et Parcoursup. Plus de 6 000 formations de ce type sont accessibles par le biais de Parcoursup où une page leur est dédiée. Malgré tout, il reste du chemin à faire pour améliorer l'orientation.

Mme la présidente.
La parole est à M. Brahim Hammouche.

M. Brahim Hammouche (Dem).
La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a connu un large succès grâce au déploiement du compte personnel de formation, que l'on peut apprécier sur les plans quantitatif et qualitatif.

En 2020, 2,8 % de la population active française a eu recours au dispositif, contre 1,5 % en moyenne entre 2016 et 2019. La part des femmes est passée de 46,2 % à 49,8 % entre 2019 et 2020, tandis que celle des demandeurs d'emploi passait de 32 % à 38 % dans le même laps de temps.

Si ces constats sont satisfaisants pour notre action collective, je voudrais ici me pencher sur les voies d'amélioration de la loi, évoquées lors des débats en commission des affaires sociales ou entre les partenaires sociaux et les acteurs économiques de terrain.

Le coût moyen des dossiers de formation a diminué, passant de 2 120 euros en 2019 à 1 235 euros en 2020, les salariés choisissant des formations plus courtes, d'une durée d'un peu moins de deux semaines dans la moitié des cas, financées directement par le CPF.

Nous devons garder en ligne de mire la professionnalisation, l'apprentissage à un métier, voire les reconversions ou l'acquisition d'un diplôme car nos concitoyens s'adaptent en permanence aux exigences de notre temps. Nous devons donc mieux accompagner leur désir, la création de métiers d'avenir, la souplesse dont ils font preuve, y compris parfois dans l'adversité, notamment en ces temps de crise sanitaire.

Je souhaiterais vous interroger sur la régression des formations aux métiers du sanitaire, du social, du médico-social et des métiers de l'hôtellerie et de la restauration. Dans certaines régions – comme dans mon territoire de Moselle Nord, dans le Pays-Haut et ses vallées –, il faut déjà déployer une énergie considérable pour attirer les savoir-faire, les expériences et les compétences.

Nous sommes déjà sous tension. Leur relance intégrée dans les PRIC ainsi que dans les formations de préparation opérationnelle à l'emploi (POE), témoigne de l'engagement du Gouvernement sur ce point.

Pourriez-vous nous faire un point d'étape et nous dire comment la crise sanitaire a affecté l'application de cette loi ? Le Gouvernement envisage-t-il de prendre d'autres mesures pour relancer l'attractivité de ces métiers ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – Mme Carole Grandjean applaudit également.)

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre.
Vous relevez, monsieur le député, le fait que les formations financées par le CPF ont une durée et un coût moindre qu'avant 2019 et qu'elles peuvent ne pas présenter un caractère suffisamment professionnalisant.

D'où l'idée de multiplier les politiques d'abondement, ainsi que l'État l'a fait en 2021 en consacrant 25 millions d'euros à des formations dans le numérique : près de 5 000 actifs se sont formés au titre professionnel de développeur web. Les régions, Pôle emploi, les opérateurs de compétences et même les branches mettent en place des abondements ciblés vers des formations et des publics prioritaires.

Notre objectif actuel et de faciliter les abondements du CPF par les entreprises, et de développer la coconstruction des parcours entre les employeurs et les salariés. Nous travaillons avec la Caisse des dépôts et consignations à simplifier les modalités techniques de mise en place de ces abondements par les entreprises.

Quant aux secteurs que vous évoquez, leur attractivité est liée au niveau de rémunération qu'ils offrent. À l'automne 2021, nous avons engagé des travaux avec la quarantaine de branches dont les minima conventionnels étaient inférieurs au SMIC avant le 1er octobre 2021. Toutes ces branches ont été reçues au ministère du travail où il leur a été demandé d'engager des négociations salariales dans les meilleurs délais.

Sur la quarantaine de branches concernées, une quinzaine a désormais des minima conventionnels au moins égaux au SMIC, ce qui signifie qu'environ 2 millions de salariés vont bénéficier d'une augmentation salariale. Dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants, par exemple, l'augmentation moyenne de la grille salariale est de 16 %. Nous allons suivre de près les discussions engagées dans les autres branches. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM, ainsi que sur les bancs du groupe Dem.)

Mme la présidente.
La parole est à Mme Michèle Victory.

Mme Michèle Victory (SOC).
Comme de nombreux collègues, je souhaite appeler votre attention sur le CPF qui, depuis la réforme, n'est plus alimenté en nombre d'heures mais en euros : 500 euros par an pour les salariés à plein temps dans la limite de 5 000 euros ; 800 euros par an pour les salariés non qualifiés dans la limite de 8 000 euros.

Sitôt transformé en valeur monétaire, il a intéressé de nombreux escrocs attirés par l'appât du gain. Une partie du rapport d'évaluation est d'ailleurs dédiée à la fraude au CPF, considérée comme un sujet sensible.

Le rapport recense les nombreuses escroqueries qui empoisonnent le quotidien de nos concitoyens, voire – et c'est plus grave – qui leur portent préjudice : irrégularités quant à l'éligibilité à la formation ou l'habilitation de l'organisme de formation à dispenser l'information ; démarches commerciales agressives visant à pousser les potentiels utilisateurs à acheter contre leur gré ; faux dossiers ; usurpations d'identité. Le pire est que ces pratiques ciblent souvent nos concitoyens les plus jeunes et les plus en difficulté dans leur parcours de formation, sont source de gaspillage de leur CPF et peuvent les pénaliser dans la poursuite de leur vie professionnelle.

Quand nous vous avions alertés sur un possible effet d'aubaine pour des organismes sans scrupule, vous nous aviez répondu qu'il y avait là un moyen de donner plus d'initiatives et de choix à notre jeunesse. Il semble cependant que nos craintes n'étaient pas complètement infondées. Donner accès à la formation ne signifie pas en dévoyer le contenu ou la qualité.

Il faut donc renforcer les contrôles des organismes pour s'assurer qu'ils proposent les formations promises et qu'ils dispensent des contenus qui aient de la valeur ajoutée. Il convient aussi de s'assurer que les formations soient reconnues et valorisantes sur le marché du travail.

La Caisse des dépôts estime que la fraude pourrait s'élever à 16 millions d'euros. Il n'est pas normal que l'État perde autant d'argent et que des particuliers soient les victimes potentielles d'une réforme censée leur apporter un bénéfice.

Comment le Gouvernement compte-t-il éliminer cette zone grise de la formation et avec quels moyens ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre.
Comme vous tous, je reçois des SMS de démarchage abusif sur le CPF, mais je pense qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain car, en 2021, quelque 2 millions de salariés ont effectué des formations concrètes grâce à ce dispositif, ce qui leur permet de progresser dans leur parcours professionnel.

Il faut évidemment s'assurer de l'amélioration permanente de la formation délivrée grâce au CPF. Au cours des derniers mois, certaines étapes ont déjà été franchies. Depuis le 1er janvier, tous les organismes désireux d'être éligibles au CPF doivent avoir la certification de qualité Qualiopi. Nous sommes en train de renouveler – ou pas – les certifications d'éligibilité au CPF. Je peux vous assurer que France compétences effectue un travail approfondi pour s'assurer que les formations permettent vraiment au bénéficiaire de progresser dans son itinéraire professionnel, que c'est un vrai plus pour lui.

Sur le site moncompteformation.gouv.fr, nous avons amélioré la visibilité du conseil en évolution professionnelle, service insuffisamment connu. Chaque Français peut disposer de plusieurs heures pour faire un bilan de compétences, évoquer ses souhaits d'évolution professionnelle et être accompagné pour bâtir son parcours.

Certes, il faut aussi lutter contre le démarchage abusif. C'est le sens de la proposition de loi déposée par la députée Catherine Fabre, qui reprend un dispositif que nous souhaitions instaurer mais qui a été rejeté par le Sénat. Avec Olivier Dussopt, nous avons aussi un plan d'action pour lutter contre les risques de fraude et d'escroquerie au CPF. Je peux vous assurer que nous sommes très mobilisés pour traquer les fraudeurs, que ce soit dans mon ministère, à la Caisse des dépôts ou dans les services de TRACFIN. Nous serons intransigeants. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)

Mme la présidente.
La parole est à Mme Annie Chapelier.

Mme Annie Chapelier (Agir ens).
La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a permis de rénover en profondeur la gouvernance de la formation professionnelle. Nous avons ainsi créé un nouvel opérateur, France compétences, qui est venu se substituer aux quatre acteurs préexistants. Ce nécessaire travail de rationalisation visait à mettre fin à un système complexe, peu lisible, insatisfaisant.

France compétences s'est imposé comme la clef de voûte de la nouvelle architecture de la formation professionnelle dans notre pays. Nous l'avons doté d'un nouveau circuit de financement pour lui permettre d'exercer pleinement et efficacement ses nombreuses attributions. Il perçoit ainsi la contribution au financement de la formation professionnelle, l'essentiel du produit de la taxe d'apprentissage, la contribution supplémentaire à l'apprentissage, et la contribution 1 % CPF-CDD, versée par les entreprises qui emploient des salariés en contrats à durée déterminée.

Après trois ans d'existence, France compétences enregistre pourtant un déficit préoccupant. En intégrant le budget prévisionnel pour 2022, le déficit cumulé devrait atteindre 11,5 milliards d'euros. Cette dégradation financière s'explique en partie par la crise sanitaire qui a, d'une part, réduit la masse salariale à laquelle sont adossées les ressources de France compétences, et, d'autre part, accru les dépenses de formation et d'apprentissage. Cependant, alors que la relance est puissante, l'organisme devrait être encore en déficit en 2022 – environ 3,7 milliards d'euros.

Il convient donc de s'interroger sur la viabilité du financement de la formation professionnelle par France compétences, dans un contexte de forte croissance de l'apprentissage et du recours au CPF. Comme le notent les rapporteurs, le recours à l'emprunt ne peut pas s'envisager comme une solution durable pour un opérateur public distinct de l'État.

Pouvez-vous nous indiquer quelles sont les pistes de réflexion du Gouvernement pour adapter le financement de cet établissement public afin qu'il puisse disposer des moyens nécessaires à l'exercice de ses missions ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre.
En effet, madame la députée, France compétences est désormais le pilier du nouveau système de financement de la formation professionnelle.

Ses ressources proviennent de la contribution unique à la formation professionnelle et à l'alternance (CUFPA), elle-même assise sur la masse salariale. Ses dépenses servent principalement à financer l'apprentissage, le CPF et le PIC. Nous savons l'importance du CPF pour permettre à chacun de bâtir son projet professionnel et d'avoir tous les atouts pour le réaliser. Quant au PIC, il est indispensable pour que nous puissions mettre fin à un paradoxe : des entreprises qui n'arrivent pas à recruter face à des chômeurs qui n'ont pas les bonnes qualifications.

Ces enjeux sont cruciaux, sans parler des dépenses de France compétences dans l'adaptation de la formation des salariés – autre sujet majeur.

Il est vrai que la crise financière a entraîné un déséquilibre des finances de l'opérateur, dont les recettes se sont rétractées sous l'effet de la diminution de la masse salariale. La baisse de recettes liées à la crise due au covid est ainsi estimée à environ 2 milliards d'euros. Les dépenses, quant à elles, ont continué d'augmenter, du fait du succès exceptionnel de l'apprentissage – dont, je crois, nous pouvons tous nous réjouir –, et de la forte hausse de la mobilisation par les actifs de leurs droits au CPF. La trajectoire financière de France compétences s'est donc dégradée durant l'exercice 2021, pour atteindre un déficit d'environ 3,8 milliards d'euros. Le Gouvernement a pris ses responsabilités pour assurer le financement de l'opérateur, en lui versant une subvention exceptionnelle de 2,75 milliards d'euros cette même année.

L'État et les partenaires sociaux devront, dans les prochains mois, définir les modalités du retour à l'équilibre des finances de l'opérateur. Je précise qu'afin de ne pas pénaliser les salariés, nous avons également mobilisé l'aide à la formation du Fonds national de l'emploi (FNE-Formation), pour accompagner les transitions et les transformations de compétences rendues nécessaires par les bouleversements que connaît notre économie. Les débats devront se poursuivre dans les prochains mois afin de maintenir ces investissements tout en assurant le retour à l'équilibre de France compétences.

Mme la présidente.
La parole est à Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill (UDI-I).
La loi « avenir professionnel » comprend des dispositions relatives à l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes, et à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes au travail. Afin de renforcer la lutte contre ces violences, elle impose d'abord aux entreprises d'afficher le détail des actions judiciaires ouvertes en matière de harcèlement sexuel et les coordonnées des autorités compétentes. Elle prévoit également la désignation, dans les entreprises de plus de 250 salariés, d'un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et sexiste.

Si ces évolutions sont certes bienvenues, elles restent manifestement insuffisantes. La France a ratifié la convention no 190 de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui vise à éliminer la violence et le harcèlement dans le monde du travail. Cette seule ratification ne suffit pas : pour être pleinement efficaces, les dispositifs existants doivent être renforcés, qu'il s'agisse des procédures de signalement, des sanctions, de la formation, de la sensibilisation ou encore de la protection des témoins.

Les comportements et violences sexistes sur le lieu de travail restent répandus. Le droit interne, même complété des dispositions contenues dans la loi « avenir professionnel », ne permet pas, en l'état, de répondre aux objectifs figurant dans la convention no 190. Quels moyens comptez-vous déployer pour appliquer les recommandations qui y sont formulées, afin de lutter efficacement contre les violences sexuelles et sexistes dans le monde du travail ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre.
La question que vous soulevez est essentielle, puisqu'une enquête récente montre que 60 % des Européennes interrogées ont déjà été victimes d'une forme de sexisme ou de harcèlement sexuel au travail au cours de leur vie professionnelle. Nous ne pouvons évidemment pas l'accepter : l'adoption d'un cadre normatif solide en France était indispensable pour lutter contre ces comportements.

La loi impose clairement à l'employeur de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel et les agissements sexistes dans l'entreprise. Je pense par exemple à la désignation d'un référent dédié à cette thématique dans les entreprises de plus de 250 salariés, mais aussi à l'intégration, dans les négociations obligatoires de branche relatives à l'égalité professionnelle, de la question de la lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes. Surtout, les faits de violence et de harcèlement sexuels font l'objet de sanctions pénales lourdes, à savoir deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. Je rappelle, comme vous l'avez fait, que la France fut un des premiers pays à ratifier la convention no 190 de l'OIT sur la violence et le harcèlement dans le monde du travail. Enfin, l'Inspection du travail est fortement mobilisée et a mené plus de 1 200 interventions dans ce domaine depuis 2019.

Je peux donc vous assurer que nous sommes très mobilisés sur ces questions. Il me semble que nous disposons désormais d'un arsenal juridique très solide pour y répondre.

Mme la présidente.
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.

M. Jean-Hugues Ratenon (FI).
Malgré l'avis positif exprimé dans le rapport, la réforme de l'apprentissage est un véritable désastre, à tous les niveaux.

Mme Catherine Fabre.
Éloge de la nuance !

M. Jean-Hugues Ratenon.
Elle a dégradé l'enseignement public et provoqué la fuite des élèves vers l'apprentissage privé en dérégulant la création de CFA et en subventionnant massivement le secteur privé : près de 6 milliards d'euros ont été versés aux employeurs depuis juillet 2020 pour embaucher des apprentis, alors que les lycées professionnels et agricoles ont dû se débrouiller avec les moyens du bord.

La vision de l'apprentissage défendue par le Gouvernement ne bénéficie que marginalement à ceux qui ont les plus grandes difficultés à s'insérer professionnellement : la réforme et les aides à l'embauche ont entraîné une explosion du nombre d'apprentis de l'enseignement supérieur, notamment dans les grandes écoles. Plus de 60 % des apprentis possèdent ainsi un niveau supérieur au baccalauréat. La Cour des comptes souligne que « l'essentiel des nouvelles places créées a profité aux élèves capables de suivre un cursus long et a peu bénéficié aux publics vulnérables. Si ce choix peut être justifié pour développer l'apprentissage dans notre pays, il n'améliore qu'à la marge l'insertion sur le marché du travail des jeunes les plus diplômés ». En plus d'être inefficaces, les dispositifs créés pour développer l'apprentissage créent donc des effets d'aubaine.

Bilan de cette loi et des dispositifs de soutien qui lui ont fait suite : la France manquera de main-d'oeuvre qualifiée dans certains domaines clés que les entreprises refuseront de financer, la qualification des jeunes sera dégradée, les compétences acquises seront moins durables que dans l'enseignement public et les plus démunis resteront sur le carreau.

Quand le Gouvernement mettra-t-il fin à cette folie et réorientera-t-il les subventions accordées aux entreprises privées vers l'enseignement professionnel public, afin de garantir une formation de qualité, à la fois professionnalisante et humaniste ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre.
Je trouve assez choquant que vous critiquiez le développement de l'apprentissage. Le fait que 718 000 jeunes aient signé un contrat d'apprentissage en 2021 signifie très clairement qu'autant de jeunes sont engagés dans un parcours de formation gratuit, perçoivent un salaire, découvrent le monde de l'entreprise et finissent très souvent par trouver un emploi. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.) J'ai donc du mal à comprendre vos critiques.

Notre objectif consiste bien, au contraire, à continuer de développer l'apprentissage, car j'y vois le meilleur moyen de permettre aux jeunes de s'orienter vers des métiers variés, demandant des niveaux de qualification très divers. Je tiens d'ailleurs à souligner que la progression très nette de l'apprentissage constatée entre 2020 et 2021 est générale et que l'accélération la plus forte concerne même les CAP et les baccalauréats professionnels. Tous les jeunes qui se forment dans les CFA et que j'ai rencontrés découvrent des métiers de passion – métiers de bouche et de la cuisine, métiers de la métallurgie, métiers du bâtiment. Ce sont autant de très belles professions, insuffisamment connues.

Je peux donc vous assurer que le Gouvernement continuera de tout faire pour développer la formation par l'apprentissage (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem) , y compris en permettant à certains jeunes, qui ne possèdent pas forcément toutes les clefs pour réussir dans l'apprentissage, de s'y préparer. C'est tout le sens des prépa-apprentissage que nous avons créées et que nous voulons continuer de développer.

Nous voulons continuer à faire de l'apprentissage une voie d'excellence, pour permettre à un maximum de jeunes d'accéder à un emploi stable. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

Mme la présidente.
La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne (GDR).
La réforme dont nous débattons devait concrétiser la promesse de 2017 d'une assurance chômage universelle, grâce à l'ouverture de droits au chômage pour les salariés démissionnaires et les travailleurs indépendants. Trois ans après leur adoption, force est de constater que ces mesures sont restées largement en deçà des attentes et des objectifs de la loi.

En effet, la réforme visait initialement un objectif de 29 300 bénéficiaires par an parmi les travailleurs indépendants – qu'il s'agisse d'artisans, de commerçants ou de micro-entrepreneurs. Mais les conditions à respecter pour bénéficier d'une allocation chômage, fixées par décret, ont été conçues de façon si restrictive que seuls 800 indépendants en ont bénéficié en 2020. Le bilan est donc quarante fois inférieur aux prévisions. Ces chiffres sont tirés d'un rapport d'information très critique à l'endroit de ce dispositif, rédigé en avril 2021 par la commission des affaires sociales.

Le constat est similaire s'agissant des salariés démissionnaires : selon Pôle emploi, seules 6 300 personnes ont bénéficié de l'ouverture de droits au chômage, alors que la loi tablait sur 30 000 dossiers par an.

Ma question est donc simple : quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour garantir aux travailleurs indépendants et aux salariés démissionnaires un accès effectif aux droits à l'assurance chômage ?

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre.

Mme Élisabeth Borne, ministre.
Vous avez raison : la montée en charge de l'allocation des travailleurs indépendants (ATI) a été beaucoup plus modeste que ce que nous avions envisagé initialement. D'une certaine manière, cela montre toutefois que les mesures de soutien exceptionnelles déployées pendant la crise sanitaire ont porté leurs fruits et limité le nombre de défaillances d'entreprises, ce qui est une bonne nouvelle. Pour autant, comme l'a indiqué le Président de la République le 16 septembre dernier lors de l'annonce du plan en faveur des travailleurs indépendants, il était nécessaire d'assouplir les conditions d'accès à l'ATI.

C'est le sens des dispositions du projet de loi en faveur de l'activité professionnelle indépendante, qui prévoit la création d'une nouvelle voie d'accès, ne nécessitant plus la reconnaissance d'une liquidation ou d'un redressement judiciaire. Le montant mensuel de l'ATI sera plafonné afin qu'il ne puisse pas excéder celui du revenu mensuel moyen perçu pendant les vingt-quatre mois précédant le versement de l'allocation. Pour éviter les éventuels effets d'aubaine, l'accès à l'ATI ne sera en outre possible qu'une fois tous les cinq ans. Par ailleurs, le critère actuellement le plus bloquant – avoir touché en moyenne au moins 10 000 euros annuels pendant les deux ans précédant la cessation d'activité –, dont chacun conçoit combien il a pu être rendu moins pertinent par la crise, sera assoupli par voie réglementaire : seule la meilleure des deux années sera retenue. Le projet de loi prévoit également qu'un rapport sur le nouveau dispositif sera remis au Parlement d'ici à la fin 2024.

L'accès à l'assurance chômage pour les salariés démissionnaires est effectivement un enjeu important, auquel le Gouvernement reste très attaché. Il est vrai que la montée en puissance de ce nouveau droit est elle aussi plus modeste qu'anticipé, même si 14 000 ouvertures de droits ont été enregistrées entre le 1er novembre 2019 et le mois d'octobre 2021. Là encore, le contexte sanitaire, peu favorable aux démissions, doit être pris en considération. Malgré tout, les moyens permettant de simplifier l'accès à ce droit, et éventuellement de l'élargir en assouplissant la condition d'activité antérieure, pourront être examinés dans le cadre d'une future évolution des règles régissant l'assurance chômage. Je note toutefois, depuis la rentrée dernière, une accélération du recours à ce dispositif. Il me semble donc prématuré d'en modifier les règles dès maintenant. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

Mme la présidente.
Le débat est clos. 


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 21 février 2022