Interview de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à RMC le 24 mars 2022, sur les risques de pénurie alimentaire en raison de la guerre en Ukraine, la qualité de l'alimentation et la présence des grandes surfaces françaises en Russie.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
L'invité du jour, c'est vous Julien DENORMANDIE. Bonjour.

JULIEN DENORMANDIE
Bonjour.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation. Je voudrais d'ailleurs que l'on parle des deux, puisque ma première question concerne les risques de pénurie. Si on est très concret, est-ce qu'aujourd'hui vous pouvez nous dire qu'il n'y a aucun risque de pénurie, d'abord en France, on parle de la question de l'huile de tournesol, on parle de la question du blé. Est-ce qu'il y a oui ou non risque de pénurie ou est-ce que l'on est à l'abri ?

JULIEN DENORMANDIE
Il n'y a pas de risque de pénurie en France, et je voudrais vraiment être très rassurant, il n'y a pas de risque de pénurie. Mais je parle bien de la France. Pourquoi ? Parce qu'en France on est indépendant d'un point de vue de la production alimentaire, c'est d'ailleurs toute la politique qu'on mène. J'ai toujours mis cette indépendance, cette souveraineté alimentaire, comme la vision politique du ministère dont j'ai la charge. En revanche, mon inquiétude majeure, c'est la pénurie à l'échelle internationale, notamment dans certains pays partenaires, je pense aux pays du Maghreb, qui dépendent beaucoup des importations de blé depuis la Russie, depuis l'Ukraine, qui au même moment subissent une sécheresse absolument terrible. Et vous prenez un pays par exemple comme l'Egypte, en Egypte, le pain c'est un élément essentiel, d'ailleurs, en arabe égyptien, le pain c'est le même mot que la vie. Les Egyptiens dépendent à 80% des importations blé russe et ukrainien. 80%. On voit aujourd'hui qu'il y a une tension majeure sur l'approvisionnement en blé. Et donc là on a une responsabilité au niveau européen, au niveau international, pour apporter des solutions à nos partenaires, notamment au Maghreb.

APOLLINE DE MALHERBE
Alors, on va parler des solutions, mais est-ce que vous diriez carrément, moi j'ai utilisé le mot de pénurie, Christiane LAMBERT, la patronne de la FNSEA, elle parle carrément de famine, de risque de famine.

JULIEN DENORMANDIE
Vous savez, c'est le patron de la FAO, la FAO c'est l'institut international de l'alimentation, qui parle de ce risque-là. Moi ça fait des semaines que je me mobilise au niveau européen, pour apporter des solutions à nos partenaires.

APOLLINE DE MALHERBE
Quelles solutions ?

JULIEN DENORMANDIE
Alors, vous avez très classiquement la nécessité d'apporter des productions, par exemple du blé, de l'orge, du maïs, un certain nombre de céréales, à ces pays-là. Qu'est-ce qu'il faut faire ? Il faut faire deux choses. D'abord, produire plus là où c'est possible, notamment au niveau européen, ce qui ne veut pas dire moins protéger l'environnement, mais ce qui veut dire utiliser l'ensemble de nos capacités de production. Il faut aussi être transparent, transparent à l'échelle internationale sur les niveaux de production, sur des stocks, pour ne pas désorganiser justement les marchés. Et ça c'est une initiative de solidarité, une initiative coordonnée, que le président de la République va lancer aujourd'hui même, dans le cadre des réunions qu'il a au niveau du G7, d'ailleurs avec l'ensemble de ses partenaires…

APOLLINE DE MALHERBE
Il est à Bruxelles, il y a le G7, il y a l'Union européenne et il y a l'OTAN qui sont réunis.

JULIEN DENORMANDIE
Souvenez-vous, pendant la crise de la Covid, la France a été à l'initiative pour lancer une action qui s'appelait l'action COVAX, c'était de pouvoir apporter des vaccins à nos partenaires africains. L'objectif du président de la République, c'est de lancer la même initiative, mais sur l'alimentation, notamment sur la question du blé.

APOLLINE DE MALHERBE
Revenons à la question des prix de l'alimentation, ici en France. Est-ce qu'ils vont continuer à augmenter ? Il y a aussi cette histoire de Chèque alimentaire, qui ça va toucher ?

JULIEN DENORMANDIE
Alors, est-ce que les prix vont continuer à augmenter ? Il faut être lucide, nous sommes dans un contexte où il y a une forte inflation, et donc oui les prix de l'alimentation, dans les prochaines semaines, les prochains mois, vont continuer à augmenter. En revanche qu'est-ce que nous faisons ? D'abord nous essayons de limiter au maximum cette augmentation, en diminuant les coûts de production. Pardon, ça peut paraître technique mais en fait c'est du très concret. Quand moi je fais un agriculteur, et que j'ai l'ensemble de mes coûts de production, les engrais, le carburant, le gaz, l'alimentation animale qui ont explosé…

APOLLINE DE MALHERBE
Tout ça explose.

JULIEN DENORMANDIE
… A l'évidence, si je veux continuer à pouvoir vivre, et on a besoin de nos agriculteurs, et ils font un travail formidable, et ils ont toujours été là, il faut qu'ils puissent répercuter leurs coûts. Ce que nous, nous faisons, c'est que nous agissons pour limiter l'augmentation de ces coûts de production. On vient d'annoncer par exemple 400 millions d'euros à destination des éleveurs, pour limiter le coût de l'alimentation animale, qui explose. Et se faisant, si vous limitez l'augmentation des coûts de production, vous limitez derrière l'inflation. Ça c'est la première chose. Et puis la deuxième chose, il faut absolument que les industriels, la grande distribution, participent à cette…

APOLLINE DE MALHERBE
Ils ont rouvert les négociations, qui jusqu'à lors devaient être fermées.

JULIEN DENORMANDIE
Voilà, ils les ont ouverts, et d'ailleurs non seulement on les a ouverts, mais on les suit de très près, puisque toutes les semaines désormais je les réunis, toutes les enseignes de grande distribution, tous les industriels, la prochaine réunion a lieu ce matin même, à mon ministère, avec ma collègue de l'Industrie, Agnès PANNIER-RUNACHER, pour s'assurer que grande distribution, grands distributeurs pardon, industriels, jouent leur part du jeu, participent à cette solidarité, et qu'à la fin on arrive à continuer à rémunérer les agriculteurs.

APOLLINE DE MALHERBE
Julien DENORMANDIE, ça c'est avec votre casquette de ministre de l'Agriculture en exercice, il y a aussi la casquette de celui qui soutient le président candidat, et le candidat Emmanuel MACRON il a promis un Chèque famille, un chèque alimentaire par foyer, pour les plus modestes, mais qui sera conditionné en quelque sorte, si l'on a bien compris, à l'idée qu'il soit dépensé uniquement dans l'agriculture vertueuse, c'est-à-dire locale ou de circuit-court.

JULIEN DENORMANDIE
De qualité. En fait quel est le constat aujourd'hui ? On parle beaucoup des inégalités sociales, moi j'étais ministre de la Ville avant d'être ministre de l'Agriculture, et parmi ces inégalités, il y a une inégalité dont on parle moins, qui est l'inégalité nutritionnelle. Ne pas avoir la possibilité…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous allez leur dire : vous mangez mal, arrêtez de manger des frites ?

JULIEN DENORMANDIE
Non, ce n'est pas ça que je dis, c'est ne pas avoir accès à la même qualité des aliments. Ce n'est pas votre mode de consommation, c'est la qualité des aliments, qui par exemple, les productions françaises sont des productions de qualité.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais votre chèque, il sera d'un certain montant. Je vais prendre un exemple très concret. Vous faites un chèque, je ne sais pas, les montants qui sont évoqués, c'est d'une quarantaine d'euros par semaine et par foyer. Et vous leur dites : vous avez le droit de les dépenser uniquement dans les circuits courts. On le sait très bien, l'agriculture de qualité elle est aussi plus chère. Donc vous leur donnez 40 €, mais avec les 40 €, je ne sais pas moi, s'ils vont chez LECLERC ils vont pouvoir acheter une quantité de nourriture, qui va leur permettre de pouvoir s'alimenter plus longtemps, les mêmes 40 € dépensés dans une petite coopérative locale, eh bien ils auront 3 patates au lieu d'un grand sac de frites. Vous voyez la différence ?

JULIEN DENORMANDIE
Je vois très bien.

APOLLINE DE MALHERBE
Il y a quand même un problème.

JULIEN DENORMANDIE
Mais je vais vous donner un exemple très concret. Aujourd'hui, il n'y a rien qui ressemble plus à un de poulet qu'un poulet, un blanc de poulet qu'un autre blanc de poulet. La réalité c'est que quand vous prenez un poulet brésilien, ça n'a rien à voir avec un poulet Français.

APOLLINE DE MALHERBE
On est bien d'accord, sur la qualité…

JULIEN DENORMANDIE
Non mais je termine juste exemple. Pourquoi ça n'a rien à voir ? Par exemple ça fait 15 ans en France qu'on a interdit ce qu'on appelle les antibiotiques de croissance, c'est-à-dire des antibiotiques qu'on donne aux animaux, non pas quand ils sont malades, mais pour empêcher qu'ils tombent malades, et vous certains pays à l'international qui continuent ces pratiques. On vient d'y mettre fin…

APOLLINE DE MALHERBE
Et le panier sera plus petit. Pour le même montant le panier sera plus petit si vous leur proposez d'aller l'acheter à la coopérative locale.

JULIEN DENORMANDIE
Apolline de MALHERBE, dans notre société il faut avoir le courage de dire que notre alimentation a une valeur, pas qu'une valeur économique, aussi une valeur environnementale, mais aussi et surtout une valeur nutritionnelle. HIPPOCRATE disait : le premier des médicaments c'est l'alimentation. Quand vous donnez à vos enfants, quand vous, vous prenez un blanc de poulet brésilien…

APOLLINE DE MALHERBE
Donc ils vont s'alimenter mieux, mais moins.

JULIEN DENORMANDIE
Un blanc de poulet brésilien, ça n'a pas du tout le même impact sur votre corps, qu'un blanc de poulet français. Et ce n'est pas mieux mais moins, c'est pouvoir s'alimenter en luttant contre l'inégalité nutritionnelle, c'est-à-dire ceux qui n'ont pas la capacité d'acheter ce poulet fait en France, avec les normes de qualité, avec la protection nutritionnelle et la protection environnementale, eh bien grâce à ce chèque alimentaire, leur donner le coup de pouce leur permettant de le faire.

APOLLINE DE MALHERBE
J'ai bien compris l'idée derrière et évidemment la bonne volonté, mais dans les faits, en effet, si le chèque est plafonné, le contenu sera moindre, même s'il sera de meilleure qualité. Julien DENORMANDIE, ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, quand vous entendez que les magasins AUCHAN vont rester ouverts en Russie, et que l'entreprise MULLIEZ dit : on garde nos magasins non seulement AUCHAN mais aussi LEROY MERLIN ouverts, est-ce que vous pensez que c'est tenable ?

JULIEN DENORMANDIE
Je pense que surtout il y a un cadre, et vous vous l'avez bien résumé depuis ce matin sur la difficulté de la question, parce que la question elle n'est pas du tout facile, ce n'est pas binaire blanc ou noir, mais je pense qu'il faut se référer au cadre. Il y a un cadre qui sont des sanctions. Pourquoi il y a ces sanctions ? Et ça c'est très important que tout le monde l'ait bien en tête, pour faire en sorte que le coût de la guerre, soit tel, que Vladimir POUTINE rentre enfin dans ce chemin du cessez-le-feu et faire taire les armes. Et donc vous avez ces sanctions. Les entreprises elles sont tenues de respecter les sanctions, et c'est ça le cadre, elles sont tenues de respecter les sanctions.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais il y a aussi une question de morale, vous le savez bien.

JULIEN DENORMANDIE
Oui, mais après, et vos reportages l'ont montré, s'il s'agit à la fin de faire, de partir et de faire cadeau de l'ensemble de ces dispositifs aux russes…

APOLLINE DE MALHERBE
Aux oligarques russes.

JULIEN DENORMANDIE
… Pour les enrichir, vous n'arrivez pas à la finalité qui est la vôtre, qui est de faire en sorte que pour Vladimir POUTINE, le coût de la guerre soit tel qu'il s'arrête.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais est-ce que la responsabilité n'en incombe pas au gouvernement ? Est-ce que ça n'est pas…

JULIEN DENORMANDIE
Mais ce n'est pas le peuple russe, d'ailleurs que nous visons, c'est le circuit de décision, et ça aussi c'est très important de bien l'avoir en tête.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais, est-ce qu'au fond ce n'est pas au gouvernement, voire même aux dirigeants européens, de prendre cette décision, eux, de prendre la responsabilité de la décision plutôt que de laisser au cas par cas au jour le jour les entreprises devoir elles-mêmes faire face à ces risques de boycott, est-ce qu'au fond ce n'est pas à vous de siffler la fin de la récré et de dire : attendez, on arrête de chacun décider dans son coin, il y a une décision commune qui est prise : on demande aux entreprises françaises de quitter la Russie, point barre.

JULIEN DENORMANDIE
C'est exactement pour ça que je vous disais qu'il y a un cadre, le cadre c'est les sanctions, les sanctions il y a déjà de nombreux trains de sanctions comme on dit qui ont été pris, aujourd'hui les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne se réunissent pour discuter de possibles sanctions additionnelles, et au fur et à mesure que la guerre continue, au fur et à mesure que le comportement de Vladimir POUTINE ne change pas, l'Europe et la France est évidemment en tant que président de l'Union européenne, leader sur ces sujets, l'Europe prendra des sanctions additionnelles. Et donc c'est ce cadre qui est là, mais il ne faut pas se tromper, nous ne sommes pas en guerre contre la Russie, nous devons faire cesser la guerre sans entrer en guerre contre la Russie, et c'est très important…

APOLLINE DE MALHERBE
Et ce chemin, il est bien sûr très étroit.

JULIEN DENORMANDIE
Et ce chemin il passe notamment, pas que, mais notamment par ces sanctions pour que le coût de la guerre pour les dirigeants, pour Vladimir POUTINE, pas pour le peuple russe, soit tel que les armes cessent et que la paix puisse revenir, et que la voie diplomatique puisse continuer à avancer.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci Julien DENORMANDIE.

JULIEN DENORMANDIE
Merci à vous.

APOLLINE DE MALHERBE
Ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, d'avoir répondu à mes questions ce matin. Vous parliez des sanctions, des précisions seront données évidemment aujourd'hui, puisque grande réunion à Bruxelles de l'OTAN, du G7, et de l'Union européenne.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 mars 2022