Déclaration de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, sur l'aménagement du territoire et les relations entre l'État et les collectivités locales, à Paris le 9 février 2021.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jacqueline Gourault - Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Circonstance : Colloque " Michel Rocard et la dimension territoriale de l'action publique "

Texte intégral

Messieurs les ministres,
Monsieur le directeur général,
Mesdames et Messieurs,


Hannah Arendt écrivait que " la politique, c'est la transformation d'un monde pluriel – celui de l'irréductible diversité humaine – en un monde commun ".

Peu d'hommes politiques auront, mieux que Michel Rocard, donné toute leur force à ces mots. Pendant plusieurs décennies, par sa force de réflexion, de dialogue, de conviction et, évidemment, d'action, il aura eu un impact décisif sur de nombreux enjeux cruciaux pour notre pays, contribuant sur nombre d'entre eux à constituer ce " monde commun ".

La " dimension territoriale " de son " action publique ", qui est au coeur des échanges d'aujourd'hui, en fait évidemment partie. Sur ce sujet, comme sur beaucoup d'autres, il aura en effet eu la volonté – l'obsession même – d'adapter, de réformer et de moderniser la France, pour lui permettre d'être à la hauteur des nombreux défis qui, sans cesse, se renouvellent.

Aujourd'hui, alors que notre pays est confronté à une crise sanitaire inédite, lourde de menaces économiques et sociales, notamment pour les plus fragiles, je vois dans la philosophie de Michel Rocard sur ce sujet – c'est-à-dire une volonté inlassable de tourner le dos à l'uniformité abstraite et désincarnée pour permettre aux territoires de construire des réponses singulières et efficaces - à la fois :

- Un bel écho avec l'impulsion impulsée par le Président de la République depuis 2017 ;
- Mais aussi un beau signe d'espoir, à l'heure où les territoires sont au coeur de la relance et impulsent déjà les grandes transitions pour notre pays.

Il est difficile de rendre toute la mesure d'une telle oeuvre, mais je voudrais plus particulièrement en souligner trois facettes, qui me semblent essentielles :

1- C'est d'abord la place accordée à la contractualisation

Par rapport à la loi, toujours générale et oublieuse des spécificités, le contrat est en effet un cadre qui permet de construire et d'apporter des réponses spécifiques à des situations spécifiques. Il est, de ce point de vue, l'outil d'une " décentralisation en acte ".

C'est pour cela que, dès 1982, alors ministre du Plan et de l'Aménagement du territoire, Michel Rocard crée en effet les contrats de plan, devenus depuis les Contrats de Plan Etat-Région (les fameux CPER).

Aujourd'hui, alors que nous signons actuellement la nouvelle génération de CPER – pour la période 2021-2027 -  ces contrats ont largement prouvé leur caractère stratégique, notamment pour penser le long terme, une dimension à laquelle il était très attaché, et à impulser partout des centaines de projets.

Car ils reposent :

- Sur l'idée que, dans un monde de plus en plus connecté, les grandes stratégies étatiques devaient céder la place à des stratégies locales, qui partent des projets locaux, mieux aptes – en termes de souplesse et de proximité – à co-construire, dans une relation désormais partenariale, des réponses de moyen et long terme ;
- Et que précisément, pour ce faire, les régions étaient la bonne échelle pour ouvrir une nouvelle ère, plus horizontale, de l'action publique. De fait, elles sont désormais avec d'autres, en première ligne sur les grands défis qui structurent notre début de siècle, à commencer par l'écologie et l'économie, et sont parmi les principaux partenaires de la relance.

Ce cadre si particulier de la relance est précisément l'occasion d'aller plus loin dans ce rendez-vous contractuel avec les territoires au niveau local, et, en cela poursuivre cette " décentralisation en acte ", qu'il l'avait appelée de ses voeux.

Dès 2017, le Président de la République a en effet souhaité accélérer la " République contractuelle ". Dans les six prochains mois, avec ces Contrats de Relance et de Transition Ecologique (CRTE), nous avons en effet une occasion historique pour : 

- donner une dimension véritablement locale à la différenciation territoriale, en partant des stratégies définies par les acteurs locaux pour adapter les réponses de l'Etat à leurs besoins et à leurs spécificités ;
- inscrire, dans chaque contrat, un volet de coopération interterritoriale, en favorisant de manière souple le maximum de relations et de projets portés en commun par les acteurs métropolitains et leurs voisins, dans une logique de réciprocité ;
- en consacrant, enfin, l'Etat-accompagnateur, qui rassemble l'ensemble de ses politiques publiques et mobilise ses services autour du préfet, délégué territorial de l'Agence Nationale de Cohésion des Territoires, créée en 2020 pour fournir une ingénierie " sur-mesure ".

2- Cette dimension contractuelle participe d'ailleurs du second volet que je veux évoquer : la place donnée à la différenciation territoriale

Affirmer la différenciation, c'est tout simplement vouloir une décentralisation vivante, dans laquelle l'envie et l'audace d'expérimenter priment sur les querelles de périmètres et de compétences.

J'ai en effet la conviction, sensible dans la pensée rocardienne, que non seulement le mécano institutionnel ne rend pas plus efficace la décentralisation, mais qu'il en fait progressivement une affaire de spécialistes et de techniciens.

C'est pour cela que, sous l'impulsion du Président de la République, nous avons fait de la différenciation notre principal vecteur d'affirmation de la décentralisation, afin de permettre là encore aux territoires de construire les réponses les mieux adaptées à leurs besoins et à ceux de leurs habitants, et notamment les besoins de proximité et d'efficacité qui ont été à plusieurs reprises exprimés par les élus et les citoyens.

C'est en ce sens que nous avons :

- Créé la Collectivité Européenne d'Alsace, qui fournit des moyens spécifiques pour répondre à des problématiques particulières, en l'occurrence transfrontalières ;
- Que nous avons fait le projet de loi " Expérimentation ", voté à une large majorité au Sénat le 3 novembre et qui passera devant l'Assemblée au premier trimestre 2021, afin de consacrer le droit à la différenciation et faciliter davantage d'expérimentations " sur mesure ", afin qu'elles ouvrent la voie à une différenciation durable ;
- Et que nous avons, également, conçu le projet de loi " 4D " - pour différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification - qui va permettre d'aller plus loin dans la différenciation, d'achever le transfert de certains blocs de compétences, de redonner une unité à la parole et à l'action de l'Etat sur les territoires et de simplifier.

J'ajoute que, tout au long de la conception de ces textes, le dialogue et la négociation respectueuse – qui étaient au cœur de la méthode rocardienne - ont été centraux, et je crois que c'est l'une des clés des consensus auxquels nous sommes parvenus.

3- Enfin, c'est également pour permettre l'expression de cette diversité territoriale que nous avons profondément transformé les relations entre l'Etat et les territoires

L'auteur de Décoloniser la province, qu'il a co-rédigé dès 1966, aura été, vous le savez, un inlassable pourfendeur :

- D'un Etat-prescripteur, à la fois surplombant et asphyxiant, incapable de faire confiance aux territoires ;
- Et donc d'un Etat qui finit ainsi par cumuler l'inefficacité sociale – avec le sentiment des citoyens de n'être plus protégés – et l'inefficacité économique, en bridant les initiatives.

C'est pour cela que la " nouvelle donne territoriale ", impulsée par le Président de la République en 2017, repose, vous le savez, sur deux piliers :

- la conviction que les solutions doivent venir des territoires ;
- et que l'Etat est donc désormais dans une posture d'accompagnateur :
* à la fois en garantissant partout les ressources nécessaires, à commencer par le numérique, avec le plan Très Haut Débit ;
* à travers plusieurs programmes – notamment les programmes de revitalisation des centralités, comme Action Cœur de Ville ou Petites Villes de Demain – construits avec les élus locaux et déclinés au plus près des territoires, là encore avec l'Agence Nationale de Cohésion des Territoires.


Mesdames et Messieurs,

Vous connaissez sans doute le célèbre aphorisme de René Char : " notre héritage n'est précédé d'aucun testament ". Celui de Michel Rocard est en effet profondément vivant, et continue d'être une source d'inspirations.

Que nous dit-il aujourd'hui ? Je crois qu'il aura vu, avant beaucoup d'autres, plusieurs évolutions décisives de notre pays et, au fond, le sens véritable de la décentralisation. Aujourd'hui, presque 40 ans après ses débuts, et alors que notre pays vit une période particulièrement troublée, cet héritage nous laisse plusieurs pistes pour refonder notre pacte social et inventer ainsi notre avenir commun.

Gageons alors qu'il plaiderait à la fois pour une alliance à l'échelle européenne, comme d'ailleurs elle se concrétise ces derniers mois, mais aussi à l'échelle locale, qui est le bon niveau pour inventer les réponses à la hauteur des défis  de notre époque, notamment en veillant à associer toujours mieux les citoyens à la chose publique.

Mais il ne m'appartient pas de conclure. Je vous souhaite donc, à toutes et tous, une très bonne dernière table-ronde.


Je vous remercie.


Source : Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, le 10 mai 2022