Texte intégral
MATHILDE MUNOS
Bonjour Charlotte CAUBEL.
CHARLOTTE CAUBEL
Bonjour.
MATHILDE MUNOS
Vous êtes secrétaire d'État chargée de l'Enfance, ancienne directrice de la protection judiciaire de la jeunesse. La France vient de se faire condamner par la Cour européenne des droits de l'homme pour ne pas avoir rapatrié les familles de djihadistes français en Syrie. La Cour demande à la France de réexaminer au plus vite les demandes de rapatriement. Ça veut dire que la France n'a plus le choix, il va falloir tous les faire revenir ?
CHARLOTTE CAUBEL
Non, la France n'est pas condamnée parce qu'elle n'a pas rapatrié, elle est condamnée parce qu'elle n'a pas bien pris en compte les requêtes et les demandes, elle n'a pas eu un processus transparent sur les requêtes et les demandes des familles qui sont en France. Au contraire, la Cour dit que la France ne peut pas être condamnée, parce qu'elle n'a pas compétences, elle n'a pas juridiction sur le territoire syrien. Donc c'est très très important de le préciser. Donc nous allons prendre en compte les prescriptions de la Cour, pour mieux écouter les demandes des familles en France. Mais je rappelle, et la Cour le dit bien, les conditions de rapatriement sont extrêmement complexes, ce sont des opérations qui engagent nos forces de sécurité sur le territoire là-bas, qui appellent d'apprécier les conditions de sécurité pour les Français en France et pour nos forces de l'ordre là-bas. Donc nous ne sommes pas condamnés à ça.
MATHILDE MUNOS
Mais l'Allemagne et la Belgique elles ont réussi à rapatrier tout le monde. Pourquoi c'est plus compliqué pour nous ?
CHARLOTTE CAUBEL
Alors, d'abord parce que nous avons plus de personnes se déclarant françaises sur le territoire là-bas. Toutes les personnes qui se déclarent françaises ne le sont pas nécessairement. Nous avons effectivement des adultes et des enfants, et nous avons procédé au cas par cas, dans un premier temps, même si depuis un certain temps les conditions nous permettent de rapatrier plus de monde.
MATHILDE MUNOS
Et au final, vous pensez que l'on rapatriera à tout le monde ? A titre personnel, c'est ce que vous souhaitez ?
CHARLOTTE CAUBEL
A titre personnel, moi je le dis, les enfants doivent être rapatriés, parce qu'ils n'ont pas choisi la radicalité de leurs parents, ils ne peuvent être tenus responsables des faits commis par leurs parents. Ce sont des victimes et il faut aujourd'hui les accueillir au plus vite, nous en avons accueilli déjà beaucoup, plus de 200 enfants sur le territoire, à peu près 75 sont rentrés en opérations choisies et organisées par la France, donc oui, les enfants doivent rentrer. Sur le reste, vous savez que tout ça est sous l'autorité du Parquet anti-terroriste, il y a des conditions judiciaires, qu'il ne m'appartient pas d'apprécier.
MATHILDE MUNOS
Et que deviennent ces enfants une fois en France ? Comment sont-ils pris en charge ?
CHARLOTTE CAUBEL
Alors, depuis 2017 nous avons des instructions très claires, données par les Premiers ministres successifs, pour que l'ensemble des services, les forces de sécurité intérieure, l'éducation nationale, la santé, les services sociaux, la protection judiciaire de la jeunesse, sous l'autorité du Parquet antiterroriste, suivent ces enfants, les accompagnent au mieux pour répondre à leur traumatisme, parce que ce sont des enfants qui ont vécu évidemment des traumatismes exceptionnels, et leur permet de se construire une nouvelle vie sur le territoire français, en lien si possible avec les familles qui sont restées en France, mais ça aussi on évalue la situation, parce que la plupart de ces enfants ne connaissent pas les familles qui sont en France.
MATHILDE MUNOS
Charlotte CAUBEL, autre actualité pour vous, cette délégation aux Droits de l'enfant et qui vient d'être créé par l'Assemblée nationale, c'est un organe composé de 36 députés de différents bords politiques. Qu'est-ce qu'elle va faire exactement cette délégation, ça sert à quoi ?
CHARLOTTE CAUBEL
Alors, d'abord je me réjouis de la création de cette délégation, qui montre que le Parlement aussi a pris en compte l'urgence à vraiment se pencher sur l'ensemble des politiques de l'enfance, et en particulier sur les politiques de protection de l'enfance. La présidente de l'Assemblée nationale a insisté, comme je l'ai déjà fait sur votre antenne, sur la réalité des violences, notamment qui sont commises sur les enfants. Cette composition transpartisane va se mettre à hauteur d'enfant, va regarder l'ensemble de nos politiques et va regarder comment, dedans, on y intègre l'intérêt de l'enfant, les droits des enfants. C'est une excellente nouvelle. Ça correspond à la priorité aussi que le président a mis, en disant : l'enfance et la protection de l'enfance doivent être la priorité du quinquennat.
MATHILDE MUNOS
Mais pour vous, ça va être quoi, une boite à idées ?
CHARLOTTE CAUBEL
Alors, une boîte à idées, un lieu d'échanges, un lieu de construction, un lieu de vigilance. Nous travaillons déjà avec les parlementaires, et en particulier avec l'Assemblée nationale sur tous ces sujets, nous aurons là un lieu particulier, où nous pourrons avoir une organisation et des échanges très constructifs, je n'en ai aucun doute. Le sujet de l'enfance est incontestablement un sujet sur lequel on peut converger à l'Assemblée nationale.
MATHILDE MUNOS
On sait que cette délégation, elle va travailler sur les violences familiales, l'aide sociale à l'enfance, l'inceste, le harcèlement scolaire, l'accès à la pornographie. Pour vous, c'est quoi la priorité ?
CHARLOTTE CAUBEL
La priorité aujourd'hui c'est quand même qu'on lève le voile sur les violences faites aux enfants, quelles qu'elles soient. La présidente de l'Assemblée nationale a repris les chiffres que j'ai déjà donnés, je vous rappelle qu'un enfant meurt dans sa famille tous les 5 jours, dans un contexte de violences. Qu'on pense qu'à peu près 160 000 victimes au moins, mineures, chaque année, sont victimes d'infractions sexuelles. On a évidemment le sujet du harcèlement scolaire, un enfant sur 20 aurait déjà subi du harcèlement scolaire. Évidemment le harcèlement numérique. Beaucoup de choses doivent être faites sur les violences, et au-delà de ça, c'est notre société en entier qui doit prendre en compte les violences faites sur les enfants.
MATHILDE MUNOS
C'est un sujet tabou ?
CHARLOTTE CAUBEL
C'est un sujet qu'on n'a pas envie de voir, parce qu'on pense que tout le monde doit aimer les enfants, que les familles aiment leurs enfants. Il y a effectivement une forme de tabou, il faut libérer la parole des enfants et la parole des adultes.
MATHILDE MUNOS
Et comment vous comptez vous y prendre, alors ? Parce que le constat on l'a tous, quelles actions vous allez mener ?
CHARLOTTE CAUBEL
Alors, dans quelques jours va démarrer, pour les enfants, mais les parents pourront écouter, les adultes pourront écouter, une grande campagne sur les 3 numéros qu'ils peuvent utiliser pour effectivement révéler les violences qu'ils subissent : le 119, Enfance en danger, le 30 18 qui est dédié spécifiquement aux violences numériques, parce que c'est un petit peu particulier et que les enfants vivent ça de manière différente, et le 30 20 qui est un lieu qui est dédié aux violences subies à l'école. Ces 3 numéros totalement utiles, qui convergent vers un souci de protection des enfants, sont bien sûr à destination des enfants, mais je le rappelle peuvent être utilisés par les adultes, les voisins, les écoles, les parents.
MATHILDE MUNOS
Dernière question Charlotte CAUBEL, on est en pleine période d'arbitrage budgétaire, est-ce que votre secrétariat d'État est suffisamment doté ?
CHARLOTTE CAUBEL
Alors, mon secrétariat d'État est doté d'un certain nombre de moyens, notamment des moyens financiers pour accompagner les départements, qui je le rappelle, sur ces sujets-là, sont chef de file de la politique de protection de l'enfance…
MATHILDE MUNOS
Il faut que ça le reste ? Parce que je sais que certaines associations aimeraient que ça retourne dans le giron de l'État.
CHARLOTTE CAUBEL
Moi je crois que c'est une politique éminemment territoriale. Il faut connaître le territoire, la situation économique, de pauvreté, d'un territoire. Donc les départements font beaucoup, ils sont entourés de beaucoup d'acteurs, des acteurs associatifs, ils sont aussi entourés des acteurs de l'État, la santé, l'école, la justice. L'objectif pour moi c'est d'assurer une coordination meilleure au niveau du territoire, on l'a vu récemment dans la situation de Noyelle, il y a parfois, même de temps en temps, des sujets d'échanges d'informations, il faut que ça reste au niveau du territoire. Les départements travaillent, il faut que tout le monde se coordonne autour des départements.
MATHILDE MUNOS
Merci Charlotte CAUBEL, secrétaire d'État chargée de l'Enfance. Et on rappelle, allez, un numéro, le 119 Enfance en danger.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 septembre 2022