Déclaration de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, sur les États généraux de la justice, au Sénat le 4 octobre 2022.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat organisé au Sénat à la demande du groupe Les Républicains

Texte intégral

Mme le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les États généraux de la justice.

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, l'auteur de la demande disposera d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. François-Noël Buffet, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je suis heureux de ce débat au Sénat, inscrit à notre ordre du jour sur l'initiative du groupe Les Républicains, sur les suites du rapport du comité des États généraux de la justice, remis au Président de la République le 8 juillet dernier.

Il est le fruit d'un travail approfondi auquel j'ai eu l'honneur de participer entre octobre 2021 et avril 2022.

Il faut rappeler que ces États généraux de la justice ont été organisés sur l'initiative du Président de la République à la suite du cri d'alarme – je crois que l'on peut employer ces mots forts – lancé par Mme Chantal Arens, alors première présidente de la Cour de cassation, et M. François Molins, procureur général près cette même Cour, sur la situation critique de la justice française.

Plus de 7 000 magistrats ont ensuite signé une tribune dans la presse, en réaction au suicide dramatique de l'une de leurs collègues, dénonçant leurs conditions de travail et la perte de sens de leur métier, ce qui est sans précédent.

Le malaise dans la justice est une réalité incontestable. La perte de confiance des citoyens dans son action aussi, comme l'a montré l'Agora de la justice organisée par le Sénat le 27 septembre 2021.

Comme l'indique l'enquête que la commission des lois a fait réaliser pour l'occasion, 53 % de nos concitoyens n'ont plus confiance dans la justice.

Cette réalité, le Sénat l'a mise en lumière depuis plusieurs années, tout en faisant des propositions qui n'ont pas toujours reçu un accueil favorable de la Chancellerie…

Je citerai les trois principaux rapports de la commission des lois sur le sujet : en 2017, Cinq ans pour sauver la justice !, au terme d'une mission d'information conduite par Philippe Bas, et dont les corapporteurs étaient notamment Jacques Bigot, François Zocchetto, Cécile Cukierman et Esther Benbassa ; en 2019, La justice prud'homale au milieu du gué, rédigé en commun avec la commission des affaires sociales, dont Agnès Canayer, Nathalie Delattre et Pascale Gruny furent rapporteures ; et en 2021, Le droit des entreprises en difficulté à l'épreuve de la crise, dont François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi furent rapporteurs.

Nos rapporteurs budgétaires suivent attentivement chaque année la situation de la justice et ont souvent alerté sur ses difficultés concrètes.

Il est donc heureux de retrouver de nombreux points de convergence parmi les constats et propositions du rapport des États généraux avec les travaux du Sénat. Je pense par exemple à la mise en place d'un tribunal des affaires économiques ou à l'orientation ab initio des affaires devant le conseil de prud'hommes.

La commission des lois a entendu, le 21 novembre dernier, Jean-Marc Sauvé, président du comité des États généraux, ainsi que Mme Arens, M. Molins et maître Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des barreaux.

Je retiens, parmi les points évoqués, outre l'augmentation des effectifs, la nécessité de mettre en place une véritable politique civile, avec un renforcement de la première instance – là encore, le Sénat avait déjà pointé ce besoin –, véritable justice du quotidien qui représente 60% du contentieux judiciaire, alors que les projecteurs sont principalement braqués sur la justice pénale.

En 2019, la justice civile représentait en effet plus de 2,2 millions de décisions, tandis que la justice pénale n'en représentait que 800 000. En raison de la crise de la covid-19, les chiffres de 2020 ne reflètent pas réellement la situation.

Pour réformer, monsieur le garde des sceaux, il importe que le ministère accepte de changer de méthode en agissant de manière "systémique" au service du justiciable et d'un meilleur fonctionnement, en évaluant en amont les conditions pratiques nécessaires à la réussite de ces réformes et sorte d'une approche strictement "normative".

À cet égard, le niveau d'exigence des études d'impact doit être revu pour vraiment prendre en compte la réalité du terrain. Trop souvent, les réformes présentées par le Gouvernement ont volontairement ignoré les effets réels induits sur l'organisation des juridictions, le travail des juges et, au final, les justiciables eux-mêmes. Ce type d'approche doit impérativement être abandonné.

D'ailleurs, monsieur le garde des sceaux, malgré les efforts financiers réalisés ces dernières années, la politique numérique tarde à produire des effets concrets sur le terrain, où les équipes se plaignent de nombreux dysfonctionnements, notamment dus à l'impréparation des réformes législatives.

Il faudrait en outre nous discipliner collectivement pour ne modifier les textes que lorsque cela est "strictement nécessaire". Est-ce un vœu pieux ? Je ne le crois pas. Les juridictions sont épuisées par les modifications incessantes des règles ; cela vaut tant pour la loi que pour les textes réglementaires.

Douze sénateurs de la commission des lois ont pu le constater lors du stage qu'ils ont effectué cette année en juridiction, au sein des tribunaux judiciaires de Paris, de Lyon, de Bordeaux, de Lille, de Rouen ou encore de Marseille.

Il faut donc désormais s'attacher à la mise en œuvre des propositions, qu'il s'agisse des moyens, de l'organisation et du fonctionnement de la justice ou des réformes législatives. Je crois pouvoir dire que le Sénat dans son entier y veillera.

En définitive, le rapport issu des États généraux de la justice est un rapport pragmatique et opérationnel : il donne des clefs pour mieux faire fonctionner l'existant plutôt que d'inventer de nouveaux systèmes, souvent illusoires.

La mobilisation des magistrats, mais aussi celle des greffiers, qui sont moins dans la lumière, nous oblige : ils sont, sinon tous, à tout le moins dans leur très grande majorité, dévoués, au quotidien, à la continuité de l'institution judiciaire.

Il suffit d'observer ce qui s'est passé pendant la deuxième crise sanitaire ou ce qui se passe aujourd'hui, compte tenu de certaines situations et des travaux supplémentaires qu'ils doivent assumer sans forcément disposer de moyens additionnels, malgré les difficultés.

Nous serions collectivement coupables de ne pas leur apporter les moyens de travailler.

Bien sûr, le débat ne se résume pas simplement à cela : à un moment, il faut faire des choix politiques sur des stratégies de justice. Il y a un continuum entre la police, la justice et – pour ce qui relève du pénal – la pénitentiaire. En toute hypothèse, la justice est en crise : si la justice civile l'est de façon très caractérisée, la problématique de la justice pénale tient surtout, me semble-t-il, à la question des peines, qu'il s'agisse de la rapidité de leur exécution ou de leur efficacité.

Pour autant, je crois sincèrement que, à ce stade, il n'est pas nécessaire de revoir encore et encore notre législation, sinon sur un certain nombre de points particuliers ; il vaut mieux se concentrer sur les moyens que nous mettons à disposition de nos magistrats et de nos greffiers, moyens tant numériques qu'humains ou systémiques, de façon à privilégier la réussite de cette mission.

Chacun est bien conscient ici que cet espace où l'on essaie de résoudre les conflits entre la société et les délinquants ou entre des particuliers est absolument essentiel au bon fonctionnement de notre vie tout court et de la vie sociale en particulier. La justice, contrairement à ce que l'on imagine, est un espace d'apaisement, un espace dans lequel les conflits privés doivent trouver des solutions qui apaisent les parties, lesquelles finissent par accepter les décisions rendues. C'est absolument fondamental. Aujourd'hui, tous les magistrats que nous rencontrons, tous les greffiers s'interrogent sur leur utilité, voire sur la reconnaissance dont ils bénéficient de la part de nos institutions.

Mes chers collègues, notre justice est un bien précieux. C'est la raison pour laquelle, monsieur le garde des sceaux, nous attendons que vous répondiez, au cours du débat de cet après-midi, à un certain nombre de questions, notamment sur le calendrier de mise en œuvre des conclusions des États généraux et sur les concertations qui sont prévues – même si vous les avez déjà engagées –, mais aussi sur les mesures réglementaires ou législatives que vous souhaitez engager.

Enfin, on entend parler d'un projet de loi de programmation pour la justice : quand sera-t-il déposé sur le bureau du Sénat ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis tout particulièrement heureux de revenir devant vous alors que s'ouvre la première session ordinaire de cette nouvelle législature. Je souhaite poursuivre avec chacun d'entre vous le travail de coconstruction qui a guidé mes relations avec le Sénat depuis mon arrivée à la Chancellerie.

C'est pourquoi, dans le cadre des États généraux qui nous réunissent aujourd'hui, je veux faire en sorte que les réformes indispensables se fassent dans le plus large consensus.

C'est le principe même de ces États généraux impulsés par Président de la République et à la demande des deux plus hauts magistrats de notre pays, qui constitue par ailleurs un exercice démocratique inédit avec près d'un million de contributions citoyennes !

Alors que le rapport de très grande qualité issu de ces États généraux de la justice a été remis au Président de la République par le président Sauvé en juillet dernier, je conclus actuellement la dernière phase de concertation de tous les acteurs du monde judiciaire.

Je veux ici saluer le Sénat dans son ensemble, en particulier votre président, Gérard Larcher, ainsi que votre président de la commission des lois, François-Noël Buffet, qui était d'ailleurs membre du comité des États généraux, pour l'engagement qui est le leur en matière de justice. (M. Roger Karoutchi s'exclame avec amusement.)

C'est sincère, monsieur Karoutchi !

Que ce soit dans le vote des budgets – qui sont bons, il faut bien l'admettre –, ou bien dans les propositions formulées – je pense par exemple aux agoras de la justice –, en passant par l'indispensable travail législatif mené de concert, je ne compte plus les fois où Gouvernement et Sénat ont joint leurs forces, avec l'Assemblée nationale, pour faire progresser notre justice.

Mais, vous le savez, ce travail n'est pas fini, tant s'en faut.

C'est pourquoi, comme je l'ai annoncé, je présenterai dans les semaines qui viennent à nos concitoyens, ainsi qu'au Parlement, bien sûr, un plan d'action détaillé pour réformer et améliorer le service public de la justice, avec un impératif : la rendre plus protectrice, plus rapide, plus efficace et plus proche de nos concitoyens.

Ce plan – je vous rassure, il reprendra un certain nombre de propositions sénatoriales, par exemple celles qui concernent les recrutements à venir ou encore la réflexion sur un tribunal des affaires économiques – se déclinera à travers tous les leviers dont nous disposons. L'objectif sera d'aller vite. C'est pourquoi tout ce qui pourra être fait par voie réglementaire le sera, et ce dans les plus brefs délais.

Je pense par exemple à la matière civile ou encore à l'organisation propre du ministère.

Je vais néanmoins vous répondre en quelques points concernant les premières priorités qui font déjà consensus.

Premièrement, nous allons poursuivre le renforcement inédit de la justice en termes humains et financiers, car on ne résout pas vingt ou trente ans d'abandon politique, humain et financier en un claquement de doigts.

Vous le savez, le budget de la justice pour 2023 connaîtra, si vous l'acceptez, pour la troisième fois consécutive, une hausse de 8%. Ces hausses nous laissent peu à peu entrevoir l'horizon d'une justice de qualité que tous les acteurs du monde judiciaire, mais surtout les justiciables, appellent de leurs vœux.

Je peux d'ores et déjà vous annoncer qu'une première recommandation – et ce n'est pas la moindre – du rapport Sauvé sera suivie : nous embaucherons au moins 1 500 magistrats et 1 500 greffiers sur le quinquennat. Il s'agit là du plus grand plan d'embauche de toute l'histoire des services judiciaires.

Après les volets réglementaire, budgétaire et organisationnel, les arbitrages issus des concertations en cours prendront corps à travers une ambitieuse loi de programmation pour la justice sur la période 2022-2027.

Fidèle à la démarche de coconstruction qui est la mienne, le Parlement sera – j'y insiste – très étroitement consulté en amont des débats et aura toute la place qui lui revient au moment de l'examen de ce texte.

Ces discussions viseront à nous accorder sur l'ampleur des réformes législatives de la justice que nous aurons à porter, qu'elles soient programmatiques, ordinaires, organiques, et même constitutionnelles.

Si la loi de programmation permettra d'inscrire dans le marbre les recrutements massifs de magistrats, de greffiers, mais aussi de contractuels, de personnels pénitentiaires, elle aura également vocation à transposer dans la loi, de manière concise, les principales propositions qui auront fait, pour la plupart, déjà consensus.

En matière pénale, mes priorités, à savoir une réponse ferme et systématique, ont été fixées par la circulaire du 20 septembre dernier. Je pense par exemple à la lutte contre les violences faites aux femmes et aux mineurs, à la lutte contre la délinquance du quotidien et la criminalité organisée, à la lutte contre le terrorisme, à la lutte contre les atteintes à l'environnement.

Mais aucune politique pénale ne pourra efficacement prospérer sans la simplification de la procédure, réclamée par l'ensemble des acteurs du monde judiciaire. Le Président de la République s'y est engagé.

J'aurai donc vocation à vous proposer une méthode consensuelle et une feuille de route claire pour que, ensemble, et si vous en êtes d'accord, nous puissions mener ce chantier législatif colossal.

La nécessité de cette réforme fait l'objet d'un consensus, des forces de l'ordre aux magistrats, en passant par les avocats.

Mais une politique pénale ne peut exister sans politique pénitentiaire volontariste. C'est pourquoi nous poursuivrons le grand plan immobilier pénitentiaire avec la création de 15 000 places d'ici à 2027 afin d'assurer la réponse pénale, d'améliorer les conditions de travail des agents pénitentiaires et les conditions de détention, qui nous indignent trop souvent.

S'agissant du volet réinsertion, qui, je le répète, est absolument indissociable du volet répressif, nous poursuivrons la hausse des moyens alloués ainsi que la mise en œuvre du contrat du détenu travailleur et les remises de peine conditionnées à l'effort.

En matière civile, nos objectifs sont les suivants.

D'abord, poursuivre sans relâche nos efforts de résorption des stocks. Les stocks en matière civile, mesdames, messieurs les sénateurs, ont diminué de plus de 28% au niveau national, ce qui est absolument considérable.

Ensuite, lancer à l'échelle nationale une politique ambitieuse de l'amiable : une décision de justice coconstruite est une décision mieux acceptée !

Enfin, simplifier le parcours juridictionnel du justiciable, qui ressemble bien souvent à un parcours du combattant.

Le temps qui m'est imparti, huit minutes, ne permet pas, vous me le concéderez, de dresser un exposé complet, mais les questions qui viennent me permettront d'approfondir et d'expliciter mon projet. Je pense, parmi d'autres sujets cruciaux et essentiels, à la transformation numérique du ministère, chère à votre collègue Dominique Vérien, ou encore à la justice économique et commerciale, si importante face à la crise à venir.

Mme le président. Il faut conclure, monsieur le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Un mot, sans aucun esprit de polémique, à l'attention de M. le sénateur Sueur, pour lui dire que mes avocats expriment ce qu'ils estiment nécessaire à ma défense.

Par ailleurs, Mme Élisabeth Guigou, pour qui j'ai le plus profond respect, a été chargée d'un travail très important sur la présomption d'innocence. L'impératif, naturellement, m'est interdit lorsque je m'adresse à vous, mais je vous invite à lire son rapport. (M. Alain Richard applaudit.)

Débat interactif

Mme le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et son éventuelle réplique.

Le Gouvernement dispose pour répondre d'une durée équivalente. Il aura la faculté, s'il le juge nécessaire, de répondre à la réplique pendant une minute supplémentaire. L'auteur de la question disposera alors à son tour du droit de répondre pendant une minute.

Je serai le gardien du temps…

Dans le débat interactif, la parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Les travaux de ces États généraux s'inscrivent dans le constat partagé d'une justice malade.

Si vous martelez que jamais un gouvernement n'a autant fait pour la justice, les faits sont têtus et les chiffres d'augmentation de budget peinent à convaincre les acteurs du quotidien – magistrats ou greffiers –, ainsi que les citoyens, qui, malgré des projets pour la confiance dans la justice, ont du mal à appréhender un système judiciaire souvent maltraitant.

Notre groupe a eu plusieurs fois l'occasion de regretter de trop nombreuses réformes, qui n'étaient en adéquation ni avec les attentes des citoyens ni avec des demandes des magistrats ou du personnel pénitentiaire. Il s'agit parfois de réformes d'affichage dont les moyens nécessaires à leur bonne exécution au mieux ne suivent pas, au pire ne sont même pas prévus. Je pense aux nouvelles prérogatives conférées aux juges des libertés et de la détention sans que leur nombre augmente ou à la généralisation des cours criminelles départementales avant de prévoir l'arrivée de nouveaux magistrats.

Ces États généraux ont eu le mérite de remettre sur la table de nombreuses discussions, y compris le débat autour du sens à donner à la peine pour favoriser la réinsertion : "La peine doit […] favoriser la réinsertion de l'auteur et réduire les risques de récidive."

À ce titre, en dehors des effets positifs que cela pourrait avoir sur la population carcérale, l'idée de recentrer le juge d'application des peines sur ses missions premières pourrait s'accompagner d'une plus grande présence des services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) dans des juridictions, comme cela est proposé dans les États généraux de la justice.

Ma question est la suivante : l'activité en milieu ouvert des Spip, qui concerne un nombre plus important de personnes qu'en milieu fermé, est encore trop méconnue ; que comptez-vous faire pour valoriser et soutenir cette activité essentielle de la pénitentiaire, dont les compétences ne cessent de croître ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Benarroche, punir, mais réinsérer ; punir et réinsérer.

Vous m'interrogez sur la situation des Spip.

Depuis 2018, il a été procédé à 1 500 recrutements, ce qui a permis de réduire le nombre de dossiers suivis par chaque conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation (CPIP) de 80 à 71.

Des organigrammes de référence fixant les effectifs affectés au sein des Spip ont été mis en place.

Ensuite, en termes de revalorisation, les CPIP ont obtenu plusieurs avancées importantes : passage en catégorie A, revalorisation indemnitaire de 220 euros par mois en 2022.

Les directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP) ont bénéficié d'une revalorisation indemnitaire de 1,3 million d'euros en 2021 et 2022. Je souhaite aller plus loin en 2023 avec la poursuite de la hausse des primes à hauteur de 1 million d'euros, la réforme du statut pour faciliter la promotion professionnelle et la revalorisation de leur rémunération indiciaire à hauteur de 1,3 million d'euros.

Monsieur le sénateur, vous évoquez également le travail en milieu ouvert : s'il faut punir le délinquant et protéger nos concitoyens avec la prison, les missions réalisées par les Spip en milieu ouvert sont essentielles.

Une politique volontariste en faveur des aménagements de peine et des mesures alternatives à l'incarcération est menée par le ministère de la justice. En 2023, la dotation correspondante s'élèvera à 53,4 millions d'euros, soit une progression de 34 % par rapport à 2022.

De même, 28 millions d'euros seront consacrés au placement sous surveillance électronique, tandis que le placement extérieur bénéficiera d'une dotation de 11,3 millions d'euros, soit un complément de 2,5 millions d'euros destinés au relèvement du prix de journée pour favoriser l'octroi de ces mesures.

Enfin, la dotation allouée à la politique de réinsertion et de lutte contre la récidive des personnes placées sous main de justice sera portée en 2023 à 122,5 millions d'euros.

Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour la réplique.

M. Guy Benarroche. Monsieur le garde des sceaux, les moyens disponibles dans le budget pour 2023 permettront-ils enfin la convergence du régime de rémunération des directeurs et des directrices des Spip, alors même qu'ils n'ont bénéficié d'aucune mesure en ce sens depuis de nombreuses années, avec celui de la pénitentiaire ?

Les carrières et avancements dont bénéficient les directeurs de ces services sont moins avantageux que ceux de leurs cadres.

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Nous y travaillons évidemment en lien avec le ministère de la transformation et de la fonction publiques.

Mme le président. La parole est à M. Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. Monsieur le garde des sceaux, j'ai bien compris votre réponse, qui n'en est pas vraiment une…

Je veux ajouter deux choses.

Premièrement, il faudrait également veiller à augmenter la dotation budgétaire des Spip. En effet, ils doivent pouvoir disposer de budgets propres leur permettant de financer – ou d'y participer par un financement croisé, sans quoi c'est impossible – la prise en charge par le milieu associatif des suivis intensifs et individualisés.

Deuxièmement, il faudrait également augmenter les effectifs de ces Spip. Certes, tel a été le cas, puisque, comme vous l'avez indiqué, on compte actuellement un agent pour 71 personnes suivies, mais l'objectif tel qu'il a été fixé, à savoir un agent pour 60 personnes suivies, n'a pas été atteint.

Mme le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. "Constat sévère", "au bord de la rupture", "état de délabrement avancé", "crise majeure", "perte de sens" : on ne compte plus les qualificatifs moribonds employés pour décrire la justice et son fonctionnement dans notre pays.

Dans son rapport remis au Président de la République le 8 juillet dernier, le comité des États généraux formule une série de recommandations pour redresser le service public de la justice. Il souligne que, sans renforcement des moyens financiers, humains et en matériel, les réformes resteront sans capacité d'application.

Aussi, pour la troisième année consécutive, le budget de la justice est en hausse, comme en témoigne le projet de loi de finances pour 2023. En cinq ans, il a augmenté de plus de 40%, avec près de 700 magistrats, 850 greffiers et plus de 2 000 juristes recrutés. Un tel effort est historique. Cette nouvelle augmentation de 8 % permettra la création de 2 253 emplois en équivalents temps plein (ETP).

Dans son rapport, le comité relève, à juste titre, que l'ensemble des constats portant sur la justice sont aggravés en outre-mer et que la défiance envers l'institution y est encore accrue.

C'est le cas du déficit et de la mauvaise gestion des moyens humains. À Mayotte et en Guyane, par exemple, les acteurs de la justice se plaignent d'une désorganisation permanente des juridictions. Cette situation résulte notamment d'un fort absentéisme des magistrats et des greffiers, épuisés par leur charge et leurs conditions de travail. Or l'état de dépendance financière dans lequel se trouvent les juridictions de Guyane ou de Mayotte empêche de répondre directement et efficacement aux besoins de ces territoires.

C'est également le cas du manque de réponse pénale en dehors de la prison, qui subit elle-même une crise sévère.

C'est enfin le cas de la fracture numérique, démultipliée outre-mer.

Monsieur le garde des sceaux, je vous sais sensible aux problèmes que rencontrent, en outre-mer, nos concitoyens dans l'accès à la justice et les acteurs du monde judiciaire dans leur travail. Vous présenterez prochainement un plan d'action et un projet de loi de programmation pour la justice : comment entendez-vous ventiler les crédits et moyens dans ces territoires reculés afin d'y relever les défis constatés ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je suis évidemment très préoccupé par la situation guyanaise et mahoraise. Je rentre d'ailleurs de Guyane, où je me suis rendu avec Gérald Darmanin et Gabriel Attal. Nous avons considérablement renforcé les moyens des douanes, des forces de sécurité et des magistrats de ce territoire.

Pour ce qui concerne mon ministère, le problème principal est l'attractivité des postes. Face à cette difficulté, nous avons créé une brigade de soutien au sein de la Chancellerie. Le rôle de cette structure est de convaincre des magistrats métropolitains de partir six mois et un jour – ce délai a été retenu pour des raisons fiscales que vous devinez sans peine – dans les territoires ultramarins afin d'aider les magistrats sur place.

Nous mettons en place ce dispositif en Guyane et nous l'étendrons bien sûr à Mayotte, où nous enverrons, en outre, des personnels supplémentaires. En effet – je l'ai indiqué lors de mon déplacement à Mayotte –, pour un magistrat comme pour un greffier, une telle affectation doit être un tremplin. Nous faisons d'ailleurs en sorte qu'après avoir exercé leurs fonctions à Mayotte ils sachent exactement où ils seront nommés.

En parallèle, d'importantes opérations immobilières sont prévues : cité du ministère de la justice à Saint-Laurent-du-Maroni, cité judiciaire à Cayenne, cité judiciaire et centre éducatif fermé à Mayotte, auxquels s'ajoutera bientôt un second établissement pénitentiaire.

Les outre-mer ont besoin de moyens accrus : nous le savons.

Monsieur le sénateur, je tiens à saluer l'engagement total dont vous faites preuve en la matière, pour votre territoire et pour la justice. Vous êtes toujours au rendez-vous, vous nous rappelez ce que nous devons faire et ce que vous dites nous oblige.

M. Alain Richard. Très bien !

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Harribey.

Mme Laurence Harribey. Monsieur le garde des sceaux, le rapport des États généraux de la justice préconise l'augmentation du nombre de conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP),…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Oui !

Mme Laurence Harribey. … mais pas seulement. Il recommande aussi la généralisation de la présence de psychologues dans tous les services. C'est une nécessité que ma collègue Marie Mercier et moi-même avons largement mesurée lors de la mission d'évaluation que nous avons consacrée aux Spip.

Nous avons également pu constater le faible nombre des assistants sociaux : on n'en dénombre qu'un par département. Or ces professionnels sont fondamentaux, à l'heure où les CPIP voient leur métier évoluer : désormais, on leur demande davantage de mesurer le risque de récidive, non de se consacrer à la seule réinsertion.

Ma question est donc simple : quelle suite allez-vous donner au volet du rapport portant sur l'interdisciplinarité à l'intérieur des Spip ?

En parallèle, nous avons remarqué le problème d'attractivité dont souffrent ces postes. En particulier, on déplore un manque d'accompagnement face à l'évolution même des métiers. À l'évidence, il est nécessaire de développer un écosystème des acteurs : quelle suite entendez-vous donner à ces autres propositions du rapport ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, vous posez là une question très importante : celle de l'interdisciplinarité.

Telle est notre boussole pour les recrutements à venir. En répondant à M. Benarroche, j'ai déjà souligné l'intérêt que nous portons aux CPIP, qui sont absolument indispensables. Je rappelle pour mémoire que nous avons engagé 1 500 CPIP depuis 2018. J'ai cité tout à l'heure les mesures de revalorisation prises en leur faveur ; elles témoignent elles aussi de notre intérêt pour cette profession, que nous considérons comme essentielle.

Dans la politique de réinsertion et de lutte contre la récidive des personnes placées sous main de justice, la priorité est de valoriser le travail des CPIP et d'en embaucher davantage. Voilà pourquoi j'ai souhaité que la dotation correspondante soit portée à 122,5 millions d'euros en 2023. Elle augmentera ainsi de 12,9 millions d'euros, soit une hausse de 13 % par rapport à 2022.

Enfin, nous menons une politique active de préparation à la sortie et à la réinsertion, en lien étroit avec les services de l'État, les collectivités territoriales et les partenaires privés. S'y ajoutent les dispositifs de formation professionnelle des personnes prévenues et le développement du travail en détention, auquel je suis particulièrement attaché.

Bref, l'interdisciplinarité fait partie des réponses que nous envisageons : d'ailleurs, il n'est pas possible de s'en dispenser et il est logique qu'elle trouve écho dans les recrutements à venir.

Mme le président. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour la réplique.

Mme Laurence Harribey. Monsieur le garde des sceaux, plus que sur les CPIP, au sujet desquels vous aviez déjà répondu en partie, ma question portait sur les assistants sociaux.

Dans ce domaine, nous sommes bien à la croisée des chemins. De nouveaux métiers apparaissent et ils exigent une approche beaucoup plus transdisciplinaire.

En résumé, les CPIP sont passés d'une culture d'assistance sociale et d'accompagnement à l'insertion à une culture de la mesure du risque de récidive. Il est donc nécessaire de développer d'autres métiers à leurs côtés pour défendre une autre ingénierie de la sanction.

Ces considérations nous renvoient à un certain nombre de constats dressés par la mission d'information relative à la lutte contre la délinquance des mineurs. L'augmentation du nombre de places de prison n'est clairement pas une solution. Le rapport Sauvé le souligne lui aussi très clairement.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le garde des sceaux, le rapport du groupe de travail sur la simplification de la procédure pénale prévoit – c'est une première – le recours à l'intelligence artificielle comme outil d'aide à la décision pénale.

Certes, le droit pénal et la procédure pénale sont devenus très complexes. Certes, je ne suis pas de ceux qui rejettent par principe la science et la technologie, qui peuvent aller dans le sens de l'émancipation humaine. Pour autant, recourir à l'intelligence artificielle lors du jugement, n'est-ce pas s'en remettre à un juge robot déshumanisé ? (M. Jérémy Bacchi acquiesce.)

En entrant dans une logique d'automaticité, la justice perdrait tout son sens. Le but, rappelons-le, est de rendre justice au nom de tous en prenant en compte la situation de chacun.

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, comme vous, je préfère une justice humaine, merveilleusement humaine, parfois terriblement humaine, à n'importe quel robot. S'il suffisait d'introduire je ne sais quelle carte informatisée dans une machine pour obtenir une solution, nous n'aurions tout simplement plus de raison d'être : il n'y aurait plus la moindre difficulté ou la moindre problématique.

Comme vous, je suis très attaché à l'indépendance de la justice. En corollaire, certaines décisions nous font parfois un peu tiquer… (Sourires.)

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est comme ça !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Dans les États totalitaires, la justice est à la botte. Pour ma part, je préfère une justice indépendance. D'ailleurs, on ne parle que des choses qui vont mal, jamais de celles qui vont bien et qui sont pourtant extrêmement majoritaires.

Je le répète : je préfère une justice humaine, qui peut se tromper, à une justice informatisée. Je crois que nous sommes tous d'accord sur ce point. Par exemple, je ne sais pas comment l'intelligence artificielle pourrait assurer une quelconque personnalisation de la peine : je n'ai toujours pas trouvé de réponse à cette question.

Mme le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le garde des sceaux, puisque vous m'y invitez, je pourrais vous dire, comme dans un meeting politique : "L'humain d'abord !" (Sourires.) Cela me semblait si évident, venant de notre groupe, que j'ai préféré éviter une répétition inutile dans cet hémicycle. (Nouveaux sourires.)

Plus sérieusement, nous avons toujours estimé et nous continuons de penser que la justice ne peut pas se passer de l'humain et de ses émotions. Par définition, l'émotion peut être contestable, mais elle permet de rendre la justice la plus juste possible.

Sans aucun parallèle avec quelque actualité que ce soit, je reprendrai les propos liminaires de M. le président Buffet : la justice est effectivement un lieu qui apaise. Pour apaiser, elle a besoin de ces moyens humains ; de ces personnes qui écoutent, entendent, parfois réparent, réinsèrent, jugent ou contrôlent, notamment les lieux de privation de liberté.

Cette justice qui apaise est indispensable à notre société. Elle est l'exact contraire d'un jugement sur la place publique, qui, lui, hystérise, cristallise et oppose les gens entre eux. (Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je suis d'accord avec vous !

Mme le président. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Monsieur le garde des sceaux, en cette rentrée parlementaire, il est important de reprendre tout de suite nos bonnes habitudes : comme vous l'avez deviné, je vais donc vous parler d'informatique ! (Sourires.)

En effet, je vous alerte depuis longtemps sur cet enjeu, en particulier sur les logiciels, Cassiopée en tête.

C'est une question plus centrale qu'il n'y paraît, tant le personnel de justice peut se trouver découragé face à des applicatifs obsolescents qui accumulent les lourdeurs, les incompatibilités et les bugs. Votre ministère évoque même le "goût amer laissé aux agents", comme le note le rapport des États généraux de la justice.

Le comité en appelle ni plus ni moins qu'à une refondation complète de la maîtrise d'ouvrage informatique ainsi qu'à la fondation d'un véritable socle informatique commun, au sein de la justice comme avec les ministères partenaires – l'intérieur par exemple.

Pour mémoire, la procédure pénale numérique (PPN) qui se met en place souffre elle aussi des bugs de Cassiopée, en particulier dans le cadre des transferts entre la gendarmerie et la justice. J'ai pu le constater moi-même à la gendarmerie de Toucy.

Ma question est simple : quel plan d'action entendez-vous mettre en œuvre à ce titre ? Le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) prévoit la création d'une agence numérique. Une seule agence pour les deux ministères serait-elle envisageable ? (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Vérien, nous travaillons en concertation avec Bercy pour répondre à la préoccupation légitime que vous exprimez.

En outre, j'ai nommé il y a peu un secrétaire général adjoint du ministère dédié au numérique.

Vous le savez – cela n'a échappé à personne –, la Cour des comptes nous a adressé un certain nombre de critiques. Elle relève néanmoins que nous avions fait beaucoup d'efforts, que je compte évidemment poursuivre.

Le rapprochement des maîtrises d'ouvrage et maîtrises d'œuvre, projet par projet, est une priorité clairement identifiée. Il permettra aux différents chantiers de gagner en cohérence et en efficacité.

Cela étant, je tiens à vous apporter deux précisions au sujet de l'informatisation.

D'une part, je ne crois pas qu'il existe, en la matière, un modèle unique ou un dispositif qui soit nécessairement le plus efficace pour tous les ministères.

D'autre part, au-delà de sa spécificité, la Chancellerie ne doit plus être perçue comme le ministère des vieilles pierres, mais comme un ministère moderne, efficace et exemplaire dans sa gouvernance comme dans son exécution budgétaire. C'est dans cet esprit que nous venons d'imposer un certain nombre d'indicateurs. De même, je serai très attentif à ce que la gouvernance numérique soit organisée de la meilleure manière possible. Je ne doute pas que, dans un avenir proche, je serai interrogé sur ce sujet.

Enfin – je suis d'accord avec vous –, la transformation est un sujet majeur pour l'avenir du ministère. Nous aurons, j'en suis sûr, l'occasion d'en débattre, ne serait-ce qu'à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances.

J'espère vous avoir un peu rassurée !

Mme le président. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour la réplique.

Mme Dominique Vérien. Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez parlé de Bercy. Vous disposez effectivement d'une interface pour le paiement des amendes,…

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Oui !

Mme Dominique Vérien. … qui semble avoir été conçue par Bercy et qui fonctionne bien. Ce ministère, lui, a très bien su se mettre en ordre de marche en matière informatique pour prendre nos sous… Il serait bon d'avancer de même pour rendre la justice.

De plus, il me semble indispensable de travailler sur ces sujets avec le ministère de l'intérieur. La procédure pénale numérique concerne ces deux ministères : ils doivent donc se parler. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Mes chers collègues, les conclusions des États généraux de la justice confirment l'état déplorable de notre institution judiciaire.

Une des premières décisions du garde des sceaux fut d'augmenter les magistrats judiciaires de 1 000 euros. Je salue cette initiative, mais les magistrats et greffiers souffrent surtout du manque de moyens humains et matériels.

Dans quelques semaines, nous étudierons le projet de loi de finances pour l'année 2023. Il nous appartiendra d'être particulièrement exigeants quant à la répartition des crédits.

Le texte présenté prévoit une nouvelle hausse de 8% du budget de la justice. Cette augmentation représente 710 millions d'euros supplémentaires par rapport à l'année dernière, dont 41 % reviendraient à l'administration pénitentiaire.

Je me réjouis qu'un tel budget soit alloué aux établissements pénitentiaires. Toutefois, j'émets quelques réserves sur ces dépenses, qui concerneraient en partie le parc immobilier pénitentiaire.

Monsieur le garde des sceaux, je comprends votre volonté de mettre fin à la surpopulation carcérale ; mais, comme vous le savez, la construction de nouvelles prisons n'est pas la seule solution. Plus on construit, plus on remplit. La réponse à ce problème structurel se trouve du côté de la prévention de la récidive, de la réinsertion et des peines de substitution sous certaines conditions.

J'en viens à ma question. La loi de finances pour 2022 accordait aux solutions alternatives à l'incarcération un budget stagnant à 39,8 millions d'euros, quand près de 1 milliard d'euros étaient alloués à l'investissement immobilier pénitentiaire. Pour 2023, comment comptez-vous répartir l'enveloppe budgétaire entre réinsertion et mesures alternatives à la prison ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, puisque vous m'y invitez, je vais vous répondre sur le registre budgétaire.

La programmation immobilière de 15 000 nouvelles places est essentielle pour mettre fin à la surpopulation carcérale, même si ce n'est pas la seule solution. Comme vous, j'attache une attention toute particulière à la lutte contre les conditions indignes de détention.

Les missions accomplies par les Spip, notamment en milieu ouvert, sont tout aussi essentielles. Elles doivent continuer à se développer.

Le ministère poursuit une politique volontariste en faveur des mesures alternatives à l'incarcération et des aménagements de peine. Pour répondre précisément à votre question, la dotation correspondante s'élèvera à 53,4 millions d'euros en 2023, en progression de 34% par rapport à 2022.

Ainsi, 28 millions d'euros sont consacrés au placement sous surveillance électronique. Le placement extérieur bénéficiera d'une dotation de 11,3 millions d'euros : le complément de 2,5 millions d'euros accordé est destiné au relèvement du prix de la journée, pour favoriser l'octroi de ces mesures. En outre, 2,6 millions d'euros sont prévus pour accompagner le déploiement du contrôle judiciaire sous placement probatoire. Enfin, la dotation allouée à la politique de réinsertion des personnes placées sous main de justice sera portée, en 2023, à 122,5 millions d'euros. Elle bénéficiera d'une hausse de 13% par rapport à 2022.

Vous savez combien je suis attaché au sens du travail, à l'effort des publics qui exécutent une peine, qu'elle soit accomplie en milieu ouvert ou en détention. Je vais naturellement favoriser la venue massive de ceux qui peuvent offrir ce travail, car il permet une meilleure réinsertion.

Mme le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le garde des sceaux, il me semble nécessaire de consacrer prochainement un travail aux lieux de privation de liberté. Ce sujet a certes été abordé par les États généraux de la justice, mais un tel état des lieux permettrait de le traiter spécifiquement.

Mme le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre. (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)

Mme Nathalie Delattre. Monsieur le garde des sceaux, le 13 septembre 2021, je déposais une proposition de loi visant à développer le recours à la médiation.

Le groupement européen des magistrats pour la médiation (Gemme) et plusieurs autres acteurs du monde judiciaire relevaient alors le caractère essentiel de ce texte. S'il nous reste du chemin à parcourir pour promouvoir le recours à la médiation dans notre pays, je tiens à vous remercier de votre engagement personnel pour le développement de ce dispositif, notamment en réaction au dépôt du rapport des États généraux de la justice.

Le recours à la médiation est encore trop peu développé en France, même si des expériences ponctuelles, comme aux référés du tribunal judiciaire de Paris, donnent d'excellents résultats.

J'ajoute que l'usage de ce dispositif est fortement encouragé par nos concitoyens. En effet, d'après un sondage du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) réalisé pour le Sénat en 2021, 90% des Français interrogés plébiscitaient le recours à la médiation et à la conciliation. (M. le garde des sceaux le confirme.)

La médiation est un outil précieux pour notre système juridique. Grâce à elle, les justiciables peuvent se réapproprier le procès en en devenant des acteurs responsables. En outre, elle permet de résoudre des situations qui semblaient bloquées en renouant le dialogue avec l'aide d'un tiers compétent, neutre et impartial.

En 2021, la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire a marqué une étape en facilitant le recours à la médiation et en actant la création du Conseil national de la médiation. Mais il est nécessaire d'aller plus loin et d'engager une véritable politique nationale de l'amiable judiciaire dans notre pays.

Monsieur le garde des sceaux, pouvez-vous m'assurer que vous développerez le recours à la médiation en faisant évoluer la législation ? Ma proposition de loi est à votre disposition. En attendant, envisageriez-vous de prendre rapidement des mesures concrètes en valorisant la médiation dans l'organisation des juridictions, en développant la formation des acteurs judiciaires et en adoptant des mesures incitatives ? (Applaudissements sur des travées du groupe RDSE.)

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, je sais avec quelle sévérité Mme la présidente veille au respect des temps de parole. S'il me fallait vous répondre en trois mots, je vous dirais : oui, oui et oui ! (Sourires.)

M. Antoine Lefèvre. Alors, tout va bien ! (Nouveaux sourires.)

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Tout d'abord, je crois en la médiation, car une décision à laquelle on a participé est une décision que l'on accepte mieux. Par ailleurs, la médiation permet d'économiser du temps judiciaire, pour le consacrer, par exemple, au "déstockage".

Dans le cadre des États généraux de la justice, la médiation fait ainsi l'objet d'un très large consensus. Je pense notamment à une procédure dont j'aurai l'honneur et le plaisir de vous reparler, à savoir la procédure de césure, laquelle est inspirée de l'étranger.

Nous avons uniformisé la liste des médiateurs. Nous avons actualisé les formulaires de candidature. Nous avons triplé la rétribution à l'aide juridictionnelle pour les avocats qui participent à la médiation.

Je sais que vous défendez un texte de loi portant sur ces sujets et je serais ravi de vous recevoir à la Chancellerie pour les évoquer avec vous. Je pense en particulier aux questions de droit civil, dont M. le président Buffet a rappelé toute l'importance.

Nous n'avons pas encore arbitré : les discussions se poursuivent, car j'ai souhaité que tout le monde participe à ces États généraux. Je le répète, venez à la Chancellerie – naturellement, il s'agit là d'une invitation et non d'un impératif. Il faut faire progresser la médiation car, à l'évidence, c'est la justice de demain. Je vous attends ! (Sourires.)

Mme le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.

Mme Agnès Canayer. La confiance dans nos institutions est le cœur de notre pacte républicain et, aux côtés des pouvoirs législatif et exécutif, la justice y contribue grandement. Il s'agit là d'un enjeu fondamental.

Je me félicite du travail mené par les États généraux de la justice de manière systémique et globale, en associant l'ensemble des acteurs pour tracer d'ambitieuses pistes de réflexion. Mais on voit aujourd'hui que le travail est abyssal ; il va exiger beaucoup d'investissements et une priorisation.

Monsieur le garde des sceaux, j'entends bien que votre méthode consiste à définir de manière concertée ces actes de priorisation. Toutefois, comme l'a justement rappelé M. le président de la commission des lois, pour redonner confiance dans la justice, il faut d'abord assurer la proximité en investissant dans la justice du quotidien. (M. le garde des sceaux opine.)

Or la justice qui répond aux besoins de chaque jour, c'est avant tout la justice civile et, à cet égard, un sujet nous tient particulièrement à cœur.

Dans un rapport remis il y a déjà trois ans, Mme Delattre, Mme Gruny, Mme Féret et moi-même avons formulé de nombreuses propositions pour restaurer la confiance dans cette justice du quotidien qu'est la justice du travail. Aujourd'hui, alors que le nombre d'affaires a beaucoup diminué – il a baissé de 55% –, les délais de jugement restent très longs en la matière : ils sont en moyenne de seize mois. De toute évidence, une réforme systémique est nécessaire : cette réforme de la justice prud'homale figure-t-elle parmi vos priorités ? (Mme Nathalie Delattre applaudit.)

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, au risque de me répéter, la réponse est oui !

Bien sûr, j'ai connaissance de votre rapport ; nous sommes en fait face à une question de temporalité. Un certain nombre de mesures ont été prises – je ne les rappellerai pas aujourd'hui. Je ne pense pas que nous ayons chômé ou perdu notre temps. Néanmoins, le moment est effectivement venu de réfléchir de nouveau à la justice prud'homale.

Ce que nous voulons, c'est une justice plus proche, plus rapide et plus efficace. Les propositions formulées en ce sens seront incluses aux travaux des États généraux. Je vous invite, vous aussi, à venir me présenter les solutions que vous souhaitez voir reprises. J'y insiste, les arbitrages ne sont pas rendus et je suis tout à fait ouvert au dialogue.

Puisqu'il me reste un peu de temps de parole, je tiens à revenir sur la méthode que nous avons retenue. Je ne suis intervenu ni dans les travaux du comité des États généraux ni dans ceux des différents ateliers : je ne voulais pas que l'on dise qu'ils ne faisaient, en somme, que traduire les souhaits du ministre.

Puis, quand le rapport Sauvé et ses annexes ont été remis, j'ai réuni tout le monde. Ce que je souhaite garder, c'est ce qui est consensuel. Voilà notre méthodologie.

Notre modèle de gouvernance n'est pas caporaliste : ces États généraux n'ont pas vocation à partir d'en haut pour irriguer vers le bas, mais à mener une discussion avec tout le monde. Si certains syndicats ne sont pas venus, c'est leur problème. Une porte que l'on ne franchit pas n'est pas une porte fermée. Reste qu'un certain nombre de points très consensuels se dégagent de ces travaux et que c'est ainsi que l'on progressera.

Ces États généraux sont l'affaire de tous et tout le monde a compris qu'il s'agissait là d'un moment historique pour notre justice. Je vous dis donc bienvenue, madame la sénatrice !

Mme le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.

Mme Agnès Canayer. Merci, monsieur le garde des sceaux. Bien entendu, nous participerons à ce travail afin d'étoffer la réflexion engagée.

J'entends votre volonté de consensus. Néanmoins, un certain nombre de réformes devront tôt ou tard s'imposer.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Oui !

Mme Agnès Canayer. Si le consensus peut être nécessaire, nous avons également besoin de réformes systémiques. Or, pour revenir au sujet de ma question, la justice prud'homale reste au milieu du gué : dans ce domaine, nous devons aller beaucoup plus loin.

Mme le président. La parole est à M. Dany Wattebled.

M. Dany Wattebled. Dans notre pays, la justice est en crise depuis trop longtemps. Alors que, pour la troisième année consécutive, le Gouvernement s'apprête à consentir un effort budgétaire sans précédent en sa faveur, les difficultés de l'institution n'ont toujours pas été surmontées.

À l'occasion des États généraux de la justice, plusieurs dizaines de milliers de contributions de nos concitoyens, tant professionnels du droit que simples justiciables, ont été recueillies. Elles ont souligné la place fondamentale de la justice au sein de notre société démocratique et de notre État de droit.

Il est crucial que la justice fonctionne correctement et efficacement, non seulement pour les parties, mais aussi pour l'ensemble de notre société.

Le rapport du comité des États généraux de la justice rappelle qu'entre 2009 et 2020 le code pénal a été modifié par onze lois chaque année en moyenne et le code de procédure pénale par dix-sept lois. Cette évolution complexifie à n'en pas douter le quotidien des policiers et des gendarmes. En parallèle, elle allonge encore et toujours les procédures.

Au-delà de l'inflation normative, le comité estime que la refonte de la procédure pénale est nécessaire. Il se prononce en faveur du maintien du juge d'instruction, mais surtout envisage d'unifier les cadres de l'enquête de flagrance et de l'enquête préliminaire. Il propose, pour ce faire, de conduire une étude d'impact sur les différents scénarios de l'unification des régimes d'enquête.

Monsieur le garde des sceaux, comptez-vous mener cette étude d'impact ? Que pensez-vous de l'opportunité et de la faisabilité d'une telle fusion ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Wattebled, parmi les points de consensus figure bien la nécessité de simplifier la procédure pénale.

Vous l'avez dit, une multitude de textes sont venus complexifier la procédure pénale, si bien que, de leur propre aveu, les professionnels ont aujourd'hui beaucoup de mal à s'y retrouver.

Voilà pourquoi l'on envisage une simplification. Les policiers, les gendarmes, les magistrats, les greffiers comme les avocats la demandent.

Cela comprend une unification des délais, par exemple, ainsi que le traitement de la question de l'enquête préliminaire et de l'enquête de flagrance. On ne peut cependant pas supprimer la notion de flagrance, laquelle figure à l'article 26 de la Constitution et permet d'ailleurs d'arrêter un parlementaire sans autorisation du bureau de l'Assemblée nationale ou du Sénat, en cas de crime flagrant.

Ce clin d'œil mis à part, beaucoup de choses peuvent être simplifiées, tout en respectant, évidemment, les droits de la défense, les libertés individuelles et les libertés publiques. C'est vers cela que nous nous dirigeons.

Nous estimons que ce travail durera deux ans. Les parlementaires seront, bien sûr, associés de près à son élaboration et les études d'impact seront conduites. En la matière, nous ne pouvons pas avancer à l'aveugle, soyez parfaitement rassurés sur ce point.

Nous avons commencé à étudier ces sujets, ils sont colossaux, et notre objectif est extrêmement ambitieux, mais le Parlement y sera associé. Ce travail répond aujourd'hui à une demande ; il est absolument indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour la réplique.

M. Dany Wattebled. Je me contenterai de remercier M. le garde des sceaux pour sa réponse.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le garde des sceaux, nous vous savons attaché au renforcement de l'indépendance du parquet, et nous sommes nombreux, sur ces travées, à partager le souhait de voir enfin aboutir une réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) permettant d'y parvenir.

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) refuse d'assimiler le ministère public français à une véritable autorité judiciaire au sens au sens de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lequel garantit le droit à la liberté et à la sûreté.

Le Sénat avait adopté, en juillet 2013, un projet de loi constitutionnelle qui avait pour objectifs de renforcer l'autorité du CSM et de mieux garantir l'indépendance et l'impartialité des magistrats. Malheureusement, il aura fallu attendre avril 2016 pour que ce texte soit voté en des termes identiques par l'Assemblée nationale. Depuis lors, plus rien.

Près de deux ans plus tard, lors de l'audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation en janvier 2018, le Président de la République avait lui aussi affirmé ce souhait de renforcer l'indépendance du ministère public et indiqué que la réforme que préparait alors votre prédécesseure, Mme Nicole Belloubet, devait intégrer ces éléments.

Il y a une quinzaine de jours, lors de son audition par la commission des lois du Sénat à l'occasion du rapport remis sur les États généraux de la justice, M. Jean-Marc Sauvé a d'ailleurs indiqué, au sujet du statut du parquet, qu'il avait eu à soumettre au Président de la République un "décret de convocation du Congrès" sur cette réforme, puis un décret de "démontage du Congrès", ajoutant que c'était "la seule fois dans l'histoire de la République qu'un tel acte avait été pris".

Aujourd'hui, monsieur le garde des sceaux, pouvez-vous nous éclairer sur le calendrier de cette réforme nécessaire pour qu'enfin ce renforcement de l'indépendance du parquet soit effectif ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Leconte, je n'ai pas de réponse à vous fournir sur le calendrier. Vous avez rappelé qu'une réforme du statut du parquet ne peut se faire que par une modification de l'article 65 de la Constitution. Le rapport Sauvé l'indique dans les mêmes termes.

Pour être tout à fait précis, cette proposition est discutée et ne fait pas consensus. Je vous propose, quant à moi, de mettre ce sujet à l'ordre du jour de la commission transpartisane.

Vous comprendrez, dès lors, que je sois incapable de vous en dire plus en termes de calendrier.

Mme le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour la réplique.

M. Jean-Yves Leconte. Nous avons absolument besoin d'avancer sur ce sujet essentiel pour notre État de droit. Le développement des missions des procureurs de la République exige également cette réforme.

En outre, compte tenu des débats en cours sur l'État de droit dans l'Union européenne et du rôle qu'y joue la France, nous devons être exemplaires et faire évoluer notre droit de manière à répondre à l'ensemble des exigences de la CEDH.

Mme le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le ministre, le rapport sur les États généraux de la justice insiste sur le fait que la justice connaît une crise systémique.

Pourtant, force est de constater que, dans les réponses transmises au Président de la République, il envisage des réponses sectorielles.

Par quel bout aborder une crise systémique ? C'est toute la question !

Je vous ai entendu faire référence à un plan d'action détaillé, à des volets réglementaires, à une loi de programmation 2022-2027, à une feuille de route sur la réforme de la procédure pénale, à une nouvelle politique pénitentiaire, à une politique ambitieuse de l'amiable. Les priorités sont multiples…

Mais vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux : quand tout est prioritaire, il n'y a plus de priorité !

Quelle sera donc votre priorité ?

Une autre approche de ce sujet ne consisterait-elle pas à tirer les conséquences et les avantages de l'effort budgétaire massif que vous avez obtenu – il faut vous en faire crédit ! –, à laisser les recrutements produire leurs effets dans le monde de la justice, les nouveaux moyens financiers stabiliser la structure, avant de passer, dans un deuxième temps, à une série de réformes plus sectorielles, même si l'on sent bien que vous bouillez d'impatience sur ces sujets ? Quelle est donc la bonne temporalité pour traiter ces questions ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Bonnecarrère, il y a beaucoup de "en même temps" dans tout cela ! (Sourires.)

En matière budgétaire, d'abord, car sans les moyens, rien n'est possible : le renforcement, grâce à ce budget, des moyens humains est très attendu par tout le monde. L'un d'entre vous a rappelé ce que nous avions fait en termes d'embauche : 10 000 personnels supplémentaires, 1 500 magistrats, 1 500 greffiers et des contractuels.

S'agissant du civil, cela sera fait de façon réglementaire et l'on ne pourra pas me reprocher d'ajouter à l'inflation législative par une loi nouvelle. Néanmoins, vous serez naturellement associés de près à ces évolutions. Celles-ci auront pour objet de favoriser la médiation et d'en simplifier l'usage.

Ensuite, il y aura du législatif : une loi de programmation, la réforme de la procédure pénale et, très vraisemblablement, une loi organique, puisque les États généraux de la justice suggèrent un certain nombre de modifications qui nous y conduisent. Tout cela sera mené – si j'ose dire – en même temps, quoi qu'il en soit rapidement. Je veux aller vite.

Pour ce qui relève du réglementaire, ce sera le cas ; la loi de programmation est attendue pour janvier 2023, en début d'année, de sorte que ses effets soient étalés jusqu'à la fin du quinquennat et le reste suivra naturellement son cours ordinaire, mais, à mon sens, le consensus me permettra d'obtenir l'adhésion des parlementaires : si tout le monde est d'accord, forces de sécurité intérieure, magistrats, greffiers, avocats, il me semble que les parlementaires constateront cet accord. Ils n'ont qu'une envie : améliorer la justice du quotidien.

Mme le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le garde des sceaux, les États généraux de la justice ont été convoqués à point nommé, alors que l'institution judiciaire semblait condamnée à s'enfoncer toujours plus dans la détresse soulignée par les conclusions du rapport. Il est impératif aujourd'hui de ne pas laisser s'éteindre la dynamique qui est née de cette large concertation.

Cela a été dit maintes et maintes fois, la toute première urgence de nos tribunaux est le renforcement des moyens humains, proportionnellement au volume de contentieux en attente de jugement.

C'est pourquoi, s'il est important de saluer la revalorisation salariale des magistrats que vous avez appelée de vos vœux le 12 septembre dernier, celle-ci ne doit pas faire oublier la véritable priorité financière de l'institution judiciaire : sortir ses tribunaux de la déshérence et ses outils informatiques de l'archaïsme.

Je solliciterai, monsieur le ministre, vos précisions sur le point suivant.

Les directeurs pénitentiaires d'insertion et de probation (DPIP) vous ont récemment fait part de leur souhait de voir engager une réforme de revalorisation de leur statut et de leurs indemnités. Cette revendication intervient après qu'une amélioration apportée en 2017 au statut des conseillers d'insertion et de probation (CPIP) a effacé les différences de traitement et de statut entre les deux corps pourtant hiérarchiquement distincts.

La responsabilité exercée par les directeurs sur les conseillers d'insertion souffre ainsi d'une perte de légitimité préjudiciable au bon exercice de leurs missions.

À cela s'ajoute l'importante perte d'attractivité du métier, qui a déjà conduit cet été à ce que seuls six des vingt-deux postes proposés au concours interne soient pourvus. Les demandes de détachement à l'extérieur, quant à elle, ont triplé en quatre ans.

Quelle place souhaitez-vous accorder aux revendications des directeurs d'insertion et de probation dans les chantiers que vous souhaiterez entreprendre à la lumière des conclusions de ces États généraux ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Lefèvre, vous m'interrogez sur ce que le ministère compte faire pour rendre le métier de DPIP plus attractif. Il est vrai que les réformes interministérielles engagées depuis 2017 ont abouti à revaloriser les salaires des CPIP, mais pas ceux des DPIP. Il en va de même, d'ailleurs, des directeurs des services de la protection judiciaire de la jeunesse.

En ce qui concerne les DPIP, le ministère s'engage à revaloriser leurs primes en 2022 d'environ 700 000 euros, qui viennent s'ajouter aux 600 000 euros octroyés à ce corps en 2021.

En 2023, je porterai la poursuite de la hausse des primes à hauteur de 1 million d'euros, une réforme du statut pour faciliter la promotion professionnelle et des parcours de carrière plus attractifs ainsi qu'une revalorisation de leur rémunération indiciaire à hauteur de 1,3 million d'euros.

Ces évolutions sont légitimes. Nous avons reçu, il y a quelques jours, les représentants des DPIP ; ils savent ce que nous comptons faire, c'est-à-dire mettre en avant bien sûr le service qu'ils rendent à la justice par des revalorisations adéquates.

Mme le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.

M. Antoine Lefèvre. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le ministre. Un service public judiciaire clair, organisé et performant est la garantie de la solidité de notre État de droit.

Mme le président. La parole est à M. Hussein Bourgi.

M. Hussein Bourgi. Monsieur le ministre, lors des audiences solennelles des tribunaux judiciaires comme lors des conseils de juridiction des cours d'appel, deux sujets reviennent de manière récurrente.

Le premier concerne les moyens humains : de nombreux chefs de cour regrettent que les postes de magistrats qui leur ont été alloués lors de la dernière loi de finances ne soient toujours pas pourvus. Cette situation est d'autant plus difficile à comprendre que, dans d'autres juridictions, des postes de juges sont en surnombre.

Comment, et dans quel délai, la Chancellerie entend-elle remédier à cette difficulté ?

Un second point a été soulevé lors de ces réunions : les dysfonctionnements du logiciel Cassiopée déployé depuis une dizaine d'années, à l'époque du ministre Michel Mercier.

Nous en sommes à une cinquantaine de versions et il ne donne toujours pas satisfaction. Ce constat est d'autant plus regrettable que nous ne disposons pas de référentiels d'activité pour évaluer les besoins de chaque juridiction avec des indicateurs et des éléments objectifs.

Dès lors, l'attribution de moyens par la Chancellerie ne se fait pas dans des conditions tout à fait équitables. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, où en sont les travaux de la Chancellerie pour nous doter d'outils informatiques efficients et d'un référentiel d'activité opérationnel ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Bourgi, nous devrions disposer du référentiel en décembre, il faut du temps pour créer un tel outil.

J'en ai demandé la mise en place, il y a trop longtemps sans doute. C'est un très bel outil pour la direction des services judiciaires (DSJ), dont nous disposerons donc en décembre. Vous en serez informés.

S'agissant de Cassiopée, il est exact que des difficultés techniques ont été soulevées à Paris et à Versailles, quant à l'utilisation de sa version pour les cours d'appel. Celles-ci sont en cours d'analyse et de résolution, les solutions seront probablement apportées au premier semestre 2023. Le système Cassiopée pour les tribunaux est généralisé sur tout le territoire.

Pour ce qui est des effectifs de magistrats au sein de la cour d'appel de Montpellier, en juin dernier, j'ai décidé d'augmenter les effectifs de magistrats dans cette cour de manière substantielle : pas moins de quatre postes ont été créés, deux juges du siège et deux magistrats du parquet. Ces postes sont encore vacants, nous poursuivons les efforts de recrutement de magistrats.

L'année 2023 verra la plus grande promotion d'auditeurs de justice de l'histoire de l'École nationale de la magistrature, avec 380 auditeurs. Ainsi, dès cette année, nous réduirons la vacance de postes.

C'est une réalité : la justice a subi plus de vingt ans d'abandon budgétaire, humain et politique, on ne peut pas tout régler d'un claquement de doigts. Nous nous y attachons, avec les différents budgets qui ont été obtenus, plus de 40 % de hausse, dont 26 % de mon fait – vous savez que, en matière budgétaire, trois fois huit ne font pas vingt-quatre, mais vingt-six ! (Sourires.)

C'est un effort considérable qui montre l'intérêt que nous portons à la justice de ce pays.

Mme le président. La parole est à M. Hussein Bourgi, pour la réplique.

M. Hussein Bourgi. Monsieur le ministre, je reconnais volontiers les efforts budgétaires que vous évoquez, nous nous en sommes tous félicités en commission des lois.

La difficulté vient du fait que ceux-ci ont du mal à se traduire rapidement sur le terrain et dans les juridictions, singulièrement dans la cour d'appel de Montpellier, qui est celle du ressort où je suis élu.

Effectivement, les postes de magistrats ou de directeur de greffe qui ne sont pas pourvus, comme c'est le cas actuellement au tribunal judiciaire de Béziers, ne facilitent pas la réduction des délais et l'efficacité de la justice.

Nous tous ici, sénatrices et sénateurs, vous saurions gré de nous aider à remédier à ces difficultés.

Mme le président. La parole est à Mme Nadine Bellurot.

Mme Nadine Bellurot. Monsieur le garde des sceaux, le constat dressé par le comité des États généraux est particulièrement sévère sur l'état et le fonctionnement d'une institution qui ne remplit plus, ou très mal les missions de service public que les Français sont en droit d'attendre.

La tonalité de ce rapport se rapproche de celui de Philippe Bas en 2017, intitulé Cinq ans pour sauver la justice ! Malheureusement, cinq ans plus tard, nous en sommes toujours au même point, rares étant les préconisations à avoir été mises en œuvre au cours de la précédente législature.

Deux des constats du rapport Bas se retrouvent dans celui du comité.

En premier lieu, l'augmentation continue des ressources allouées à la justice, dont vous vous êtes encore récemment félicité, n'a pas permis d'améliorer significativement son fonctionnement et le service public rendu aux justiciables.

En second lieu, l'institution judiciaire est confrontée au risque de rater la révolution numérique. Les innovations technologiques les plus récentes font émerger de nouveaux acteurs privés, qui peuvent concurrencer l'institution judiciaire, appelant à une nécessaire régulation.

Il existe donc deux voies de réforme.

La première concerne les procédures en matière civile, pénale, sociale et commerciale ; nous en connaissons la nécessité comme les contraintes internes et conventionnelles.

La seconde concerne le management de la justice : quelle organisation du ministère envisagez-vous pour assurer la bonne exécution des budgets votés, la fluidité de la gestion des ressources humaines, la maîtrise des frais de justice, la mise à niveau d'une informatique judiciaire dont, à chaque visite que nous faisons dans les juridictions, nous constatons l'incroyable inefficacité ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, cela ne vous étonnera pas : je ne suis pas d'accord avec vous. Nous avons embauché 700 magistrats, 850 greffiers, 2 000 personnels contractuels. À propos de ces derniers, certains parlaient de "rustines", et demandaient pourquoi nous n'embauchions pas des magistrats ; je répondais benoîtement qu'il faut 31 mois pour les former !

Ces contractuels ont été envoyés dans toutes les juridictions, 1 000 auprès des parquets et 1 000 au civil, ils ont permis une réduction des stocks de 28%. Vous trouvez que cela n'est rien ?

Mme Nadine Bellurot. Non, je n'ai pas dit cela !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Pardon, mais il s'agit de la moyenne nationale ; dans certaines juridictions, c'est bien plus encore.

Naturellement, une justice qui déstocke va plus vite. Je ne partage donc pas votre sentiment.

S'agissant de la sous-exécution budgétaire au niveau du ministère, sur les quinze dernières années, en moyenne, moins de 1% des crédits votés en loi de finances initiale n'ont pas été consommés, soit environ 100 millions d'euros, sur un budget de 9,6 milliards. C'est au fond assez faible.

Ce chiffre n'a pas beaucoup varié. Il était de 1,9% en 2008, 0,4% en 2015, 1,8% en 2021. Je vous concède effectivement une hausse en 2020, à 2,6%, imputable à la crise sanitaire. Le pays était à l'arrêt pendant des mois et des mois, ce qui n'a pas permis aux ministères de dépenser leurs crédits normalement, pas plus que cela n'a permis à mon ministère de faire pousser les prisons, car, dans un instant, j'entendrai cela, monsieur le sénateur Bas ! Je ne lis pas dans vos pensées, mais je les anticipe… (Sourires.)

M. Philippe Bas. Vous lisez en moi à livre ouvert ! (Nouveaux sourires.)

Mme le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti.

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le garde des sceaux, les constats issus du rapport Sauvé associent une crise de l'autorité judiciaire et une crise du service public de la justice.

Je voudrais insister sur le lien étroit qui les unit, en vous interrogeant sur une cause commune qui ne devrait pourtant pas être un problème : les variations démographiques.

En tant qu'élue de Moselle, je suis sensible aux disparités de peuplement dans les zones rurales, mais je le suis plus encore à leur évolution lorsque nous soutenons les politiques urbaines et la croissance démographique de certaines zones.

Or, ainsi que j'ai pu le vérifier dans ma région comme lors d'un stage d'immersion au tribunal de Bordeaux, l'accroissement de la population urbaine, particulièrement dans les métropoles, s'accompagne naturellement d'une augmentation des affaires pénales et civiles. C'est le cas récemment des atteintes aux personnes, mais aussi des affaires familiales.

Face à cette dynamique démographique, l'accroissement d'une déjudiciarisation de certains contentieux, ou l'invention d'une énième réforme de la carte judiciaire n'auront qu'un effet limité.

Adapter la justice nécessite davantage : outre une augmentation généralisée des moyens, il faut une meilleure anticipation et une meilleure gestion dans l'emploi des ressources humaines et matérielles de la justice. Je pense par exemple à la gestion des carrières, à la mobilité géographique ou à des instruments de suivi des masses contentieuses, entre autres.

Quelle stratégie le ministre de la justice entend-il adopter afin de réussir cette anticipation des évolutions démographiques et d'améliorer la réponse de la justice dans ce contexte ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, les moyens humains des juridictions, qu'il s'agisse des magistrats ou des greffiers, sont ajustés chaque année après examen des données d'activité des juridictions.

L'outil que j'évoquais précédemment et qui sera à notre disposition dès le mois de décembre permettra à la DSJ d'affiner les besoins des différentes juridictions.

Les évolutions démographiques ont un impact déterminant sur l'activité des juridictions puisqu'une augmentation de la population d'un ressort donné entraîne nécessairement une hausse des contentieux.

De même, nous sommes particulièrement attentifs au profil socio-économique de la population d'un ressort donné. À titre d'exemple, nous aurons tendance à favoriser la localisation de postes de juge des enfants dans les départements à la population particulièrement jeune. Je pense par exemple à Mayotte, où nous avons localisé en juin 2022 un poste supplémentaire de juge des enfants.

J'ajoute que les évolutions démographiques et l'activité des juridictions ont également une incidence sur l'évaluation de la charge des magistrats. Il s'agit d'un chantier important qui sera finalisé d'ici le mois de décembre 2022. Nous pourrons ainsi localiser les postes de magistrats au plus près des évolutions d'activité des juridictions.

La direction des services judiciaires suit avec attention ces évolutions démographiques pour y répondre au mieux.

Mme le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti, pour la réplique.

Mme Catherine Belrhiti. Merci de votre réponse, monsieur le ministre, mais il faut toutefois regretter que ces constats et ces propositions aient déjà figuré, en vain, dans les rapports sénatoriaux, dont celui du sénateur Philippe Bas de 2017, éloquemment intitulé Cinq ans pour sauver la justice ! Je forme le vœu que ce travail soit enfin suivi d'effet aujourd'hui.

Mme le président. La parole est à M. Gilbert Favreau.

M. Gilbert Favreau. Monsieur le garde des sceaux, le rapport du comité des États généraux de la justice, présidé par M. Jean-Marc Sauvé, souligne la crise profonde de la justice, résultat de décennies de politiques défaillantes, que seule une augmentation substantielle des moyens qui lui sont alloués permettra de résoudre.

Le projet de loi de finances pour 2023 prévoit une augmentation de 8% du budget de la justice, qui serait porté à 9,57 milliards d'euros. C'est un effort notable, même s'il sera sans doute insuffisant.

Le rapport Sauvé est également sévère avec les acteurs de la justice ; il considère qu'il faudra clarifier leur rôle dans la société et envisager une réorganisation globale de l'institution ; il met en garde les magistrats contre "l'illusion de croire que la justice seule peut préserver son office et garantir son indépendance".

Selon ce rapport, il faut maintenir les rôles respectifs du Gouvernement et du Parlement dans les grandes orientations de la justice, tout en associant plus étroitement le Conseil supérieur de la magistrature, à condition de questionner en même temps le rôle et la composition de cette instance, dans le souci de renforcer l'indépendance de la justice.

Au-delà des critiques faites au système judiciaire, le rapport souligne la complexification du droit et la multiplication des procédures, les délais de jugement excessifs, l'augmentation des missions assignées à la justice et, surtout, l'incompréhension des justiciables.

Ce rapport affirme la nécessité d'une réforme, je vous pose donc la question : à quand une grande réforme de la justice en France ?

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Elle arrive, monsieur le sénateur !

Nous avons pris connaissance du rapport Sauvé, puis de ses annexes. Le jour où le président Sauvé a transmis son rapport au Président de la République, les annexes ont été adressées à tout le monde. Depuis lors, j'ai assisté aux conférences, j'ai reçu des chefs de juridiction, des chefs de cour, le Conseil supérieur de la magistrature, les forces de sécurité intérieure, des citoyens, qui veulent que la justice aille plus vite et qu'elle soit mieux connue. C'est pourquoi aussi je mets en place un "passeport éduc droit" avec Pap Ndiaye.

J'ai reçu les huissiers, les notaires, les syndicats qui ont bien voulu venir, bref, tout le monde. Nous sommes maintenant dans une phase d'arbitrage.

Mme la sénatrice Canayer m'a dit qu'il fallait de temps en temps être un peu directif, mais concertation ne signifie pas mollesse ; les arbitrages seront pris et vous y serez associés.

La loi de programmation sera présentée en début d'année prochaine, le volet réglementaire va se mettre en place dans les meilleurs délais, parce que nous sommes dans une forme d'urgence. Cela demandait des moyens financiers et humains, il faut embaucher, il faut prendre des textes qui permettent une simplification et une fluidité plus importante, et donc de la rapidité, de la proximité et une meilleure protection pour nos compatriotes.

Tout cela est en route et nous aurons très prochainement l'occasion d'en discuter. Je suis incapable de vous donner un calendrier précis, mais la feuille de route est la suivante : le plan d'action sera prêt pour l'automne, il sera communiqué et discuté et nous mettrons en œuvre ce que nous aurons dégagé de ces États généraux. Je ne peux pas vous donner une précision au jour près.

Mme le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Christine Bonfanti-Dossat. Monsieur le ministre, j'ai lu non sans une certaine stupeur les préconisations définitives du rapport Sauvé relatives aux cours d'appel.

Le groupe de travail Ronsin a veillé à adapter les ressorts des cours d'appel aux populations en évitant qu'elles puissent dépendre de deux régions judiciaires distinctes.

Pourtant, il reste difficile de comprendre en quoi le fonctionnement de la justice serait amélioré par le fait de calquer la carte des ressorts des cours d'appel sur celle des régions administratives ; il ne le serait tout au plus que de manière extrêmement marginale pour les parquets généraux. Le groupe de travail raisonne en fonction des limites administratives, et non par rapport aux bassins de population.

Il reconnaît dans le même temps qu'une telle réforme souffrirait de plusieurs difficultés sérieuses. Elle aurait notamment des conséquences sur l'activité de quinze juridictions, et huit juridictions d'appel verraient la leur réduite de plus de 25% en raison du rétrécissement de leur ressort.

Qu'il s'agisse du rapport Ronsin, pour les raisons que j'ai évoquées, ou du rapport Sauvé, qui n'exclut pas la fusion des cours d'appel, l'avenir de celles-ci, notamment celle d'Agen, semble menacé, de sorte qu'elles risquent d'être condamnées in fine à disparaître.

Avez-vous pour projet de retirer aux cours d'appel ne siégeant pas dans les grandes métropoles leurs prérogatives de gestion ? Allez-vous retirer ces prérogatives à la cour d'appel d'Agen au profit de celle de Bordeaux ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, votre question me permettra de répondre une fois pour toutes aux inquiétudes qui ont cours sur la suppression de telle ou telle cour d'appel.

En effet, je vois fleurir des initiatives assez singulières. Récemment, dans un théâtre, des avocats se sont réunis pour dénoncer la suppression d'une cour d'appel, alors qu'elle n'avait jamais été annoncée. J'ai appelé le bâtonnier pour lui dire qu'il était curieux de crier "aïe !" avant de recevoir un coup que personne ne voulait porter.

Je veux donc vous rassurer et vous dire très clairement qu'aucune suppression de cour d'appel n'est prévue.

Je rappelle, en outre, que j'ai créé des audiences foraines et que j'ai rouvert des tribunaux jusqu'alors fermés. Je considère, en effet, que la proximité doit résonner dans les territoires. À Agen, par exemple, un certain nombre de nos compatriotes doivent prendre la route pour se rendre à la cour d'appel. Plutôt que cette situation compliquée, ils préféreraient sans doute l'audience foraine de Villeneuve-sur-Lot. Je pourrais multiplier les exemples.

Par conséquent, il n'est pas question de supprimer des cours d'appel et il n'en a jamais été question. Je vous remercie, encore une fois, madame la sénatrice, de m'avoir permis de m'exprimer sur ce sujet, même si je doute que ce soit la dernière fois que j'aie à le faire. Les fantasmes ont cela de singulier qu'ils reviennent de manière récurrente. (M. François Patriat applaudit.)

Mme le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour la réplique.

Mme Christine Bonfanti-Dossat. Vous ne m'empêcherez pas de craindre que, si la cour d'appel d'Agen devient secondaire, elle risque d'être condamnée à fermer. Monsieur le ministre, je plaide coupable d'avoir peut-être raison trop tôt. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)


source http://www.senat.fr, le 11 octobre 2022