Interview de M. Jean-Noël Barrot , ministre chargé de la transition numérique et des télécommunications, à Sud radio le 13 octobre 2022, sur les difficultés d'approvisionnement dans les stations-service, la taxe super dividende, les cyberattaques, l'accès à Internet à distance pendant l'hiver et la régulation du numérique.

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Média : Sud Radio

Texte intégral

PATRICK ROGER
Bonjour Jean-Noël BARROT.

JEAN-NOËL BARROT
Bonjour Patrick ROGER.

PATRICK ROGER
L'essence va-t-elle de nouveau couler dans toutes les stations où est-on dans une impasse ? On va revenir avec vous sur cette situation après l'optimisme d'Emmanuel MACRON hier soir mais la reconduction ensuite de la grève sur le terrain. On va aussi se pencher sur une autre menace, le numérique. C'est votre dossier. Beaucoup de cyberattaques ces dernières semaines. Quels moyens de défense ? Et puis nous évoquerons aussi l'affaire Mbappé et le PSG qui passe par les réseaux sociaux et puis ce qui s'est passé aussi hier soir à l'Assemblée nationale. Commençons donc, Jean-Noël BARROT, par les coupures de robinet pour l'essence. Vous, le gouvernement, vous avez engagé des réquisitions chez EXXON pour que les salariés reprennent leurs postes, ce qui a été fait un peu hier. La CGT a engagé des recours. Quelle est la situation ce matin ?

JEAN-NOËL BARROT
Écoutez, oui, vous l'avez dit, dès le week-end dernier le gouvernement a pris un certain nombre de mesures pour améliorer la fluidité de la distribution des carburants. Libération des importations, libération des stocks stratégiques et hier a été décidé de premières réquisitions pour le carburant puisse arriver. Mais ce qui est essentiel aujourd'hui, et le président de la République l'a rappelé très clairement hier soir, c'est que chacun prenne ses responsabilités. Que les grévistes ne prennent pas les Français en otages parce la situation…

PATRICK ROGER
Oh, ils n'aiment pas ça quand on dit "otages". Ça vous justifiez, vous maintenez, "pris en otages" ?

JEAN-NOËL BARROT
Les files que l'on voit de nuit comme de jour devant les stations essence notamment en Ile-de-France et dans les Hauts-de-France sont totalement inacceptables. Et puis la responsabilité, c'est aussi celle évidemment des grands énergéticiens qui peuvent et doivent se mettre à la table des discussions pour procéder à des revalorisations salariales dans une période où, à cause des grandes variations de prix de l'énergie, ils ont engrangé un certain nombre de profits.

PATRICK ROGER
Oui. Là c'est TotalEnergies directement que vous visez. Ça passe par une discussion franche avec les syndicats pour sortir de l'impasse ?

JEAN-NOËL BARROT
Oui, absolument. Absolument. Elle a eu lieu chez ESSO, elle doit avoir lieu chez TOTAL maintenant. On ne peut plus attendre.

PATRICK ROGER
Oui. Est-ce qu'il faut de nouvelles réquisitions alors, chez TOTAL ? Est-ce que vous allez vous lancer dans des réquisitions ?

JEAN-NOËL BARROT
Si la situation n'est pas débloquée, nous serons contraints d'y parvenir mais ce serait bien regrettable, parce qu'il n'est pas du rôle de l'État de devoir s'immiscer dans des négociations qui devraient avoir lieu en responsabilité entre le patronat et les syndicats pour débloquer la situation et éviter une nouvelle fois de contraindre les Français à des à des heures d'attente devant les stations essence.

PATRICK ROGER
Parce que si ça se poursuit, Emmanuel MACRON était optimiste, je le disais, hier soir en disant que ça allait revenir à la normale la semaine prochaine, mais là avec cette reconduite on ne prend pas cette direction.

JEAN-NOËL BARROT
En tout cas il faut que ça puisse être le cas. Je crois que nous traversons des crises d'une ampleur inégalée sur le plan géostratégique, sur le plan énergétique, sur le plan sanitaire aussi avec une reprise de l'épidémie. Je crois que chacun doit se comporter en responsabilité, soit les responsables patronaux, les responsables syndicaux, et éviter de laisser les Français dans la situation dans laquelle où ils se trouvent aujourd'hui.

PATRICK ROGER
Oui. Dites-moi Jean-Noël BARROT, vous appartenez au MoDem. Votre famille politique hier soir a soutenu un amendement taxant les super dividendes des entreprises. Il a été adopté, faisant apparaître quelques fractures au sein de la majorité puisque ce n'était pas un texte qui était soutenu par la majorité. Pourquoi ce texte

JEAN-NOËL BARROT
Alors sur la forme d'abord, il arrive relativement fréquemment que des groupes de la majorité, que ce soit Renaissance, Horizons ou le MoDem, fassent des propositions. Il s'avère qu'hier soir l'une de ces propositions a été adoptée. Sur le fond, c'est une idée qui est défendue de longue date, celle du prélèvement forfaitaire unique, par Jean-Paul MATTEI, le président des députés MoDem. La question est de savoir comment cette idée, en tout cas de manière très circonscrite, va s'articuler avec la contribution qui a été décidée au niveau européen pour mettre à profit les grands énergéticiens qui, du fait des variations des prix de l'énergie, ont engrangé des profits plus importants que les années précédentes.

PATRICK ROGER
Oui, oui. Mais c'est la taxe super dividende, ce n'est pas celle des superprofits voulue par la Nupes, si ?

JEAN-NOËL BARROT
Ce n'est pas du tout celle voulue par la Nupes puisque la Nupes veut taxer tout le monde, tout le temps. C'est une c'est une proposition qui consiste à taxer de manière transitoire les distributions de dividendes qui dépasseraient les niveaux précédemment atteints. Une nouvelle fois, la question de fond est de savoir comment cette proposition peut s'articuler avec la contribution décidée au niveau européen, qui va être actée dans les prochaines heures si ça n'est pas déjà fait, si ça n'a pas déjà été fait cette nuit au niveau français, et qui est une volonté française et européenne de mettre à contribution les grands énergéticiens.

PATRICK ROGER
Mais est-ce que ça ne va pas laisser des traces au sein de la majorité ? Parce que c'était contre l'avis du gouvernement, Jean-Noël BARROT ?

JEAN-NOËL BARROT
Je l'ai dit. Il arrive fréquemment que des groupes de la majorité fassent des propositions qui parfois sont adoptées. C'est le rôle du Parlement que de faire ces propositions. Le fond de la question est de savoir comment cette proposition s'articule avec celle que la France a défendu au niveau européen et que nous allons acter très prochainement.

PATRICK ROGER
Oui. Avant de parler des cyberattaques d'une façon générale, est-ce que dans la guerre Russie-Ukraine, il y a aussi cette bataille sur le numérique avec des conséquences chez nous ? Je veux dire directement les attaques par exemple contre les hôpitaux, des mairies. Est-ce qu'elles ont un lien avec cette guerre ?

JEAN-NOËL BARROT
Elles n'ont pas nécessairement un lien direct, en tout cas il n'y a pas eu dans les premiers mois de la guerre de surcroît d'attaques, mais cela dit les attaques sont en progression constante, indépendamment de la guerre en Ukraine. Et il se trouve qu'une partie des assaillants, une partie des pirates qui mènent ces attaques, se trouve géographiquement dans un certain nombre de pays comme la Russie qui ont, vis-à-vis de leurs voisins, des attitudes que nous condamnons. Face à cette menace, le gouvernement agit et agit avec vigueur.

PATRICK ROGER
Comment alors ? Parce que j'ai vu qu'il y a une agence nationale qui existe. Là vous allez mettre davantage de moyens, c'est ça ?

JEAN-NOËL BARROT
Oui. Les attaques qui ont été perpétrées ces dernières semaines à l'hôpital de Corbeil-Essonnes, à la mairie de Caen ou au département de Seine-Maritime dimanche dernier, nous rappellent que la menace cyber est une grande menace de notre temps. Et face à cela, nous avons un certain nombre de réponses. L'Agence nationale pour la sécurité des systèmes d'information, dont l'excellence est reconnue dans le monde entier, va être renforcée dans ses effectifs avec une cinquantaine d'effectifs supplémentaires comme l'a décidé la Première ministre. Et cela va nous permettre à la fois de prévenir ces attaques avec des programmes de prévention, notamment pour les organismes d'importance vitale comme les collectivités, les administrations et les hôpitaux, et puis lorsque des attaques surviennent d'accompagner les entreprises, les collectivités, les particuliers dans la remédiation, c'est-à-dire la réparation des dégâts.

PATRICK ROGER
Oui, parce qu'on pourrait être la cible en fait d'attaques qui paralyseraient le pays. Ça, c'est un signe scénario qui est envisagée sur le numérique ?

JEAN-NOËL BARROT
Lorsque je me suis rendu à Corbeil-Essonnes après l'attaque qui a frappé cet hôpital, j'ai été frappé de la brutalité des conséquences de cette attaque. Avec des communications électroniques mises à plat, des communications électroniques aussi basiques que les e-mails, la téléphonie ou les alarmes en salle de naissance. Et donc ce qu'il nous faut réussir, c'est la prévention, c'est-à-dire d'éviter que ces attaques puissent être perpétrées. Bien souvent ces attaques sont ciblées… D'abord elles ciblent un peu tout le monde mais elles s'infiltrent dans les organismes ou dans les organisations au travers de négligences ou parce qu'un collaborateur ou un agent clique sur un mail qui est piégé. Et donc il nous faut à la fois protéger en termes de logiciels nos organisations mais à la fois former nos collaborateurs. Et nous avons un autre outil à côté de l'Agence nationale pour la sécurité des systèmes d'information, les systèmes informatiques, c'est cybermalveillance.gouv.fr Et je veux le dire à vos auditeurs : lorsque vous avez un doute, vous pouvez contacter cybermalveillance.gouv.fr, à la fois en amont pour la prévention, à la fois en aval pour la remédiation. Ce site a été saisi 176 000 fois l'année dernière et apporte des solutions très concrètes, que vous soyez particulier, entreprise, association ou collectivité.

PATRICK ROGER
Oui. Un mot aussi en lien avec la crise de l'énergie. Est-ce que les particuliers vont se voir couper l'accès à Internet à distance pendant l'hiver ? Est-ce qu'il peut y avoir des délestages ? Vous l'avez évoqué.

JEAN-NOËL BARROT
Non. Alors le secteur du numérique et des télécoms fait sa part de l'effort, en trouvant tous les moyens pour réduire sa consommation énergétique. Et parmi les engagements qui ont été pris par les opérateurs télécoms, il y a celui de baisser la température, de baisser la lumière dans leurs locaux de bureaux et de commerces. Il y a celui d'optimiser la consommation de leurs réseaux pour là aussi économiser. Et les efforts par exemple qui vont être consentis par un opérateur comme ORANGE mais c'est vrai des autres également, vont permettre d'économiser la consommation d'une ville de la taille de Chartres à peu près sur l'optimisation de la consommation électrique des réseaux. Et puis effectivement s'agissant des box, l'engagement qui a été pris c'est de généraliser le mode veille sur les box, qui permet de réduire la consommation énergétique lorsque la box n'est pas utilisée. Évidemment ça reste une option à la main de l'utilisateur, mais pour les box existantes et naturellement pour les box à venir, ce à quoi l'été les opérateurs télécoms se sont engagés, c'est qu'un mode veille puisse être mis par défaut, ou en tout cas automatiquement, et que l'utilisateur puisse décider d'activer ou désactiver pour réduire sa consommation.

PATRICK ROGER
Donc il ne va pas y avoir de coupure à distance. Vous n'allez pas à distance mettre en veille ou tout couper.

JEAN-NOËL BARROT
On ne va pas couper la box à distance, ni nous, ni le gouvernement, ni les opérateurs. En revanche, si nous ne réussissons pas ce grand effort collectif de réduction de 10 % de la consommation énergétique à l'horizon des deux ans comme l'a souhaité le président de la République, nous prenons le risque qu'en cas d'un hiver très froid, nous en arrivions à des solutions de dernier recours, et la solution de dernier recours c'est le délestage. C'est-à-dire des coupures ponctuelles et localisées d'électricité, et quand il n'y a plus d'électricité il n'y a plus de téléphone ni d'Internet.

PATRICK ROGER
Il n'y a plus de box. Pour résumer, vous avez dit que vous avez davantage de moyens, une cinquantaine de personnes. Est-ce qu'en termes financiers, vous avez aussi davantage de moyens ? Est-ce que vous allez lancer une campagne de communication, par exemple pour renouveler, pour changer ces box ?

JEAN-NOËL BARROT
Alors pour l'ANSSI, c'est-à-dire la l'agence qui lutte contre la menace cyber et pour la cyber en général, nous avons avec France 2030 un plan pour accélérer et pour transformer les moyens cyber en France, et notamment en permettant aux entreprises de ce secteur-là de se développer, de grandir et d'offrir des offres souveraines de cyberdéfense pour notre pays. S'agissant de la décarbonation du secteur télécoms, là aussi il y a dans France 2030, donc ce grand plan d'investissement lancé l'année dernière par le président de la République, une stratégie pour le verdissement du numérique que nous allons engager à la suite de cet effort que nous faisons dans le court terme pour réduire la consommation énergétique du secteur.

PATRICK ROGER
Oui. Jean-Noël BARROT, sans rentrer dans les détails mais quand même c'est une question de souveraineté, où en est-on des transferts de données aux Américains ? Est-ce que les Français peuvent avoir des garanties ? Les Français et les Européens.

JEAN-NOËL BARROT
Oui. Alors la France et l'Europe sont très engagées dans la protection des données des Européens. Aujourd'hui ces données, elles sont stockées et elles transitent au travers de solutions qui sont bien souvent américaines, et aux États-Unis le président dispose du droit de réquisitionner ces données en cas de menace sur la sécurité intérieure. Et c'est évidemment inacceptable pour les Européens de voir leurs données réquisitionnées. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé avec le président de la République, la Première ministre et Bruno LE MAIRE de faire en sorte que les administrations, lorsqu'elles collectent et stockent des données des Français, le fassent dans des solutions qui sont immunes à cette faculté des États-Unis de réquisitionner les données européennes. Alors il y a effectivement une décision prise aux États-Unis hier pour essayer de se conformer aux règles de protection des données en Europe, à la RGPD en particulier. La Commission européenne, les CNIL européennes vont analyser cette décision américaine pour voir si effectivement elles conduisent à une meilleure protection des données personnelles des Français.

PATRICK ROGER
Des Français qui peuvent s'inquiéter, oui bien sûr. Une question d'actualité, dernière question Jean-Noël BARROT. Selon une enquête de Mediapart, le PSG aurait payé une agence numérique pour nuire à certains joueurs ou contre-attaquer ? Est-ce que vous avez été saisi ou est-ce que vous allez vous saisir de cette l'histoire ?

JEAN-NOËL BARROT
En fait, on est saisi plus généralement de tous ces problèmes de désinformation et de manipulation dans l'espace numérique. Et c'est la raison pour laquelle avec la ministre de la Culture, la ministre des Affaires étrangères, nous allons lancer les états généraux de l'information souhaités par le président de la République, pour adresser un certain nombre de ces problèmes et faire en sorte que l'information soit de qualité et que quand…

PATRICK ROGER
Parce que si c'était confirmé cette histoire, est-ce que c'est légal ou pas ? Le PSG dément avoir utilisé, avoir eu recours à une agence.

JEAN-NOËL BARROT
En tout cas, ça n'est pas des comportements qui sont souhaitables dans l'espace numérique. Et donc l'objectif de ces états généraux de l'information qui vont commencer d'ici la fin de l'année, c'est de lister l'ensemble des sujets non traités encore dans l'espace numérique pour pouvoir apporter une sécurité et une qualité de l'information. Pour pouvoir faire en sorte que les journalistes, ceux qui produisent l'information véritable puissent être rémunérés correctement, et pour faire en sorte que dans l'espace numérique on n'ait pas comme ça une propagation de la haine, de la violence, de la désinformation.

PATRICK ROGER
Oui, mais il n'y a pas que les journalistes etc C'est les trolls, ce qu'on appelle les trolls. Il peut y avoir une chasse aux trolls ? Ce n'est pas légal, les trolls, ou c'est légal ?

JEAN-NOËL BARROT
Il y a un certain nombre de règles à redéfinir dans l'espace numérique, pour assurer ou pour garantir d'une part la qualité de l'information, et d'autre part un partage de l'information et un espace public numérique. Puisqu'aujourd'hui, vous le savez, on est dans un espace numérique qui est complètement fractionné, on est enfermé bien souvent dans des bulles de filtre où on ne voit que l'information qui correspond à certaines de nos préférences et de nos croyances, et on finit par ne plus savoir la manière ou à ne plus être confronté à des oppositions contraires aux nôtres.

PATRICK ROGER
Jean-Noël BARROT, ministre délégué en charge de la Transition numérique et des télécommunications, était l'invité de Sud Radio. Merci.

JEAN-NOËL BARROT
Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 octobre 2022